Un branchage dense, enchevêtré et épineux caractérise l’aubépine. Si ses nombreuses épines abritent de petits animaux, il y a, autour de l’épine blanche, comme un halo de mystère. Pourtant, on ne peut dire qu’elle soit rarissime, bien au contraire. Même si on ne connaît pas son nom, lorsqu’on la rencontre, il est impossible de rater son immaculée floraison printanière, encore moins ses fruits automnaux dont la couleur rouge bordeaux n’échappe pas aux oiseaux.
Par quel mystérieux prodige l’aubépine jouit-elle d’une popularité qui oscille entre l’indifférence et la reconnaissance tardive des bienfaits qu’elle est capable de prodiguer ?
Bon, c’est un arbuste, c’est sûr qu’elle peut paraître moins fastueuse que bien des arbres, mais quand même ! Certains spécimens exceptionnels atteignent la taille d’un arbre moyen et n’ont pas à rougir face à un olivier ou à un laurier, cela, comme si, en quelque sorte, l’aubépine cherchait à se faire bien voir, du moins à attirer le regard… Si sa stature habituelle ne dépasse pas deux à cinq mètres, il existe réellement des formes monstrueuses, des êtres animés d’une force et d’un âge peu communs. Par exemple, l’aubépine du presbytère de Bouquetot, dans l’Eure. Âgée d’un demi-millénaire, son tronc mesure plus de 70 cm de diamètre ! Une autre aubépine, située dans le petit village audois de Lacombe, beaucoup plus jeune puisqu’elle n’a que deux siècles, présente un tronc dont le diamètre est encore bien supérieur : pas loin d’un mètre !
On a bien approché l’aubépine, certes de façon sporadique, pour des raisons médicinales. Au XIIIème siècle, Petrus de Crescences en fait un remède contre la goutte ; trois siècles plus tard, Jérôme Bock (Tragus) l’emploie contre la pleurésie. C’est bien peu. C’est faible, même. Que nous dit l’Antiquité hormis le fait que Théophraste et Dioscoride connaissaient tous deux un oxyacantha, mais dont les descriptions faites renvoient au buisson-ardent (Pyracantha coccinea) et à l’églantier (Rosa canina).
L’Antiquité ne nous dit donc rien. Reprenons là où nous nous sommes arrêtés, c’est-à-dire au XVIème siècle. Joseph Duchesne de la Violette (1544-1609), médecin du roi Henri IV et Louise Bourgeois (1563- 1636), sage-femme attachée à la cour de la reine Catherine de Médicis indiquent tous deux l’aubépine bonne contre les lithiases urinaires. Au siècle suivant, on la rencontre dans les travaux de Nicolas Lémery comme antihémorragique, puis dans ceux de Gilibert comme traitement de la leucorrhée. C’est péniblement que nous parvenons à la fin du XIXème siècle. Dans un premier temps, un médecin de campagne, Bonnefoy, homme de la providence, indiquera avoir pris connaissance d’un texte rédigé par un auteur anonyme et qu’il daterait de 1695. L’auteur du document en question conseille la pervenche, l’alchémille et l’aubépine pour réguler la tension artérielle.
C’est sans doute la première fois que l’on mentionne le fait que l’aubépine a du coeur ! Avant 1897, le docteur Leclerc savait « déjà, par une habitante d’Épinal, qu’en Lorraine, l’infusion de ce simple était d’un usage courant pour calmer les palpitations et pour combattre l’insomnie ». Après prise de connaissance de ce texte de la fin du XVIIème siècle, Leclerc procède à l’expérimentation de l’aubépine comme modérateur de l’éréthisme cardiovasculaire. Et c’est véritablement à cette époque que démarre la véritable carrière thérapeutique de l’aubépine (1896 : désordres du coeur ; 1898 : angor ; 1903 : propriété cardiotonique ; 1904 : arythmie cardiaque, etc). Celle que le professeur Léon Binet appela « la valériane du coeur » allait connaître un très grand succès. L’aubépine a, en effet, un coeur gros comme ça : elle est cardiotonique, régulatrice du rythme cardiaque, sédative et antispasmodique cardiaque. Avec une telle pléthore de moyens, il n’est donc guère étonnant que l’aubépine prenne grand soin de ceux qui souffrent du muscle cardiaque. Dans ce domaine, sa polyvalence n’a d’égal que son absence de toxicité et d’effets secondaires.
Aussi intervient-elle dans les cas suivants : palpitations, douleurs et spasmes cardiaques, tachycardie, diminution des rythmes trop rapides ou trop lents, diminution de la perception exagérée des battements cardiaques… Là où l’aubépine fait très forte, c’est qu’elle est hypotensive et hypertensive. Mais elle ne se concentre pas qu’au coeur du myocarde. L’aubépine étend aussi son action sur le reste du système circulatoire, les artères en particulier. Ainsi, troubles circulatoires, artériosclérose, angor, spasmes artériels sont justiciables de l’emploi des fleurs d’aubépine.
Son deuxième grand domaine de prédilection concerne la régulation émotionnelle.
Les fleurs d’aubépine étant sédatives et hypnotiques, elles interviennent dans les cas suivants : troubles du sommeil (dont insomnie), nervosité, anxiété, angoisse, colère, émotivité excessive, palpitations, bouffées de chaleur, irritabilité et insomnie dues à la ménopause, chagrin amoureux (quand je vous dis que l’aubépine a un grand coeur ! Dans ce dernier cas, on se tournera efficacement vers l’élixir floral d’aubépine que l’on utilisera lorsque les relations deviennent conflictuelles, ainsi qu’en cas de séparations acceptées avec difficulté : deuil, divorce, etc.).
L’aubépine étant une plante à l’action douce, il est préférable de l’utiliser de façon régulière en cure longue (quatre à huit semaines) pour que les effets puissent pleinement se manifester. L’avantage est doublé en cela que l’action bénéfique de l’aubépine se propage bien longtemps après l’arrêt des prises.
De plus, pour les problèmes de régulation émotionnelle, on peut efficacement l’associer à des plantes détenant des propriétés analogues telles que la passiflore, la valériane, la fleur d’oranger et le coquelicot. Voilà donc tout ce que peut faire pour nous la blanche fleur de l’aubépine. Quant aux baies et à l’écorce des rameaux, elles limitent leurs actions à des domaines périphériques et mineurs. Les baies astringentes sont parfois utilisées en cas de diarrhée et de dysenterie, alors que l’écorce fébrifuge des rameaux intervient en cas de fièvres intermittentes.
Si l’on a tardivement reconnu à l’aubépine ses bienfaits médicinaux, en revanche, la faim aura souvent poussé l’homme à s’en remettre à elle, non pour ses fleurs, mais pour ses fruits de la forme d’une petite pomme – rosacée oblige – qu’on appelle cenelles. Rouges et globuleuses, elles contiennent deux à trois graines. Consommées depuis les temps préhistoriques, elles représentent un apport nutritif non négligeable. Comestibles mais farineuses, on peut les apprêter de différentes manières. Quoi qu’il en soit, en cas de coups durs, l’homme n’aura pas toujours fait la fine gueule avec ces cenelles assez insipides il est vrai. Elles étaient largement employées dans l’ancien empire germanique, usage dont il reste un nom, celui donné à ces fruits en allemand : mehlbeere, qui signifie littéralement « baie à farine », terme qui révèle les usages alimentaires dont on a pu alors en faire : du pain, des galettes, des gâteaux, etc.
Durant la Première Guerre Mondiale, on broyait les graines contenues dans les cenelles et on leur faisait jouer le rôle de café. Un ersatz, hein !? (Ils devaient avoir un moulin à l’huile de coude, c’est dur comme du bois, ces machins). On alla même jusqu’à ramasser les jeunes feuilles, elles aussi comestibles. A l’état bourgeonnant, elles ont comme un goût de noisette. On en fit du thé, elles remplacèrent même le tabac quand le rationnement se faisait sentir.
Aujourd’hui, on utilise encore les cenelles en compotes et purées, bien qu’il faille les agrémenter avec d’autres fruits, mais elles sont intéressantes du fait de l’amidon et des sucres qu’elles contiennent. Très étranges les rapports entretenus par l’homme avec l’aubépine. Bonne à manger quand il n’y a plus rien à se mettre sous la dent, c’est donc tout « naturellement » vers elle qu’on se tourne et dont on brave les épines. Pas si ingrate que ça, l’aubépine que l’on nomme parfois, à tort, « épine de mal » (sans doute une déformation de « mai », mois durant lequel les fleurs d’aubépine s’épanouissent).
Médicinale, alimentaire, telles ne sont pas les uniques vertus de l’aubépine, elle occupe aussi un vaste pan de l’histoire spirituelle des hommes. Dans les Fastes du poète romain Ovide, on trouve déjà une allusion aux pouvoirs magiques de l’aubépine, puisque c’est d’elle que le dieu Janus tire une verge écartant les enchantements dont pourraient être victimes les enfants en bas âge, une croyance qui se perpétuera longtemps. Épineuse, l’aubépine est protectrice lorsqu’on en garnit les ouvertures des maisons.
Elle éloignerait alors tant les mauvais esprits que les serpents si on la porte sur soi en amulette (Jean-Baptiste Porta en donnait même l’infusion capable de guérir les morsures de ces animaux). Elle entretient aussi une relation avec le mariage. Par exemple, chez les Romains, le mari agitait un rameau d’aubépine en conduisant son épouse vers la chambre nuptiale, tandis que les Grecs en ornaient la porte de la chambre durant la nuit de noces. Cependant, elle implique aussi l’idée de chasteté. L’on sait que durant l’Antiquité gréco-romaine, les mariages se faisaient rares au mois de mai, puisque c’était à cette période de l’année que l’on se préparait au solstice d’été, en nettoyant et purifiant les temples. Fleurissant au mois de mai, l’aubépine est très tôt devenue une fleur de la pureté et de la virginité (elle serait même anaphrodisiaque selon certains auteurs). L’association de l’aubépine à ce mois printanier se retrouve aussi chez les Celtes qui en décoraient les mâts de mai lors de Beltane.
Si l’aubépine célèbre la vie, elle a, chez d’autres peuples, une dimension funéraire assez marquée : les Germains utilisaient du bois d’aubépine pour embraser les bûchers funéraires. « On suppose que, par la vertu du feu sacré qui s’élève des épines, les âmes des trépassés sont reçues au ciel, et il est clair que ce feu sacré est l’image du feu céleste, l’incendie du cadavre un symbole de l’orage, puisque d’abord on consacrait le bûcher avec le marteau, attribut du dieu Thor », d’où la relation de l’aubépine avec l’éclair. Protectrice, l’aubépine détient de multiples pouvoirs contre la foudre et les orages. Pour cela, il faut accrocher des rameaux d’aubépine fleurie à la porte des maisons ou bien dans les combles et greniers.
Paul-Victor Fournier se hasarde même à dire qu’ « il se pourrait que l’arbuste écoule par ses épines l’électricité comme les paratonnerres par leurs pointes » . L’aubépine pousse souvent en bosquet serré. D’ailleurs, sa présence en grand nombre sur une colline est l’indice que des fées ne sont pas loin. Des couronnes d’aubépine offertes aux fées permettent de s’en attirer les bonnes grâces, mais à certaines dates clés (Beltane, Samhain, Solstice d’été), l’on dit qu’il ne fait pas bon s’asseoir près d’une aubépine, au risque d’être enchanté par les fées, ce qui rappelle l’épisode durant lequel Merlin fut ensorcelé par Viviane sous une aubépine de la forêt de Brocéliande.
Porte vers l’autre monde (le Sidh de la mythologie celtique), l’aubépine figure aussi en bonne place au sein de l’alphabet oghamique, dans lequel elle porte le nom de Huathe, un ogham qui rend compte de la nécessité de s’isoler dans le silence et dans le jeûne, à l’image d’une retraite spirituelle, toute faite de simplicité, de prière et de méditation, ou bien d’épreuves solitaires nécessaires imposées par le destin ou le sort. Huathe implique la suppression du superflu, ce qui entrave l’être humain dans sa volonté de détachement, tout en nous faisant bien prendre conscience de la difficulté que l’on peut parfois rencontrer à l’idée de modifier ses habitudes. Cette réticence peut s’expliquer par la crainte (d’ailleurs, Huathe provient de uath, qui veut dire « peur », « frayeur », en vieil irlandais). C’est pourquoi « l’ogham Huathe […] présente une facette obscure et inquiétante, permettant paradoxalement de renforcer la lumière en soi ».
Le légendaire chrétien, une fois de plus, fit ses choux gras de l’aubépine. Il est dit que l’un de ceux qui auraient procédé à l’ensevelissement du Christ parvint en Angleterre en 63 après J.-C., dans le Somerset (à Glastonbury pour être exact). Cet homme, c’est Joseph d’Arimathie. Plantant son bâton en terre, il en jaillit une aubépine superbe et notre homme prit la décision de construire la première église d’Angleterre à proximité. Connue sous le nom d’aubépine miraculeuse de Wear-all Hill, elle a comme pouvoir de fleurir chaque année, la veille du jour de naissance du Christ. Pendant des siècles, une tradition consistait à offrir au roi d’Angleterre un rameau de cette aubépine. Elle subit un coup d’arrêt à la mort de Charles Ier. Au XVIIème siècle (1649), alors même qu’on tranche la tête de ce roi, l’aubépine est abattue sous les coups de Cromwell.
Aujourd’hui, ce lieu est marqué d’une pierre ; des rejets de l’aubépine originelle subsisteraient, ce qui ferait d’elle un arbre presque bi-millénaire… La légende s’arrête là. Cette aubépine est, en réalité, une variété dite biflora connue que depuis 1562 et présentant deux floraisons dans l’année : la première au mois de mai, comme toutes les aubépines, la seconde en hiver (si seulement l’hiver est doux, or l’Angleterre subira le Petit âge glaciaire du XIVème au XIXème siècle : autant dire que cette aubépine « miraculeuse » n’a pas dû fleurir souvent en hiver…).
Quoi qu’il en soit, bien avant la soi-disant arrivée de Joseph d’Arimathie en Angleterre, les Celtes rendaient déjà un culte à cet arbuste sacré.
Mais l’implantation progressive du christianisme a fait que l’aubépine fut rapidement consacrée à saint Patrick en Irlande (Vème siècle après J.-C.) et à saint Maudez, un missionnaire qui fonda un monastère sur l’île de Bréhat (VIème siècle après J.-C).
Dans les Côtes-d’Armor, dans la commune de Lanmodez, se trouve une aubépine qui « saigne », près d’un rocher connu sous le nom de Kador sant Vode (chaise de saint Maudez). Aubépine « miraculeuse » elle aussi, elle rappelle que d’aucuns ont vu dans la couronne d’épines du Christ des rameaux l’aubépine, sans oublier la blancheur virginale de ses fleurs associées à la Vierge Marie.
Hôte des campagnes, l’aubépine affectionne l’orée des forêts, les sous-bois et les haies dont elle est une composante majeure à l’instar du prunellier (Prunus spinosa). Épine noire et épine blanche font donc bon ménage. Les feuilles de l’aubépine sont lobées (trois à sept lobes) et fortement échancrées. Ses fleurs à cinq pétales paraissent parfois rosâtres du fait de la présence de nombreuses étamines rouges au coeur de la fleur.
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