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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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Etrange figure de la littérature

Posté par francesca7 le 14 août 2014

 

(1838-1899)

 
 
Description de cette image, également commentée ci-aprèsC’est une étrange figure que celle du comte Mathias Villiers de l’Isle-Adam, et qui vaut la peine d’être esquissée, écrit à la fin du XIXe siècle Adolphe Brisson, directeur des Annales politiques et littéraires qui estime que rien n’égalait la détresse de Villiers de l’Isle-Adam, sinon son inconscience. Issu d’une prestigieuse lignée, éblouissant ses amis de son âpre éloquence, indomptable jusqu’à son dernier souffle, Mathias avait reçu de son père son humeur aventureuse, et de sa mère son mysticisme exalté.

Il naquit en Bretagne — terre des rêves. Il descendait d’une très ancienne et très illustre famille. Un de ses ancêtres prit part aux croisades ; un autre, Pierre de l’Isle-Adam, fut sénéchal et porte-oriflamme de France en 1355 ; un autre, Philippe, grand maître de l’ordre de Malte, défendit en 1521 l’île de Rhodes contre Soliman.

Mais si le nom des Villiers s’était transmis d’âge en âge, leur patrimoine s’était effrité… Il n’en restait que des bribes au commencement du XIXe siècle, et le père de Mathias, le marquis de Villiers de l’Isle-Adam en était réduit à vivre médiocrement sur les ruines de son antique gentilhommerie. Il tâchait de suppléer à l’insuffisance de ses ressources en se lançant dans de folles entreprises, fondant une Société pour récupérer les biens dus aux émigrés et confisqués par la Révolution française ; organisant sur divers points de Bretagne des fouilles à l’effet de découvrir de vastes trésors ; ayant toujours en tête de chimériques projets et courant après la fortune, tandis que sa femme, fidèle gardienne du foyer, priait dévotement le Seigneur.

Tel est le milieu où Mathias fut élevé. Il subit la double influence de son père et de sa mère. Le premier lui légua son humeur aventureuse, la seconde son mysticisme exalté. Un accident acheva de le troubler. Il fut enlevé par des bohémiens et, pendant deux ans, il mena une existence vagabonde, courant de ville en ville, couchant à la belle étoile. Il s’était pris d’une telle affection pour ses ravisseurs, qu’il fondit en larmes quand le marquis le força de réintégrer le toit paternel. Vous devinez l’influence de ces événements sur une âme romanesque.

Villiers en reçut un pli qui ne devait pas s’effacer ; il avait rompu, dès son âge le plus tendre, avec la société régulière. Il ne voulut jamais se rapprocher d’elle. En vain l’emprisonna-t-on dans un collège ; on ne put le plier à la discipline ; il avait l’allure d’un révolté ; il tenait à ses camarades des discours troublants ; ses yeux lançaient des éclairs. Il effarouchait ses maîtres par l’incandescence de ses doctrines. Et, dans le silence de l’étude, il griffonnait des vers hugothiques, hérissés d’antithèses et ruisselants de lyrisme.

Le marquis et la marquise, pleins de tendresse et d’illusions, jugèrent qu’un grand poète leur était né. Ils résolurent de l’accompagner à Paris — seul terrain où la gloire puisse éclore. Ils vendirent à vil prix leurs champs, leurs bois, le castel des aïeux, et s’installèrent en un modeste logement de la rue Saint-Honoré ; — n’espérant plus qu’en ce fils qui leur avait coûté tant de sacrifices, et comptant fermement sur son génie.

Alors commença l’existence fabuleuse de Villiers… Pendant trente années, il erra, moderne Juif-Errant, à travers les cafés, les tavernes, les bureaux de rédaction, dînant au hasard de la fourchette, vêtu comme un loqueteux, éconduit par les libraires, méconnu du public, admiré de ses amis qu’éblouissait son âpre éloquence. Il se faufila dans un cénacle de jeunes littérateurs, qui devaient presque tous arriver à la fortune. Catulle Mendès, François Coppée, Stéphane Mallarmé, Léon Dierx, assistés de quelques camarades déjà célèbres, Banville, Léon Gozlan, Charles Monselet, venaient de fonder une revue, la Revue Fantaisiste, qui se signala, dès le premier numéro, par son ardeur agressive. Villiers y publia son premier « conte cruel », Claire Lenoir, et devint un des piliers de la rédaction.

Ce que combattait ce petit groupe… vous le devinez, explique Adoplhe Brisson, c’était l’opérette d’Offenbach, le drame bourgeois, le roman feuilleton. Il proclamait les théories de l’art pour l’art et brandissait l’oriflamme de la « rime millionnaire ». Chaque soir on s’assemblait chez Catulle Mendès, le Mécène de la bande, et, durant des heures, on théorisait à perdre haleine. Villiers de l’Isle-Adam ne ressemblait à personne. Quand une fois on l’avait vu, on ne pouvait l’oublier. Il déployait une verve extraordinaire, passant du pathétique au sarcasme, de l’enthousiasme à l’ironie, entremêlant ses considérations esthétiques de grotesques calembours, mais exerçant sur ceux qui l’écoutaient une fascination particulière. François Coppée a fixé sa physionomie dans un vieil et délicieux article de journal :

 

« Soudain, dans l’assemblée des poètes, un cri joyeux est poussé par tous : Villiers !… C’est Villiers !… Et tout à coup un jeune homme aux yeux bleu pâle, aux jambes vacillantes, mâchonnant une cigarette, rejetant d’un geste de tête sa chevelure en désordre et tortillant sa petite moustache blonde, entre d’un air égaré, distribue des poignées de main distraites, voit le piano ouvert, s’y assied, et, crispant ses doigts sur le clavier, chante d’une voix qui tremble, mais dont aucun de nous n’oubliera jamais l’accent magique et profond, une mélodie qu’il vient d’improviser dans la rue, une vague et mystérieuse mélopée qui accompagnent, en doublant l’impression troublante, le beau sonnet de Charles Baudelaire :

 

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux…

Puis, quand tout le monde est sous le charme, le chanteur, bredouillant les dernières notes de sa mélodie, ou s’interrompant brusquement, se lève, s’éloigne du piano, va comme pour se cacher dans un coin de la chambre, et roulant une autre cigarette, jette sur l’auditoire stupéfait un regard méfiant et circulaire, un regard d’Hamlet aux pieds d’Ophelia, pendant la images (3)représentation du Meurtre de Gonzague. Tel nous apparut, dans les amicales réunions de la rue de Douai, chez Catulle Mendès, le comte Mathias Villiers de l’Isle-Adam… »

Cependant les années s’écoulaient sans amener la richesse dans le pauvre logis de la rue Saint-Honoré. Le marquis, la marquise s’éteignirent, vaincus par le chagrin et la maladie. Mathias demeura seul sur la terre. Il roula jusqu’aux derniers bas-fonds de la misère. Il n’avait plus de domicile légal et logeait, à la nuit, dans les vagues hôtels garnis du quartier latin et de la butte Montmartre. Son cousin, M. du Pontavice de Heussey, a tracé un charmant et touchant tableau de cette période de sa vie. Rien n’égalait la détresse de Villiers de l’Isle-Adam, sinon son inconscience.

Il marchait la tête dans les étoiles, poursuivant son rêve, semblable à un enfant, qui ne soupçonne pas les difficultés de l’existence. Il parlait toujours de l’avenir, mais ne se préoccupait pas du lendemain. Il ne s’inquiétait jamais de savoir s’il possédait ou non une chemise, et, sans la sollicitude de quelques âmes dévouées, il en serait arrivé à sortir presque nu, à moins qu’il ne fût resté dans son lit des mois entiers. Léon Dierx, qui veillait sur lui avec une tendre affection, déposait sournoisement dans sa chambre du linge, des habits neufs… Villiers enfilait les habits, se servait du linge, ne se demandant pas d’où lui venait cette aubaine, n’y attachant aucune importance :

« J’avais pris l’habitude (dit M. du Pontavice de Heussey) d’aller chez lui entre trois ou quatre heures de l’après-midi. Je le trouvais généralement assis dans son lit, accoté par plusieurs oreillers, travaillant et ne s’interrompant que pour allumer une cigarette qu’il n’allumait pas le plus souvent. Dès qu’il m’apercevait (il y avait parfois dix minutes que je me tenais debout devant lui sans qu’il se doutât de ma présence, tant son travail l’absorbait), il faisait un bond en s’écriant : — Ah ! toi, cousin ! Quelle heure donc ?… La fenêtre… la fenêtre ! et, avant que j’eusse le temps de m’opposer à quoi que ce soit, il sautait hors du lit, se précipitait à la croisée qu’il ouvrait toute grande, sans se préoccuper du temps ou de la température ; puis il se recouchait, passait sa main dans sa grande mèche frontale, me regardait d’un air ahuri et finissait par éclater de rire.

« Habituellement ces évolutions avaient pour résultat d’envoyer à travers la chambre tabac, cigarettes et feuilles volantes qui, pour peu qu’il fît de l’air, se mettaient à tourbillonner autour de la table. Je m’élançais au secours de la précieuse prose du poète dont s’amusait une bise peu littéraire et, lorsque j’avais recueilli et remis en ordre tant bien que mal les manuscrits épars, je m’asseyais dans l’unique fauteuil et commençaient nos bavardages. Enfin, vers six heures, à force de persécutions, je parvenais à le tirer des draps et nous descendions dans la rue. »

La rue ! c’était le vrai domicile de Villiers de l’Isle-Adam ; il s’y plaisait, il y était comme chez lui ; il y battait la semelle du soir jusqu’au matin ; il connaissait les pires coins de Paris, et il connaissait aussi bien des secrets qui le rendaient redoutable. Lorsqu’il débouchait, au moment de l’absinthe, sur le boulevard Montmartre, plus d’un de ses confrères l’évitaient, sachant combien il avait la dent cruelle et fuyant son coup de boutoir. Et Villiers passait tranquillement, exposant à tous les yeux, comme Don César de Bazan, « sa cape en dents de scie et ses bas en spirale ».

Il n’avait qu’un point sensible, explique encore Adolphe Brisson : l’orgueil de son blason. Il n’admettait pas que l’on touchât à l’honneur d’un Villiers de l’Isle-Adam, ce Villiers fût-il contemporain de Philippe-Auguste. Peut-être se rappelle-t-on le bizarre procès qu’il intenta à Paul Clèves qui dirigeait, en 1876, le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Notre poète passe un soir devant le théâtre ; il regarde machinalement l’affiche et voit annoncé Perinet Leclerc, drame en 5 actes, de MM. Lockroy et Anicet Bourgeois, et, parmi les personnages du drame, il aperçoit, se détachant en vedette, le nom de son illustre ancêtre, le maréchal Jean de Villiers de l’Isle-Adam.

Très ému, il pénètre dans la salle et constate, avec horreur, que les auteurs font jouer au maréchal Jean un abominable rôle, un rôle de traître, contraire, d’ailleurs, à la vérité. Dès le lendemain, il envoie aux journaux une lettre indignée ; il somme M. Paul Clèves d’interrompre les représentations de la pièce ; il traîne devant les juges MM. Anicet et Lockroy qui, naturellement, obtiennent gain de cause. Et Villiers, furieux, quitte Paris et se réfugie chez un ami à Bordeaux, où il arrive en pleine canicule, ayant sur le dos un paletot garni de fourrures, son unique vêtement !

L’écrivain mena encore pendant treize ans cette existence incohérente. Vers la fin de sa vie il parut se régler. Sa situation matérielle s’améliora, sa réputation grossit ; le public commençait à goûter ses livres. On lui demandait à Bruxelles et à Londres des conférence. Peut-être Villiers fût-il mort dans la peau d’un bourgeois propriétaire (on a vu de ces miracles !) si la mort n’était venue le prendre en 1889.

Il est utile de connaître l’histoire de Villiers de l’Isle-Adam pour apprécier la saveur de ses ouvrages. On l’y retrouve tout entier avec ses inégalités, ses obscurités, ses absurdités, et ses élans d’éloquence et ses éclairs de génie. Pour ne parler que d’Axel, où il a mis le meilleur de sa pensée, je ne crois pas qu’il soit possible de pousser plus loin la magnificence et l’étrangeté du rêve, poursuit le directeur des Annales politiques. Ce drame fantastique se déroule en quatre tableaux, qui sont comme autant de fresques largement brossées. Le sujet n’est pas d’une surprenante nouveauté.Axel d’Auersperg vit isolé dans un bourg moyenâgeux, et possède, enfouis sous les murs de son château, de colossales richesses. Il refuse de livrer ces trésors à l’empereur d’Allemagne et tue l’ambassadeur qui vient les lui demander.

Après quoi, pour calmer ses remords, il se consacre aux sciences hermétiques. C’est alors qu’apparaît l’éternelle tentatrice sous les traits d’une vierge, Sara, qui lui inspire un ardent amour. Elle cherche à l’entraîner vers le monde, elle lui montre les mille délices qui leur sont promises. Axel est sur le point de céder. Mais sa sagesse le retient sur les bords du gouffre. Il repousse les matérialités de la passion ; il veut mourir dans la pure joie de l’extase et entraîner dans la tombe celle qui lui est chère :

« Tu vois, lui dit-il, le monde extérieur à travers ton âme : il t’éblouit ! mais il ne peut nous donner une seule heure comparable, en intensité d’existence, à une seconde de celles que nous venons de vivre. L’accomplissement réel, absolu, parfait, c’est le moment intérieur que nous avons éprouvé l’un et l’autre, dans la splendeur funèbre de ce caveau. Ce moment idéal, nous l’ avons subi : le voici donc irrévocable, de quelque nom que tu le nommes ! Essayer de le revivre, en modelant, chaque jour à son image, une poussière, toujours décevante, d’apparences extérieures, ne serait que risquer de le dénaturer, d’en amoindrir l’impression divine, de l’anéantir au plus pur de nous-mêmes. Prenons garde de ne pas savoir mourir pendant qu’il en est temps encore. »

Les deux amants s’empoisonnent ; ils expirent après avoir échangé un chaste baiser. Et la scène s’achève dans un admirable élan de poésie. L’écrivain y traduit, sous une forme éclatante, des idées éparses dans Schiller, dans Goethe, dans Schopenhaüer, dans Hegel. Il les fait siennes, il les anime de son enthousiasme. Le lecteur est désarmé, tant il sent que l’écrivain est sincère.

Je parlais tout à l’heure des contradictions de Villiers de l’Isle-Adam, enchaîne Brisson. Il est difficile, en effet, de concilier le dénouement d’Axel avec les convictions catholiques de l’auteur. Son catholicisme, à vrai dire, était d’une essence, particulière. Il y mêlait de criminelles audaces. Il était catholique à la façon de Châteaubriand, de Baudelaire, de Barbey d’Aurevilly, en qui M. Anatole France a raison de voir des « dilettantes du mysticisme » ; sa piété, comme la leur, pouvait passer pour impie. Il goûtait le charme douloureux du péché et considérait que le sacrilège n’est pas dépourvu de majesté.

Etrange figure de la littérature dans LITTERATURE FRANCAISE 220px-Villers_de_L%27Isle-Adam_by_Loys_Delteil…Et puis, tout cela lui était prétexte à rhétorique. Car, c’est le point faible de Villiers et la raison pour laquelle ses livres s’écrouleront, ils sont écrits avec un souci trop constamment précieux de la forme. L’écrivain se rattache étroitement à l’école romantique, estime le directeur des Annales politiques et littéraires. Il a le culte du mot et de l’épithète ; il recherche l’éclat de la phrase et se laisse bercer à sa musique ; il croit au prestige des sonorités ; il allonge démesurément les descriptions et ne sait pas être sobre, sauf en de rares passages, où la pensée domine et contient l’expression.

Ce sont de fâcheux excès. Mais on les pardonne au pauvre Villiers en faveur de sa belle âme. Il aimait l’art, il n’aimait que l’art. Il portait en lui des splendeurs d’illusions. Quand il s’asseyait à la table d’un café, dans la foule stupide des consommateurs, joueurs de dominos et fumeurs de pipes, son imagination le séparait des laideurs environnantes, l’entraînait en un monde féerique. Et, grâce à cette faculté surprenante d’isolement, on peut dire de lui ce qu’on ne saurait dire de beaucoup d’hommes : Il vécut misérable et il fut heureux… conclut Adolphe Brisson

 

(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1894)

 

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Toulouse, ville littéraire

Posté par francesca7 le 14 août 2014

 

 
 
Toulouse était sans contredit le centre de la littérature, des sciences et des beaux arts, dans le midi de la France. Ancienne patrie des Tectosages, colonie romaine, elle a mérité de tout temps le titre de Palladienne qui lui fut donné dans l’antiquité, comme nous le voyons dans Martial et dans Ausone, et ses Jeux floraux lui acquirent une renommée qui jamais ne se démentit

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Elle subit les destinées de l’empire romain, et devint la proie des Visigoths ; conquise sur eux par nos rois Mérovingiens, elle passa à la dynastie de Charlemagne, et les gouverneurs qu’elle y envoya se rendirent enfin comtes indépendants.

La culture de l’esprit, qui avait fait autrefois la gloire de Toulouse, se releva sous les nouveaux souverains ; elle dut principalement son lustre au comte Raymond V dans le XIIesiècle : c’est sous son règne qu’on voit paraître la plupart des troubadours toulousains dont Millot, Raynouard et de Rochegude ont perpétué le souvenir, et dont ces deux derniers nous ont conservé les ouvrages. C’est donc de cette époque, qu’il faut dater la nouvelle ère littéraire de Toulouse.

Il est même plus que vraisemblable que ce premier collège du Gai savoir, dont nos mainteneurs de 1323 ne se disent que les successeurs, fut établi à Toulouse sous Raymond V, qui mourut en 1194. Le XIIe siècle fut, comme on sait, l’époque brillante de la littérature en poésie romane, tout nous atteste que Raymond V fut un de ses plus zélés et constants protecteurs. Les malheurs qui accablèrent sa maison après lui, les guerres de religion qui désolèrent le Languedoc, dispersèrent les troubadours toulousains, ou étouffèrent les accents de leur luth.

Ce ne fut qu’en 1323, sous le règne du roi de France Charles IV, et lorsque la domination de nos rois fut bien établie à Toulouse, que sept citoyens de cette ville qui avaient conservé les traditions du premier collège du Gai savoir, entreprirent de le remettre en honneur ; ils s’intitulèrent Mainteneurs du Gai savoir ou Gaie science, et ouvrirent un concours poétique en 1323 ; une violette d’or fin devait être décernée au troubadour qui ferait le meilleur ouvrage en vers : le titre de Mainteneurs est remarquable, et les expressions dont se servent les sept premiers membres du nouveau collège dans leurs lettres d’invitation aux poètes, prouvent évidemment qu’ils ne faisaient que maintenir une ancienne institution.

La violette d’or fut adjugée le 3 mai 1324 à Arnaud Vidal de Castelnaudary, pour une cansoou ode à la Vierge. La fête eut lieu dans un jardin ou les mainteneurs se rassemblaient depuis longtemps ; les capitouls, qui y assistèrent, voulurent dorénavant en faire les frais. Ce concours de 1323 est une ère chronologique marquée par tous les historiens et les philologues.

Les mainteneurs voulant régulariser davantage leur institution , chargèrent dans la suite leur chancelier Guillaume Molinier de rédiger un code de lois poétiques et littéraires qui pût servir de base à leurs jugements. Molinier s’acquitta avec exactitude et intelligence du devoir qui lui était imposé, son ouvrage fut publié en 1356 sous le titre de lois d’amors ; c’était le premier traité complet qui eût paru sur cette matière ; il n’avait existé jusqu’alors que des ouvrages incomplets sur l’art de trouver, comme l’attestent Molinier lui-même et tous les auteurs qui ont écrit après lui. Cette seconde époque dans l’histoire de la langue romane est marquée aussi par tous ceux qui se sont occupés de ce genre d’érudition.

L’ouvrage de Molinier, outre les règles pour les diverses compositions poétiques, contient une grammaire détaillée de la langue romane, l’académie des jeux floraux conserve dans ses archives ce précieux manuscrit et se propose d’en publier la traduction.

La réputation du collège du Gai savoir, renouvelé à Toulouse, s’étant étendue de plus en plus, Jean Ier, roi d’Arragon, dans les états duquel on parlait la même langue que dans le midi de la France, envoya en 1388 une ambassade solennelle au roi de France Charles VI, pour lui demander trois mainteneurs de Toulouse, afin de fonder à Barcelone un collège du Gai savoir ; sa demande fut accueillie, les trois mainteneurs toulousains se rendirent à Barcelone, et y fondèrent l’institution poétique, dont la ville Palladienne avait donné le modèle.

Les désordres du règne de Charles VI, les guerres qui remplirent presque tout celui de Charles VII, les malheurs publics et particuliers qu’éprouva la ville de Toulouse sous celui de Louis XI, portèrent de cruelles atteintes au collège du Gai savoir ; ce ne fut que vers les dernières années du XVe siècle que Clémence Isaure le restaura en fondant de nouveaux prix ; c’est une époque qu’il faut bien se garder de confondre avec la première, comme l’ont fait Castel et d’autres auteurs, ce qui les a jetés dans de grandes erreurs. Clémence ne fut pas la fondatrice, mais seulement la restauratrice du collège de la Gaie science, et c’est à la suite de ses nouvelles fondations que s’introduisit la dénomination plus moderne de Jeux floraux.

La langue française avait tout attiré à elle, et la langue romane, déjà effacée par l’italienne sa fille, fut encore obligée de plier devant son autre fille la française, à laquelle le siècle de Louis XIV avait donné un éclat qui ne s’effacera jamais. Le Toulousain Laloubère, auteur distingué et membre de l’Académie française, conçut le dessein de donner à l’antique institution littéraire de sa patrie, une forme plus stable et plus régulière ; il eut le bonheur de faire parvenir sa pensée jusqu’au roi, qui l’adopta, et les Jeux floraux furent érigés en académie l’année 1694.

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L’académie des Jeux floraux soutint dignement l’antique réputation du collège du Gai savoir. Les poètes et les littérateurs les plus distingués se firent un honneur de concourir à ses prix : La Mothe, Marmontel, la Harpe y recueillirent leurs premières couronnes. Mais les fleurs d’Isaure ne pouvaient résister à la révolution, l’académie des Jeux floraux fut contrainte de se séparer en 1791. Ce ne fut qu’en 1806 qu’elle put reprendre ses travaux ; Après quinze ans d’une dispersion fatale, pendant laquelle le plus grand nombre de ses membres avait péri, bien peu par l’effet du temps, presque tous par la hache révolutionnaire ; l’académie répara peu à peu ses pertes, rouvrit ses concours, et des talents distingués brillèrent encore dans sa lice poétique.

Les noms de Millevoye, de Soumet, de Guiraud, de Chenedollé, de Victorin Fabre, d’Hugo, de Resseguier ont remplacé sur la liste de ses poètes Lavreats, ceux de La Mothe, de Marmontel et de la Harpe. Si l’académie des Jeux floraux a vu autrefois siéger à l’Académie française ses mainteneurs toulousains, Laloubère, Tourreil, Campistron, elle y vit au début du XIXe siècle Baour, Soumet et Guiraud, tous les trois enfants de Toulouse et du collège du Gai savoir.

L’académie des Jeux floraux avait alors tous les ans cinq fleurs à distribuer, deux d’or et trois d’argent, l’églantine d’or à un ouvrage en prose dont le sujet était toujours désigné ; l’amarante d’or à un ode ; la violette d’argent à une épître, poème, ou un discours en vers ; le souci à une églogue ; le lis à une hymne ou à un sonnet en l’honneur de la Vierge. Ces fleurs sont alors toujours portées sur l’autel et bénies le jour de la distribution par le ministre de la religion. Fidèle à ses anciens principes, l’académie en conserve soigneusement la tradition et l’esprit.

Outre ces membres de l’Académie française que nous avons nommés, Toulouse a aussi donné naissance à Maynard, à Palaprat et à plusieurs autres poètes ou littérateurs distingués qui ont tous figurés au nombre des mainteneurs ou maîtres ès Jeux floraux ; c’est ce dernier nom qu’on donne aux auteurs qui ont remporté trois prix ou qui ont mérité, par de grands talents, ce titre que l’académie des Jeux floraux se plaît à leur offrir, et que Voltaire lui-même accepta autrefois avec reconnaissance.

La ville Palladienne n’a pas borné ses succès aux arts de l’imagination : son école de jurisprudence et son barreau ont brillé d’un égal éclat ; elle a produit dans les sciences le célèbre Fermat, l’émule de Pascal en géométrie ; d’Arquie, astronome renommé ; Picot la Perouse dont le nom fait autorité en botanique et en minéralogie, et bien d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. L’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse , se relevée du milieu des ruines et continua sa carrière avec gloire et succès. Citons encore une Société de médecine distinguée par ses lumières, une académie des beaux-arts, et enfin une société d’agriculture s’occupant essentiellement du premier de tous les arts, celui de nourrir ceux qui cultivent les autres.

Mais ce qu’il faut alors surtout remarquer, c’est que Toulouse est la seule ville de France possédant une académie purement littéraire, les sciences étant partout ailleurs mêlées à la littérature : Toulouse dut cet avantage particulier au caractère du corps littéraire qui se forma dans son sein à une époque reculée, caractère s’étant toujours maintenu et ayant conservé sa première vie : l’institution des Jeux floraux ne ressemble à aucune autre, elle est marquée d’un sceau particulier, elle est toute poétique, ses formes parlent à l’imagination, et n’ont rien de l’appareil et de l’apprêt qui doivent nécessairement accompagner les actes publics des académies ; il semble que ses fleurs sont le prix d’une inspiration soudaine, la religion les consacre, la musique célèbre le triomphe des vainqueurs, et nous reporte en quelque sorte à ces temps de l’antique Grèce où toutes les compositions poétiques étaient chantées et où la lyre résonnait en effet, sous les doigts du poète.

Toulouse semble destiné par sa situation, à faire circuler les sciences et les arts dans le midi de la France, comme elle y fait circuler les trésors de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Son influence s’étend aussi sur la chaîne des Pyrénées qui borne le royaume français ; elle paraît au bord du canal du Midi et d’un grand fleuve au milieu d’une campagne riante et fertile, comme une seconde métropole bienfaisante et protectrice, dont les hommes d’état amis de leurs pays, pourraient tirer le parti le plus étendu et le plus utile.

(D’après « Le Compilateur. Revue de la semaine », paru en 1829)

 

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Une littérature enracinée de Dordogne

Posté par francesca7 le 30 juillet 2014

 

images (7)Plumes novatrices

Troubadours, trouvères et ménestrels, ces termes similaires font voyager et évoquent à la fois la poésie, la musique et le Moyen Âge. Accompagnant la naissance de la langue d’oc, ils sillonnent la région et inventent des airs porteurs de poésies lyriques. Guillaume IX de Poitiers (1071-1127), comte de Poitiers, duc d’Aquitaine et de Gascogne, dit « le Troubadour », est le premier connu parmi eux. Siégeant souvent à Bordeaux, il oriente son lyrisme vers un « nouvel art d’aimer » qui, repris et accentué par ses successeurs troubadours, aboutira à la fin’amor , l’amour courtois occitan. Encouragée par les seigneurs, cette poésie lyrique originale s’étend bientôt au Quercy et s’épanouit dans les cours féodales. Le simple nom des plus célèbres de ces troubadours renvoie aux villes environnantes : ­Bertand de ­Gourdon, Aimeric de Sarlat, Arnaut Daniel de Ribérac et Giraut de Borneuil, natif d’Excideuil. Un autre type de chanson, le sirventès , est créé dans la région ; il ne se ­distingue de l’art des troubadours que par le sujet traité – des thèmes guerriers – et un ton satirique. Bertran de Born (v. 1140 – v. 1215), seigneur de Hautefort, est l’instigateur de ces pièces politiques et morales, qui lui ont été inspirées par son conflit avec son frère pour faire valoir son droit à être seigneur indépendant.

Amour, amitié et politique

L’apogée de la Renaissance littéraire s’illustre avec Clément Marot (1496-1544). Né à Cahors d’une mère gasconne et d’un père normand, Marot excelle dans les épigrammes et les sonnets par lesquels il séduit la Cour et le roi. Ses jeux littéraires et son ingéniosité s’illustrent dans son fameux poème Beau tétin dans lequel il chante et décrit à ravir le corps féminin :

« Tétin refait, plus blanc qu’un œuf,

Tétin de satin blanc tout neuf,

Toi qui fait honte à la rose

Tétin plus beau que nulle chose ».

Pierre de Bourdeille (v. 1540-1614), plus connu sous le pseudonyme d’abbé de Brantôme, s’attaque aux huguenots lors des batailles de Meaux et Dreux. Gentilhomme de la chambre sous Charles IX, il se retire dans son château de Richemond près de Brantômeaprès la mort du roi et écrit ses mémoires, des chroniques sur la cour des Valois et Vie des hommes illustres . « Femmes et amours sont compagnes, marchent ensemble et ont une même sympathie », écrit-il : son goût pour l’amour et les femmes devient célèbre et ses ouvrages sont taxés de légèreté par ses contemporains.

Né en 1530 à Sarlat, Étienne de La Boétie , après des études de droit à l’université d’Orléans, devient conseiller au Parlement de Bordeaux. Philosophe et politicien, il rédige, alors qu’il est âgé d’à peine dix-huit ans, le Discours de la servitude volontaire ou Contr’un , un réquisitoire contre l’absolutisme. Illustré par de nombreux exemples tirés de l’Antiquité, ce texte pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population et lui permet de critiquer la situation politique de son temps. C’est à cette période que naît l’amitié entre La Boétie et un autre philosophe, Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592). Cette amitié deviendra célèbre : c’est en son honneur que, à la mort de La ­Boétie, Montaigne abandonne le stoïcisme. Dans ses Essais , rédigés dans la tour de la libraire de son château , il évoque cette relation essentielle : « En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi. »

Également originaire du Périgord, Fénelon (1631-1715) passe toute son enfance dans le château du même nom. Il commence ses études à Cahors, puis gagne Paris. Il aurait composé à Carennacson célèbre roman Les Aventures de Télémaque (1699). Dans son voyage pour retrouver son père Ulysse, Télémaque séjourne dans différents pays aux gouvernements autoritaires puis dans le gouvernement idéal de Salente. L’ouvrage, non destiné à la publication, permet à Fénelon, sous couvert d’Antiquité, de donner une leçon de politique au dauphin Louis de France (1682-1712), petit-fils de Louis XIV et futur père de Louis XV.

Des paysages littéraires

mauroisAuteur contemporain, André Maurois (1885-1967) écrit du Languedoc : « Tu vas voir une province toute sertie de merveilles naturelles ou architecturales, donc ne sois pas pressé. Donne-toi le temps d’un détour pour regarder un village qui n’est pas sur ta route. » Originaire de Seine-Maritime, il découvre la région par son épouse Simone de Cavaillant, propriétaire du manoir d’Essendiéras près d’Excideuil. Il y passe ses vacances et le transforme en lieu de rendez-vous d’artistes, de penseurs et de savants.

Jacquou le Croquant (1899), grand roman à succès qui relate une histoire de jacquerie paysanne au début du 19e s., est l’œuvre d’ Eugène Le Roy (1837-1907), originaire de Hautefort. Le succès du roman est tel qu’il est d’abord adapté au petit écran en 1969 par Stellio Lorenzi, puis pour le cinéma en 2007, par Laurent Boutonnat. Christian Signol , auteur contemporain originaire du Quercy, connaît également le succès avec ses innombrables œuvres souvent inspirées de sa région natale. Son roman La Rivière Espérance est devenu un feuilleton télévisé en 1995. Peintre et écrivain, ­ François Augiéras (1925-1971) passe son enfance à Périgueux et fait de la région l’héroïne de ses romans autobiographiques ( Domme ou l’Essai d’occupation , Une adolescence au temps du Maréchal ). Bien différent, Pierre Michon (né en 1945) est l’auteur de La Grande Beune (1998), roman sur la confrontation entre un instituteur et la société rurale périgourdine.

 

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Comme de la canaille littéraire

Posté par francesca7 le 14 juillet 2014

 
téléchargement (2)Au XVIIIe siècle les hommes de lettres n’admettaient pas volontiers les journalistes dans leurs rangs ou, du moins, pendant un temps assez long ils ne les considérèrent que comme de très humbles et même de très indignes confrères. On regarde alors cette profession comme la plus vile de la littérature, comme une tache originelle, et d’aucuns décrivent les journalistes comme « autant de chiens qui se tiennent sous la table de leur maître ; ils attendent qu’on leur jette des os à ronger ; ils mordent les jambes de ceux qui les nourrissent »…

Voici le propos que l’abbé de La Porte, dans son Voyage au séjour des ombres, fait tenir à Desfontaines : « De mon temps il y en avait une (maison) qui, par sa célébrité, pouvait être comparée à l’ancien hôtel de Rambouillet (la maison de Madame Lambert semble-t-il). On n’y recevait que les auteurs du premier ordre ; il fallait être au moins de l’Académie ou avoir espérance d’y parvenir pour être admis dans cette illustre assemblée.

« Pour moi, en qualité d’auteur de feuilles périodiques, vous pensez bien qu’on ne pouvait m’y recevoir. Je n’étais ni académicien ni ne devais me flatter de le devenir jamais : le métier de journaliste en est un titre exclusif. C’est qu’en effet on regarde cette profession comme la plus vile de la littérature, comme une tache originelle et un exercice de roture qui déroge à cette noblesse littéraire dont il faut pouvoir faire ses preuves pour être admis à l’Académie. » 

Qu’on ne croie pas qu’il y ait de la fantaisie dans ce langage. Une foule de témoignages pourraient être cités qui montreraient dans quel décri le journalisme était tenu. Aux yeux de Voltaire, c’est surtout de journalistes que se compose cette « canaille de la littérature » à qui il a si souvent donné les étrivières. Rousseau, ayant appris que son ami Vernes songe à entreprendre un recueil périodique, s’emploie ardemment à l’en détourner. Pour les gazettes Diderot n’est pas moins dur : « Tous ces papiers, dit-il, sont la pâture des ignorants, la ressource de ceux qui veulent parler et juger sans lire, le fléau et le dégoût de ceux qui travaillent. » (dans l’Encyclopédie, à l’article Hebdomadaire)

Au jugement de Grimm, « on ne peut se dissimuler que cette multiplicité de feuilles périodiques ne soit la ruine des lettres ». Favart, homme amène à son ordinaire et d’humeur facile, devient violent et injurieux quand il parle des journalistes : « Les auteurs de feuilles périodiques sont autant de chiens qui se tiennent sous la table de leur maître ; ils attendent qu’on leur jette des os à ronger ils mordent les jambes de ceux qui les nourrissent. »

Avant de se charger de rédiger la partie Variétés dans le Courrier de l’Europe, Brissot fut tourmenté par de longs scrupules ; s’il devint journaliste, ce ne fut qu’à son corps défendant : « Bayle, me disais-je, a bien été précepteur, Postel goujat de collègue, Rousseau laquais d’une marquise ; je puis bien être gazetier. Honorons le métier, il ne me déshonorera pas. » Rappelons enfin les furieuses sorties de Delisle de Sales dans son Essai sur le journalisme depuis 1735 jusqu’à 1800 : le journalisme, d’après lui, doit se définir « le besoin de déraisonner réuni au besoin de nuire ». C’est « une secte anti-littéraire, secte audacieusement abjecte, dont l’existence publique est un délit et le nom une injure, qui n’existe que par le vice et ne se soutient que par le ridicule ».

Cette défaveur marquée par les auteurs de livres aux auteurs de feuilles peut au premier abord paraître surprenante ; elles s’explique pourtant aisément. La politique étant un domaine réservé, ce fut surtout la critique des ouvrages récents qui défraya les premiers journaux, et la critique alors se donnait pour office plutôt de relever les défauts que de signaler les mérites ; elle prenait même volontiers le ton et l’allure de la satire ; pour les écrivains, le journaliste était un censeur souvent malin, parfois malveillant, presque toujours incommode. Comment auraient-ils été disposés à voir en lui un confrère ?

Bien plutôt il devait leur paraître un concurrent, même quand il n’était pas un adversaire. Les livres, de format un peu encombrant, coûtaient assez cher et il fallait prendre quelques soins pour se les procurer ; les journaux, d’un prix moins élevé, plus maniables, allaient, pour ainsi dire, au devant des lecteurs. N’y avait-il pas là une menace ? Les gens de lettres ne devaient-ils pas sentir que ceci tuerait cela ? Ne pouvaient-ils pas remarquer que si le journal, en annonçant un livre avec éloges, l’aidait parfois à se vendre, aussi souvent, plus souvent peut-être, il dispensait de l’acheter ? N’était-ce pas le sentiment de Diderot quand il disait des gazettes qu’elles étaient « la ressource de ceux qui veulent parler et juger sans lire ! »

Il faut par ailleurs reconnaître que les débuts du journalisme ont manqué d’éclat et, lorsqu’on parcourt nos premiers recueils périodiques, on ne trouve pas tout à fait déplacé le dédain que les lettrés eurent pour eux. Sans doute la Gazette, l’ancêtre des journaux français, fondée par Théophraste Renaudot en 1631, eut toujours, comme nous dirions, une certaine tenue ; elle prit dès l’abord un caractère, sinon officiel, du moins officieux ; Richelieu et Louis XIII l’encouragèrent et même, dit-on, y collaborèrent parfois et cela lui valut de pouvoir seule donner des informations politiques.

téléchargement (1)Voltaire en dit qu’elle peut fournir de « bons matériaux pour l’histoire parce qu’on y trouve toutes les pièces authentiques que les souverains mêmes y font insérer » C’est l’éloge de la matière ; mais quant à la façon, il s’en tient à déclarer que cette feuille a toujours été « assez correctement » écrite. Rien qu’à voir la liste de ceux qui la dirigèrent jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, on n’est pas tenté de croire que Voltaire ait été trop chiche de compliments : Renaudot, de Verneuil père, de Verneuil fils, La Bruère, de Meslé ne sont assurément pas des personnages prestigieux.

Le Journal des Savants, en 1665, inaugura la presse scientifique et littéraire ; en 1701, le chancelier de Pontchartrain en fit une institution d’État en nommant pour le rédiger un groupe d’hommes compétents dans les diverses disciplines ; ce fut un recueil utile à coup sûr, fait avec soin, avec conscience ; on ne peut refuser un mérite solide au conseiller Denis de Sallo, à l’abbé Gallois, à l’abbé de La Roque, au président Cousin qui le dirigèrent tour à tour.

S’avisant que ces deux journaux un peu graves ne convenaient pas à tous les lecteurs, Donneau de Visé, habile faiseur, créa en 1672 le Mercure Galant : c’est à la fois le prototype de nos magazines et de ce que nous appelons la petite presse. On sait comment La Bruyère le jugeait : « le Mercure Galant, écrivait-il, est immédiatement au-dessous de rien » Sévérité vraiment excessive dans la collection du Mercure les chercheurs aujourd’hui peuvent trouver à glaner. Mais, trop sévère, La Bruyère n’était pas tout à fait injuste : en fait, la feuille de Donneau de Visé est moins facile que lâchée, et plutôt fade que frivole.

Quelque quarante ans plus tard (1730), Desfontaines, avec l’abbé Granet, lançait leNouvelliste du Parnasse. A ce journal, ce n’est pas la fadeur qu’on saurait reprocher. Auteurs et éditeurs de ce temps-là le jugeaient au contraire trop agressif et firent si bien qu’ils en obtinrent la suppression au bout de deux années. Plus piquant, plus intéressant que ses devanciers, Desfontaines n’a pourtant pas été un journaliste supérieur. Passons condamnation sur ses mœurs fangeuses, sur sa cynique vénalité ; reconnaissons qu’il ne fut pas l’affreux cuistre que Voltaire a caricaturé. Mais, sans lui refuser quelque talent, ne lui accordons pas la maîtrise que certains, par réaction, veulent lui attribuer.

A côté des journaux imprimés qui, s’ils restèrent sans gloire, n’ont pas du moins pour la plupart mérité le mépris, il y avait aussi des journaux manuscrits, des nouvelles à la main, des gazetins, comme l’on disait. Dans Figaro et ses devanciers, Funck-Brentano nous donne à voir comment se recrutait ce personnel de nouvellistes : « C’étaient pour la plupart de pauvres hères, des déclassés, épaves de la grande ville. L’avocat Marchand nous les montreavec des habits noirs, déguenillés, des vestes rouges tannées, des bas troués, des souliers ferrés, du linge sale, et des perruques rousses. Clercs de la basoche congédiés par le patron, officiers réformés, prêtres interdits, étudiants en quête des ressources exigées par les beaux yeux de Lisette ».

A ces bohèmes se mêlaient de louches aventuriers, des laquais, des escrocs, sans compter les espions de police ; il y avait même des femmes qui faisaient métier de « gazetières », entre autres la nommée Laboulaye, femme d’un sergent aux gardes, et les quatre sœurs Pomier, qui lièrent partie avec le nouvelliste Cabaud de Rambaud, vrai personnage de roman picaresque. Ce joli monde vit de médisance, de diffamation, de calomnie, de chantage ; ils mentent à l’envi, car mentir ne leur coûte rien, mentir, au contraire, leur rapporte peu ou prou. Ce sont, selon le mot de Voltaire, « roquets qui jappent pour un écu ». Dès longtemps, leur réputation de vénalité est établie.

Il eût été assurément équitable de faire une distinction entre les journaux et les nouvelles à la main ; mais on n’y regarda pas de si près ; journalistes et nouvellistes furent trop aisément confondus ; et ainsi l’opprobre de cette presse clandestine rejaillit sur les papiers publics.

Sans rechercher s’ils obéirent à des motifs désintéressés ou non, nous constations que, dans la seconde moitié du siècle, beaucoup d’hommes firent du journalisme, qui naguère l’avaient honni. « Trop de sincérité, peut-être aussi trop de raideur que j’avais dans le caractère, ne me permit jamais de dissimuler l’aversion et le mépris dont j’étais plein pour ces malheureux journalistes. » Tels étaient, vers 1750, les sentiments de Marmontel et, en 1758, ce dernier prit la direction du Mercure, dont, au reste, il se tira fort bien.

Avec moins de succès, Grimm fut un moment à la tête du Journal étranger. Linguet écrivit une âpre épigramme intitulée Le journaliste. Et c’est Linguet qui, durant près de vingt ans, rédigera les Annales, cette feuille qui eut tant de vogue et qui fit un si beau tapage. Voltaire enfin, Voltaire, si dur pour « la canaille littéraire », ne dédaigna pas d’envoyer parfois des articles au Journal encyclopédique et à la Gazette littéraire. Bien plus, il aurait été, paraît-il, tenté un certain jour de fonder une feuille périodique. C’est, du moins, ce qu’indique une note de la main de Malesherbes. Ce projet, Voltaire ne l’exécuta pas.

Il ne faut pas oublier de remarquer que, peu à peu, par l’effet même des progrès de l’esprit public, les journaux prenaient plus de portée. Au début du siècle, on n’y trouvait guère que de la critique et trop souvent même du simple chamaillis littéraire. Mais, écrit Grimm en 1767, « le goût de l’instruction et de la philosophie s’est répandu ». Aussi, vers ce temps, le domaine des journaux s’agrandit et leur horizon s’élève. Des circonstances favorables aidèrent à cette heureuse transformation à ses débuts, la secte des économistes, comme on disait, fut assez bien vue du pouvoir et connut une assez large tolérance : « Ce qui me plaît le plus de cette nouvelle école, disait Grimm, c’est que, très protégée, elle dit tout ce qui lui plaît, qu’elle parle avec une liberté que nous ne connaissions pas, et qu’à la longue la police, la cour et les magistrats s’accoutumeront à tout entendre et les auteurs à tout dire. La nation se familiarisera peu à peu avec les questions de finances, de commerce, d’agriculture, de législation et de politique. »

images (14)Vers 1780, les journaux étant mieux faits, les journalistes aussi étaient mieux vus du public, mieux vus des gens de lettres parmi lesquels ils faisaient des recrues de plus en plus nombreuses. Ce revirement de l’opinion est attesté par l’élection qui, en 1771, porta l’abbé Arnaud à l’Académie française et par celle qui, en 1775, y fit entrer Suard. Pour faire partie de la compagnie, Arnaud et Suard n’avaient, autant dire, pas de titres à produire, sinon les articles qu’ils avaient donnés à la Gazette de France, au Journal étranger, à la Gazette littéraire de l’Europe. Journalistes, c’est bien en qualité de journalistes qu’Arnaud et Suard devinrent académiciens.

Peu d’années, au reste, après leur admission, le journalisme était, en séance publique de l’Académie, admis au droit de cité dans la république des lettres. Voici comment s’exprimait le duc de Nivernais à la réception de Target, le 11 mars 1785. « L’emploi du journaliste est digne d’être exercé par les meilleurs esprits. Celui qui, ne perdant jamais de vue ses devoirs et la dignité de son emploi, n’offre au lecteur que des analyses exactes et précises, des résultats clairs et légitimes, des conclusions judicieuses et impartiales, celui-là mérite la reconnaissance des auteurs, des lecteurs et de la république des lettres. »

On voit, par ce langage, quel chemin avait été parcouru depuis le temps où Desfontaines disait que la profession de feuilliste était regardée « comme la plus vile de la littérature ». Les journalistes avaient conquis la considération le journalisme cessait d’être « un exercice de roture ».

                                                                                                                                                                    

(D’après « Les hommes de lettres au XVIIIe siècle », paru en 1911)

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RÉCITS DE TROIS PETITS ENFANTS

Posté par francesca7 le 14 juillet 2014

images (13) 

images (13)images (13)Nous trois, Nicolas qui ne sait point parler, Alain et Denis, nous sommes partis sur les routes pour aller vers Jérusalem. Il y a longtemps que nous marchons. Ce sont des voix blanches qui nous ont appelés dans la nuit. Elles appelaient tous les petits enfants. Elles étaient comme les voix des oiseaux morts pendant l’hiver. Et d’abord nous avons vu beaucoup de pauvres oiseaux étendus sur la terre gelée, beaucoup de petits oiseaux dont la gorge était rouge. Ensuite nous avons vu les premières fleurs et les premières feuilles et nous en avons tressé des croix. Nous avons chanté devant les villages, ainsi que nous avions coutume de faire pour l’an nouveau. Et tous les enfants couraient vers nous. Et nous avons avancé comme une troupe. Il y avait des hommes qui nous maudissaient, ne connaissant point le Seigneur. Il y avait des femmes qui nous retenaient par les bras et nous interrogeaient, et couvraient nos visages de baisers. Et puis il y a eu de bonnes âmes qui nous ont apporté des écuelles de bois, du lait tiède et des fruits. Et tout le monde avait pitié de nous. Car ils ne savent point où nous allons et ils n’ont point entendu les voix.

Sur la terre il y a des forêts épaisses, et des rivières, et des montagnes, et des sentiers pleins de ronces. Et au bout de la terre se trouve la mer que nous allons traverser bientôt. Et au bout de la mer se trouve Jérusalem. Nous n’avons ni gouvernants ni guides. Mais toutes les routes nous sont bonnes. Quoique ne sachant point parler, Nicolas marche comme nous, Alain et Denis, et toutes les terres sont pareilles, et pareillement dangereuses aux enfants. Partout il y a des forêts épaisses, et des rivières, et des montagnes, et des épines. Mais partout les voix seront avec nous. Il y a ici un enfant qui s’appelle Eustace, et qui est né avec ses yeux fermés. Il garde les bras étendus et il sourit. Nous ne voyons rien de plus que lui. C’est une petite fille qui le mène et qui porte sa croix. Elle s’appelle Allys. Elle ne parle jamais et ne pleure jamais ; elle garde les yeux fixés sur les pieds d’Eustace, afin de le soutenir quand il trébuche. Nous les aimons tous les deux. Eustace ne pourra pas voir les saintes lampes du Sépulcre. Mais Allys lui prendra les mains, afin de lui faire toucher les dalles du tombeau.

Oh ! que les choses de la terre sont belles ! Nous ne nous souvenons de rien, parce que nous n’avons jamais rien appris. Cependant nous avons vu de vieux arbres et des rochers rouges. Quelquefois nous passons dans de longues ténèbres. Quelquefois nous marchons jusqu’au soir dans des prairies claires. Nous avons crié le nom de Jésus dans les oreilles de Nicolas, et il le connaît bien. Mais il ne sait pas le dire. Il se réjouit avec nous de ce que nous voyons. Car ses lèvres peuvent s’ouvrir pour la joie, et il nous caresse les épaules. Et ainsi ils ne sont point malheureux : car Allys veille sur Eustace et nous, Alain et Denis, nous veillons sur Nicolas.

On nous disait que nous rencontrerions dans les bois des ogres et des loups-garous. Ce sont des mensonges. Personne ne nous a effrayés ; personne ne nous a fait de mal. Les solitaires et les malades viennent nous regarder, et les vieilles femmes allument des lumières pour nous dans les cabanes. On fait sonner pour nous les cloches des églises. Les paysans se lèvent des sillons pour nous épier. Les bêtes aussi nous regardent et ne s’enfuient point. Et depuis que nous marchons, le soleil est devenu plus chaud, et nous ne cueillons plus les mêmes fleurs. Mais toutes les tiges peuvent se tresser en mêmes formes, et nos croix sont toujours fraîches. Ainsi nous avons grand espoir, et bientôt nous verrons la mer bleue. Et au bout de la mer bleue est Jérusalem. Et le Seigneur laissera venir à son tombeau tous les petits enfants. Et les voix blanches seront joyeuses 220px-Marcel_Schwob_1905dans la nuit.

Récit légendaire et pathétique, inspiré de quelques phrases d’une chronique du Moyen Âge, La Croisade des enfants est « un petit livre miraculeux », selon la belle expression de Remy de Gourmont.

Schwob donna au Journal, de février à avril 1895, l’ensemble des récits constituant ce livre, édité au Mercure de France, en 1896, à 500 exemplaires. Il en tira certainement l’argument de ses lectures, qui l’avaient familiarisé avec les légendes hagiographiques et les « historiettes miraculeuses ». Cette croisade serait issue d’une curieuse narration, de quelques phrases latines d’une chronique du temps de Saint-Louis racontant de façon sibylline le passage de pèlerins ignorants, armés de leur naïveté. Ils voulurent gagner Jérusalem et disparurent mystérieusement dans une tempête. Mais le fait historique de cette désastreuse entreprise s’est révélé authentique. Vers 1212, des milliers d’enfants partirent pour la Terre sainte et furent pour la plupart massacrés avant même de pouvoir embarquer. Cela se passait peu avant l’appel, par le pape Innocent III, de la cinquième croisade. Le livre se compose de huit versions, par huit personnages différents, du même événement.

 

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Histoire de la Penfeld

Posté par francesca7 le 9 juillet 2014

 

Le chanoine Moreau décrit ainsi le port en Penfeld à la fin du xvie siècle :

220px-Chateaubriand_Condé« L’entrée du chenal n’était pas, comme aujourd’hui, fermé par une chaîne [le texte date de 1860]. La rivière la Penfeld n’avait aucun barrage, et la nuit sa navigation demeurait entièrement libre. Aussi les rives, sous le château et du côté de Recouvrance, étaient-elles garnies d’une foule de bateaux parmi lesquels il y avait toujours une grande quantité de barques appartenant aux pêcheurs qui venaient journellement vendre leurs poissons aux Brestois. Les rivages, escarpés, entièrement en terre, étaient couverts à leur sommet de hautes herbes et à leur base de limon fangeux ; la rivière, mal curée, menaçait de se combler en certains endroits à cause de la vase qui obstruait son lit. »

Dans Mémoires d’Outre-Tombe, daté de janvier 1814, François-René de Chateaubriand décrit ainsi les quais côté Recouvrance :

« Souvent, assis sur quelque mât qui gisait le long du quai de Recouvrance, je regardais les mouvements de la foule : constructeurs, matelots militaires, douaniers, forçats, passaient et repassaient devant moi. Des voyageurs débarquaient et s’embarquaient, des pilotes commandaient la manœuvre, des charpentiers équarrissaient des pièces de bois, des cordiers filaient des câbles, des mousses allumaient des feux sous des chaudières d’où sortaient une épaisse fumée et la saine odeur du goudron. On portait, on reportait, on roulait de la marine aux magasins, et des magasins à la marine des ballots de marchandises, des sacs de vivres, des trains d’artillerie. Ici des charrettes s’avançaient dans l’eau à reculons pour recevoir des chargements ; là, des palans enlevaient des fardeaux, tandis que des grues descendaient des pierres, et que des cure-môles creusaient des atterrissements. Des forts répétaient des signaux, des chaloupes allaient et venaient, des vaisseaux appareillaient ou rentraient dans les bassins. »

En 1882, l’École des pupilles de la Marine est transférée depuis Recouvrance sur les bords de la Penfeld, à La Villeneuve.

Dans sa Grande Encyclopédie publiée en 1885, Camille Dreyfus décrit le port en Penfeld, en commençant par la rive gauche, côté Brest même :

1024px-Brest_le_port_en_Penfeld_1777-Louis-François-Cassas_mg_8240« Le port proprement dit s’étend jusqu’à l’ Arrière-Garde dans une longueur de rivière de 2200 mètres. Les deux rives communiquent par deux ponts flottants. Les édifices du port, dont la plupart ont été construits par Choquet de Lindu, n’ont point d’ornements, leurs lignes sont simples.Immédiatement après la porte d’entrée principale, on rencontre la forme de Brest, bassin creusé en 1683 et agrandi en 1864 pour se prêter aux dimensions des navires actuels. Vient ensuite le bel édifice du Magasin général, où l’on remarque la tour carrée de l’Horloge, et dont l’esplanade est décorée d’une gracieuse statue de Costou, l’Amphitrite, qui surmonte une fontaine, et de la Consulaire, canon pris à Alger en 1830. Plus loin est l’ancien bagne qui renferma jusqu’à 3000 forçats, la Corderie, divers magasins et ateliers, tels qu’une scierie mécanique, puis les cales de construction de Brest, au nombre de six (1833-1863), pouvant recevoir les plus grands navires. Entre l’Arrière-Garde, bâtiment flottant, et le poste défensif à terre, est une chaîne de clôture. »

Il poursuit sa description en présentant les installations portuaires de la rive droite, côté Recouvrance :

« Du côté de Recouvrance, à partir du Pont tournant, on trouve les ateliers de l’artillerie, la Salle d’armes, les ateliers de la Madeleine et du plateau des Capucins, les quatre formes de Pontaniou. Aux extrémités de ces ateliers sont deux môles de maçonnerie : l’un d’eux, dit du viaduc, est relié au terre-plein du plateau par une arche en plein-cintre de 30 mètres d’ouverture. Une des curiosités du port est la Grue du viaduc pouvant servir de machine à mâter. Citons encore les deux cales de construction dites des Bureaux, les ateliers de calfatage, les quatre cales de Bordenave. À l’extrémité nord du quai de ce nom se trouvait la colline du Salou, massif de gneiss d’une hauteur de 25 mètres, formant une pointe vers l’est, en forçant la rivière à suivre une courbe prononcée. On l’a complètement dérasée, pour creuser une gigantesque forme double dans l’esplanade obtenue, à des profondeurs qui permettent d’y entrer à toutes marées les plus grands navires tout armés. au-delà, jusqu’à l’ Arrière-Garde, le quai de Quéliverzan sert à déposer les charbons de terre. »

Le même auteur poursuit ainsi sa description à propos de l’arrière-port :

« L’arrière-port, depuis ce point jusqu’à Penfeld, où se termine le bras de mer qui forme le port de Brest, renferme encore, sur une longueur de près de 2 500 mètres, plusieurs établissements. Citons : la Digue, ou Île factice, destinée à accumuler les eaux douces, qui rendent par leur mélange avec l’eau de mer, le séjour des tarets impossible, ce qui a permis d’établir en ce point un dépôt de bois ; la buanderie de la marine, à l’anse Saupin ; l’ancienne usine de la Villeneuve, vaste espace où l’on a placé dernièrement les pupilles de marine. »

Au xixe siècle et au début du xxe siècle, les rives de la Penfeld furent aussi un site de repos et de loisir pour l’aristocratie et la bourgeoisie brestoise : sur ses berges accueillantes et verdoyantes s’implantèrent de nombreuses maisons de campagne, propriété de familles cossues comme les Tremblay, les Bordenave, les De Vassal, les Malmanche, les Riou-Kerhallet (célèbres armateurs de bateaux corsaires).

Une stèle, située face à la cale de Kervallon, rappelle que François-René de Chateaubriand, inscrit à l’école des Gardes de la Marine de Brest afin de devenir officier, se promena sur ses rives en 1783.

En 10193, le fleuve s’appelait en latin Caprella issu de caprae : « chèvre sauvage » ou « chevreuil », en breton c’havr et gavrig : « cabri », « chevrette ». Et Brest s’appelait alors Bresta super caprellam, soit « Brest-sur-Chevrette ». Ici, la logique permet de voir une mauvaise transcription phonétique, par un moine, du breton en latin. Caprella est en fait Kap Uhelañ en breton avec une aspiration bien marquée sur le h qui a pu faire entendre un r. Aujourd’hui on rencontre Cap Uhella dans certains noms de lieux-dits tel qu’à Plougastel-Daoulas. Ce toponyme signifie La Pointe ou Le Promontoire d’en haut.

La Penfeld dans la base navale de Brest.Le latin cap ou caput se traduit par penn en breton, “tête” en français, Caprella est devenu pen-rella, variant au gré des générations en pen-vellapen-fell puis Penfeel en 1248 (du nom du petit village installé au niveau du gué existant à la limite de la remontée de la marée sur le petit fleuve côtier permettant le franchissement par la route, ancienne voie romaine allant de Vorgium à la pointe Saint-Mathieu via Saint-Renan), germanisé plus tard au xviie siècle en Penfeld par un ingénieur de la Marine ou par des brasseurs de bière alsaciens qui installèrent à la fin du xviie siècle une brasserie dans l’anse Saupin (à l’emplacement de l’actuelle buanderie de la marine).

La Penfeld, est un fleuve côtier français, long de 16 km, sur la rive gauche duquel s’est développée la ville de Brest, dans le Finistère.

 

 

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Nicolas et le dessin des Montagnes

Posté par francesca7 le 6 juillet 2014

 

J’ai longtemps essayé de dessiner des montagnes, sans jamais être satisfait du résultat.

Elles sont là face à vous, massives et évidentes, à la fois ombre et lumière, axe et façade ; et le dessin de leurs crêtes qui flirtent avec l’apesanteur des nuages est la clarté même, une sur-clarté pourrait-on dire. Et pourtant la forme d’une montagne, et plus encore son volume, avec ses engrenages, ses plis et replis, se laissent difficilement appréhender. Le minéral d’une manière plus générale ne guide pas le trait du dessinateur : sur une falaise, un rocher, ou même la moindre des pierres il y a mille trajets possibles entre lesquels la main qui dessine aura du mal à choisir. Quand on dessine le vivant, les arbres ou les animaux, on dessine un processus en cours, la feuille veut tomber, le tronc tient en terre, le nuage lui-même a un but qu’il remplit impassiblement.

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Avec le minéral, et les montagnes, on se retrouve dans le passé, l’archive, les souvenirs. On effleure, parcourt du regard des êtres secs, sans sève, des fossiles vieux de millions d’années ; et on hésite et se perd parmi un labyrinthe de traces. Face à la complexité inouïe du passé où tant de choses ont été, et subsistent encore sur le mode de l’accumulation, on doit être à la fois dans l’improvisation et la méditation.

Plus ces montagnes m’étaient familières et plus il était difficile d’en rendre compte. Je les connaissais en tant que visages, fronts, barrières, falaises sillonnées de signes, crânes bosselés ou fendus, épaules écorchées ou couvertes de sapinières, bêtes fantastiques, géants. Chacune d’entre elles était une borne puissante, une loi qui à la fois pesait lourdement sur la nature, et la transformait en paysage héroïque, la magnifiait.

Autant de montagnes, autant de lois, autant de noms : Cédéras, Grand Ferrand, Obiou, Chaillol, chacune d’entre elles est vivante, réelle, évidente pour moi, mais aussi pour les hommes et les femmes qui vivent en Champsaur, Valgaudemar, Dévoluy. Mais comment rendre ces montagnes ? Par le biais de quels signes faire qu’elles soient reconnaissables, lisibles et surtout, qu’elles aient un sens pour l’ « étranger ». Comment dessiner le Chaillol, cette montagne axiale, ronde en sa base, massive et solitaire, solaire aussi, et autour de laquelle s’enroulent les Tourond, Petarel, Chaperon. Et Céüze ? Comment rendre cette montagne qui est un peu la Sainte Victoire du Gapençais, un grand front au sommet d’une pente qui ressemble à une longue nuque courant du Nord au sud. Céüze sortant du Dévoluy regarde vers la Durance, et au-delà vers la Provence. Céüze de par sa forme si parfaite, tant de face que de profil devait être un Dieu pour les tribus voconces qui peuplaient la région avant l’arrivée des cartographes romains. Mais comment rendre Céüze ?

Heureusement, ou malheureusement, les montagnes sont pleines de plis, de rides qui courent, ondulent, s’enroulent sur eux-mêmes et bien souvent disparaissent, coupés par une force titanesque, brisés dans leur élan par une autre masse qui a fini par imposer sa loi. On peut être alors tenté de suivre ses plis, par fidélité, ou par amour de la complexité et des caprices du temps. Au lieu de dessiner la montagne comme un bloc, on la saisit, la capture alors dans un faisceau de traits, de veines et veinules qui peuvent rappeler ceux d’un écorché. C’est une montagne palpitante que l’on dessine alors, une montagne cristalline, de verre. 

C’est ce que j’ai fait en tentant de rendre le massif de la Chartreuse. C’est-à-dire que je me suis réfugié dans la complexité, la finesse, le détail ; comme si j’avais voulu rendre le trajet, les recoupements, étoiles, hachures, propres aux lignes d’une main.

images (16)Mais les montagnes ne palpitent pas comme une main ; tout comme elles n’ont pas la fragilité du cristal. Elles ont définitivement achevé leur mûrissement, ce qui les rend insensibles à tout choc. Elles dansent comme des blocs. Elles sont des blocs qui dansent.

J’ai aussi dessiné des dentelles, des dentelles de montagnes, qui pourraient aussi être des cardiogrammes, une accumulation de cardiogrammes qui en se croisant et recroisant finiraient par dessiner la forme générale de la montagne. Cela donne une impression de mouvement, de tremblement ; c’est la montagne-scie, la sierra. 

Mais la montagne ne se résume pas au dynamisme nerveux d’un cardiogramme, son rythme est plus général, plus profond. Non la montagne n’est pas cristal net, un écorché, une main ouverte, elle n’est pas seulement, en son sommet, la clarté d’une ligne en dent de scie ou, en sa base, une accumulation de signes compressés par une matrice primitive : elle est un bloc qui danse. La montagne aurait deux aspects : un aspect apollinien consistant dans la clarté des sommets et le cristal des chiffres, et un aspect dionysiaque qui se confond avec la danse profonde, enivrante, primitive, qui fut celle de la terre il y a des millions d’années, et dont elle reste le souvenir et la continuation. Mêmes figées, arrêtés, elles continuent à bouger, danser, les montagnes dansent, du moins les Alpes dansent, et le Caucase, l’Elbourz, l’Hindu Kush sans doute aussi, bien que je ne les aie pas vues danser en réalité. Le massif des Écrins danse ; les beaux engrenages du massif de Belledonne, de L’Oisans ou du Trièves dansent aussi, en Isère. Peut-être même qu’en dansant ainsi elles impriment un rythme général à la surface terrestre, qui sans elles serait une plaine atone. 

C’est alors que j’ai commencé à dessiner des rythmes, des vagues qui sont aussi des lettres. J’ai calligraphié des montagnes, avec des majuscules – traits épais — qui servent à rendre la silhouette générale des monts et éminences, et des minuscules, signes plus ténus qui représentent son cristal, ses faces. Les majuscules sont des ondulations larges qui donnent un rythme d’ensemble, tandis que les signes ténus se répètent, selon des processus d’accélération ou décélération ; ce sont des signes tendus ou détendus, serrés ou desserrés, à l’intérieur d’une trame, d’un rythme, d’une danse majeure. Les montagnes tout comme l’écriture dansent ; réciproquement le sens d’une phrase ondule, a des sommets, est momentanément brisée, en attente avant de reprendre sa course. Ainsi, à cause de son aspect physique et calligraphique, l’écriture en elle-même devient-elle poésie. 

Mais outre la danse quel pourrait être le rapport entre montagnes et écriture ?

Je dirais que c’est le fait de dire et de cacher tout à la fois. Le monde qui est sur le papier, le monde des lettres, des écritures, n’est que l’ombre du monde réel, c’est un monde d’encre qui dans ses enchaînement parfois parfaits, ses chaînes de lettres, son relief, ferait presque oublier le monde réel ; le cosmos entre dans le tabernacle du livre. De même les montagnes disent et cachent tout à la fois. Les Alpes françaises cachent Turin, le Piémont, l’Italie, les Pyrénées cachent et disent tout à la fois l’Espagne, ces montagnes solides, imposantes, anciennes, parlent de la robustesse et de l’ancienneté de l’Ibérie.

Si bien qu’on finit par adorer une montagne pour ce qu’elle cache : un pays, une culture, une civilisation, un au-delà surtout, qui malgré tous les moyens de communication modernes reste encore mystérieux — « Die Bergen verbergen », « les montagnes cachent », on pourrait hasarder ce jeu de mot en allemand. La Suisse entourée de montagnes est un territoire quasi occulte, secret, coffre-fort et château d’eau. Que serait le mythe suisse sans les montagnes ? Un monde s’arrête au pied d’une montagne, un autre commence de l’autre côté.

Prenons encore Grenoble, cette ville cernée par des montagnes qui, si elles servent de beaux piédestaux aux couchers de soleil, lui cachent aussi le restant du monde, si bien qu’on a parfois l’impression que cette ville est à part. A Grenoble on lit le reste du monde dans l’écriture des montagnes, dans leur phrasé, la danse de trois chaînes qui sont trois engrenages ayant pour noms Chartreuse, Belledonne, Vercors.

La Chartreuse c’est la montagne sainte, le Sinaï qu’on monte comme un escalier, comme une échelle, vers la Bastille et au-delà, où se cache un désert à l’extraordinaire verdure. Elle est aussi une coulée de pierre qui rentre dans la ville, la frappe, l’arrête, elle est la dure loi du Nord, de la Savoie, de la Bourgogne ou de la Suisse. La chaine de Belledonne, à l’Est, est au contraire féminine, dentelée, charnelle, païenne, c’est elle qui dit et cache l’Italie. A l’ouest le Vercors, la montagne pauvre plane parallèlement au flux du Rhône, mais à revers de ce flux. Le bateau du Vercors remonte vers le Nord. Le plateau du Vercors cache le Rhône et avance à rebrousse poil de ce fleuve où prend forme et croît la puissance du Sud. Il dit et cache le Sud.

Chaque montagne a son écriture, sa danse. Danse lourde, massive des Pyrénées, danses vertigineuses des Alpes ou de l’Himalaya, mouvements asymptotiques des Dolomites qui sont des montagnes-piliers avançant en groupe vers la Vénétie, chaque chaîne de montagnes développe un style unique au carrefour de plusieurs pays ou cultures, comme les Balkans, ces montagnes conflictuelles, et toujours en guerre : « vounos » grec, contre contre « dag » turc, « planina » bulgare contre « gora » serbe… 

images (17)Les « Vounoi » grecques descendent vers la mer et sont livrées aux flammes.

En partant des montagnes autour de Grenoble j’ai commencé alors à écrire ces montagnes qui dans mon esprit forment une chaîne continue, une chaîne sans fin qui en suscitant, séparant ou protégeant des cultures, des civilisations, finit un peu par former la colonne vertébrale du monde, sa danse. Que serait la terre sans les montagnes, y aurait-il un monde sans elle, un sens au monde, des points de repère, une géographie physique ou religieuse ? Il n’y aurait pas ces signes visibles pour tous.

 

Au début était la danse violente des blocs. Au Sud certaines sont désormais sierras — en Espagne ou Amérique latine — d’autres sont djebel au Maghreb, les formes tout comme les mots qui disent la montagne changent : mons,orosmontagnamuntemall, chacun de ces mots correspond sans doute à une vision culturelle, mythologique, religieuse, historique de ce qu’est la montagne ; dag Turc, Shan en Chine, Yama au Japon. Chacune doit parler à sa façon d’une genèse. gunung indonésien, menez breton vounos grec. Ce sont des mots, des sons, des sens bien particuliers et sans doute intraduisibles, parce que même physiquement la montagne norvégienne entrant dans la mer n’est pas la montagne axiale tibétaine, qui elle-même n’est pas la montagne-volcan de l’archipel indonésien, ou parce que les Apennins servent de colonne vertébrale à un pays, tandis que le Caucase sépare le monde des steppes du Moyen Orient. Leur action, leur fonction n’est pas la même. Et leur nom non plus, en conséquence.

Au nord, même s’il y a peu à cacher et que l’humain se fait rare, les montagnes existent encore : fjall norvégien, islandais, et même danois, mägi estonien, Vuori de Finlande… Après les montagnes de Grèce ou d’Amérique, j’ai continué à calligraphier et suis aussi passé par elles, essayant d’imaginer leur danse arctique qui finit et commence dans la Mer.

D’autres viendront, encore et peut être finiront-elles par former un grand livre qui pourrait s’appeler, sans aller chercher très loin, « Les montagnes du monde ». 

Auteur : Nicolas Boldych

images (18)Son métier de professeur de français langue étrangère lui a permis de connaître de l’intérieur un certain nombre de pays européens dits de l’Est, tandis que l’intérêt profond qu’il porte aux langues slaves, et d’une manière plus générale à la Babel européenne, l’a amené à des travaux de recherche dans ce domaine (mémoire de DEA portant sur les mots d’origine turque dans les langues balkaniques, thèse en cours sur les langues slaves), des traductions (depuis le tchèque et l’italien), ainsi qu’à l’écriture de récits de voyages et de poèmes. Il aime aborder tout un pays de manière transversale de façon à rendre le foisonnement d’informations, d’histoires, de mots nouveaux ou d’images qu’il recèle. Il collabore, par des articles et des traductions, à deux revues : vulgo.net, fondée par des intellectuels pragois et napolitains, et l’Eco delle Dolomiti, revue, locale et européenne, basée dans le Trentino. Hormis les langues et l’écriture, il dessine ses impressions de voyage, les montagnes du monde, les visages qui hantent les villes. Il poursuit actuellement une thèse à Grenoble, ainsi que l’écriture d’un livre sur la Macédoine, ce pays à la fois réel et mythique.

 

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La Tour du Rhin de Victor Hugo

Posté par francesca7 le 6 juillet 2014

Tour des Rats sur le Rhin :
légende évoquée par Victor Hugo

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De ses voyages sur le Rhin entrepris à la fin des années 1830, Victor Hugo rapporte un recueil publié en 1842 et intitulé : Le Rhin. C’est dans la lettre XX, cependant qu’il s’apprête à découvrir sur le terrain la célèbre Tour des Rats dont on lui a parlé dans son enfance, qu’il évoque la légende attachée à ce lugubre bâtiment et narrée pour le première fois par Belleforest — auteur d’une Cosmographie universelle parue en 1575 — puis souvent reprise depuis par plusieurs écrivains.

Dans mon enfance, écrit Victor Hugo, j’avais au-dessus de mon lit un petit tableau entouré d’un cadre noir que je ne sais quelle servante allemande avait accroché au mur. Il représentait une vieille tour isolée, moisie, délabrée, entourée d’eaux profondes et noires, qui la couvraient de vapeurs, et de montagnes qui la couvraient d’ombre. Le ciel de cette tour était morne et plein de nuées hideuses. Le soir, après avoir prié Dieu et avant de m’endormir, je regardais toujours ce tableau. La nuit je le revoyais dans mes rêves, et je l’y revoyais terrible. La tour grandissait, l’eau bouillonnait, un éclair tombait des nuées, le vent sifflait dans les montagnes et semblait par moments jeter des clameurs. Un jour, je demandai à la servante comment s’appelait cette tour. Elle me répondit, en faisant un signe le croix, la Maüsethurm.

Et puis elle me raconta une histoire. Qu’autrefois à Mayence, dans son pays, il y avait eu un méchant archevêque nommé Hatto, qui était aussi abbé de Fuld, prêtre avare, disait-elle,ouvrant plutôt la main pour bénir que pour donner. Que dans une année mauvaise il acheta tout le blé pour le revendre fort cher au peuple, car ce prêtre voulait être riche. Que la famine devint si grande, que les paysans mouraient de faim dans les villages du Rhin. Qu’alors le peuple s’assembla autour du burg de Mayence, pleurant et demandant du pain. Que l’archevêque refusa.

Ici l’histoire devient horrible. Le peuple affamé ne se dispersait pas et entourait le palais de l’archevêque en gémissant. Hatto, ennuyé, fit cerner ces pauvres gens par ses archers, qui saisirent les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants, et enfermèrent cette foule dans une grange à laquelle ils mirent le feu. Ce fut, ajoutait la bonne vieille, un spectacle dont les pierres eussent pleuré. Hatto n’en fit que rire ; et comme les misérables, expirant dans les flammes, poussaient des cris lamentables, il se prit à dire : Entendez-vous siffler les rats ?

Le lendemain, la grange fatale était en cendre ; il n’y avait plus de peuple dans Mayence ; la ville semblait morte et déserte, quand tout à coup une multitude de rats, pullulant dans la grange brûlée comme les vers dans les ulcères d’Assuérus, sortant de dessous terre, surgissant d’entre les pavés, se faisant jour aux fentes des murs, renaissant sous le pied qui les écrasait, se multipliant sous les pierres et sous les massues, inondèrent les rues, la citadelle, le palais, les caves, les chambres et les alcôves. C’était un fléau, c’était une plaie, c’était un fourmillement hideux.

Hatto éperdu quitta Mayence et s’enfuit dans la plaine, les rats le suivirent ; il courut s’enfermer dans Bingen, qui avait de hautes murailles, les rats passèrent par-dessus les murailles et entrèrent dans Bingen. Alors l’archevêque fit bâtir une tour au milieu du Rhin, et s’y réfugia à l’aide d’une barque autour de laquelle dix archers battaient l’eau ; les rats se jetèrent à la nage, traversèrent le Rhin, grimpèrent sur la tour, rongèrent les portes, le toit, les fenêtres, les planchers et les plafonds, et, arrivés enfin jusqu’à la basse-fosse où s’était caché le misérable archevêque, l’y dévorèrent tout vivant.

Maintenant la malédiction du ciel et l’horreur des hommes sont sur cette tour, qui s’appelle la Maüsethurm. Elle est déserte ; elle tombe en ruine au milieu du fleuve ; et quelquefois, la nuit, on en voit sortir une étrange vapeur rougeâtre, qui ressemble à la fumée d’une fournaise ; c’est l’âme de Hatto qui revient.

(Extrait de « Le Rhin » (Victor Hugo), paru en 1842)

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La condition des femmes au Moyen Age

Posté par francesca7 le 13 juin 2014

 

 images (4)Entre l’homme et la femme. Cet écart entre les deux sexes a deux conséquences: une durée d’union souvent courte, et des remariages fréquents. Dans les autres milieux sociaux, c’est le père qui impose un parti, objet là aussi de tractations entre les familles respectives. 

L’épousée apporte une dot qui provient de ses parents (selon la tradition romaine) et qui se présente sous diverses formes: biens, terres, animaux… L’époux constitue une dot à sa femme. A l’époque mérovingienne s’ajoute le don du matin, le lendemain des noces. Dot du mari et don du matin constituent le dotalicium, le douaire qui sera un gain de survie pour la veuve. A la campagne, les familles doivent économiser ou s’endetter pour payer le repas de noces, la confection du trousseau et la dot. Le mariage est autant un acte social que privé, c’est pourquoi parentes, amies, voisines accompagnent la jeune épousée à la préparation de la nuit de noces et lui donnent une leçon d’éducation sexuelle. La voilà prête à remplir son devoir d’épouse et de mère ! 

Charte de la femme mariée

L’auteur du « Ménagier de Paris » indique comment doit se comporter une bonne épouse : après ses prières du matin, habillée convenablement en tenant compte de sa position sociale, elle sortira accompagnée de femmes honnêtes et marchera les yeux baissés sans regarder à gauche ni à droite (beaucoup de représentations de cette époque la montrent en effet les yeux baissés pudiquement). 

Elle placera son époux au-dessus de tous les hommes, avec le devoir de l’aimer, de le servir, de lui obéir, se gardant de le contredire en toutes choses. Elle se montrera douce, aimable, débonnaire et devant les colères de celui-ci restera calme et modérée . Si elle constate une infidélité, elle confiera son malheur à dieu uniquement. Elle veillera à ce qu’il ne manque de rien, faisant montre d’une humeur égale.

Violences conjugales au Moyen Âge, Battre sa femme était courant au Moyen Âge et parfois conseillé. Au XIII siècle, les coutumes de Beauvesis autorise le mari à corriger son épouse surtout en cas de désobéissance. Brutalité, dépravations étaient données en exemple par la plupart des rois mérovingiens. Il était facile d’accuser sa femme d’adultère et de l’enfermer, voire de la tuer pour pouvoir se remarier, car les sources législatives confirmaient la suprématie de l’homme dans le foyer, ce dont il abusait impunément. Cette brutalité se retrouvait dans tous les milieux sociaux. Il y eut cependant des cas de mariages heureux mais il était malséant d’en faire état, on ne devait pas en parler. Dans l’aristocratie, l’amour courtois avec ses règles et ses coutumes permirent aux jeunes gens de s’ouvrir aux émois du monde amoureux sans en dépasser les limites. 

L’église et la sexualité

Au Moyen Âge, L’église n’admet la sexualité que si elle a pour but la procréation. Déjà les stoïciens dans l’antiquité s’opposaient aux plaisirs de la chair. Pendant ses règles, l’épouse est déclarée impure et doit éviter tout rapport, de même pendant la grossesse. L’église en profite également pour interdire toute relation sexuelle entre les époux pendant les fêtes du calendrier liturgique: Carême, Noël, Pâques, jours des saints, avant la communion, le dimanche jour du seigneur, les mercredis et vendredis jours de deuils. 

 C’est pour contenir l’amour excessif que les clercs en limitèrent l’expression ! En cas de non respect de ces règles le terme d’adultère  pouvait s’appliquer entre époux ! 

Grossesse et accouchement

Si la vocation de la femme mariée est d’enfanter, la femme stérile étant mal vue, la grossesse et l’accouchement représentaient un grand danger pour la jeune mère qui risquait sa vie, de même que celle de son enfant. Par manque de moyens, de connaissances médicales et surtout par manque d’hygiène, beaucoup de femmes mouraient en couches ou de ses suites (fièvre puerpérale). 

La moindre complication, l’enfant qui se présentait en siège, la présence de jumeaux, un accouchement long et difficile pouvaient être fatals pour la mère, aussi la joie de remplir leur rôle était-elle doublée d’angoisse pour les femmes. Cette mortalité atteignait un pic entre vingt et trente ans. Quand une femme mourait en couches, la matrone devait se hâter de pratiquer une césarienne pour extraire le nouveau-né et lui donner l’ondoiement autorisé par l’église, car ce baptême empêchait son âme d’errer dans les limbes. 

L’accouchement était le monopole des sages-femmes dont le savoir empirique se transmettait de générations en générations Après l’accouchement, la mère déclarée impure ne peut entrer à l’église pendant quarante jours au terme desquels le prêtre pratiquera la cérémonie des relevailles. L’amour maternel guide la jeune mère conseillée par les femmes de sa famille. Avoir un garçon était plus valorisant que d’avoir une fille. Au cas où ses parents lui feraient défaut, l’enfant est placé sous la protection de parrains et marraines parfois nombreux pour assurer sa survie. 

La contraception au Moyen Âge

Pour éviter les grossesses à répétitions, les femmes utilisaient des méthodes abortives à base de plantes, décoctions, amulettes et potions, se provoquaient des chocs tout cela proscrit par l’église ! En désespoir de cause il leur restait la solution de l’abandon ou pire de l’infanticide. Afin de lutter contre ces abandons l’église accepte, en l’an 600, que les mères les plus démunies déposent leurs enfants sur les parvis afin que le prêtre puisse les proposer à l’adoption par quelques fidèles. 

Le viol

Menace permanente sur les jeunes filles et pour les femmes mariées, le viol au Moyen Âge était pratiqué en temps de paix comme en temps de guerre. Ce crime rarement puni faisait peser sur la femme la honte du déshonneur et la grossesse redoutée. Les seigneurs se donnaient le droit de cuissage sur leur terres qui consistait à passer la nuit de noces avec la jeune mariée sans son consentement encore moins celui de l’époux ! Seul était puni de mort le viol commis sur une femme de la haute société. L’infortunée qui

tombait enceinte à la suite d’un viol était très mal vue, on considérait qu’elle était responsable. Le viol en temps de guerre était hélas banal et courant,aucun être féminin n’était épargné. Pillages, incendies, viols, meurtres, brutalité, destructions, tout était permis aux conquérants. Il régnait une insécurité permanente en ces sombres périodes de l’histoire, et la femme en payait le lourd tribut. 

images (5)La prostitution

Au Moyen Âge, l’Eglise et les autorités laïques avaient une position ambigüe sur le problème de la prostitution. Elles la condamnaient, et en même temps la considéraient comme un mal nécessaire. Les femmes qui se prostituaient étaient pour la plupart des femmes déshonorées par le viol, des servantes engrossées par leur maître ou des ouvrières réduites à la misère. L’essor des villes à partir du XIIe siècle provoquera l’apparition des bordels, afin que regroupées elles ne traînent plus dans les rues affichant un exemple déplorable aux passantes. 

Au XIVe et XVe siècle les épidémies et les guerres précipitent les femmes dans la misère les incitant à se prostituer pour survivre. Las, dans le contexte du Moyen Âge, une fille ne pouvait être que pure ou publique de sorte que la fille violée malgré son innocence et son ignorance des choses de la vie se trouvait reléguée parmi les filles communes, il lui était impossible de se réinsérer dans la société. Des femmes entraient comme chambrières dans les étuves et finissaient au bordel. Les plus riches tentaient de s’habiller comme les bourgeoises malgré la législation leur imposant une tenue spéciale. L’écrivain Christine de Pisan qui prit fait et cause pour la condition féminine s’élève contre une attitude dévalorisante pour les femmes. L’église finit par mettre en place des fondations destinées aux pècheresses repenties leur redonnant une chance de sortir du cercle vicieux, de prendre le voile ou de se marier.

 Sources : des moines et des paysans du Moyen Age de Eric Birlouez. Editions Ouest France, 2009.

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Les débuts de la photographie de presse

Posté par francesca7 le 8 juin 2014

 

 

téléchargement (7)Entre les années 1840 et 1880, le recours à la photographie comme illustration de journal est indirect et lent à cause de la mauvaise qualité des tirages. Les évolutions techniques et la similigravure vont permettre le passage du dessin à l’intégration de la photographie dans le processus d’impression. Cette illustration de presse est appréciée pour ses nombreuses qualités : son esthétisme, son rôle informatif et explicatif. Les clichés qui créent une relation de proximité avec le lecteur, servent de témoins de la réalité. 

Au début du XXème siècle, les premières agences photographiques voient le jour, preuve du succès de la photographie et du besoin croissant en images. C’est dans un contexte d’âge d’or de la presse, d’une diffusion plus importante de journaux et de progrès techniques que la photographie deviendra une illustration convoitée. 

Les premiers usages de la photographie dans la presse : entre utilisation indirecte et collage

Avant d’être intégrée directement à l’impression, la photographie fait office de document et de modèle aux dessinateurs et graveurs. Utilisée comme « matière première visuelle », elle constitue un outil précieux pour les dessinateurs qui prennent des clichés afin de les recopier manuellement. En second lieu, les graveurs interprètent et intègrent l’image à la publication au moyen d’impressions mécaniques comme la lithographie (faite sur pierre calcaire) et la gravure sur bois. 

En 1843, l’année de sa création, L’Illustration, hebdomadaire illustré, publie sa première gravure sur bois réalisée d’après un daguerréotype et qui dévoile les troubles politiques au Mexique. Le daguerréotype est le premier procédé photographique inventé en 1839 par Daguerre permettant de fixer l’image sur une plaque argentée. Parmi les reprises les plus connues du journal, il existe aussi celle de la barricade de Saint-Maur publiée en juin 1848. D’autres journaux illustrés s’aident de la photographie. A la suite de la mission photographique de l’explorateur Desiré Charnay, réalisée en 1857 au Mexique, des clichés sont diffusés dans Le tour du monde en 1862 et Le monde Illustré en 1865. 

Il est important de noter que c’est seulement à partir des années 1860 que la photographie est reconnue dans la presse comme modèle d’illustration. En effet, c’est à cette période que les mentions « d’après photographie » apparaissent plus fréquemment au bas des légendes. Cette mention officialise l’usage de la photographie et permet également d’attester de l’exactitude de l’image reproduite.

 Lorsqu’il s’agit d’hebdomadaires par souscription et à tirage limité, les photographies peuvent être collées sur le papier. C’est notamment le cas des journaux de théâtre qui sont les équivalents des programmes actuels des spectacles de théâtre. La revue Paris-Théâtre propose en insertion hors texte, des planches imprimées en photoglyptie. C’est un procédé de reproduction mécanique inventé par Woodbury en 1864 qui possède des gradations de tons continus. Chaque semaine, le journal présente le portait d’un artiste avec au verso sa biographie.

 

Vers une meilleure reproduction de la photographie : la technique du bois pelliculé

La photographie reprise par le procédé de la gravure sur bois est longtemps restée un moyen d’illustrer par des portraits, des personnages ou des accusés lors d’affaires judiciaires, comme celle du Maréchal Bazaine en 1873, ou de l’Affaire Dreyfus en 1894. Les améliorations des procédés de gravures vont accentuer cette tendance. Les graveurs vont devenir des retoucheurs pour travailler l’image et lui donner plus de contraste. 

Ernest Clair-Guyot, dessinateur à l’Illustration depuis 1883, invente la technique du bois pelliculé qui permet de reproduire directement le cliché sur du bois, afin d’être gravé sans l’intermédiaire du dessin. D’après lui, ce nouveau procédé est très pratique « Au lieu de copier sur le bois la photographie qui servait seulement de document, je me servis de l’épreuve même en la retouchant directement, ce qui faisait bénéficier mon dessin de toute la précision du cliché, et mon travail terminé, on le photographiait sur le bois sensibilisé pour le graveur. Résultat: grande économie de temps puisque, au lieu de copier entièrement la photographie sur le bois, on ne faisait que l’améliorer et la terminer ». Cette technique aurait été utilisée pour la première fois avec « La garde-barrière » ( Image de gauche).

téléchargement (8) Néanmoins, la légende de l’image ne précise pas la technique employée et même si elle peut se confondre avec une photographie, il s’agirait davantage d’une gravure. La thèse de Thierry Gervais intitulée l’illustration photographique,  nous éclaire sur les caractéristiques de cette illustration « Ambroise-Rendu présente l’image de Clair-Guyot comme un moment clé, un tournant dans l’histoire de la photographie dans la presse alors que la technique du bois pelliculé produit une image dont le réseau de hachures certifie qu’elle relève du mode de la gravure ». 

De la similigravure aux premiers magazines photographiques

A la fin des années 1880, les progrès techniques de la similigravure marquent l’entrée de la photographie dans la presse. Cette technique est le fruit des travaux de Charles-Guillaume Petit en France et de Georg Meisenbach en Allemagne. En associant sur papier texte et image, la similigravure « utilise une trame pour diviser les tonalités photographiques en points » afin de conserver les formes de la photographie et sans passer par le travail du graveur. 

L’interview photographique du chimiste Michel Chevreul par Nadar publiée dans Le journal illustré du 5 septembre 1886 constituerait le « premier essai de transparence » et de publication fidèles de clichés. Il témoigne de ce nouveau besoin d’illustration plus réelle et vivante qu’offre la photographie. Il s’agit du premier reportage photographique intégré dans un journal. Les photogravures qui y sont publiées sont très bien imprimées et respectent les détails du cliché. Les événements mondiaux favorisent également

l’augmentation de la publication de photos. C’est le cas d’hebdomadaires illustrés britanniques comme le Graphic, qui publie un nombre important de clichés réalisés lors de la guerre des Boers en Afrique du sud entre 1899 et 1902. Les photos reportages augmentent ainsi les ventes des journaux car ces événements mondiaux passionnent les lecteurs qui disposent d’un plus vaste regard sur le monde. 

Les quotidiens se mettent progressivement à publier des tirages, comme les quotidiens britanniques Daily graphic et le Daily Mirror. En 1900, Le Chicago Tribune, quotidien américain, consacre des pages entières à un reportage photographique réalisé dans les bas quartiers de New-York. En France, quatre grands quotidiens d’information se livrent une concurrence acharnée autour de l’illustration photographique par le biais de suppléments illustrés. Le Petit journal et Le journal créent chacun en 1890 et 1983 un supplément illustré. Le Petit parisien augmente sa pagination et le Matin publie dès 1902 des photos. Entre 1880 et 1908 le tirage de ces quotidiens augmente considérablement, passant de 2 000 000 exemplaires en 1880 à 4 777 000 en 1908. En outre, de nouveaux quotidiens illustrés se créent. C’est par exemple en 1910, le cas d’Excelsior, qui utilise abondamment les photographies. De format plus petit que les autres quotidiens, il adopte la nouvelle formule vulgarisatrice des magazines « journal fait pour ceux qui ne savent pas lire ». Il comporte plus de vingt clichés par numéro et contient même des photos en pleine page. 

La photographie fait vendre et engendre une grande concurrence. A l’image des magazines américains, comme le Harper’s weekly qui publie des photos-reportages, et des journaux britanniques comme le Photographic News en 1858, des ma1858, des magazines  photographiques français et allemands arrivent en circulation. Ces derniers reprendront le concept de l’illustration presque exclusivement photographique et seront toujours imprimés sur du papier de qualité, couché ou même glacé, en privilégiant l’esthétique de la mise en page et de l’illustration. Les nouveaux magazines photographiques sont à la fois généralistes comme Berliner Ilustrierte Zeintung créé en 1891 et La vie illustrée en 1898 et spécialisés comme La vie au grand air en 1898 et Fémina en 1901. La vie au grand air est un magazine sportif composé de 16 pages et illustré à 70%. Par la suite, l’héliogravure rotative, favorise la création d’une seconde vague de magazines photographiques qui débute avec le Miroir en 1913. Il s’agit d’une technique d’impression adaptée aux longs tirages. La photographie a ici une place majeure dans ces magazines aux formats variables et aux contenus divers adaptés au public. 

Les limites de l’intégration de la photographie

La circulation des photographies constitue un obstacle majeur surtout pour les quotidiens. A partir de 1850, les photos arrivent par voie de chemin de fer plusieurs jours après l’événement, ce qui les rendent atemporelles, en retard sur l’actualité. Pour utiliser l’illustration photographique, il faudrait qu’un événement reste plusieurs jours dans l’actualité (comme les différentes guerres) ou qu’il se déroule à proximité d’une rédaction. Cependant, lorsqu’il s’agit d’événements soudains, les journaux ont recours aux traditionnels dessinateurs, qui reconstituent de mémoire l’événement. L’utilisation de la photographie est donc aléatoire, d’autant plus que la téléphotographie, système de transmission par signaux électriques, est utilisée sporadiquement depuis 1907. Elle ne connaîtra un essor qu’après la grande guerre. 

téléchargement (9)Le succès de l’illustration photographique engendre des mécontentements dans le milieu des dessinateurs et graveurs. La cohabitation est difficile. Ainsi, la presse satirique rejette la photographie et se moque d’elle. En effet, des caricatures ont été réalisées à l’encontre des photographes, notamment celles publiées dans le Charivari par Daumier, peintre et graveur. Honoré Daumier dénonce le fait que la photographie peut valoriser le rang et les richesses de l’homme qui pose. D’autres caricatures sont publiées dans le journal satirique : Le rire. Les graveurs qui ont rivalisé avec les photographes en retouchant et embellissant la photographie de base, ont contribué au retard de son exploitation directe et mécanisée. 

Les nouveaux quotidiens illustrés français qui se créent en utilisant abondamment la photographie, comme le Quotidien Illustré ou Excelsior subissent un échec. Ce dernier s’explique par les habitudes culturelles françaises qui, au contraire des habitudes américaines, privilégient l’écriture et la lecture à l’image dans les quotidiens. Les magazines ont eu plus de facilité en raison de leur vocation plus distractive et vulgarisatrice. Ces ratages montrent le rejet par une catégorie de population, cultivée, de l’illustration photographique au profit du texte. Les lecteurs considéraient que les photos, comme les gros titres prenaient abusivement la place du texte. 

Ainsi, si au début de son utilisation, la photographie n’est réduite qu’à celle de simple modèle, elle sera par la suite intégrée directement au processus d’impression grâce à la photogravure. Par ailleurs, à la suite des nombreux photos-reportages réalisés au cours des différents événements mondiaux du début du siècle, une nouvelle catégorie socioprofessionnelle verra le jour, il s’agit du reporter photographe de presse. Cet enthousiasme pour l’illustration photographique et l’ambition des éditeurs contribueront à donner naissance à des journaux spécialement illustrés par la photographie tels que les premiers magazines photographiques. La presse illustrée qui utilisait davantage les dessins s’est adaptée et a rivalisé avec les nouveaux magazines en intégrant aussi les clichés. Le journal L’Illustration se place au premier rand mondial de la presse illustrée avec 280 000 exemplaires vendus à la veille de la première guerre mondiale. L’année 1914 constituera une rupture dans la mesure où la première guerre mondiale va accroître considérablement la production de photographies pour manipuler le lecteur à travers le « bourrage de crâne ».

 

Bibliographie non exhaustive :

- De BAJAC, Quentin, L’Image révélée, l’invention de la photographie. Gallimard, 2001, 159 p

- De BAJAC, Quentin, La photographie, l’époque moderne 1880-1960. Gallimard, 2005, 159 p

- De FEYEL Gilles, La Presse en France des origines à 1944. Histoire politique et matérielle. Ellipses, 2000, 192 p

- De FREUND, Gisèle, Photographie et société. Éditions du Seuil, 1974, 222 p

- De FRIZOT, Michel, Nouvelle histoire de la photographie. Larousse, 2001, 775 p

- De LEMAGNY, Jean-Claude, ROUILLÉ, André, Histoire de la photographie. Bordas, 1986, 286 p

 

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