Description du département de l’Oise de Cormeilles
Posté par francesca7 le 22 novembre 2014
Le canton de Cormeilles est placé entre ceux de Crevecœur, de Breteuil, et de Luchy. Les sites de ce canton sont très pittoresques ; ils offrent un pays sombre et sauvage, qui plaisait extrêmement à l’imagination rembrunie de J. J. Rousseau : que de hauteurs, que de précipices ! on ne peut passer d’une commune à l’autre sans avoir à franchir des ravins et des fondrières : dans les grandes pluies le voyageur est entouré de chûtes d’eaux, de cascades, et de torrents fort dangereux.
Le sol est ingrat ; un quart des terres seulement y donne du froment : les produits de la nature lui sont arrachés par l’infatigable activité des habitants.
Des terrains montueux, escarpés, pierreux, donnèrent l’idée de planter des vignes ; elles dépérirent d’années en années. La commune de Bonneuil est la seule où l’on en trouve encore ; mais on l’arrache sans replanter : cette commune est peuplée d’hommes laborieux, qu’on accuse d’être un peu défiants et très intéressés.
On ne peut citer en ces lieux qu’une prairie superbe ; elle s’étend depuis Fontaine et Bonneleau jusqu’à Croissy ; le foin qu’elle produit est d’une excellente qualité. Toutes les terres en général au nord de Cormeilles sont détestables, si l’on en excepte Blanc fossé où elles sont de quelque rapport.
La petite rivière de Seille arrose et traverse cette prairie.
À Fontaine il y a des eaux ferrugineuses très estimées par l’apothicaire Walot : il a fait des dépenses pour leur donner quelque crédit. Celles de Bonneleau guérissent les pâles couleurs. La stérilité des terres force les habitants à travailler la laine : ce moyen de subsistance s’oppose à l’émigration qui jadis avait lieu dans ce pays ingrat ; un père de dix ou douze enfants les établit en leur donnant un métier pour toute dot. À quelques époques heureuses on a vu régner une assez grande aisance dans ce canton ; mais la cherté, la rareté des laines, le peu de produit des manufactures de serges de blicourt et de sakatis, qui ne sont recherchées ni par les villes voisines ni par les étrangers, laisse les habitants dans un état dangereux de stagnation et de misère.
Les étoffes dites sakatis, qui fournissent un vêtement commode et peu dispendieux, ont été inventées il y a près de quarante ans par des fabricants de Cormeilles, entre autres par feu Jean Mention, et par Louis Ménard, qui vit encore.
Il ne faut pas attendre beaucoup de lumières et de civilisation d’une agrégation d’individus qui ne quittent jamais leurs chambres, ou les boutiques étroites qu’ils nomment veilles : leur vie sédentaire, le besoin d’agitation chez des êtres toujours assis donnent à leur imagination une activité productrice ; de pieuses fables, de faux miracles, des histoires de sorciers, de devins et de revenants, les délassent de leur immobilité.
C’est dans le château d’Hardivillers, peu distant de Cormeilles, que se passa le fait si répandu que je vais raconter.
À certaines époques de l’année, spécialement à l’approche de la fête des morts, on entendait un bruit affreux, des hurlements épouvantables dans le château d’Hardivillers ; la nuit il paressait en feu. Le fermier seul, avec lequel l’esprit était apprivoisé, osait habiter cette demeure de démons et de réprouvés ; si quelque malheureux passant y couchait une nuit, il était si cruellement traité que six mois après il portait encore la marque des coups qu’il avait reçus : les paysans du voisinage voyaient des milliers de démons sur les toits, dans les cours, à toutes les fenêtres du château ; ces démons se promenaient quelquefois en bande dans la prairie, vêtus en présidents, en conseillers de robes rouges, mais toujours entourés de tourbillons de feu ; ils s’asseyaient en rond, faisaient paraître et condamnaient à mort un gentilhomme du pays, qui cent ans auparavant avait eu la tête tranchée. On voyait quelquefois dans cette assemblée sabbatique se promener un des parents du maître du château, donnant le bras à une fort jolie femme qui depuis quelques temps avait disparu…On ne parlait que des merveilles du château d’Hardivillers. Cinq ans s’étaient écoulés ; le propriétaire du château était forcé de louer sa terre à vil prix. Il soupçonna, éclairé par ses réflexions, par quelques faits, par les observations profondes de quelques philosophes, que les ruses de quelques filous pouvaient déterminer tous ces tours de lutins Escorté de deux braves, à l’époque la plus dangereuse, à la Toussaints, veille de la fête des morts, il se rendit à son château, armé jusques aux dents ; les esprits se tinrent tranquilles en annonçant dans le village qu’ils étaient enchaînés par le démon du président, plus fort et plus subtil qu’eux : ils se contentèrent de remuer des chaînes, dont le bruit fit accourir la femme et les enfants du fermier ; ils se jetèrent à genoux pour empêcher nos braves de se rendre dans la chambre où ce bruit se faisait entendre : « Messieurs, leurs criaient-ils, que peut la force humaine contre des gens de l’autre monde ? M. de Féquencourt a tenté cette entreprise, il en revint le bras cassé ; M. d’Wrseles pensa périr accablé sous le poids de bottes de foin ». Tous ces exemples n’arrêtèrent point les braves compagnons du président : ils montèrent, le pistolet d’une main, une bougie de l’autre ; ils ne virent d’abord qu’une épaisse fumée, traversée de quelques traits de flamme, à l’aide desquelles on apercevait confusément l’esprit en costume de pantalon ; il avait de plus une grande paire de cornes, et derrière lui pendait une longue queue. Un des deux gentilshommes éprouve un moment de frayeur ; l’autre le rassure en lui montrant que le démon n’a pas même l’esprit de souffler leurs lumières ; ils s’avancent, tirent presque à bout portant un coup de pistolet : le fantôme s’arrête et les fixe ; cependant le spectre recule, évite de se laisser saisir : le gentilhomme avance ; l’esprit prend son parti, s’enfuit, descend un petit escalier ; le gentilhomme le suit, traverse la cour et le jardin : l’esprit ne disparaît que dans la grange. Notre brave, sans quitter la place, appelle le président : on cherche ; on découvre une trappe, qu’un verrou fermait dans l’intérieur ; on fit sauter la trappe, et dans le souterrain on trouva notre pantalon caché sous des matelas qui l’avoient reçu dans sa chute. On reconnut l’honnête fermier couvert d’une peau de buffle à l’épreuve du pistolet : il avoua toutes ses ruses, et se tira d’affaire en comptant à son maître les arrérages de cinq années.
La morale a moins perdu dans cette contrée par la révolution que dans beaucoup d’autres pays ; la paix et l’union y règnent ; la tendresse paternelle, la piété filiale, la fidélité conjugale y sont en honneur. Un peu d’emportement, cette chaleur naturelle à l’esprit du Picard, y donne lieu quelquefois à des procès, qui presque tous finissent chez le juge-de-paix.
Texte issu de Tome 1 par Jacques Cambry
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