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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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Ce que les Aveugles Voient

Posté par francesca7 le 8 février 2014

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On considère ordinairement l’aveugle comme un être inférieur, borné, inutile à la société, fatalement voué à la mendicité s’il est pauvre, à l’oisiveté s’il est riche, dans les deux cas, à l’ignorance. C’est là une profonde erreur.

Les aveugles ont une foule de jouissances dues à la finesse de leur ouïe qui leur permet d’être excellents musiciens, et de perceptions délicates dues au toucher qui leur permet de lire, d’écrire et de se rendre compte de bien des choses mystérieuses que nous ne soupçonnons pas. L’histoire de ces sensations est pleine de merveilles inconnues des « clairvoyants » et comme la clef d’un nouveau monde.

Depuis cent ans, grâce à Valentin Haüy, le fondateur de l’éducation des aveugles, grâce à Louis Braille, l’inventeur de l’écriture des aveugles, et spécialement, depuis quelques années, grâce à l’Association Valentin Haüy, des milliers d’aveugles sont instruits, pourvus d’une profession et gagnent leur vie par leur travail. Pour que cette œuvre remplisse complètement son but, qui est d’arracher tous les aveugles à la mendicité, il suffira que tous ceux qui ont des yeux pensent quelquefois à ceux qui n’en ont pas.

°°°

LA CÉCITÉ ! quelles privations elle implique ! 

Ne plus pouvoir se conduire, quelle calamité ! Ne pas voir la nature, quelles ténèbres ! Être incapable de lire et d’écrire, quel silence et quel cachot !

« Par la lecture, le sourd peut vivre en communication constante avec la pensée humaine tout entière, historiens, poètes, philosophes, artistes. L’aveugle dépend de tout et de tous : c’est le mendiant par excellence, c’est le prisonnier suprême ! »

Ainsi s’exprimait une fois le célèbre compositeur Gounod, à qui l’on demandait s’il aimerait mieux être sourd ou aveugle. Et l’on voit que, même pour ce grand musicien éprouvant tant de jouissances par l’oreille, la surdité ne semblait pas un malheur comparable à la cécité.

Cependant on remarque souvent que les sourds sont tristes et que les aveugles sont gais, et non seulement gais, mais bavards, curieux de toutes choses, amateurs de voyages, aimant à « voir du pays ». On leur entend dire : « J’ai vu [t]elle personne… », ou bien : « telle personne a l’air bon, l’air bien vieilli…. » « Cet enfant a bien grandi…. Quelle bellemaison, quel beau soleil ! Quelles jolies fleurs » ! Que signifient, dans leur bouche, toutes ces expressions ?

Par quels moyens perçoivent-ils tant de choses ? Qu’est-ce que voient les aveugles ?

*
* *

Voici quelques exemples d’aveugles fameux qui semblent démentir l’opinion qu’on a sur l’infériorité de ces emmurés, comme les a éloquemment appelés M. Lucien Descaves. Sans parler d’Homère et de Milton, qui étaient aveugles tous les deux, et dont l’un récitait ses chants, et l’autre dictait ses poèmes à ses filles, on a connu à l’Université de Cambridge un professeur de mathématiques aveugle, Nicolas Saunderson. Et, chose curieuse, il professait des lois de l’optique, exposant la nature de la lumière et des couleurs, expliquant la théorie de la vision, traitant de la marche des rayons lumineux à travers les lentilles.

Plus récemment, les Anglais ont choisi pour diriger le ministère des postes et télégraphes un aveugle, M. Fawcett, qui est mort depuis à Cambridge en 1884. A vingt-cinq ans, il entrait dans la carrière politique, lorsqu’un accident de chasse lui fit perdre la vue.

Dans une conférence électorale qu’il fit à Brighton, en 1864, il dit : « L’accident qui m’a ôté la vue m’est arrivé il y a cinq ans seulement. Je chassais les perdrix. Deux coups de fusil, partis par malheur de l’arme d’un camarade, me frappèrent au visage. Chaque œil fut atteint, et le résultat, vous le voyez. Je me rappelle parfaitement ce moment. C’était par un splendide après-midi d’automne, et je me tenais là, debout, contemplant avec ravissement une des plus riantes vallées de l’Angleterre. Ce décor s’illuminait de tout l’éclat d’un soleil d’automne. Je compris que toutes ces beautés de la nature s’étaient évanouies dans une nuit qu’aucune adresse humaine ne pourrait éclairer. C’était un coup terrible pour un homme, mais, en dix minutes, je fus maître de moi et résolu à braver toutes les difficultés avec courage et résolution. Je me décidai à faire, autant que possible, ce que j’avais fait jusque-là et à donner à ma vie future le même but, les mêmes espérances et les mêmes aspirations. Cette résolution ne m’a jamais quitté. »

Pendant les loisirs que lui laissait sa charge, M. Fawcett montait à cheval, patinait, pêchait le saumon tout comme un autre, et le bonheur voulut qu’il ne lui arrivât jamais de grave accident durant ces imprudentes récréations. Comme ministre des postes, il était très attentif, bien qu’aveugle, avait « l’œil à tout », et a laissé à ses subordonnés le souvenir d’un fonctionnaire très « regardant ».

Mais un exemple encore bien plus étonnant de ce qu’on peut faire sans les yeux devait être fourni, dans ce pays, par l’aveugle américain Campbell, qui est monté au sommet du Mont-Blanc. M. Campbell, aujourd’hui directeur du magnifique « Royal Normal College » pour les aveugles de Londres, est né en 1834, dans le comté de Franklin en Tennesse. Son père était un farmer, ardent abolitionniste. L’enfant avait trois ans et demi, quand, blessé à l’œil par une épine d’acacia, il devint aveugle. Il fut élevé à Nashville, apprit la musique et devint lui-même professeur.

Image illustrative de l'article BrailleDès lors, il se dévoua aux enfants aveugles de sa contrée. Puis il vint à Londres, fonder son collège. Mais comme, lorsqu’il parlait des capacités physiques et intellectuelles des aveugles, il trouvait beaucoup d’incrédules, il voulut frapper un grand coup sur les imaginations britanniques. Accompagné de son fils et de plusieurs guides, il fit une chose considéré comme difficile aux voyants, impossible aux aveugles. Il tenta l’ascension du Mont-Blanc. Il réussit à souhait. Toute la presse anglaise l’acclama. Son œuvre était définitivement fondée.

M. Campbell est-il une exception ? Non. Au collège qu’il a fondé à Londres, et où les exercices physiques sont dirigés par son fils, M. Guy Campbell, un distingué sportsman, on voit des aveugles faire de la gymnastique, patiner, aller en traîneau apprendre à nager, ramer, monter à vélocipèdes par bandes de dix ou douze et faire ainsi des centaines de kilomètres à travers l’Angleterre étonnée.

En France, cet exemple a été suivi. Au mois de septembre 1888, trois aveugles, tous trois professeurs à l’Institution nationale des jeunes aveugles de Paris, MM. Syme, Vielhomme et Guilbeau, faisaient l’ascension de Champrousse, en Dauphiné, accompagnés de trois guides.

A l’Institution nationale de Paris, les élèves font également du tricycle.

Ces différents faits attestés par de nombreux témoins – des témoins oculaires – sont surprenants. Mais on admet encore qu’il puisse exister des « alpinistes » aveugles. Ce qu’on n’admet point sans protestation, c’est qu’il ait pu exister des sculpteurs aveugles. Cela est pourtant. Un de nos meilleurs « animaliers », Vidal, était tout à fait privé de la vue. Cela ne l’empêcha pas de modeler de petits chefs-d’œuvre : le Cerf blessé, le Lion, le Taureau. Vif, preste, alerte, Vidal était constamment entouré d’animaux : il les touchait, les caressait, les examinait longuement dans toutes sortes de poses, puis saisissait sa terre, et se mettait à modeler. Lorsqu’il étudiait les jambes d’un cheval, par exemple, il s’agenouillait auprès de son modèle, lui parlant sans cesse, le flattant, afin que l’animal ne bougeât pas, et il le tâtait, en disant : « Vois, j’examine tes jambes…, ne bouge pas, j’ai besoin de regarder ton encolure….  Mon ami cheval, tiens-toi tranquille ou je vais manquer ton portrait ! »

Lorsqu’il s’agissait d’une bête féroce, l’étude d’après nature était plus difficile à réaliser. Vidal s’inspirait alors d’œuvres d’art précédentes, de squelettes, de têtes empaillées. Un jour, cependant, comme il avait imaginé de sculpter un lion, il sentit qu’il ne pourrait y parvenir sans recourir au modèle vivant. Il n’hésita pas devant une entrevue dangereuse et entra dans la cage d’un de ces animaux, accompagné d’un dompteur. Longuement, attentivement, en artiste, il caressa le lion, jusqu’à ce qu’il se fût rendu maître de son anatomie. En sortant, il fit le Lion rugissant qui est un de ses plus étonnants morceaux.

Quand il était dans son atelier en train de travailler, on n’aurait pas dit qu’il fût aveugle. Seulement, de temps en temps, lorsqu’il voulait juger de l’ensemble, il se reculait et regardait son œuvre avec ses deux mains étendues, dont les dix doigts semblaient autant d’yeux….

C’est qu’en effet, les doigts sont les yeux de l’aveugle. « La vue, a-t-on dit, est un toucher de loin. » De même, le toucher est une vue de près. Nous sommes volontiers portés à croire que la vue seule nous fait connaître les choses qui nous entourent : c’est une erreur. Plongez un bâton à moitié de sa longueur dans l’eau : vous le verrez tout cassé ; mais, en mettant votre main dans l’eau et en suivant le bâton, vous sentirez qu’il est droit, bien qu’aux yeux il paraisse tordu.

Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse,

                                                
a dit le Fabuliste. Mais ce n’est pas la raison qui l’a redressé : c’est le toucher.

Dans la connaissance que nous avons des choses, le toucher a une part beaucoup plus grande que nous le supposons. Tant que nous n’avons pas touché une chose, nous ne la connaissons pas. C’est pour cela que les petits enfants sont des touche-à-tout. La preuve nous en est donnée chaque fois qu’un miracle de la science rend la vue à un aveugle. Ces choses-là arrivent quelquefois, et alors le plus extraordinaire, ce n’est pas que l’aveugle voit, mais c’est que, dans les premiers jours, il ne sait que faire de sa vue.

Un médecin qui a assisté à la guérison d’une paysanne aveugle de dix-sept ans, Despa Christea, à Bucarest, dit : « J’étais présent quand les parents sont venus voir l’enfant après l’opération, et j’ai assisté au spectacle le plus extraordinaire qu’il fût possible de voir. La malade a regardé fixement son père, puis elle a tâté le visage de sa mère pour s’assurer de la forme de sa figure. Elle a regardé leurs vêtements, nommant les couleurs de chaque partie du costume. Elle tenait sa mère par la main, comme si elle avait peur de perdre des yeux un être qu’elle aimait et avec qui elle vivait depuis sa plus tendre enfance et qu’elle voyait pour la première fois…. »

Un autre aveugle guéri subitement, Nicolas Joan, âgé de vingt-cinq ans, avoua n’avoir pu reconnaître ses anciens amis jusqu’au moment où il entendit leurs voix. Du temps où il était aveugle, il s’en allait seul, par les rues, se rendait sans difficulté dans tous les quartiers de la ville. Quand il lui fut possible de se servir de ses yeux, il s’égara d’abord et fut obligé de demander son chemin. Les objets les plus familiers dont il se servait journellement lui paraissaient inconnus. Il voyait bien une forme, une couleur, mais n’imaginait pas que cela représentât telle ou telle chose. On lui présentait une cuiller en lui demandant :

« Voyez-vous cela ?

– Oui.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Attendez. Donnez-le-moi. »

Il fermait les yeux, prenait l’objet, le tâtait, puis aussitôt :

« C’est une cuiller, » disait-il.

Tel est l’homme quand on le replace brusquement dans l’état où il était en venant au monde, ouvrant les yeux pour la première fois devant les mille objets qui l’entourent. La vue lui servira plus tard à les reconnaître de loin, mais il ne les connaît bien pour la première fois que par le toucher.

Donc le toucher a une immense importance. Or, les aveugles conservent ce sens du toucher. Ils l’ont même à un point beaucoup plus affiné que les « clairvoyants ». L’aveugle Saunderson distinguait, en les touchant, les médailles fausses des vraies.

                Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume,

a dit Victor Hugo. C’est exagéré comme toutes les métaphores ; mais ce qui est vrai, c’est que la « vue » des yeux s’éteignant, la « vue » des autres sens s’affine. L’ouïe devient plus sensible, le tact plus délicat, l’odorat plus compréhensif.

*
* *

Ce que les Aveugles Voient dans FONDATEURS - PATRIMOINE Ben_underwoodAinsi s’expliquent les prodiges que réalisent les aveugles et aussi les jouissances qu’ils trouvent encore à la vie. Puisqu’ils ont l’oreille plus exercée, ils apprécient davantage l’harmonie des sons ; puisqu’ils ont l’odorat plus sensible, ils respirent mieux les parfums, comme ils entendent mieux les sons. De là, des sources nombreuses de renseignements et de plaisirs que nous connaissons mal. Voilà pourquoi les aveugles aiment à voyager, à gravir les montagnes, à visiter des villes nouvelles. Au premier abord, il semble que tout pour eux doit se ressembler. La nuit ressemble partout à la nuit. Il n’en est rien.

Comme le dit M. Maurice de la Sizeranne dans son livre : Les aveugles par un aveugle, « le toucher n’est pas localisé dans la main ; il est répandu sur tout le corps. Même à travers le soulier, le pied distingue le genre de sol qu’il foule. Bouchez les oreilles à un aveugle attentif, et il saura très bien s’il marche sur du pavé plat ou pointu (italien, languedocien ou parisien), sur du grès ou sur du bois, sur du macadam ou de l’asphalte, s’il passe sur une plaque d’égout, s’il est sur un sentier battu, dans une terre labourée ou sur un chaume.

« Les odeurs aussi sont bien différentes et bien caractéristiques : la viande fraîche, la pommade, le tabac mouillé, le cuir frais, le poisson, le foin, les plantes pharmaceutiques, les coulis aux truffes, le papier nouvellement imprimé, les fleurs, que sais-je encore ! ont des parfums très divers qui permettent de savoir, sans l’ombre d’un doute, si l’on passe devant un boucher, un coiffeur, un marchand de tabac ou de souliers ; si on longe de grandes halles ou un quartier de cavalerie ; si le soupirail qui vous envoie ses bouffées en pleine figure aère la cave d’un pharmacien ou la savante officine d’un Chevet ; si vous êtes en face de la vendeuse de journaux chantée par Coppée, ou de la bouquetière du coin ».

De cette sorte un aveugle peut se conduire seul dans les rues d’une grande ville.

« A tous les renseignements que donnent le toucher et l’odorat se joignent ceux apportés par l’ouïe : Ici, c’est la cloche d’un couvent, là l’horloge d’une église, d’un hôpital ; ailleurs, un menuisier, un tailleur de pierres, une maison en construction. Tout est remarqué, associé et mis à profit. Tout cela est pour la ville ou le village ; mais, en pleine campagne, la nature prend soin de donner à l’aveugle bien des indications, bien des jouissances qui sont autant de jalons pour sa route. Ici, c’est un mouvement de terrain, une ornière, un passage rocailleux ou sablonneux, une clairière tapissée de gazon, de mousse, d’aiguilles de pin ; là, c’est un bois résineux, un pré, une meule de foin, une touffe de genêts ou de fleurs sauvages ; ailleurs, ce sera les chuchotements d’un ruisseau, le bruit des arbres ou des arbustes. Le lilas et le chêne ne disent pas la même chose lorsque le vent passe ; ils ne frissonnent pas de la même manière en mai et en octobre. Autres sont les oiseaux qu’on entend, lorsqu’on est assis au pied d’un vieil orme, au milieu d’un grand bois ou sur la berge de la rivière qui traverse la prairie…. »

Tout ce que les aveugles devinent, c’est donc par l’ouïe, le toucher et l’odorat. Si ces sens leur manquent ou sont affaiblis, ils ne perçoivent plus rien. Ainsi, en bateau à vapeur ou en wagon, ils ne voient rien : l’odeur de la fumée de charbon, le bruit du train sont de perpétuels matelas entre eux et la nature ; de même, si leur épiderme est momentanément insensibilisé. Un aveugle américain qui est grand négociant, et qui se conduit dans la vie avec une singulière aisance, M. Hendrickson dit : « Une fois ayant été piqué par une abeille, je fus un instant étourdi, vraiment « aveugle », ne pouvant plus rien percevoir, ni distinguer ». Ainsi, pour un aveugle, l’obscurité ce n’est pas l’obscurité : c’est le bruit ou la douleur.

Leur façon de voir est donc de comparer leurs sensations avec les nôtres.

Écoutons un aveugle, M. Guilbeau, décrire une jeune femme qu’il a rencontrée en voyage : « Son regard, il me semblait le sentir quand elle m’interrogeait. Sa voix de méridionale, bien timbrée, avait des sonorités de loriot. Son rire faisait comme une roulade de pinson. La note dominante était l’o, ce qui indique la bonté et la franchise. Avait-elle vingt-cinq ans, avait-elle trente ans ? Je ne saurais le dire. La voix ne donne que des approximations d’âge. »

On comprend maintenant comment une femme aveugle, Mme Galeron de Calonne, poète de grand talent et de grand cœur, a pu écrire sur elle-même, sur ses joies d’aveugle et sur sa vie, ces vers délicieux :

            QU’IMPORTE !

                    A mon mari.

Je ne te vois plus, soleil qui flamboies,
Pourtant des jours gris je sens la pâleur,
J’en ai la tristesse ; il me faut tes joies.
Je ne te vois plus, soleil qui flamboies,
    Mais j’ai ta chaleur.

Je ne la vois pas, la splendeur des roses,
Mais le ciel a fait la part de chacun.
Qu’importe l’éclat ? J’ai l’âme des choses.
Je ne la vois pas, la splendeur des roses,
    Mais j’ai leur parfum.

Je ne le vois pas, ton regard qui m’aime.
Lorsque je le sens sur moi se poser.
Qu’importe ! Un regret serait un blasphème !
Je ne le vois pas, ton regard qui m’aime,
    Mais j’ai ton baiser….

Sentez-vous après ces vers, pourquoi les aveugles semblent gais quand les sourds paraissent généralement tristes ? C’est qu’au moment où l’on parle à un aveugle, on s’adresse au sens qui est éveillé en lui : à ce moment-là, il voit. Au contraire, quand on parle à un sourd, on lui rappelle davantage son infirmité.

*
* *

Comment peut-on rendre ainsi une ombre de bonheur à l’aveugle ? Comment arrive-t-on à d’aussi surprenants résultats ? Tout simplement en se servant des facultés précieuses que nous venons de décrire. Puisque les aveugles ont le toucher très délicat, pourquoi ne les ferait-on pas lire sur des lettres figurées en relief, s’est demandé, en 1784, Valentin Haüy, le frère de l’abbé Haüy, en rencontrant un aveugle intelligent qui en était réduit à mendier son pain. Et il inventa l’impression en relief. Plus tard, en 1829, un aveugle français, Louis Braille, imagina un alphabet conventionnel formé de points, qui porte son nom, et qui, aujourd’hui, est adopté dans le monde entier. Avec six points au plus, diversement placés, on figure toutes les lettres de l’alphabet, toutes les notations musicales.

On écrit, selon ce système, toutes les poésies de Victor Hugo, tout le Parsifal de Wagner. L’aveugle, en promenant ses deux mains sur ces gros livres piqués de points en relief, se met en communication avec la pensée écrite et la musique écrite de toute l’Humanité. Aujourd’hui, la bibliothèque Braille fondée par M. Maurice de la Sizeranne ne compte pas moins de 4000 volumes ainsi écrits en relief.

De même, puisque l’aveugle a l’oreille très exercée, pourquoi ne pas lui apprendre sérieusement la musique ? Le même Valentin Haüy passait, en 1771, dans une foire. Il vit là dix aveugles affublés de robes et de bonnets à oreilles d’ânes et le nez chaussé de grosses lunettes de carton sans verre, placés devant des pupitres, chantant et jouant du violon. Cette indécente parodie indigna Valentin Haüy, et il jura, ce jour-là, d’arriver à transformer cette fiction en une réalité.

En effet, l’Institution des jeunes aveugles fondée par lui, et établie aujourd’hui, 56, boulevard des Invalides, forme, après cent ans de progrès, des musiciens de premier ordre. Là, les aveugles apprennent tout ce qui concerne l’art musical. Il y a des classes d’orgue, de piano, de tous les instruments d’orchestre ; on enseigne aussi la théorie de la musique, fugue et contrepoint. Bien des fois, les jeunes aveugles sortis de cette institution ont remporté les premiers prix du Conservatoire, et, en ce moment, plusieurs des principales églises de Paris possèdent des aveugles comme organistes : M. Marty à Saint-François-Xavier, M. Mahaut à Saint-Vincent de Paul, M. Dantot à Saint-Etienne-du-Mont, M. Vierne, organiste suppléant à Saint-Sulpice. Une jeune fille, Mlle Boulay, professeur aveugle à cette institution, a remporté les premiers prix d’orgue, d’harmonie et de fugue au Conservatoire. Sous l’intelligente direction du chef de cet établissement de l’Etat, M. Émile Martin, l’Institution des jeunes aveugles est parvenue à un haut degré de perfection.

Une fois instruit, l’aveugle peut gagner sa vie par son travail, soit comme musicien, organiste, professeur de musique, accordeur de pianos, soit comme ouvrier, filetier, brossier, rempailleur de chaises. On compte actuellement en France plusieurs centaines d’aveugles qui se suffisent entièrement par leur industrie. On ne rencontre plus ces bandes d’aveugles allant par les chemins, comme ceux que Breughel le Vieux a peints dans la Parabola dei Ciechi, ou comme on en trouve encore au Soudan et à Pékin ; mais on rencontre des aveugles travailleurs autant que des mendiants.

Les métiers que peuvent exercer les aveugles sont relativement nombreux et quelques-uns assez bizarres. Au Japon, tous les aveugles sont masseurs, tous les masseurs sont aveugles, en sorte qu’on demande indifféremment « l’aveugle » ou « le masseur » ! Au Caire, ils récitent le Coran, accroupis devant le lit funèbre des grands personnages.

On cite un aveugle, à Évian, qui est marchand de journaux. Au toucher, il distingue un Intransigeant d’une Libre Parole et une Autorité d’un Temps. Jamais il ne tendrait à un acheteur radical la Gazette de France : cet aveugle, en vérité, distingue les couleurs….

Lorsque les ouvriers ou les artistes aveugles ont quelque loisir, ils s’amusent comme nous, à peu près aux mêmes jeux. Ils jouent aux cartes avec des cartons piqués de points en relief, aux échecs avec des pièces qui s’enfoncent par le pied dans les casiers, afin que les mains puissent se promener sur elles sans les renverser. Ils jouent même aux boules et au billard. Un clairvoyant frappe deux bâtons l’un contre l’autre ou un timbre juste au-dessus de la boule qu’il s’agit d’atteindre et l’aveugle, guidé par le son, projette assez exactement sa bille au but. Mais ce qu’ils préfèrent surtout, dans les écoles d’aveugles, c’est jouer la comédie. A l’institution de Paris, on a vu les jeunes filles aveugles jouer avec beaucoup d’entrain le Menuet de l’impératrice, opéra-comique en un acte et à sept personnages.

images (7)L’aveugle une fois instruit et pourvu d’un métier, il faut trouver un débouché à son travail. C’est dans ce but qu’a été fondée l’Association Valentin Haüy pour le bien des aveugles, dont le président est M. François Coppée, de l’Académie française, et le secrétaire général M. Maurice de la Sizeranne, qui, étant aveugle lui-même, connaît mieux que personne les besoins des aveugles.

Cette association, qui compte déjà 7 000 membres répandus dans toute la France, a pour but de venir en aide aux 40 000 aveugles français, et elle obtient d’excellents résultats. Dans la maison qu’elle occupe, 31, avenue de Breteuil, à Paris, et qui est réellement la Maison des aveugles, il y a un musée de toutes les inventions faites pour l’instruction des aveugles et de tous les objets fabriqués par eux. Il contient 100 appareils à écrire différents et 150 cartes de géographie en relief.

Là est aussi la bibliothèque Braille, alimentée par le zèle de 250 copistes et contenant 4000volumes en points saillants, dont 1 100 environ sont couramment en circulation, non seulement à Paris, mais en province, où 18 dépôts fonctionnent régulièrement pour permettre aux aveugles instruits de toute la France de lire ce qui paraît d’intéressant dans la littérature. Là enfin, on s’occupe de trouver des écoles pour les enfants, du travail pour les adultes, des asiles pour les vieillards. Dans la seule année 1898, l’Association Valentin Haüy s’est occupée de 1 526 aveugles, a entretenu 26 pensionnaires adultes dans les ateliers, aidé de 371 vieillards, obtenu pour les aveugles voyageant pour accorder des pianos 539 permis de chemin de fer, aidé enfin 140 travailleurs, musiciens ou ouvriers dans leur carrière.

Pour que cette Œuvre remplisse complètement son but, qui est d’arracher l’aveugle à la mendicité, il suffira que tous ceux qui ont des yeux pensent quelquefois à ceux qui n’en ont pas !

Terminons par un souvenir historique et par une application à l’heure présente. Un vieux chroniqueur raconte que dans le Paris du moyen âge, où les quinquets étaient rares et point vite allumés, les brouillards subits étaient des calamités publiques. Ils transformaient le jour en nuit. Alors les pensionnaires des Quinze-Vingts, pour qui l’obscurité était « règlement ordinaire », devenaient fort utiles aux « clairvoyants ». Habitués à tous les tours et détours des rues, ils les guidaient à travers la Grand’Ville aussi sûrement qu’en plein jour un clairvoyant guide un aveugle.

Aujourd’hui, le gaz et l’électricité nous épargnent ces étranges secours. Mais, qui sait si, dans le domaine infini de l’intelligence et du cœur, les aveugles ne pourraient pas nous guider encore ? Qui sait si, en observant tout ce que font ces hommes privés de la vue, mais doués de volonté et de persévérance, nous ne pourrions pas apprendre beaucoup, et profiter davantage des forces latentes qui ont été déposées en nous !

consultez l’original : http://www.bmlisieux.com/curiosa/cecite.pdf

Publié dans FONDATEURS - PATRIMOINE, LITTERATURE FRANCAISE | Pas de Commentaire »

Le Chat vu par Banville Théodore de

Posté par francesca7 le 20 décembre 2013

Le Chat

par

Théodore de Banville

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 CHAT NOR

Tout animal est supérieur à l’homme par ce qu’il y a en lui de divin, c’est-à-dire par l’instinct. Or, de tous les animaux, le Chat est celui chez lequel l’instinct est le plus persistant, le plus impossible à tuer. Sauvage ou domestique, il reste lui-même, obstinément, avec une sérénité absolue, et aussi rien ne peut lui faire perdre sa beauté et sa grâce suprême. Il n’y a pas de condition si humble et si vile qui arrive à le dégrader, parce qu’il n’y consent pas, et qu’il garde toujours la seule liberté qui puisse être accordée aux créatures, c’est-à-dire la volonté et la résolution arrêtée d’être libre. Il l’est en effet, parce qu’il ne se donne que dans la mesure où il le veut, accordant ou refusant à son gré son affection et ses caresses, et c’est pourquoi il reste beau, c’est-à-dire semblable à son type éternel. Prenez deux Chats, l’un vivant dans quelque logis de grande dame ou de poète, sur les moelleux tapis, sur les divans de soie et les coussins armoriés, l’autre étendu sur le carreau rougi, dans un logis de vieille fille pauvre, ou pelotonné dans une loge de portière, eh bien ! tous deux auront au même degré la noblesse, le respect de soi-même, l’élégance à laquelle le Chat ne peut renoncer sans mourir.

En lisant le morceau si épouvantablement injuste que Buffon a consacré au Chat, on reconstruirait, si la mémoire en était perdue, tout ce règne de Louis XIV où l’homme se crut devenu soleil et centre du monde, et ne put se figurer que des milliers d’astres et d’étoiles avaient été jetés dans l’éther pour autre chose que pour son usage personnel. Ainsi le savant à manchettes, reprochant au gracieux animal de voler ce qu’il lui faut pour sa nourriture, semble supposer chez les Chats une notion exacte de la propriété et une connaissance approfondie des codes, qui par bonheur n’ont pas été accordées aux animaux. « Ils n’ont, ajoute-t-il que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. » O injuste grand savant que vous êtes ! est-ce que nous cherchons, nous, les caresses pour le plaisir qu’elles ne nous font pas ? Vous dites que les yeux des Chats sont équivoques ! Relativement à quoi ? Si tout d’abord nous n’en pénétrons pas la subtile et profonde pensée, cela ne tient-il pas à notre manque d’intelligence et d’intuition ? Quant aux détours, eh ! mais le spirituel Alphonse Karr a adopté cette devise charmante : « Je ne crains que ceux que j’aime, » et, comme on le voit, le Chat, plein de prudence, l’avait adoptée avant lui.

Sans doute, il se laisse toucher, caresser, tirer les poils, porter la tête en bas par les enfants, instinctifs comme lui ; mais il se défie toujours de l’homme, et c’est en quoi il prouve son profond bon sens. N’a-t-il pas sous les yeux l’exemple de ce Chien que le même Buffon met si haut, et ne voit-il pas par là ce que l’homme fait des animaux qui consentent à être ses serviteurs et se donnent à lui sans restriction, une fois pour toutes ? L’homme fait du Chien un esclave attaché, mis à la chaîne ; il lui fait traîner des carrioles et des voitures, il l’envoie chez le boucher chercher de la viande à laquelle il ne devra pas toucher. Il le réduit même à la condition dérisoire de porter les journaux dans le quartier ; il avait fait du Chien Munito un joueur de dominos, et pour peu il l’aurait réduit à exercer le métier littéraire, à faire de la copie, ce qui, pour un animal né libre sous les cieux, me paraîtrait le dernier degré de l’abaissement. L’homme oblige le Chien à chasser pour lui, à ses gages et même sans gages ; le Chat préfère chasser pour son propre compte, et à ce sujet on l’appelle voleur, sous prétexte que les lapins et les oiseaux appartiennent à l’homme ; mais c’est ce qu’il faudrait démontrer. On veut lui imputer à crime ce qui fit la gloire de Nemrod et d’Hippolyte, et c’est ainsi que nous avons toujours deux poids inégaux, et deux mesures.

Le Chat vu par Banville Théodore de dans FAUNE FRANCAISE 220px-WhiteCatEn admettant même que l’univers ait été créé pour l’homme, plutôt que pour le Chat et les autres bêtes, ce qui me paraît fort contestable, nous devrions encore au Chat une grande reconnaissance, car tout ce qui fait la gloire, l’orgueil et le charme pénétrant de l’homme civilisé, il me paraît l’avoir servilement copié sur le Chat. Le type le plus élégant que nous ayons inventé, celui d’Arlequin, n’est pas autre chose qu’un Chat. S’il a pris au Carlin sa face vicieuse, sa tête noire, ses sourcils, sa bouche proéminente, tout ce qu’il y a de leste, de gai, de charmant, de séduisant, d’envolé, vient du Chat, et c’est à cet animal caressant et rapide qu’il a pris ses gestes enveloppants et ses poses énamourées. Mais le Chat n’est pas seulement Arlequin ; il est Chérubin, il est Léandre, il est Valère ; il est tous les amants et tous les amoureux de la comédie, à qui il a enseigné les regards en coulisse et les ondulations serpentines. Et ce n’est pas assez de le montrer comme le modèle des amours de théâtre ; mais le vrai amour, celui de la réalité, celui de la vie, l’homme sans lui en aurait-il eu l’idée ? C’est le Chat qui va sur les toits miauler, gémir, pleurer d’amour ; il est le premier et le plus incontestable des Roméos, sans lequel Shakespeare sans doute n’eût pas trouvé le sien ?

Le Chat aime le repos, la volupté, la tranquille joie ; il a ainsi démontré l’absurdité et le néant de l’agitation stérile. Il n’exerce aucune fonction et ne sort de son repos que pour se livrer au bel art de la chasse, montrant ainsi la noblesse de l’oisiveté raffinée et pensive, sans laquelle tous les hommes seraient des casseurs de cailloux. Il est ardemment, divinement, délicieusement propre, et cache soigneusement ses ordures ; n’est-ce pas déjà un immense avantage qu’il a sur beaucoup d’artistes, qui confondent la sincérité avec la platitude ? Mais bien plus, il veut que sa robe soit pure, lustrée, nette de toute souillure. Que cette robe soit de couleur cendrée, ou blanche comme la neige, ou de couleur fauve rayée de brun, ou bleue, car ô bonheur ! il y a des Chats bleus ! le Chat la frotte, la peigne, la nettoie, la pare avec sa langue râpeuse et rose, jusqu’à ce qu’il l’ait rendue séduisante et lisse, enseignant ainsi en même temps l’idée de propreté et l’idée de parure ; et qu’est-ce que la civilisation a trouvé de plus ? Sans ce double et précieux attrait, quel serait l’avantage de madame de Maufrigneuse sur une marchande de pommes de la Râpée, ou plutôt quel ne serait pas son désavantage vis-à-vis de la robuste fille mal lavée ? Sous ce rapport, le moindre Chat surpasse de beaucoup les belles, les reines, les Médicis de la cour de Valois et de tout le seizième siècle, qui se bornaient à se parfumer, sans s’inquiéter du reste.

 dans LITTERATURE FRANCAISEAussi a-t-il servi d’incontestable modèle à la femme moderne. Comme un Chat ou comme une Chatte, elle est, elle existe, elle se repose, elle se mêle immobile à la splendeur des étoffes, et joue avec sa proie comme le Chat avec la souris, bien plus empressée à égorger sa victime qu’à la manger. Tels les Chats qui, au bout du compte, préfèrent de beaucoup le lait sucré aux souris, et jouent avec la proie vaincue par pur dandysme, exactement comme une coquette, la laissant fuir, s’évader, espérer la vie et posant ensuite sur elle une griffe impitoyable. Et c’est d’autant plus une simple volupté, que leurs courtes dents ne leur servent qu’à déchirer, et non à manger. Mais tout en eux a été combiné pour le piège, la surprise, l’attaque nocturne ; leurs admirables yeux qui se contractent et se dilatent d’une façon prodigieuse, y voient plus clair la nuit que le jour, et la pupille qui le jour est comme une étroite ligne, dans la nuit devient ronde et large, poudrée de sable d’or et pleine d’étincelles. Escarboucle ou émeraude vivante, elle n’est pas seulement lumineuse, elle est lumière. On sait que le grand Camoëns, n’ayant pas de quoi acheter une chandelle, son Chat lui prêta la clarté de ses prunelles pour écrire un chant des Lusiades. Certes, voilà une façon vraie et positive d’encourager la littérature, et je ne crois pas qu’aucun ministre de l’instruction publique en ait jamais fait autant. Bien certainement, en même temps qu’il l’éclairait, le bon Chat lui apportait sa moelleuse et douce robe à toucher, et venait chercher des caresses pour le plaisir qu’elles lui causaient, sentiment qui, ainsi que nous l’avons vu, blessait Buffon, mais ne saurait étonner un poète lyrique, trop voluptueux lui-même pour croire que les caresses doivent être recherchées dans un but austère et exempt de tout agrément personnel.

Peut-être y a-t-il des côtés par lesquels le Chat ne nous est pas supérieur ; en tout cas, ce n’est pas par sa charmante, fine, subtile et sensitive moustache, qui orne si bien son joli visage et qui, munie d’un tact exquis, le protège, le gouverne, l’avertit des obstacles, l’empêche de tomber dans les pièges. Comparez cette parure de luxe, cet outil de sécurité, cet appendice qui semble fait de rayons de lumière, avec notre moustache à nous, rude, inflexible, grossière, qui écrase et tue le baiser, et met entre nous et la femme aimée une barrière matérielle. Contrairement à la délicate moustache du Chat qui jamais n’obstrue et ne cache son petit museau rose, la moustache de l’homme, plus elle est d’un chef, d’un conducteur d’hommes, plus elle est belle et guerrière, plus elle rend la vie impossible ; c’est ainsi qu’une des plus belles moustaches modernes, celle du roi Victor-Emmanuel, qui lui coupait si bien le visage en deux comme une héroïque balafre, ne lui permettait pas de manger en public ; et, quand il mangeait tout seul, les portes bien closes, il fallait qu’il les relevât avec un foulard, dont il attachait les bouts derrière sa tête. Combien alors ne devait-il pas envier la moustache du Chat, qui se relève d’elle-même et toute seule, et ne le gêne en aucune façon dans les plus pompeux festins d’apparat !

Le Scapin gravé à l’eau-forte dans le Théâtre Italien du comédien Riccoboni a une moustache de Chat, et c’est justice, car le Chat botté est, bien plus que Dave, le père de tous les Scapins et de tous les Mascarilles. A l’époque où se passa cette belle histoire, le Chat voulut prouver, une fois pour toutes, que s’il n’est pas intrigant, c’est, non pas par impuissance de l’être, mais par un noble mépris pour l’art des Mazarin et des Talleyrand. Mais la diplomatie n’a rien qui dépasse ses aptitudes, et pour une fois qu’il voulut s’en mêler, il maria, comme on le sait, son maître, ou plutôt son ami, avec la fille d’un roi. Bien plus, il exécuta toute cette mission sans autres accessoires qu’un petit sac fermé par une coulisse, et une paire de bottes, et nous ne savons guère de ministres de France à l’étranger qui, pour arriver souvent à de plus minces résultats, se contenteraient d’un bagage si peu compliqué. A la certitude avec laquelle le Chat combina, ourdit son plan et l’exécuta sans une faute de composition, on pourrait voir en lui un auteur dramatique de premier ordre, et il le serait sans doute s’il n’eût préféré à tout sa noble et chère paresse. Toutefois il adore le théâtre, et il se plaît infiniment dans les coulisses, où il retrouve quelques-uns de ses instincts chez les comédiennes, essentiellement Chattes de leur nature. Notamment à la Comédie-Française, où depuis Molière s’entassent, accumulés à toutes les époques, des mobiliers d’un prix inestimable, des dynasties de Chats, commencées en même temps que les premières collections, protègent ces meubles et les serges, les damas, les lampas antiques, les tapisseries, les verdures, qui sans eux seraient dévorés par d’innombrables légions de souris. Ces braves sociétaires de la Chatterie comique, héritiers légitimes et directs de ceux que caressaient les belles mains de mademoiselle de Brie et d’Armande Béjart, étranglent les souris, non pour les manger, car la Comédie-Française est trop riche pour nourrir ses Chats d’une manière si sauvage et si primitive, mais par amour pour les délicates sculptures et les somptueuses et amusantes étoffes.

308px-Gato_enervado_pola_presencia_dun_canCependant, à la comédie sensée et raisonnable du justicier Molière, le Chat qui, ayant été dieu, sait le fond des choses, préfère encore celle qui se joue dans la maison de Guignol, comme étant plus initiale et absolue. Tandis que le guerrier, le conquérant, le héros-monstre, le meurtrier difforme et couvert d’or éclatant, vêtu d’un pourpoint taillé dans l’azur du ciel et dans la pourpre des aurores, l’homme, Polichinelle en un mot, se sert, comme Thésée ou Hercule, d’un bâton qui est une massue, boit le vin de la joie, savoure son triomphe, et se plonge avec ravissement dans les voluptés et dans les crimes, battant le commissaire, pendant le bourreau à sa propre potence, et tirant la queue écarlate du diable ; lui, le Chat, il est là, tranquillement assis, apaisé, calme, superbe, regardant ces turbulences avec l’indifférence d’un sage, et estimant qu’elles résument la vie avec une impartialité sereine. Là, il est dans son élément, il approuve tout, tandis qu’à la Comédie-Française, il fait quelquefois de la critique, et de la meilleure. On se souvient que par amitié pour la grande Rachel, la plus spirituelle parmi les femmes et aussi parmi les hommes qui vécurent de l’esprit, la belle madame Delphine de Girardin aux cheveux d’or se laissa mordre par la muse tragique. Elle fit une tragédie, elle en fit deux, elle allait en faire d’autres ; nous allions perdre à la fois cette verve, cet esprit, ces vives historiettes, ces anecdotes sorties de la meilleure veine française, tout ce qui faisait la grâce, le charme, la séduction irrésistible de cette poétesse extra parisienne, et tout cela allait se noyer dans le vague océan des alexandrins récités par des acteurs affublés de barbes coupant la joue en deux, et tenues par des crochets qui reposent sur les oreilles. Comme personne ne songeait à sauver l’illustre femme menacée d’une tragédite chronique, le Chat y songea pour tout le monde, et se décida à faire un grand coup d’État. Au premier acte de Judith, tragédie, et précisément au moment où l’on parlait de tigres, un des Chats de la Comédie-Française (je le vois encore, maigre, efflanqué, noir, terrible, charmant !) s’élança sur la scène sans y avoir été provoqué par l’avertisseur, bondit, passa comme une flèche, sauta d’un rocher de toile peinte à un autre rocher de toile peinte, et, dans sa course vertigineuse, emporta la tragédie épouvantée, rendant ainsi à l’improvisation éblouissante, à la verve heureuse, à l’inspiration quotidienne, à l’historiette de Tallemant des Réaux merveilleusement ressuscitée, une femme qui, lorsqu’elle parlait avec Méry, avec Théophile Gautier, avec Balzac, les faisait paraître des causeurs pâles. Ce n’est aucun d’eux qui la sauva du songe, du récit de Théramène, de toute la friperie classique et qui la remit dans son vrai chemin ; non, c’est le Chat !

D’ailleurs, entre lui et les poètes, c’est une amitié profonde, sérieuse, éternelle, et qui ne peut finir. La Fontaine, qui mieux que personne a connu l’animal appelé : homme, mais qui, n’en déplaise à Lamartine, connaissait aussi les autres animaux, a peint le Chat sous la figure d’un conquérant, d’un Attila, d’un Alexandre, ou aussi d’un vieux malin ayant plus d’un tour dans son sac ; mais, pour la Chatte, il s’est contenté de ce beau titre, qui est toute une phrase significative et décisive : La Chatte métamorphosée en femme ! En effet, la Chatte est toute la femme ; elle est courtisane, si vous voulez, paresseusement étendue sur les coussins et écoutant les propos d’amour ; elle est aussi mère de famille, élevant, soignant, pomponnant ses petits, de la manière la plus touchante leur apprenant à grimper aux arbres, et les défendant contre leur père, qui pour un peu les mangerait, car en ménage, les mâles sont tous les mêmes, imbéciles et féroces. Lorsqu’à Saint-Pétersbourg, les femmes, avec leur petit museau rosé et rougi passent en calèches, emmitouflées des plus riches et soyeuses fourrures, elles sont alors l’idéal même de la femme, parce qu’elles ressemblent parfaitement à des Chattes ; elles font ron-ron, miaulent gentiment, parfois même égratignent, et, comme les Chattes, écoutent longuement les plaintes d’amour tandis que la brise glacée caresse cruellement leurs folles lèvres de rose.

180px-Chat_mi-longLe divin Théophile Gautier, qui en un livre impérissable nous a raconté l’histoire de ses Chats et de ses Chattes blanches et noires, avait une Chatte qui mangeait à table, et à qui l’on mettait son couvert. Ses Chats, très instruits comme lui, comprenaient le langage humain, et si l’on disait devant eux de mauvais vers, frémissaient comme un fer rouge plongé dans l’eau vive. C’étaient eux qui faisaient attendre les visiteurs, leur montraient les sièges de damas pourpre, et les invitaient à regarder les tableaux pour prendre patience. Ne sachant pas aimer à demi, et respectant religieusement la liberté, Gautier leur livrait ses salons, son jardin, toute sa maison, et jusqu’à cette belle pièce meublée en chêne artistement sculpté, qui lui servait à la fois de chambre à coucher et de cabinet de travail. Mais Baudelaire, après les avoir chantés dans le sonnet sublime où il dit que l’Erèbe les eût pris pour ses coursiers si leur fierté pouvait être assouplie à un joug, Baudelaire les loge plus magnifiquement encore que ne le fait son ami, comme on peut le voir dans son LIIe poème, intitulé : Le Chat.

Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu’en son appartement,
Un beau Chat, fort, doux et charmant.
Quant il miaule, on l’entend à peine,
 
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais, que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours nette et profonde.
C’est là son charme et son secret.
 
Cette voix qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Loger dans la cervelle du poète de Spleen et idéal, certes ce n’est pas un honneur à dédaigner, et je me figure que le Chat devait avoir là une bien belle chambre, discrète, profonde, avec de moelleux divans, des ors brillants dans l’obscurité et de grandes fleurs étranges ; plus d’une femme sans doute y passa et voulut y demeurer ; mais elle était accaparée pour jamais par ces deux êtres familiers et divins : la Poésie et le chat, qui sont inséparables. Et le doux être pensif et mystérieux habite aussi dans la plus secrète solitude des cœurs féminins, jeunes et vieux. Dans l’École des Femmes de Molière, lorsqu’Arnolphe revient dans sa maison, s’informe de ce qui a pu se passer en son absence et demande anxieusement : « Quelle nouvelle ? » Agnès, la naïveté, l’innocence, l’âme en fleur, encore blanche comme un lys, ne trouve que ceci à lui répondre : « Le petit Chat est mort. » De tous les évènements qui se sont succédés autour d’elle, même lorsque le rusé Amour commence à tendre autour d’elle son filet aux invisibles mailles, elle n’a retenu que cette tragédie : la mort du petit Chat, auprès de laquelle tout le reste n’est rien. Et connaissez-vous un plus beau cri envolé que celui-ci : « C’est la mère Michel qui a perdu son Chat ! » Les autres vers de la chanson peuvent être absurdes, ils le sont et cela ne fait rien ; en ce premier vers sinistre et grandiose, le poète a tout dit, et il a montré la mère Michel désespérée, tordant ses bras, privée de celui qui dans sa vie absurde représentait la grâce, la caresse, la grandeur épique, l’idéal sans lequel ne peut vivre aucun être humain. Tout à l’heure elle était la compagne de la Rêverie, du Rythme visible, de la Pensée agile et mystique ; elle n’est plus à présent qu’une ruine en carton couleur d’amadou, cuisant sur un bleuissant feu de braise un miroton arrosé de ses larmes ridicules.

Le Chat peut être représenté dans son élégante réalité par un Oudry, ou de nos jours par un Lambert ; mais il partage avec l’homme seul le privilège d’affecter une forme qui peut être miraculeusement simplifiée et idéalisée par l’art, comme l’ont montré les antiques égyptiens et les ingénieux peintres japonais. Le Rendez-vous de Chats d’Edouard Manet, donné par Champfleury dans son livre, est un chef-d’œuvre qui fait rêver. Sur un toit éclairé par la lune, le Chat blanc aux oreilles dressées dessiné d’un trait initial, et le Chat noir rassemblé, attentif, aux moustaches hérissées, dont la queue relevée en S dessine dans l’air comme un audacieux paraphe, s’observent l’un l’autre, enveloppés dans la vaste solitude des cieux. A ce moment où dort l’homme fatigué et stupide, l’extase est à eux et l’espace infini ; ils ne peuvent plus être attristés par les innombrables lieux-communs que débite effrontément le roi de la création, ni par les pianos des amateurs pour lesquels ils éprouvent une horreur sacrée, puisqu’ils adorent la musique !

La couleur du poil, qui chez le Chat sauvage est toujours la même, varie à l’infini et offre toute sorte de nuances diverses chez le Chat domestique ; cela tient à ce que, comme nous, par l’éducation il devient coloriste et se fait alors l’artisan de sa propre beauté. Une autre différence plus grave, c’est que le Chat sauvage, ainsi que l’a observé Buffon, a les intestins d’un tiers moins larges que ceux du Chat civilisé ; cette simple remarque ne contient-elle pas en germe toute la Comédie de la Vie, et ne fait-elle pas deviner tout ce qu’il faut d’audace, d’obstination, de ruse à l’habitant des villes pour remplir ces terribles intestins qui lui ont été accordés avec une générosité si prodigue, sans les titres de rente qu’ils eussent rendus nécessaires ?

Source :  BANVILLE, Théodore de (1823-1891) : Le Chat (1882).

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Jules Verne et les secrets du Bugarach – Itinéraire mystérieux de Clovis Dardentor

Posté par francesca7 le 21 novembre 2013

 

 Jules Verne et les secrets du Bugarach – Itinéraire mystérieux de Clovis Dardentor dans FONDATEURS - PATRIMOINE 220px-Jules_Verne_in_1892

 

Il est vrai que Jules Verne aimait assez choisir pour nom à ses personnages des patronymes correspondant à des noms de lieux. Cependant, sa description du capitaine commandant le navire qui emmène son héros en Algérie ne pourrait-elle pas être celle d’une montagne ? Nous verrons un peu plus loin qu’il ne s’agit pas d’un hasard. Mais auparavant, sans doute faut-il parler de certains aspects de l’œuvre de Jules Vernes généralement ignorés. Des dizaines de milliers de livres sont été écrits sur ce romancier, lu partout dans le monde. On a dit un peu tout et n’importe quoi à son sujet, le taxant tantôt d’être de droite, voire royaliste, tantôt d’être de gauche, voire anarchiste. On l’a dit homme à femmes mais aussi homosexuel. Bref, chacun s’arrange avec son Jules Vernes, ce qui au passage contribue à son universalité.

 

Un enseignement caché 

Pou l’opinion publique il est surtout un auteur pour la jeunesse et une sorte de précurseur scientifique de génie. Sans doute ces appréciations recouvrent-elles une réalité, mais très partielle. Bien sûr, Verne écrivait pour éduquer, mais pas seulement les enfants. Sans doute, la science est largement présente dans son œuvre, cependant son rôle n’a pas été d’inventer mais de prolonger les développements techniques susceptibles de se produire à partir d’inventions déjà réalisées à son époque. Par contre, il est un aspect de l’œuvre de Jules Verne dont on ne parle jamais : son aspect secret, caché, ses textes derrières le texte. Jules Verne était un grand amateur de cryptogrammes et autres jeux de mots. Il en a truffé ses ouvrages, ce qui est plus qu’aisément vérifiable, faisant de son œuvre un gigantesque message chiffré. Il a utilisé à ce propos une méthode dont la création est attribuée à Swift, l’auteur des « Voyages de Gulliver » : l’Ars punica sive flos linguarum, autrement dit la fameuse langue punique chère à l’abbé Boudet. 

Description de cette image, également commentée ci-aprèsOr, il ne s’agissait pas pour Jules Verne d’un simple amusement, même s’il dût  y prendre beaucoup de plaisir. En fait il nous laissait par ce biais de véritables messages. 

Jules Verne et la Franc-maçonnerie 

C’est ainsi que son œuvre contient de nombreuses évocations de la Franc-Maçonnerie. La construction de son roman « Les Indes Noires » est calquée sur « La flûte enchantée » l’opéra de Mozart. On peu trouver dans chaque personnage ou presque une correspondance dans l’œuvre de l’illustre musicien. Or cet opéra était un opéra maçonnique. Jules Verne a tenu dans les « Indes Noires » non seulement  à le transposer, mais à surcharger son texte d’allusions maçonniques. J’incite vivement ceux qui s’intéressent à lire ce roman. Par ailleurs, des clés maçonniques parsèment un peu toute l’œuvre de Jules Verne. Si l’on pouvait facilement se procurer des rituels et les transposer, il était beaucoup moins évident à l’époque d’accéder aux rituels des hauts grades. Pourtant on voit, dans Michel Strogoff, le héros combattre un ours au corps à corps, puis plus tard être supplicié et devenir aveugle après qu’une épée chauffée au rouge eut été placée devant ses yeux. Or, dans « La Franc Maçonnerie templière et occultiste » le Forestier écrit à propos des grades d’Elus ou de Vengeance ; « Le candidat se présentait au vénérable avec des gants maculés de rouge, déclarant que le sang qui tachait ses mains était celui de l’ours, du tigre et du lien que les criminels avaient dressés à garder l’entrée de leur repaire ; le récipiendaire consentait à mourir dans les plus terribles supplices, après que ses yeux aient été privés de la lumière par le fer route s’il violait jamais son serment de discrétion ». C’est exactement ce qui arrive à Miche Strogoff qui viole son serment de discrétion pour sauver s amère. On pourrait aligner des pages et des pages quant aux liens de l’œuvre de Jules Verne avec la Franc-Maçonnerie, mais ce n’est pas l’objet de cet article.

 

La Rose-Croix et la société angélique.

 Signalons tout de même que ses romans sont également truffés d’allusions à la Rose-Croix et, encore une fois, chacun peut le vérifier sans grande difficulté. C’st le cas dans De la Terre à la lune , Bourses de voyage  , Les enfants du Capitaine Grant  , Robur le Conquérant  , Maître du Monde   et surtout Le Tour du Monde en 80 jours , liste qui est loin d’être exhaustive.  Et puisque nous parlons du Tour du Monde, il faut indiquer au passage que ce roman marque le lien de Jules Verne avec une société initiatique fort peu connue ; la Société Angélique. Philéas Fogg, qui possède toutes les caractéristiques d’une maître Rose-Croix, évoque directement cette société mystérieuse dont le Maître-livre était Le Songe de Poliphile, ouvrage crypté de la renaissance. La société Angélique se nommait également Le Brouillard. 

Or, le valet de Philéas Fogg, Passepartout nous incite par son nom à décrypter le roman par l’intermédiaire de la langue des oiseaux. Un « passe-partout » n’est-il pas appelé aussi un rossignol, nom de l’oiseau qui annonce la lumière ? Décomposons le nom du héros Philéas Fogg. Eas, en grec revêt une notion de pluralité, d’universalité comme poli en latin. Philéas n’est donc autre que Poliphile. Tiré par les cheveux ? Alors, dites-moi pourquoi Philéas s’appelle Fogg, c’est à dire le Brouillard en anglais, comme le deuxième nom de cette société Angélique qui a le songe de Poliphile pour grimoire.

 

CLOVIS D’ARDENTOR

 Venons-en maintenant à Clovis Dardentor. Cet ouvrage est très particulier. C’est apparemment un modeste roman géographique, écrit pour nous faire découvrir l’Oranie. Oui, mais… Pour bien comprendre, il nous faut faire un petit détour par la Languedoc. Là, dans une modeste bourgade située à trente kilomètres au sud de Carcassonne, Rennes le Château, un curé a fait fortune à la fin du XIX ème siècle. Parti sans un sou, il a complètement restauré et décoré son église, construit une confortable villa, créé des jardins, fait édifier une terrasse sur rempart avec une tour de verre pour ses plantes, construit une tour néo-gothique qui lui servait de bibliothèque, et mené une vie mondaine sur fond d’invitation de divas et d’hommes politiques. Bien sûr, tout le monde s’est demandé d’où venait l’argent de l’Abbé Saunière. Trafic de messes ? L’Eglise a tenté de le coincer sur ce chapitre sans doute en partie réel. Mais surtout, l’hypothèse tenant la corde est celle de la découverte d’un trésor,. Ce trésor pourrait être celui du temple de Jérusalem, pillé par Titus en 70 après Jésus-Christ et récupéré à Rome par Alaric en 410. Autre hypothèse, un trésor appartenant aux descendants des rois mérovingiens. Pour faire court, après l’assassinat de Dagobert II, son fils Sigebert IV serait parvenu à s’échapper et se serait réfugié à Rhedae, actuel Rennes le Château, donnant une postérité à la royauté mérovingienne. Depuis, les « rejetons ardents » de cette dynastie seraient en attente d’une reconquête du pouvoir. En l’occurrence, peu importe la part de réel dans tout cela. Ce qui compte c’est que de telles croyances aient été véhiculées au XIXè siècle dans des sociétés dites initiatiques. Tous éléments que vous connaissez déjà pour la plupart d’entre vous, je n’insisterai donc pas. Rennes le Château, lieu de la survivance de la dynastie mérovingienne et abritant un trésor tel que celui du temple de Salomon, quel rapport avec Jules Verne ?

 Tout simplement : Clovis Dardentor.

 

Image illustrative de l'article Clovis Dardentor

L’or des rejetons ardents : Jules Verne a laissé dans ce roman un nombre étonnant de clés liées à cette histoire. Relevons-en quelques unes. D’abord le titre. Jules Verne ne cesse d’utiliser des jeux de mots et chez lui, un jeu de mot peut en cacher un autre. En général dans ce cas, le premier est grivois et détourne de l’idée de chercher autre chose ; en l’occurrence, Clovis Dardentor est un riche commerçant de Perpignan sans enfant et qui cherche quelqu’un à adopter pour lui laisser son héritage. Situation parfaitement résumée par le titre : Clovis Vit Dard en or, Son sexe (vit), fermé (clos) n’a pu lui assurer une descendance et pourtant ce sexe (dard) aurait pu rapporter beaucoup d’or (en or) à celle-ci. Tiré par les cheveux ? Je n’y peux rien, c’est la méthode même de  Jules Verne, mais ce que je peux dire c’est que ce type de rapprochement n’est pas fortuit (lisez l’abbé Boudet, il emploie la même méthode). Un jeu de mots en cachant un autre, découvrons le second : Clovis Dardentor : l’OR des REJETONS ARDENTS des descendants de CLOVIS (les mérovingiens). Vous n’êtes pas encore convaincus, c’est normal. Alors suivons Clovis Dardentor dan son aventure et nous verrons en chemin que tout cela est cohérent. Et c’est bien d’un secret caché et d’un trésor que Jules Verne va nous parler car, comme le dit son valet Patrice : « Monsieur avait parlé… parlé… et de choses qu’il vaux mieux taire, à mon avis, lorsqu’on ne connaît pas les gens devant qui l’on parle ».

 

Langue des oiseaux ou Gai savoir.

 

D’ailleurs, il fait des allusions semi-voilées à plusieurs reprises à des grilles de décryptage et au moyen d’opérer une triangulation pour arriver au lieu du dépôt. Clovis Dardentor s’embarque pour l’Algérie sur un bateau nommé l’Argelès, autrement dit « la voie de l’argent », celle qui amène à son héritage. Ce navire est commandé par le capitaine Bugarach. Nous avons cru que ce nom peu courant est aussi celui de la montagne principale, et, quasiment sacrée, de la région de Rennes-le Château : le Pic Bugarach. Hasard ? Sûrement pas puisque ce capitaine est décrit exactement comme une montagne. Il domine tout le paysage, il a en quelque sorte la tête dans les nuages : « Le maître après Dieu, c’une voix qui roulait entre ses dents comme la foudre entre les nuées d’orage ». De plus, au bas du pc, existe un hameau précisément nommé « Les Capitaines ». Et Verne continue, toujours en employant la langue des oiseaux, celle du Gai Savoir, comme nous l’indique Jean Taconnat, « gai comme le plus pinsonnant des pinsons », ce à quoi Clovis répond : « Ah ! Ah ! Monsieur Jean, vous avez donc repigé votre gaieté naturelle ». Comme quoi il y a effectivement quelque chose à « piger » dans une histoire. Poursuivons en 220px-Rennes_le_Chateau_Turmabrégeant la multitude d’éléments reliant Clovis Dardentor à Rennes-le-Château et à sa région. Clovis se rend à Oran (en or). Il est accompagné de Marcel Lornans (l’or est dans la mare salée). Il part de Sète et de son mont Saint-Clair (songeons à l’importance de la famille de Saint Clair ou Sinclair liée au mystère de Rennes le Château à travers la chapelle de Rosslyn) qui porte une chapelle « de la Salette ». A cette occasion, il évoque « les vastes salines du midi que borde un canal de circonvallation ». Nous verrons que jusqu’au bout cette histoire sera une histoire salée.

 

Au passage, Clovis s’arrête aux Baléares. Jules Verne insiste sur la fondation de la ville qui « datait de l’époque où les Romains occupaient l’île après l’avoir longuement disputée aux habitants déjà célèbres pour leur habileté à manier la fronde. Clovis Dardentor voulut bien admettre que le nom des Baléares, fût dû à cet exercice dans lequel s’était illustré David, de même que le pain de la journée n’était donné aux enfants qu’après qu’ils aient atteinte le but d’un coup de leur fronde ». Comment ne pas songer à ce passage du curieux ouvrage de l’abbé Boudet sur Rennes-Les bains, dans lequel, parlant de David, il écrit : « Il mit la maint dans sa panetière, il en prit une pierre, la lança avec sa fronde… ». Il y a assimilation chez l’un, comme chez l’autre, de la fronde de David et du pain, tout comme il existe, dans la région de Bugarach, à Rennes les Bains, une « pierre du pain   » ronde comme une balle de fronde. Notons au passage que l’origine du nom des Baléares donnée par Jules Verne semble bien être une pure invention de sa part. Jules Verne parle aussi du torrent de la Riena à Palma, en réalité la Riera. Pourquoi cette confusion si ce n’est pour mettre en évidence avec Riena, les deux Rennes  de l’Aude : Rennes-le Château et plus encore Rennes les Bains ?

 

DE RENNES LES BAINS AU BUGARACH

 Lorsqu’il arrive à Majorque, Clovis se rend à la cathédrale de Palma, son guide à la main. Il nous décrit la magnificence du lieu, mais oublie tout simplement de parler de deux magnifiques chaires renaissance que les guides de l’époque ne manquaient pas de signaler. Or elles sont l’œuvre d’un artiste du XVIè siècle nommé Juan de Salas. Quant au retable admiré par Clovis, il  ne peut s’agir que de celui qui, occupe le fond de la chapelle du Corpus Christi. Cette œuvre a été réalisée par Jaime Blanquer. Par ses oublis ou ses imprécisions, Jules Verne, tout en voilant le renseignement aux autres, attire l’attention de celui qui cherche sur les noms de ces artistes : Jaime Blanquer et Juan de Salas, autrement dit la Blanque et la Sals, les deux rivières naissant au Bugarach. La promenade à Palma ne cesse d’être l’occasion de faire référence à Rennes. Citons l’une d’entre elles au passage ; pour se rendre au château de Bellver, Clovis passe par le Terrento, sorte de faubourg « considéré comme une station balnéaire ». Ce calembour, car c’en est un, « terreno-balnéaire », se traduit par « sur les terres de Rennes les Bains ». C’est bien de Rennes les Bains que Jules Verne nous incite à partir pour un circuit qui précisément nous conduira au Bugarach. 220px-%27Clovis_Dardentor%27_by_L%C3%A9on_Benett_19 dans HISTOIRE DES REGIONSArrivé à Oran, Clovis décrit les lieux, évoquant les eaux du Bain de la Reine aux saveurs franchement salines à Mers el-Kébir près du ravin du Salto del Cavallo, ce qui n’étonnera pas les amateurs de l’énigme de Rennes le Château. Puis, il repère sur la carte des Chemins de Fer une « ligne rouge » (Roseline-Rouge ligne) permettant de faire un voyage circulaire en Oranie. Tout au long, Jules Verne, qui est pourtant toujours très précis dans sa documentation, accumule les erreurs sur des altitudes, la contenance de certains barrages à son époque, les chiffres de population, etc, erreurs pouvant être très grossières. A chaque fois il nous donne des indictions et des repères permettant de progresser à partir de Rennes les Bains en direction de Bugarach. Il emploi également, de nouveau sa méthode des indications par omission. C’est ainsi qu’il parle du fleuve Maeta se jetant « dans une vaste baie entre Arzeu et Mostaganem » Pourquoi diable ne désigne-t-il pas le lieu exact où se jette la fleuve ? Parce qu’il s’agit de Port aux Poules dont le nom nous ramène une fois de plus à Rennes le Château dont la seigneurie appartenait à la famille Hautpoul.

Nous pourrions aussi nous arrêter sur ce commandant Beauregard auquel Jules Verne fait allusion trois fois en deux pages, et nous demander s’il ne s’agit pas d’une allusion à ce Beauregard qui, au XVè siècle, se disait issu de Salomon, duquel naquit la seconde branche de la famille de Blanche-fort, elle-même  liée à Rennes le Château.

 

DES ERREURS OPPORTUNES

 

Je vous engage à lire Clovis Dardentor, guide de l’époque en main, et à relever les erreurs du texte. Si vous avez la curiosité de chercher au fur et à mesure des liens entre ces erreurs et des lieux de la région  de Rennes le Château, vous serez comme pris par la main et conduits au but. Par exemple lorsque Jules Verne vous fait passer par Maeta, il commet une erreur. Il s’agit en fait de Makta. De quoi se poser la question : k ou é. Or sur le chemin sur lequel Jules Verne veut nous conduire en fait, vous vous trouvez exactement à ce moment là au Caoussé. Au bout, la route que nous sommes incités à suivre aboutis tout à côté du Bugarach en un lieu nommé Les Salines. Notons les allusions répétées à des salines tout au long de l’ouvrage. Et au bout du bout, à qui revient l’héritage de Clovis ? A Louis Elissane qu’il adopte. Louise, nom dérivé, tout comme Lovis de Clovis et Elissane anagramme intéressant si l’on emploie les méthodes de Jules Verne : ELISSANE = E. SALINES, soit à l’est des salines. Là où se situe la fontaine salée autour de laquelle tournent de nombreuses histoires et légendes et qui fut l’objet d’un article dans le dernier numéro de ce magazine (SACREE PLANETE).

 

LA CAVERNE AUX TRESORS

 

Il y aurait infiniment plus à dire sur les liens entre Clovis Dardentor et le trésor de Rennes le Château, sur les allusions fort nombreuses aux Bains de Rennes, à Blanchefort, à leau salée, et même à des éléments contenus dans « La Vraie Langue celtique » de l’abbé Boudet, etc. Clovis ne nous conduit-il pas à côté de Mascara, en quelque sorte la Maison de l’Arche, dont un des quartiers, Baba-Ali ne peut qu’évoquer la caverne au trésor. Il faudrait également aller à la pêche aux renseignements dans Robur le Conquérant et Maître du Monde, entre autres. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage de Rou où celui-ci survole une partie des Etats-Unis dans un vaisseau volant : « après avoir franchi les montagnes noires couvertes de sapins et de cèdres, l’Albatros volait au-dessus de ce territoire que l’on a justement appelé les mauvaises terres du Nebraska – un chaos de collines couleur d’ocre, de morceaux de montagnes qu’on aurait laissées tomber sur le sol et qui se seraient brisées dans leur chute. De loin ces blocs prenaient les formes les plus fantaisistes. Ca et là, au milieu de cet énorme jeu d’osselets, on entrevoyait des ruines des cités du moyen âge avec forts, donjons, châteaux à mâchicoulis et à poivrières ». Avez-vous déjà vu des forts du Moyen âme aux Etats-Unis ? Par contre si vous survolez le méridien zéro du nord au sud, après avoir survolé la Montagne Noire, vous passez au-dessus de la cité de Carcassonne, des collines d’ocre des Corbières et des donjons tels que Arques et autres château dits Cathares. 

Relisez l’oeuvre de Verne avec d’autres yeux, elle vous est ouverte si vous savez voir et vous ne regretterez pas ce voyage dans le texte. En tout cas, si Jules Verne a dédié « Clovis Dardentor« , et cette seule œuvre, à ses petits-enfants, ce n’était certainement pas pour leur dédicacer un vague vaudeville. Ce roman aboutit très directement au Bugarach et à son secret qui pourrait bien être celui du « Mont Royal » de Robur, le Maître du Monde.

 

*Rennes-le-château : un site intéressant ici : http://rennes-le-chateau-archive.com/

Article de Michel Lamy paru dans le magazine SACREE PLANETE.

 

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Albert Camus : centenaire d’une naissance

Posté par francesca7 le 21 novembre 2013

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Privé d’un grand hommage national, l’écrivain qui aurait dû célébrer son centenaire ce jeudi de novembre 2013 prend sur Google la plus belle des revanches !

 

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Pour le centenaire de sa naissance, le 7 novembre 1913, Albert Camus, privé de grand hommage national pour cause de polémiques, prend sur Google sa revanche ! Le célèbre moteur de recherche consacre son Doodle à l’écrivain. Albert Camus est aussi à l’honneur sur les planches marseillaises et aixoises où sont présentées une création, L’étranger, et deux oeuvres théâtrales, Les justes et Caligula. Trois spectacles fêtent donc le philosophe. 

 

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Le premier, L’étranger, du 6 au 9 novembre au théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, est une chorégraphie inspirée du célèbre roman d’Albert Camus. Le directeur de théâtre Dominique Bluzet en a confié la réalisation à Pieter C. Scholten, chorégraphe dramaturge, et à Emio Greco, danseur et chorégraphe, qui avaient déjà adapté à la danse Théorème de Pier Paolo Pasolini, et La divine comédie de Dante. « L’étranger est un livre sur la solitude et la lumière, je me suis toujours demandé comment raconter cette histoire, difficile à monter en pièce, car le spectateur a besoin de fabriquer ses propres rêves intérieurs », dit Dominique Bluzet pour expliquer son choix de la danse. Dans ce spectacle « très lumineux », Emio Greco, accompagné d’un chanteur anonyme qui lance des appels tel un muezzin en haut d’un minaret, symbolise pour les chorégraphes « la liberté de choisir sa propre voie » dans un monde qui lui reste étranger. Un monde qui se réduit peu à peu, rétréci par des parois de lumière qui évoquent sur la scène du théâtre « le soleil de plomb » écrasant le héros, Meursault, sous la chaleur de l’été algérien.

« Poésie révolutionnaire »

Au théâtre du Gymnase à Marseille, Dominique Bluzet a choisi de présenter, du 10 au 14 décembre, la première version de Caligula, en coproduction avec l’Avant-Scène, le théâtre de Colombes (Hauts-de-Seine), où la pièce a été montée, en novembre 2011, par Stéphane Olivié-Bisson. Caligula met en scène « un homme investi du pouvoir suprême, aux frontières troubles de la divinité, qui s’acharne à vouloir atteindre l’absolu, convaincu de pouvoir l’approcher. [...] C’est une pièce de théâtre impossible racontant le dialogue d’un seul homme au-dessus du vide, n’écoutant et n’entendant rien autour. Il se donne à lui-même la réplique comme pour accélérer sa vitesse et apercevoir sa fin comme une libération », analyse le metteur en scène. Montée pour la première fois à Paris en 1945, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre, la pièce que Camus avait commencé à écrire en 1938 a été plusieurs fois remaniée par son auteur. Stéphane Olivié-Bisson a préféré la version initiale, car « à trop amender sa pièce pour prendre ses distances avec son héros, Camus a éteint une poétique première que j’ai envie de retrouver ».

Entièrement jouée en arabe, sous-titrée en français, la pièce Les justes, présentée du 18 au 20 décembre au théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, est une coproduction avec le théâtre de la Place de Liège, en Belgique, avec la collaboration d’un théâtre palestinien. « Le point de départ d’une révolution, quelle qu’elle soit, est toujours l’étouffement d’un peuple et la soumission de sa liberté par un pouvoir en place », explique le jeune metteur en scène palestinien, Mehdi Dehbi, né à Liège en 1985 et qui fait jouer deux acteurs palestiniens, une actrice syrienne et une actrice jordano-franco-irakienne. « La cause poétique m’intéresse bien plus que la cause politique. Le poète révolutionnaire aura toujours raison du monde, puisque sa lutte est morale et pacifique », explique Mehdi Dehbi pour lequel « Albert Camus est un exemple éclatant de la poésie révolutionnaire ».

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Œuvres de Camus 

 

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Le Marchand de chiens

Posté par francesca7 le 11 novembre 2013


par
Jules Janin

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Le Marchand de chiens dans ARTISANAT FRANCAIS telechargement-7

Vous avez lu sans doute les Mémoires de lord Byron : une des choses qui m’a étonné le plus dans ces étonnants Mémoires, c’est la facilité avec laquelle le noble lord renouvelle ses boule-dogues et ses lévriers à volonté. -Envoyez-moi, dit-il, un boule-dogue d’Écosse ; les boule-dogues de Venise n’ont pas les dents assez dures. Envoyez-moi un beau chien de Terre-Neuve pour le faire nager dans les lagunes. Il écrit, il donne des ordres à son intendant, comme un autre écrirait à Paris : Envoyez-moi de l’eau de fleur d’oranger ou des gants.

Si lord Byron avait eu son correspondant à Paris, ce correspondant aurait été bien embarrassé de satisfaire aux désirs de son maître : il aurait eu beau chercher dans tout Paris un boule-dogue, un lévrier, ou un chien de Terre-Neuve à acheter, je suis assuré qu’il aurait eu grand’peine à rencontrer de quoi satisfaire lord Byron, qui s’y connaissait. Dans ce Paris où tous les commerces se font en grand, même le commerce de chiffons et de ramonages à quinze sous, il n’existe pas un seul établissement où l’on puisse aller, pour son argent, demander un chien comme on le veut. En fait de marchands de chien, nous en possédons, il est vrai, quelques uns et en plein vent, fort versés dans la science de dresser des caniches et qui élèvent leurs chiens dans des cages sur le parapet du Pont-Neuf ; mais c’est là tout. Allez donc chez ces gaillards-là, une lettre en main de lord Byron, demander à acheter un boule-dogue, un lévrier, ou un chien de Terre-Neuve !

Vous voyez donc, sans que je vous le dise, que malgré toute ma bonne volonté, je ne puis vous faire ici une dissertation savante sur cette branche d’un commerce qui n’existe pas, et qui pourrait être très-florissant. Après la race humaine, ce que le Parisien néglige le plus, c’est la race canine : il est impossible de se donner moins de peine pour les uns et pour les autres ; il est impossible de mélanger les races avec plus de caprice insouciant et de hasard stupide : voilà pourquoi nous avons de très-vilains hommes et de très-vilains chiens.

Venez donc avec moi, si vous voulez voir les chiens parisiens, venez sur le Pont-Neuf, à gauche, en descendant la rue Dauphine ; quand vous aurez passé la statue de Henri IV, vous trouverez cinq à six artistes en chaussures entourés chacun de cinq ou six caniches taillés et ciselés comme le buis des jardins de Versailles. L’un porte une moustache, l’autre est dessiné en losange ; l’un est blanc, l’autre est noir ; l’un est croisé avec un griffon, l’autre est croisé avec un épagneul. Il y a quelquefois dans un seul chien dix espèces de chiens. Envoyez un de ces chiens à lord Byron, et vous verrez ce qu’il vous dira !

C’est que, pour le marchand de chiens de Paris, élever un chien, vendre un chien, ce n’est pas une spéculation : c’est un plaisir, c’est un bonheur. Le marchand de chiens à Paris est d’abord portefaix, décroteur, père de famille, et enfin marchand de chiens. Il est portefaix pour vivre ; il vend des chiens pour s’amuser : c’est un goût qui lui est venu quand soit père était portier. Le propriétaire de la maison avait tant défendu à soit père d’avoir un chien que son fils en a eu trois dès qu’il a été majeur. Pour ses chiens, il a perdu en même temps la porte et l’affection du propriétaire de son père. Zémire, que vous voyez là étendue au soleil, a empêché le mariage de soit maître avec une cuisinière, ma foi ! dont elle dévastait le garde-manger ; puis Zémire étant devenue pleine dans la rue, a mis bas dans le lit de son maître ; son maître voyant ces pauvres petits souffrants, les a élevés lui-même avec du lait, et une fois élevés, il les a vendus sur le Pont-Neuf, ou plutôt il les a placés de son mieux, tenant plus au bien-être de ses chiens qu’à son profit.

Tous les marchands de chiens de Paris ont des petits issus de Zémire et d’Azor ; regardez tous les chiens qui passent, ce sont les oreilles de Zémire, c’est la queue d’Azor, c’est la patte blanche d’Azor : ces chiens-là sont gourmands, malingres, paresseux, voraces, stupides, très-laids et très-sales ; au demeurant, les meilleurs chiens de l’univers.

J’imagine qu’au lieu de juger les hommes par les traits de leur visage ou les signes de leur écriture, on ferait mieux de les juger par leurs chiens. Le chien est le compagnon et l’ami de l’homme ; le chien est sa joie quand il est seul, c’est sa famille quand il n’a pas de famille. Le chien vous sert d’enfant, et de père, et de gardien ; il a l’oeil d’une mobilité charmante, il est arrogant, il est jaloux, il est despote, il a toutes les qualités d’un animal sociable ; il vous donne occasion très-souvent de vous imposer de ces petites privations qui coûtent peu et qui font plaisir, parce qu’elles prouvent que vous avez un coeur. Ainsi la meilleure place au coin du feu est au chien, le meilleur fauteuil de l’appartement est au chien. On sort souvent par le mauvais temps pour promener son chien; on reste chez soi pour tenir compagnie à son chien, on se réjouit avec lui, on pleure dans ses bras, on le soigne quand il est malade, on le sert dans ses amours ; c’est un sujet inépuisable de conversation avec ses voisins et ses voisines ; c’est un admirable sujet de dispute aussi. Pour un célibataire, pour le poète qui est pauvre, pour tout homme qui est seul, pour la vieille femme qui n’a plus personne à aimer, même en espoir, il n’y a plus qu’un seul secours, un seul ami, un seul camarade, un seul enfant, leur chien !

images-20 dans LITTERATURE FRANCAISE

On peut donc, à coup sûr, juger de l’homme par le chien qui le suit. S’il en est ainsi, vous aurez une bien triste idée du bourgeois de Paris en voyant les chiens qu’il achète. Pour aimer de pareils chiens, il faut avoir perdu toute idée d’élégance, toute sensation, tout odorat, tout besoin de beauté et de formes. Le caniche du Pont-Neuf est, à mon sens, une espèce de honte, pour un peuple qui a quelques prétentions artistes. Le caniche est, en effet, le fond de tous les chiens parisiens.

J’entends le caniche bâtard ; c’est un animal dont on fait tout ce qu’on veut, un domestique d’abord, et le Parisien a tant besoin de domestique, que, ne pouvant les prendre auxPetites Affiches, il en achète sur le Pont-neuf un écu. Il s’en va donc sur le Pont-Neuf, à l’heure de midi, flairant un chien, étudiant son regard, marchandant, discutant, s’en allant et revenant.

- Combien ce chien ? – Le chien qu’il achète est âgé ordinairement de trois mois ; pendant qu’il marchande, tous les connaisseurs se rassemblent autour de lui, et chacun donne son conseil. A la fin on convient du prix ; le prix ordinaire d’un caniche bâtard, plus ou moins, varie d’un écu à sept francs. Quelques-uns se vendent dix francs ; mais en ce cas-là, il faut que l’acheteur soit un maître d’armes, un employé du Mont-de-Piété, ou un commissaire de police ; pour le moins.

A peine a-t-il acheté son chien, le bourgeois de Paris remonte tout radieux à son quatrième étage. Arrivé à la porte, toute résolution lui manque, sa femme a bien juré qu’elle n’aurait plus de chien, comment faire accepter ce nouveau chien à sa femme ? A la fin il prend son parti, il ouvre la porte, il entre. -Tiens, ma femme, regarde le joli petit caniche ! La femme résiste d’abord, puis elle cède ; car le moyen de ne plus aimer, une fois qu’on a aimé, même un caniche ! Et voilà notre heureux couple qui s’occupe du charmant animal, on le blanchit, on le pare, on l’engraisse, on lui apprend à descendre dans la rue tous les matins. Ce bon ménage qui s’ennuyait tête à tête, et qui n’avait plus rien à dire ni à faire, se trouve à présent, grâce à son caniche, très-occupé, et très-heureux. Qui vous dira toute l’éducation du caniche ? Que n’apprend-on pas au caniche ? On lui apprend à rapporter d’abord, on lui apprend à fermer la porte, on lui apprend à marcher sur deux pattes, on lui apprend à faire le mort, on lui apprend à vous ôter votre chapeau quand vous entrez. C’est une plaisanterie très-agréable. Le caniche saute sur vous à quatre pattes, et vous arrache votre chapeau avec ses dents, ce qui est très-ennuyeux quand vous avez un chapeau neuf. Il y a des caniches qui font l’exercice, qui scient du bois, qui jouent à pigeon vole, qui vont chercher leur dîner chez le boucher. J’en ai connu un qui fumait une pipe très-agréablement. Le caniche est la joie de la grande propriété bourgeoise ; c’est une dépense de tous les ans assez considérable, il faut le faire tondre tous les deux mois, il faut changer de logement à peu près tous les ans, il faut être brouillé avec tous les voisins qui n’ont pas de chiens, quand on a un caniche un peu supportable.

Ce sont là de grands sacrifices, sans doute, mais comme on en est dédommagé ! quel plaisir, quand on passe dans la rue, d’entendre l’animal aboyer contre les chevaux, et de se venger sur les chevaux des autres de ceux qu’on n’a pas ! Quel bonheur, dans le bois de Romainville, de voir galoper son caniche ! ou bien de le voir nager clans la Seine, ou courir après un bâton qu’on lui jette, à la grande admiration des amateurs !

Le caniche est de tous les temps, et de tous les âges, et de tous les sexes. C’est le chien du rentier, c’est le chien du propriétaire, c’est le chien du portier surtout. Le portier ! cet être amphibie, qui est à la fois propriétaire, bourgeois, domestique : propriétaire, parce qu’il ne paie pas de loyer ; bourgeois, parce qu’il a un propriétaire ; et domestique, parce qu’il est obligé d’aimer les caniches des autres, et que rarement il peut avoir un caniche à lui.

Le caniche est le chien de l’homme et de la femme, depuis trente-cinq jusqu’à quarante-cinq ans.

Arrivé à cinquante ans, les goûts changent. Tel qui s’était fait le chien d’un caniche impétueux, hardi, ardent, ne pouvant plus suivre à la course son animal, n’est pas fâché de s’en défaire ; ce chien meurt ; alors on le remplace par un animal d’une espèce plus douce et moins fougueuse. Avant cinquante ans, c’était l’homme qui décidait du choix de son chien dans le ménage; après cinquante ans, c’est la femme qui en décide ; c’est qu’après cinquante ans, la femme aime son chien non plus pour son mari, mais pour elle-même ; et alors, aimant son chien pour elle-même, elle prend un chien d’une nature frileuse et calme, qui ne la quitte pas, qui aille d’un pas lent, et qui aime les promenades de courte haleine ; elle le veut peu libertin surtout, et peu coureur ; à cet effet, il existe en France plusieurs sortes de chiens ; le chien noir avec des taches couleur de feu ; le chien couleur de feu avec des taches noires. Sous l’empire, les vieilles femmes avaient trouvé une race de chiens admirable, et qui leur convenait parfaitement ; le carlin ! Le carlin, infect et ennuyeux, criant toujours, têtu, volontaire, délicat ; depuis l’empire, le carlin a complètement disparu de nos moeurs ; il a été remplacé par le griffon, c’est un progrès. Au reste, ce n’est pas la première fois que la France perd des races de chiens. Le petit chien de marquise, au dix-huitième siècle, tout blanc, tout soyeux, et que relevait si bien un collier en ruban rose, s’est perdu presque complètement parmi nous. Les beaux lévriers du temps de François ler se sont perdus, ou à peu près. Il n’y a, en fait de chiens, que le caniche qui soit imperdable. Le caniche est à sa race ce que le gamin de Paris est à la sienne. Toutefois, à la règle générale des caniches il y a des exceptions qui, au reste, ne font que prouver la règle, comme toutes les exceptions. Plusieurs corps de métiers se distinguent, à Paris, par le choix de leurs chiens qui n’appartiennent qu’à eux. Ainsi le boucher se fait suivre ordinairement par une vilaine et sotte espèce de boule-dogue, tout pelé, qui a l’air de dormir, et que nous n’avons pas vu une seule fois en colère, soit dit sans vouloir le chagriner. Le cocher de bonne maison se procure comme il peut, et quand il peut, un griffon anglais, tout petit, qui suit très-bien les chevaux, et qui a remplacé les grands danois d’autrefois, du temps de J.-J. Rousseau, quand il fut renversé par, ce chien danois que vous savez. Autrefois, quand les petites voitures étaient permises, il y avait à Paris de gros chiens, de gros dogues qu’on attelait en guise de cheval, et qui portaient, avec une ardeur sans pareille, leurs légumes au marché. Telles sont à peu près les seules races de chiens usitées dans cette grande capitale du monde civilisé ; vous voyez qu’il est impossible d’être plus pauvres que nous, en fait de chiens.

La révolution de juillet qui a détruit les chasses royales, a porté un coup fatal aux chiens de chasse ; les chiens de Charles X ont été vendus à vil prix, et l’on a vu les chiens du duc de Bourbon hurlant dans les carrefours après la mort de leur noble maître, comme hurlait le chien de Montargis.

Je ne veux pas cependant, tout en déplorant notre funeste insouciance, je ne veux pas passer sous silence un marché aux chiens assez curieux, et dans lequel l’affluence est assez grande pour prouver que si on voulait s’occuper d’améliorer cette belle moitié de l’homme, le chien, on en viendrait facilement à bout. Il existe au faubourg Saint-Germain, vis-à-vis le marché du même nom, une place assez étroite, dans laquelle, tous les dimanches, on amène des chiens d’une nature beaucoup supérieure aux chiens du Pont-Neuf. Ce sont des chiens de toutes sortes ; les uns sont élevés par les fermiers pour la chasse, les autres sont élevés par des gardes-chasse pour la basse-cour. Le plus grand nombre a été trouvé, dans les rues de Paris, et est destiné aux expériences médicales du quartier. J’ai fait plusieurs recherches pour savoir quelle était la profession qui élevait le plus de chiens à Paris, et j’ai découvert, non sans étonnement, que les sacristains de cathédrale étaient ceux qui envoyaient le plus de chiens au marché. Dites-moi, s’il vous plaît, pourquoi ?

Outre le marché du faubourg Saint-Germain, vous trouverez encore quelques marchands de chiens sur le boulevart des Capucines, vis-à-vis les Affaires-Étrangères. C’est là que se vendent les meilleurs chiens courants et les meilleurs bassets, soit dit sans allusion politique et sans esprit.

Cette industrie, toute négligée qu’elle est, fait vivre plusieurs établissements de médecine canine dans lesquels tous les malades sont disposés avec art, et traités avec autant de soins qu’on le ferait dans un hôpital. Le docteur, comme tous les autres, est visible depuis huit heures du matin jusqu’à deux ; le reste du temps il va en visite, avec cette seule différence qu’il est le seul médecin que paye le pauvre. Le soir, quand il est rentré, le docteur se délasse de ses travaux de la journée en empaillant quelques-uns de ses malades.

Le nombre des beaux chiens, à Paris, est fort restreint. On compte deux ou trois beaux chiens de Terre-Neuve tout au plus ; cinq ou six boule-dogues de forte race. Les plus jolis chiens qui soient en France à l’heure qu’il est, on été apportés de Grèce par notre grand poète M. de Lamartine. C’est à eux que M. de Lamartine, en quittant la France pour l’Orient, a adressé ses derniers vers. Moi qui vous parle, j’ai été trois ans à solliciter du poète un regard favorable ; il m’a enfin donné un de ses chiens, c’était le plus beau cadeau qu’il pût me faire après ses vers, et voilà pourquoi, à la place d’un article de genre que j’avais commencé, vous n’avez qu’un article didactique. Je ne comprends pas, en effet, comment on peut parler légèrement de cette amitié de toutes les heures, de tous les jours, de ce dévouement de toute la vie, de ce bonjour du matin, de ce bonsoir de la nuit, de cette famille, de tout ce bonheur domestique qu’on appelle un chien.

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LA CACOLETIÈRE par G. De Lavigne

Posté par francesca7 le 11 novembre 2013

LA CACOLETIÈRE  par  G. De Lavigne dans ARTISANAT FRANCAIS telechargement-51

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UN cheval de naissance inconnue, hors d’âge, passé de l’écurie d’un petit-maître basque au palonnier d’une diligence, et de la diligence au cacolet, les jambes faibles, les genoux couronnés ; une jeune femme court vêtue, la jambe bien faite, le pied grand, large comme il en faut pour parcourir les sables et les montagnes, le teint hâlé, le sommet de la tête couvert d’un large chapeau de paille ; un bât (pour le cheval) faiblement sanglé, vacillant sur le dos de la monture, penchant à droite et à gauche sous la moindre pression ; deux paniers peu profonds, construits en bois, en forme de cage à poulets, garnis chacun d’un coussin de paille et recouverts d’une toile à carreaux rouges et blancs qui cache le peu d’élégance des formes, le peu de solidité de la construction ; ajoutez à cela un fouet pour stimuler l’ardeur souvent éteinte de la bête, une branche de feuillage pour éloigner d’elle les moucherons ; indiquez pour fond du tableau les campagnes sablonneuses qui entourent Bayonne, ou quelque route étroite dans la montagne, voilà la cacoletière, son cacolet et la contrée qu’ils parcourent l’un avec l’autre. Pour chargement nous prendrons soit un bon négociant bayonnais  allant avec son épouse visiter quelque métairie des environs, soit deux jolies grisettes du pays basque qu’attire à Biarritz un joyeux rendez-vous, soit encore un étranger, un Parisien, car tout étranger est Parisien à Bayonne : celui-là va explorer le versant occidental des Pyrénées, et découvrir Cambo, Itxassou et l’un des pas de ce Roland qui a passé partout.

Les deux grisettes sont de poids égal : leur embarquement sera facile. Toutes deux s’élancent à la fois sur les siéges qui les attendent : les voilà parties, peu mollement assises, se laissant aller au balancement du cacolet, s’inquiétant peu du vent qui soulève leur robe déjà courte et met à découvert des jambes parfaitement modelées ; les voilà parties et les joyeux éclats que vous entendez ne cesseront pas un instant. La grisette bayonnaise est, des femmes de ce monde, la plus rieuse, la plus bruyante et pas tout à fait la plus spirituelle.

Le bon négociant et son épouse se hissent, non sans peine, sur la monture qu’ils ont choisie ; la pauvre bête plie sous le poids, le cacolet penche d’une manière inégale, la sangle tourne, madame est presque à terre, monsieur est grotesquement perché à deux mètres du sol ; mais l’industrie cacoletière sait suppléer à ce qui manque à monsieur, sans rien ôter à madame, et non pas, comme ferait Sancho, en émondant à celle-ci quelques livres de chair. Le siége de monsieur est lesté du parapluie, du cabas, des provisions du ménage ; un pavé même répartira également la charge, et si, quelque accident survenant, si, le cheval succombant, la tête de monsieur et le pavé se rencontrant, il y aura des rires et des grincements de dents.

Voilà deux convois partis par deux routes différentes : l’un marche lourdement ; la monture bronche à chaque obstacle. L’autre va bon train ; la gaieté du chargement anime le porteur mieux que ne ferait l’aiguillon, et près de chaque cheval marche ou court la cacoletière, tantôt à la tête, tantôt à la queue, fouettant d’une main, chassant les mouches de l’autre, à peine préservée des rayons du soleil par le chapeau de paille juché sur sa tête, ruisselant de sueur, et disparaissant parfois au milieu des nuages de poussière que soulèvent les pieds de sa bête et les siens. Ainsi elle accompagnera ses voyageurs, quel que soit le but de la course, quelle que soit la distance à parcourir ; et si elle n’est requise pour le retour, elle rentrera lestement à la ville, assise seule entre ses deux paniers, et toute prête à recommencer.

La cacoletière et son plaisant véhicule sont au nombre des types originaux de ce petit coin de la France qui réunit le Béarn, le Labour et le pays Basque. Très-commun dans les provinces du nord de l’Espagne, le Guipuscoa et la Navarre, le cacolet (artolas) est arrivé de ce côté-ci des Pyrénées, où il a régné en maître. Il était l’intermédiaire indispensable de toutes les correspondances : postes, diligences, il remplaçait tout ; il n’était pas une mauvaise traverse, impraticable aux voitures, voire même à ces ignobles charrettes bouvières dont l’essieu tourne en grinçant, et dont l’approche fait frissonner à mille mètres de distance, il n’était pas un sentier qu’un cacolet ne parcourût. Le cacolet était dans le pays basque le premier résultat mécanique de l’attraction, et la cacoletière l’agent des relations de ce monde. La malheureuse ! elle colportait avec elle ce poison qui doit la tuer, elle semait sur son passage cette civilisation qui a germé sur ses traces, qui, devenue plus forte qu’elle, l’étouffe en ce moment, et arrachera bientôt son dernier soupir !

Aussi cette haute vogue du cacolet, qui en faisait l’arbitre de toutes les destinées, a disparu à mesure que la lumière s’est fait jour dans ce coin de la France, à mesure que l’industrie des hommes a créé des routes, nivelé les montagnes, et dompté la mobilité des sables. La civilisation est venue à grands pas ; la cacoletière a marché en sens inverse.

Il y a dix ans, vingt ans, trente ans, alors que la cacoletière était la divinité du pays basque, le fétiche qu’on y adorait comme on adore aujourd’hui le facteur de la poste aux lettres ; il y a quelques lustres, enfin, il y avait à l’extrémité de Bayonne, dans cette enceinte formée par les fortifications de la porte d’Espagne, un long espace réservé aux cacolets. Les chevaux attendaient une charge, serrés piteusement côte à côte, et la tête vers le mur ; près de chacun les cacoletières, dans ce costume original des jeunes filles de la montagne, guettaient et attiraient le voyageur ; pas un homme ne se mêlait dans leurs rangs : – un homme conducteur de cacolet eût été une anomalie aussi grande qu’une femme sur le siége d’un fiacre ou d’un omnibus. – Quand venait le déclin du jour, la cacoletière remuait le coussin de paille de ses paniers, les recouvrait d’une toile à carreaux bien propre, ranimait Brillant, son cheval, de la voix et du geste. – Tous les chevaux de cacolet se nomment Brillant, de même que les cacoletières, Gracieuse. Si, dans le mérite égal des deux noms, il y a quelque chose qui ressemble à de l’à-propos, ce quelque chose est plutôt, je dois le dire, à l’avantage de la conductrice que de la bête. – Alors accourait toute cette joyeuse population dont elle était le guide indispensable, et qui, portée par ses cacolets, courait respirer la brise de mer sur les dunes de Biarritz, ou l’air vivifiant de la montagne à Cambo ; alors elle était en tiers dans toutes les fêtes, dans toutes les parties, dans tous les plaisirs ; elle était le confident inévitable de tout ce qui était jeune, de tout ce qui avait un coeur ; et, grand Dieu ! de combien de rendez-vous amoureux Gracieuse s’est rendue la complice ! combien de douces intrigues elle a vues se nouer aux bals où courent en foule les grisettes bayonnaises, et se dénouer vers les rochers et les sables de la Chambre d’amour !

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Aujourd’hui que la cacoletière, presque inaperçue, se débat encore dans l’enceinte de la porte d’Espagne, au milieu d’une multitude de voitures, de carrioles, de chars à bancs, d’omnibus même, ô progrès ! aujourd’hui qu’elle n’est pas tout à fait réduite à l’état de problème, ne voudrez-vous pas essayer une fois de son cacolet, et, pendant que je vous accompagnerai pas à pas, vous traîner avec elle à la suite de ce flot de tristes équipages qui inondent les routes voisines, étonnées de tant de tumulte ? Biarritz est au bout de la course, Biarritz, le paradis terrestre, les Champs Élysées de la vie bayonnaise ; c’est jour de fête et jour d’été, la ville est déserte ; et, voyez, la cacoletière est jolie ; dans son gracieux patois elle invite au voyage et son cheval et vous : Moussu ! boulets ana enta Biarritz ? per bin sos, n’es pas ca ! Monsieur, voulez-vous aller à Biarritz ? pour vingt sous, ce n’est pas cher ! Anem, partim Brillant, per ana proumenat aou coustat de le ma. Allons, partons, Brillant, pour aller promener du côté de la mer. Laissez-vous séduire : cinq kilomètres à parcourir en une heure, ce sera chose faite ; hâtez-vous, dans dix ans, que dis-je ? dans deux ans, peut-être, la cacoletière ne sera plus ! Hissez-vous à sa gauche, partagez avec elle la charge de Brillant, tenez-vous ferme, et ne craignez rien. Soyez sage, surtout ; que les beaux yeux, l’air agaçant, la parole hardie de votre conductrice, qu’un instant de solitude au milieu de la campagne d’Anglet, ne vous tentent pas, ne vous séduisent pas : la cacoletière n’entend jamais la plaisanterie au grand jour ; et si, quittant subitement son siége pour échapper à vos atteintes, elle vous abandonnait seul et sans balancier sur la moitié du bât que vous occupez, vous mordriez à l’instant la poussière, à votre honte et à sa grande hilarité.

Laissons aller la foule, rien ne nous presse ; quittons un instant la route qu’elle suit, et prenons cet étroit sentier qui aboutit à un autre point de la plage, entre Biarritz et l’embouchure de l’Adour : là est une crique célèbre dans l’histoire amoureuse du pays. Il y a longtemps, bien longtemps, dans une grotte au pied de la falaise s’étaient réunis une jeune fille, la plus jolie des cacoletières, un jeune garçon, le plus hardi des pêcheurs de la côte. Tous deux étaient arrivés à l’heure de la basse mer, et tous deux s’étaient endormis et rêvaient le bonheur. Le temps fuyait, l’horizon était sombre, les barques rentraient au rivage, la mer grondait et montait. Les pauvres enfants dormaient toujours. Enfin un flot roule à leurs pieds, et les couvre d’écume. Ils s’éveillent : hélas ! que devenir ? Le retour sur la falaise était impossible ; les vagues déferlaient à six pieds au-dessus du sentier qu’ils avaient suivi… Nul n’entendit leurs cris de désespoir ; la mer monta, monta toujours, gronda toute la nuit, et le lendemain il y avait un rameur de moins à la pêche du thon dans le golfe, un cacolet de moins à la porte d’Espagne !

Malgré ce triste souvenir, la Chambre d’amour est encore un lieu d’amoureux rendez-vous : la grotte est depuis longtemps comblée par les sables ; mais deux auberges se sont élevées près de la tombe de Gracieuse la cacoletière, et il n’est pas dans toute la ville une jeune fille qui ne les connaisse, un cheval du nom de Brillant qui n’y soit venu. Hélas ! est-ce un triste pressentiment ? est-ce un instant de seconde vue ? là-bas, près de la grotte célèbre, sur les sables qu’abandonne le reflux, il me semble voir une place réservée à la dernière des Gracieuse, au dernier des Brillant, au dernier des cacolets….. Dieu ne le veuille pas !…… L’heure de la cacoletière serait-elle sitôt venue ?

Et maintenant, anem, moussu, il se fait tard ; la foule se presse à Biarritz. Il semble que de là-bas les flots nous apportent quelque bruit d’orchestre et de danse : courez, avant la nuit, étudier, et prendre votre part de plaisir ; Gracieuse et Brillant vous attendent, adieu ! Reprenez votre siége aérien, causez avec votre conductrice de ce que vous venez de voir ; et, si vous n’êtes pas trop attristé de notre pèlerinage à la Chambre d’amour, si votre imagination est excitée par quelque amoureux souvenir, si, protégé par l’ombre du soir, vous voulez courir les chances d’une chute sur les sables, allez, et que Dieu vous conduise !   

Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 

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L’Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly

Posté par francesca7 le 7 novembre 2013

 

Description de cette image, également commentée ci-après

Jules Barbey d'Aurevilly

 

[…] La lande de Lessay est une des plus considérables de cette portion de la Normandie qu’on appelle la presqu’île du Cotentin. Pays de culture, de vallées fertiles, d’herbages verdoyants, de rivières poissonneuses, le Cotentin, cette Tempé de la France, cette terre grasse et remuée, a pourtant, comme la Bretagne, sa voisine, la Pauvresse-aux-Genêts, de ces parties stériles et nues où l’homme passe et où rien ne vient, sinon une herbe rare et quelques bruyères bientôt desséchées. Ces lacunes de culture, ces places vides de végétation, ces têtes chauves pour ainsi dire, forment d’ordinaire un frappantcontraste avec les terrains qui les environnent. Elles sont à ces pays cultivés des oasis arides, comme il y a dans les sables du désert des oasis de verdure. Elles jettent dans ces paysages frais, riants et féconds, de soudaines interruptions de mélancolie, des airs soucieux, des aspects sévères. Elles les ombrent d’une estompe plus noire… Généralement ces landes ont un horizon assez borné. Le voyageur, en y entrant, les parcourt d’un regard et en aperçoit la limite. De partout, les haies des champs labourés les circonscrivent. Mais, si, par exception, on en trouve d’une vaste largeur de circuit, on ne saurait dire l’effet qu’elles produisent sur l’imagination de ceux qui les traversent, de quel charme bizarre et profond elles saisissent les yeux et le cœur. Qui ne sait le charme des landes ?… Il n’y a peut-être que les paysages maritimes, la mer et ses grèves, qui aient un caractère aussi expressif et qui vous émeuvent davantage. Elles sont comme les lambeaux, laissés sur le sol, d’une poésie primitive et sauvage que la main et la herse de l’homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour sous le souffle de l’industrialisme moderne ; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine. Asservie aux idées de rapport, la société, cette vieille ménagère qui n’a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l’esprit, cette poésie de l’âme qu’elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu’elle n’admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l’apparente inutilité des choses. Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n’aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l’imagination puisse poser son pied pour rêver, comme le héron sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l’épais génie des aises physiques qu’on prend pour de la civilisation et du progrès, il n’y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire, si la sagesse de notre temps veut bien nous permettre de la raconter.

L’Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly dans LITTERATURE FRANCAISE 220px-Barbey25C’était cette double poésie de l’inculture du sol et de l’ignorance de ceux qui la hantaient qu’on retrouvait encore, il y a quelques années, dans la sauvage et fameuse lande de Lessay. Ceux qui y sont passés alors pourraient l’attester. Placé entre la Haie-du-Puits et Coutances, ce désert normand, où l’on ne rencontrait ni arbres, ni maisons, ni haies, ni traces d’homme ou de bêtes que celles du passant ou du troupeau du matin dans la poussière, s’il faisait sec, ou dans l’argile détrempée du sentier, s’il avait plu, déployait une grandeur de solitude et de tristesse désolée qu’il n’était pas facile d’oublier. La lande, disait-on, avait sept lieues de tour. Ce qui est certain, c’est que, pour la traverser en droite ligne, il fallait à un homme à cheval et bien monté plus d’une couple d’heures. Dans l’opinion de tout le pays, c’était un passage redoutable. Quand de Saint-Sauveur-le-Vicomte, cette bourgade jolie comme un village d’Écosse et qui a vu Du Guesclin défendre son donjon contre les Anglais, ou du littoral de la presqu’île, on avait affaire à Coutances et que, pour arriver plus vite, on voulait prendre la traverse, car la route départementale et les voitures publiques n’étaient pas de ce côté, on s’associait plusieurs pour passer la terrible lande ; et c’était si bien en usage qu’on citait longtemps comme des téméraires, dans les paroisses, les hommes, en très petit nombre, il est vrai, qui avaient passé seuls à Lessay de nuit ou de jour.

On parlait vaguement d’assassinats qui s’y étaient commis à d’autres époques. Et vraiment un tel lieu prêtait à de telles traditions. Il aurait été difficile de choisir une place plus commode pour détrousser un voyageur ou pour dépêcher un ennemi, L’étendue, devant et autour de soi, était si considérable et si claire qu’on pouvait découvrir de très loin, pour les éviter ou les fuir, les personnes qui auraient pu venir au secours des gens attaqués par les bandits de ces parages, et, dans la nuit, un si vaste silence aurait dévoré tous les cris qu’on aurait poussés dans son sein. Mais ce n’était pas tout.

Si l’on en croyait les récits des charretiers qui s’y attardaient, la lande de Lessay était le théâtre des plus singulières apparitions. Dans le langage du pays, il y revenait. Pour ces populations musculaires, braves et prudentes, qui s’arment de précautions et de courage contre un danger tangible et certain, c’était là le côté véritablement sinistre et menaçant de la lande, car l’imagination continuera d’être, d’ici longtemps, la plus puissante réalité qu’il y ait dans la vie des hommes. Aussi cela seul, bien plus que l’idée d’une attaque nocturne, faisait trembler le pied de frêne dans la main du plus vigoureux gaillard qui se hasardait à passer Lessay, à la tombée. Pour peu surtout qu’il se fût amusé autour d’une chopine ou d’un pot, au Taureau rouge, un cabaret d’assez mauvaise mine qui se dressait, sans voisinage, sur le nu de l’horizon, du côté de Coutances, il n’était pas douteux que le compère ne vît dans le brouillard de son cerveau et les tremblantes lignes de ces espaces solitaires, nués des vapeurs du soir ou blancs de rosée, de ces choses qui, le lendemain, dans ses récits, devaient ajouter à l’effrayante renommée de ces lieux déserts. L’une des sources, du reste, les plus intarissables des mauvais bruits, comme on disait, qui couraient sur Lessay et les environs, c’était une ancienne abbaye que la Révolution de 1789 avait détruite et qui, riche et célèbre, était connue à trente lieues à la ronde sous le nom de l’abbaye de Blanchelande. Fondée au douzième siècle par le favori d’Henri II, roi d’Angleterre, le Normand Richard de La Haye, et par sa femme, Mathilde de Vernon, cette abbaye, voisine de Lessay et dont on voyait encore les ruines il y a quelques années, s’élevait autrefois dans une vallée spacieuse, peu profonde, close de bois, entre les paroisses de Varenguebec, de Lithaire et de Neufmesnil. Les moines qui l’avaient toujours habitée étaient de ces puissants chanoines de l’ordre de Saint-Norbert qu’on appelait plus communément Prémontrés. Quant au nom si pittoresque, si poétique et presque virginal de l’abbaye de Blanchelande, – le nom, ce dernier soupir qui reste des choses ! – les antiquaires ne lui donnent, hélas ! que les plus incertaines étymologies. Venait-il de ce que les terres qui entouraient l’abbaye avaient pour fond une pâle glaise, ou des vêtements blancs des chanoines, ou des toiles qui devaient devenir le linge de la communauté et qu’on étendait autour de l’abbaye, sur les terrains qui en étaient les dépendances, pour les blanchir à la rosée des nuits ? Quoi qu’il en fût à cet égard, si on en croyait les irrévérencieuses chroniques de la contrée, le monastère de Blanchelande n’avait jamais eu de virginal que son nom. On racontait tout bas qu’il s’y était passé d’effroyables scènes quelques années avant que la Révolution éclatât. Quelle créance pouvait-on donner à de tels récits ? Pourquoi les ennemis de l’Église, qui avaient besoin de motifs pour détruire les monuments religieux d’un autre âge, n’auraient-ils pas commencé à démolir par la calomnie ce qu’ils devaient achever avec la hache et le marteau ? Ou bien, en effet, en ces temps où la foi fléchissait dans le cœur vieilli des peuples, l’incrédulité avait-elle fait réellement germer la corruption dans ces asiles consacrés aux plus saintes vertus ? Qui le savait ? Personne. Mais toujours est-il que, faux ou vrais, ces prétendus scandales aux pieds des autels, ces débordements cachés par le cloître, ces sacrilèges que Dieu avait enfin punis par un foudroiement social plus terrible que la foudre de ses nuées, avaient laissé, à tort ou à raison, une traînée d’histoires dans la mémoire des populations, empressées d’accueillir également, par un double instinct de la nature humaine, tout ce qui est criminel, dépravé, funeste, et tout ce qui est merveilleux.

220px-Barbey_Tassaert dans LITTERATURE FRANCAISEIl y a déjà quelques années, je voyageais dans ces parages, dont j’aurais tant voulu faire comprendre le saisissant aspect au lecteur. Je revenais de Coutances, une ville morne, quoique épiscopale, aux rues humides et étroites, où j’avais été obligé de passer plusieurs jours, et qui m’avait prédisposé peut-être aux profondes impressions du paysage que je parcourais. Mon âme s’harmonisait parfaitement alors avec tout ce qui sentait l’isolement et la tristesse. On était en octobre, cette saison mûre qui tombe dans la corbeille du temps comme une grappe d’or meurtrie par sa chute, et, quoique je sois d’un tempérament peu rêveur, je jouissais pleinement de ces derniers et touchants beaux jours de l’année où la mélancolie a ses ivresses. Je m’intéressais à tous les accidents de la route que je suivais. Je voyageais à cheval, à la manière des coureurs de chemins de traverse. Comme je ne haïssais pas le clair de lune et l’aventure, en digne fils des Chouans, mes ancêtres, j’étais armé autant que Surcouf le Corsaire, dont je venais de quitter la ville, et peu me chalait de voir tomber la nuit sur mon manteau ! Or, justement quelques minutes avant le chien-et-loup, qui vient bien vite, comme chacun sait, dans la saison d’automne, je me trouvai vis-à-vis du cabaret du Taureau rouge, qui n’avait de rouge que la couleur d’ocre de ses volets, et, qui, placé à l’orée de la lande de Lessay, semblait, de ce côté, en garder l’entrée. Étranger, quoique du pays, que j’avais abandonné depuis longtemps, mais passant pour la première fois dans ces landes, planes comme une mer de terre, où parfois les hommes qui les parcourent d’habitude s’égarent quand la nuit est venue, ou, du moins, ont grand’peine à se maintenir dans leur chemin, je crus prudent de m’orienter avant de m’engager dans la perfide étendue et de demander quelques renseignements sur le sentier que je devais suivre. Je dirigeai donc mon cheval sur la maison de chétive apparence que je venais d’atteindre et dont la porte, surmontée d’un gros bouchon d’épines flétries, laissait passer le bruit de quelques rudes voix appartenant sans doute aux personnes qui buvaient et devisaient dans l’intérieur de la maison. Le soleil oblique du couchant, deux fois plus triste qu’à l’ordinaire, car il marquait deux déclins, celui du jour et celui de l’année, teignait d’un jaune soucieux cette chaumière, brune comme une sépia, et dont la cheminée à moitié croulée envoyait rêveusement vers le ciel tranquille la maigre et petite fumée bleue de ces feux de tourbe que les pauvres gens recouvrent avec des feuilles de chou pour en ralentir la consomption trop rapide. J’avais, de loin, aperçu une petite fille en haillons, qui jetait de la luzerne à une vache attachée par une corde de paille tressée au contrevent du cabaret, et je lui demandai, en m’approchant d’elle, ce que je désirais savoir. Mais l’aimable enfant ne jugea point à propos de me répondre, ou peut-être ne me comprit-elle pas, car elle me regarda avec deux grands yeux gris, calmes et muets comme deux disques d’acier, et, me montrant le talon de ses pieds nus, elle rentra dans la maison en tordant son chignon couleur de filasse sur sa tête, d’où il s’était détaché pendant que je lui parlais. Prévenue sans doute par la sauvage petite créature, une vieille femme, verte et rugueuse comme un bâton de houx durci au feu (et pour elle ç’avait été peut-être le feu de l’adversité), vint au seuil et me demanda qué que j’voulais, d’une voix traînante et hargneuse.

Et moi, comme je me savais en Normandie, le pays de la terre où l’on entend le mieux les choses de la vie pratique et où la politique des intérêts domine tout à tous les niveaux, je lui dis de donner une bonne mesure d’avoine à mon cheval et de l’arroser d’une chopine de cidre, et qu’après je lui expliquerais mieux ce que j’avais à lui demander. La vieille femme obéit avec la vitesse de l’intérêt excité. Sa figure rechignée et morne se mit à reluire comme un des gros sous qu’elle allait gagner. Elle apporta l’avoine dans une espèce d’auge en bois, montée sur trois pieds boiteux ; mais elle ne comprit pas que le cidre, fait pour un chrétian, fût la bâisson d’oune animâ. Aussi fus-je obligé de lui répéter l’ordre de m’apporter la chopine que j’avais demandée, et je la versai sur l’avoine qui remplissait la mangeoire, à son grand scandale apparemment, car elle fit claquer l’une contre l’autre ses deux mains larges et brunes, comme deux battoirs qui auraient longtemps séjourné dans l’eau d’un fossé, et murmura je ne sais quoi dans un patois dont l’obscurité cachait peut-être l’insolence.

« Eh bien ! la mère, – lui dis-je en regardant manger mon cheval, – vous allez me dire à présent quel chemin je dois suivre pour arriver à la Haie-du-Puits dans la nuit et sans m’égarer. »

Alors elle allongea son bras sec, et, m’indiquant la ligne qu’il fallait suivre, elle me donna une de ces explications compliquées, inintelligibles, où la malice narquoise du paysan, qui prévoit les embarras d’autrui et qui s’en gausse par avance, se mêle à l’absence de clarté qui distingue les esprits grossiers et naturellement enveloppés des gens de basse classe. [ …]

 

Extrait de  L’Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly

Aux éditions Alphonse Lemerre, Publication 1916 (pp. 1-16).:  Lieu d’édition : Paris Chapitre : I.

 

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Les Filles du feu de Gérard de Nerval

Posté par francesca7 le 7 novembre 2013

 Gérard de Nerval

En 1854.

I. – Nuit Perdue

Je sortais d’un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avant-scènes en grande tenue de soupirant. Quelquefois tout était plein, quelquefois tout était vide. Peu m’importait d’arrêter mes regards sur un parterre peuplé seulement d’une trentaine d’amateurs forcés, sur des loges garnies de bonnets ou de toilettes surannées, — ou bien de faire partie d’une salle animée et frémissante couronnée à tous ses étages de toilettes fleuries, de bijoux étincelants et de visages radieux. Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m’arrêtait guère, — excepté lorsqu’à la seconde ou à la troisième scène d’un maussade chef-d’œuvre d’alors, une apparition bien connue illuminait l’espace vide, rendant la vie d’un souffle et d’un mot à ces vaines figures qui m’entouraient. Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me remplissait d’une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d’amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices, — belle comme le jour aux feux de la rampe qui l’éclairait d’en bas, pâle comme la nuit, quand la rampe baissée la laissait éclairée d’en haut sous les rayons du lustre et la montrait plus naturelle, brillant dans l’ombre de sa seule beauté, comme les Heures divines qui se découpent, avec une étoile au front, sur les fonds bruns des fresques d’Herculanum !

Depuis un an, je n’avais pas encore songé à m’informer de ce qu’elle pouvait être d’ailleurs ; je craignais de troubler le miroir magique qui me renvoyait son image, – et tout au plus avais-je prêté l’oreille à quelques propos concernant non plus l’actrice, mais la femme. Je m’en informais aussi peu que des bruits qui ont pu courir sur la princesse d’Elide ou sur la reine de Les Filles du feu de Gérard de Nerval dans LITTERATURE FRANCAISE 180px-Rue-de-la-Vieille-LanterneTrébizonde, – un de mes oncles, qui avait vécu dans les avant-dernières années du XVIII° siècle, comme il fallait y vivre pour le bien connaître, m’ayant prévenu de bonne heure que les actrices n’étaient pas des femmes, et que la nature avait oublié de leur faire un cœur. Il parlait de celles de ce temps-là sans doute ; mais il m’avait raconté tant d’histoires de ses illusions, de ses déceptions, et montré tant de portraits sur ivoire, médaillons charmants qu’il utilisait depuis à parer des tabatières, tant de billets jaunis, tant de faveurs fanées, en m’en faisant l’histoire et le compte définitif, que je m’étais habitué à penser mal de toutes sans tenir compte de l’ordre des temps. Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui d’ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes. Ce n’était plus la galanterie héroïque comme sous la Fronde, le vice élégant et paré comme sous la Régence, le scepticisme et les folles orgies du Directoire ; c’était un mélange d’activité, d’hésitation et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou religieuses, d’enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de renaissance ; d’ennuis des discordes passées, d’espoirs incertains, – quelque chose comme l’époque de Pérégrinus et d’Apulée. L’homme matériel aspirait au bouquet de roses qui devait le régénérer par les mains de la belle Isis ; la déesse éternellement jeune et pure nous apparaissait dans les nuits, et nous faisait honte de nos heures de jour perdues. 

L’ambition n’était cependant pas de notre âge, et l’avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs nous éloignait des sphères d’activité possibles. Il ne nous restait pour asile que cette tour d’ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule. À ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l’air pur des solitudes, nous buvions l’oubli dans la coupe d’or des légendes, nous étions ivres de poésie et d’amour. Amour, hélas ! des formes vagues, des teintés roses et bleues, des fantômes métaphysiques ! Vue de près, la femme réelle révoltait notre ingénuité ; il fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas approcher.

Quelques-uns d’entre nous néanmoins prisaient peu ces paradoxes platoniques, et à travers nos rêves renouvelés d’Alexandre agitaient parfois la torche des dieux souterrains, qui éclaire l’ombre un instant de ses traînées d’étincelles. - C’est ainsi que, sortant du théâtre avec l’amère tristesse que laisse un songe évanoui, j’allais volontiers me joindre à la société d’un cercle où l’on soupait en grand nombre, et où toute mélancolie cédait devant la verve intarissable de quelques esprits éclatants, vifs, orageux, sublimes parfois, – tels qu’il s’en est trouvé toujours dans les époques de rénovation ou de décadence, et dont les discussions se haussaient à ce point que les plus timides d’entre nous allaient voir parfois aux fenêtres si les Huns, les Turcomans ou les Cosaques n’arrivaient pas enfin pour couper court à ces arguments de rhéteurs et de sophistes.

« Buvons, aimons, c’est la sagesse ! » Telle était la seule opinion des plus jeunes. Un de ceux-là me dit : « Voici bien longtemps que je te rencontre dans le même théâtre, et chaque fois que j’y vais. Pour laquelle y viens-tu ? »

Pour laquelle ?… Il ne me semblait pas que l’on pût aller là pour une autre. Cependant j’avouai un nom. — « Eh bien ! dit mon ami avec indulgence, tu vois là-bas l’homme heureux qui vient de la reconduire, et qui, fidèle aux lois de notre cercle, n’ira la retrouver peut-être qu’après la nuit. »

180px-gerard_de_nerval_-_lautre dans LITTERATURE FRANCAISESans trop d’émotion, je tournai les yeux vers le personnage indiqué. C’était un jeune homme correctement vêtu, d’une figure pâle et nerveuse, ayant des manières convenables et des yeux empreints de mélancolie et de douceur. Il jetait de l’or sur une table de whist et le perdait avec indifférence. « Que m’importe, dis-je, lui ou tout autre ? Il fallait qu’il y en eût un, et celui-là me paraît digne d’avoir été choisi. — Et toi ? — Moi ? C’est une image que je pour-suis, rien de plus. »

En sortant, je passai par la salle de lecture, et machinalement je regardai un journal. C’était, je crois, pour y voir le cours de la Bourse. Dans les débris de mon opulence se trouvait une somme assez forte en titres étrangers. Le bruit avait couru que, négligés longtemps, ils allaient être reconnus ; – ce qui venait d’avoir lieu à la suite d’un changement de ministère. Les fonds se trouvaient déjà cotés très haut ; je redevenais riche.

Une seule pensée résulta de ce changement de situation, celle que la femme aimée si longtemps était à moi si je voulais. – Je touchais du doigt mon idéal. N’était-ce pas une illusion encore, une faute d’impression railleuse ? Mais les autres feuilles parlaient de même. – La somme gagnée se dressa devant moi comme la statue d’or de Moloch. « Que dirait maintenant, pensais-je, le jeune homme de tout à l’heure si j’allais prendre sa place près de la femme qu’il a laissée seule ?… » Je frémis de cette pensée, et mon orgueil se révolta.

Non ! ce n’est pas ainsi, ce n’est pas à mon âge que l’on tue l’amour avec de l’or : je ne serais pas un corrupteur. D’ailleurs ceci est une idée d’un autre temps. Qui me dit aussi que cette femme soit vénale ? – Mon regard parcourait vaguement le journal que je tenais encore, et j’y lus ces deux lignes : « Fête du Bouquet provincial. - Demain, les archers de Senlis doivent rendre le bouquet à ceux de Loisy. » Ces mots, fort simples, réveillèrent en moi toute une nouvelle série d’impressions : c’était un souvenir de la province depuis longtemps oubliée, un écho lointain des fêtes naïves de la jeunesse. – Le cor et le tambour résonnaient au loin dans les hameaux et dans les bois ; les jeunes filles tressaient des guirlandes et assortissaient, en chantant, des bouquets ornés de rubans. – Un lourd chariot, traîné par des bœufs, recevait ces présents sur son passage, et nous, enfants de ces contrées, nous formions le cortège avec nos arcs et nos flèches, nous décorant du titre de chevaliers, – sans savoir alors que nous ne faisions que répéter d’âge en âge une fête druidique survivant aux monarchies et aux religions nouvelles.

Les Filles du feu, de Gérard de Nerval aux éditions Michel Lévy frères, 1856 (pp. 111-154).

 

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L’ARCHIPEL GALAPAGOS en 1858

Posté par francesca7 le 7 novembre 2013

VOYAGES D’UN NATURALISTE

(CHARLES DARWIN).

L’ARCHIPEL GALAPAGOS ET LES ATTOLES OU ÎLES DE CORAUX.

1858. — INÉDIT. 

Extrait : L’ARCHIPEL GALAPAGOS.

Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L’île Châtain. — Colonie de l’île Charles. — L’île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d’îles. — Mammifères ; souris indigène. — Ornithologie ; familiarité des oiseaux ; terreur de l’homme, instinct acquis. — Reptiles ; tortues de terre ; leurs habitudes.

 L’ARCHIPEL GALAPAGOS en 1858 dans LITTERATURE FRANCAISE charles_darwin_01

(Lors du voyage de circumnavigation entrepris par le vaisseau de Sa Majesté britannique le Beagle, en 1838, sous les ordres du capitaine Fitz Roy, M. G. Darwin offrit son concours pour la partie scientifique, et spécialement pour les recherches d’histoire naturelle et de géologie. Agréé par l’Amirauté, il fit partie de l’expédition, et publia sous forme de journal, à son retour, les nombreuses observations qu’il avait recueillies, et qui font autorité dans le monde savant. Il a exploré la plus grande partie de l’archipel Galapagos, peu connu jusque-là, et en a signalé le premier les singulières particularités. Ce chapitre et celui où il décrit et explique la formation des atolls où îles de coraux de l’océan Pacifique, sont parmi les plus intéressants d’un livre qui abonde en faits curieux. M. Darwin ne se contente pas d’observer la surface des choses : il les approfondit, les rapproche, les compare, et, aidé de sa science et de sa perspicacité, en tire les inductions les plus lumineuses. Ce caractère particulier de son talent fait de lui un observateur hors ligne, et conserve à son ouvrage tout l’attrait de la nouveauté.)

220px-HMS_Beagle_by_Conrad_Martens dans LITTERATURE FRANCAISE« L’archipel Galapagos consiste en dix principales îles, dont cinq de plus grandes dimensions que les autres. Elles sont situées sous l’équateur à environ six cents milles à l’ouest des côtes de l’Amérique du Sud . Toutes sont formées de rocs volcaniques. Quelques fragments de granit, altérés et en partie vitrifiés par la chaleur, peuvent à peine faire exception. Plusieurs des cratères qui dominent les plus grandes îles sont immenses et s’élèvent à plus de mille mètres. Sur leurs flancs s’ouvrent d’innombrables orifices. Je n’hésite pas à affirmer qu’il doit y avoir dans tout l’archipel au moins deux mille cratères. Ils se composent de laves et de scories, ou de couches de tuf finement stratifié ayant l’aspect du grès : ces couches, d’une symétrie admirable, ont eu pour origine des éruptions de boue volcanique, sans mélange de lave. Une circonstance remarquable, c’est que les lèvres ou bords de chacun des vingt-huit cratères qui ont été explorés, s’abaissent brusquement au sud ; parfois ils sont tout à fait brisés et font brèche. Comme tous ces cratères se sont probablement formés dans la mer, et que les vagues poussées par les vents alizés et les grosses houles de l’océan Pacifique réunissent leurs forces sur les côtes méridionales des îles, cette singulière uniformité de brisure, dans des cratères composés d’un tuf friable, s’explique aisément. Quoique cet archipel soit placé directement sous l’Équateur, le climat est loin d’y être aussi chaud qu’il l’est en général sous cette latitude, ce qui semble dû en partie à la température singulièrement basse des eaux qu’amène là le grand courant du pôle austral. Il ne tombe de pluie dans les îles que pendant une courte saison, et encore rarement et avec irrégularité. Aussi les régions inférieures sont-elles très-stériles, tandis qu’à une hauteur de trois à quatre cents mètres l’air est humide et la végétation passablement abondante, surtout dans les parties sous le vent qui, les premières, reçoivent et condensent l’humidité de l’atmosphère.

Le 17 septembre, au matin, nous abordâmes dans l’île Chatam. Son profil se dessine arrondi et peu accentué, brisé çà et là par des monticules, débris d’anciens volcans. Rien de moins attrayant que le premier aspect. Un noir chaos de laves basaltiques, jeté au milieu de vagues furieuses, couvert de broussailles rabougries donnant à peine signe de vie. Le sol, desséché sous l’ardeur du soleil de midi, embrasait l’air étouffé et suffocant comme l’haleine d’une fournaise. Les arbustes mêmes nous semblaient exhaler une senteur désagréable. Quoique je fisse diligence pour recueillir le plus de plantes possible, je n’en réunis que fort peu, si petites et si misérables qu’elles eussent mieux figuré dans une flore arctique que dans celle de l’Équateur. À très-peu de distance les buissons paraissaient aussi nus que nos arbres en hiver, et je fus quelque temps à découvrir que non-seulement presque chaque plante avait toutes ses feuilles, mais que la plupart étaient en fleurs. L’arbuste le plus commun est du genre des euphorbiacées : un acacia et un grand cactus d’un port bizarre, sont les seuls arbres qui fournissent un peu d’ombre. Après la saison des pluies la verdure se montre sur quelques points, mais pour disparaître bientôt. Le Beagle fit le tour de l’île Chatam et jeta l’ancre dans plusieurs baies. Une nuit, je couchai surun rivage où s’élevaient d’innombrables cônes, noirs et tronqués. Du sommet d’une petite éminence, j’en comptai soixante, tous terminés par un cratère plus ou moins parfait, composé souvent d’un simple cercle de scories rouges cimentées ensemble. Ils ne dépassaient la plaine de lave que de vingt à trente mètres ; aucun n’avait été très-récemment actif. La montagne, indiquée dans le dessin ci-dessous, a 1000 à 1200 mètres de haut. C’est un volcan à cime plate, avec de récentes coulées de lave sur les flancs supérieurs : la base est parsemée de petits cratères. La surface entière de l’île semble avoir été perforée comme un crible par des vapeurs souterraines. La lave, soulevée dans son état fluide, a formé çà et là de gigantesques boursouflures. Ailleurs, les cimes de cavernes de semblable formation se sont affaissées laissant béantes des fosses circulaires à bords escarpés. La coupe régulière de ces nombreux cratères donnait au pays un aspect artificiel qui me rappela vivement les parties du Staffordshire où abondent les fonderies de fer. Le jour était d’une chaleur brûlante, et c’était un rude labeur que de gravir à travers un labyrinthe de broussailles ce sol inégal et tranchant, mais je fus bien récompensé de ma peine par l’étrangeté de ce site cyclopéen. Je rencontrai dans ma course deux grosses tortues de terre, pesant bien au moins chacune cent kilogrammes. L’une d’elles mangeait un morceau de cactus ; à mon approche elle leva la tête, me regarda et s’éloigna avec une majestueuse lenteur ; l’autre poussa un sifflementaigu, et retira sa tète sous sa carapace. Ces énormes reptiles, encadrés de lave noire, de broussailles nues, de grands cactus, m’apparaissaient comme des animaux antédiluviens. Quelques rares oiseaux à plumage terne, ne s’inquiétaient pas plus d’eux que de moi. Le 23, le Beagle fit voile pour l’île Charles. L’archipel Galapagos a été longtemps fréquenté, d’abord par les boucaniers, et plus tard par les pêcheurs de baleines. Mais il n’y a guère plus de six ans qu’une petite colonie s’y est fondée. Les habitants, au nombre de deux ou trois cents, sont presque tous gens de couleur, bannis pour crimes politiques de la république de l’Équateur, dont Quito est la capitale. Ils se sont établis à quatre milles et demi dans l’intérieur des terres, à une élévation d’environ trois cent cinquante mètres. Pour nous y rendre nous traversâmes des broussailles pareilles à celles de l’île Chatam ; plus haut les bois devinrent verts et dès que nous eûmes franchi la crête de l’île, une vivifiante brise du sud nous souffla au visage, et nos yeux se reposèrent avec délices sur une végétation vigoureuse. Dans cette haute région croissent en abondance de robustes graminées et des fougères herbacées ; il n’y en a pas d’arborescentes. Nulle part je ne vis un seul individu de la famille des palmiers, ce qui me surprit d’autant plus qu’à trois cent soixante milles au nord l’île des Cocos emprunte son nom à la multiplicité de ces fruits. Les maisons, irrégulièrement bâties sur un plateau, sont entourées de cultures de patates et de bananes. On ne saurait se figurer avec quel plaisir nous contemplions de la boue noire après avoir été si longtemps aveuglés par le sol poudreux du Pérou et du Chili septentrional. Bien que pauvres, les habitants trouvent moyen de vivre. Il y a dans les bois beaucoup de porcs et de chèvres sauvages ; mais la principale nourriture animale est la chair de tortue. Le nombre de ces reptiles a fort diminué dans l’île, et cependant deux jours de chasse suffisent pour assurer l’alimentation de la colonie le reste de la semaine. Autrefois un seul vaisseau en enlevait jusqu’à sept cents, et l’équipage d’une frégate, il y a quelques années, amena en un jour deux cents tortues sur la plage. Le 29 septembre, nous doublâmes l’extrémité sud-ouest de l’île d’Albemarle ; un calme plat nous retint dans ses eaux, entre elle et l’île de Narborough. Toutes deux sont couvertes d’immenses déluges de laves noires et nues, qui ont débordé incandescentes des cimes Je vastes cratères, et se sont étendues à plusieurs milles sur le rivage. Des éruptions ont eu lieu de mémoire d’homme, et nous vîmes un petit jet de fumée s’élever en spirale au-dessus des plus hauts sommets de l’île d’Albemarle, où nous jetâmes l’ancre le soir dans l’anse de Bank, qui n’est autre chose que la brèche d’un cratère de tuf. Le lendemain matin, j’allai à la découverte ; au sud se trouvait un autre cratère de forme elliptique, d’une symétrieremarquable ; son axe avait un peu moins d’un mille, et sa profondeur atteignait environ cent soixante-cinq mètres. Au fond brillait un lac dont le centre était occupé par un tout petit cratère faisant îlot. Le jour était d’une chaleur accablante ; l’eau paraissait limpide et bleue. Je descendis en courant la pente cendreuse ; à demi suffoqué, j’essayai d’étancher ma soif. Hélas ! c’était de la saumure !

 

170px-Charles_Darwin_by_G._RichmondCharles Robert Darwin (né le 12 février 1809 à Shrewsbury dans le Shropshire – mort le 19 avril 1882 à Downe dans le Kent) est un naturaliste anglais dont les travaux sur l’évolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie. Célèbre au sein de la communauté scientifique de son époque pour son travail sur le terrain et ses recherches en géologie, il a formulé l’hypothèse selon laquelle toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir d’un seul ou quelques ancêtres communs grâce au processus connu sous le nom de « sélection naturelle ».

Darwin a vu de son vivant la théorie de l’évolution acceptée par la communauté scientifique et le grand public, alors que sa théorie sur la sélection naturelle a dû attendre les années 1930 pour être généralement considérée comme l’explication essentielle du processus d’évolution. Au xxie siècle, elle constitue en effet la base de la théorie moderne de l’évolution. Sous une forme modifiée, la découverte scientifique de Darwin reste le fondement de la biologie, car elle explique de façon logique et unifiée la diversité de la vie.

L’intérêt de Darwin pour l’histoire naturelle lui vint alors qu’il avait commencé à étudier la médecine à l’université d’Édimbourg, puis la théologie à Cambridge. Son voyage de cinq ans à bord du Beagle l’établit dans un premier temps comme un géologue dont les observations et les théories soutenaient les théories actualistes de Charles Lyell. La publication de son journal de voyage le rendit célèbre. Intrigué par la distribution géographique de la faune sauvage et des fossiles dont il avait recueilli des spécimens au cours de son voyage, il étudia la transformation des espèces et en conçut sa théorie sur la sélection naturelle en 1838.

Ayant constaté que d’autres avaient été qualifiés d’hérétiques pour avoir avancé des idées analogues, il ne se confia qu’à ses amis les plus intimes et continua à développer ses recherches pour prévenir les objections qui immanquablement lui seraient faites. En 1858, Alfred Russel Wallace lui fit parvenir un essai qui décrivait une théorie semblable, ce qui les amena à faire connaître leurs théories dans une présentation commune. Son livre de 1859, De l’origine des espèces, fit de l’évolution à partir d’une ascendance commune l’explication scientifique dominante de la diversification des espèces naturelles. Il examina l’évolution humaine et la sélection sexuelle dans la Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, suivi par l’Expression des émotions chez l’homme et les animaux. Ses recherches sur les plantes furent publiées dans une série de livres et, dans son dernier ouvrage, il étudiait les lombrics et leur action sur le sol.

 

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La compagnie des Lavandières

Posté par francesca7 le 31 octobre 2013

La compagnie des Lavandières dans LAVOIRS DE FRANCE images-22

La Compagnie Ô et la cie Battement d’Elle vous présentent leur création : Paroles de lavandières

Aujourd’hui la machine à laver le linge, autrefois le lavoir et les lavandières …

Les comédiennes des compagnies Ô et Battement d’Elle se mettent en scène pour faire revivre l’espace d’un instant l’âme des lavoirs.

« Quatre femmes arrivent, chargées de linge. Elles viennent troubler le sommeil du lavoir. 

Au rythme des brosses et des battoirs, elles retrouvent les gestes des lavandières. Elles cancanent, rient, pleurent, chantent… réveillant les mémoires embuées. Elles partagent avec nous ce moment de travail où s’étalent, se lavent nos vies. Leurs paroles rebondissent sur les murs, leurs reflets dans l’eau rejoignent les lavandières du passé… »

Ce spectacle original est le moyen pour Rose, Solange, Louise et Margot (les quatre lavandières) d’exhumer leurs souvenirs enfouis dans l’eau trouble du lavoir. Les langues se délient, les rumeurs se chuchotent, les histoires d’amour s’entrecroisent laissant éclater des vérités amères… et finalement tout finit par se savoir.

Elles parlent des hommes qui sont partis à la guerre, les laissant seules face à leurs destins. Elles parlent des enfants qu’elles rêvent un jour de serrer dans leurs bras ou de ceux qu’elles ont à leurs côtés. Elles parlent de leurs songes qui parfois les emmènent vers d’autres horizons. Elles parlent de « ceux d’à côté » qui ont la vie facile. Finalement, elles parlent pour être moins seules. Leur cœur et leur esprit s’ouvrent, s’embrasent et se confondent. Elles incarnent Rose, Solange, Louise et Margot, mais bien plus encore. Elles sont aussi Marie, Suzanne, Mélanie, Léon, Bruno ou Paco ; enfin elles sont l’âme de nos ancêtres, de la campagne, de la vie d’autrefois.

Ces femmes nous touchent, nous interpellent, nous font rire, nous inspirent ; un sentiment de proximité s’installe… On y reconnaît une mère, une grand mère, une tante, une sœur… c’est bien ça : ces femmes sont universelles.

Par le biais de portraits de femmes fortes et fragiles à la fois, de récits, d’anecdotes, de chansons et de contes traditionnels, les quatre comédiennes invitent petits et grands à partager un morceau de notre patrimoine : le quotidien de ces femmes.

 A partir de collecte de témoignages de lavandières, de fils et filles de laveuses, ce spectacle s’ancre dans le passé pour mieux résonner dans le présent et continuer à faire vivre la mémoire collective. Ce spectacle est aussi l’occasion de valoriser le patrimoine rural des villes et des villages.

Créée en septembre 1998 à St Jean de Braye (Loiret) sous l’impulsion de Nathalie Chartier et Serge Royer, la Compagnie Ô est à la croisée des Arts du spectacle et des Arts plastiques.  Si ses créations sont essentiellement théâtrales, la Compagnie Ô emprunte volontiers les chemins de traverse pour s’enrichir de pratiques artistiques aussi diverses que : l’art de la marionnette, le masque, le conte, la peinture, la photographie, la musique, l’art du mouvement… 

Chaque spectacle est l’occasion de questionner la relation Jeu – Forme – Sens pour trouver le ton le plus juste et donner naissance à de vrais univers intimes et touchants. 

Ses thèmes de prédilection sont l’HUMAIN, ses caractères et ses sentiments, ses incohérences et ses dérèglements. Ardent défenseur d’un Théâtre d’éducation populaire, la Compagnie Ô va à la rencontre des publics dits « exclus » (quartiers difficiles, milieu rural, milieu carcéral…) et mène des actions de sensibilisation dans les écoles, collèges, lycées, centres d’animations… 

Signataire de la Charte «Culture en partage», elle défend l’idée que le théâtre doit rester un espace privilégié d’échanges, de vie, d’exercice de la mémoire, de réflexion et de résistance.

Quelques-unes de ses créations : 

Comme des images (2008), Larmes au Poing (2007), Paroles de lavandières

(2007) ,  les Justes  (2005),  Factices Factrices (2005)  Bonne nuit, monsieur

Etriqué ! (2004),  Bruissements d’Elles (2004),  Quelques conseils utiles aux

élèves huissiers (2003), Beurk ! (2003), Trouille et fripouille (2003) …

CONTACT : 

Compagnie Ô – Catherine Ménard

25, venelle des Grands Champs

45800 St Jean de Braye

tél.fax : 02.38.70.02.37

mail : compagnie.o@wanadoo.fr

site internet : www.compagnie-o.com

 

Un lien en PDF : http://www.compagnie-o.com/dossierlavandieres.pdf

 

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