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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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A la chasse aux plantes autour de Paris

Posté par francesca7 le 12 septembre 2014

 

(D’après un récit paru en 1902)

images (9)On a déjà écrit bien des livres sur les chasseurs de plantes des forêts tropicales qui, au péril de leur vie, vont chercher les orchidées rares et les liliacées décoratives, dont les horticulteurs font ensuite « leurs choux gras ». On en pourrait écrire presque autant sur les pauvres diables qui doivent chercher leurs moyens d’existence dans la maigre flore parisienne. Non pas en décrivant les dangers courus qui, ici, sont pour ainsi dire nuls, mais en racontant leur mode de vie ; tous, malgré la médiocrité de leur condition, sont des indépendants, assoiffés de liberté et d’air pur. On les croit des paresseux ; il n’en est rien et, en utilisant l’activité qu’ils déploient dans un métier salarié par un patron, ils vivraient grassement. Heureusement pour eux, toutes les plantes ne poussent pas en même temps ; cela leur permet de varier leurs plaisirs et de gagner de quoi vivre à peu près toute l’année. Un métier où il n’y a pas de chômage, voilà, n’est-il pas vrai, qui n’est pas ordinaire ?

Il n’y a guère qu’une plante que l’on rencontre en toutes saisons, c’est le mouron des oiseaux qui constitue le fonds le plus solide des petits commerçants dont nous parlons. On en trouve partout, dans les endroits les plus incultes, le long des murs, sur le bord des chemins qu’il égaie par ses touffes gazonnantes émaillées de fleurs blanches. Mais la corporation des marchands de mouron est si nombreuse, – on dit qu’elle se chiffre par deux mille membres – que les « placers » des environs immédiats de Paris ne tardent pas à être mis à sac. Il faut alors en chercher plus loin, souvent jusqu’à plus de vingt kilomètres.

Les uns se contentent d’emporter avec eux des bâches où ils mettent la récolte au fur et à mesure ; ils rapportent les ballots sur leur dos et je vous prie de croire que ce n’est pas là une sinécure !

J’en ai vu, de ces camelots, qui en rapportaient, – l’homme et la femme réunis, – jusqu’à quatre-vingts kilos ; il est vrai que, pour rentrer dans la capitale, ils prenaient le train, comme des sybarites, mangeant ainsi, – c’est le cas de le dire, – leur récolte en herbe. Les autres emmènent avec eux une brouette ou même une voiture à bras ; ceux-là sont les « gros commerçants » qui n’en sont pas plus fiers pour çà, car, obligés de revenir pedibus cum jambis, ils se voient parfois contraints de loger à la belle étoile.

Tous, d’ailleurs, ne peuvent faire une récolte très abondante, car le mouron n’est vendable que trois, quatre ou cinq jours au plus après la cueillette ; bien que se fanant relativement moins que les autres plantes, il finit, surtout pendant les chaleurs, par prendre un aspect lamentable ; le client n’en veut plus, craignant de faire injure à ses chers petits fifis en leur offrant une marchandise avariée. Ceux qui récoltent le mouron – c’est encore une caractéristique du chasseur de plantes – le vendent eux-mêmes au public. Ils le mettent sur des hottes ou dans des paniers et parcourent les rues en criant la chanson classique : « Voilà du mouron pour les p’tits oiseaux » ! Ou encore ce cri où se révèle l’âme sentimentale des Parisiens : « Régalez vos petits oiseaux » !

Le mouron est particulièrement abondant en été ; les marchands ont alors toutes les peines du monde à écouler leur marchandise à raison de un sou la botte. Au total ils préfèrent l’hiver où ils vendent deux sous la botte la plus insignifiante ; il est vrai que la récolte dans les champs est beaucoup plus maigre et pénible. Mais, au moins, on a la satisfaction de ne pas gâcher le métier par un bon marché excessif. Chaque marchand a son quartier déterminé, qu’il conserve pour ainsi dire toute sa vie, d’abord parce que s’il allait ailleurs, il serait fort mal reçu par ses confrères ; ensuite, parce qu’il a ses clients déterminés, qui lui font des commandes « fermes ».

On connaît son cri joyeux ; on accourt sur le pas de la porte et, tout en vendant sa botte, il a un mot aimable pour chacun. Et je ne serais pas étonné si l’on me disait que les serins et chardonnerets tressaillent d’allégresse quand ils entendent : « Du mouron pour les p’tits oiseaux ! Un sou la botte ! »

Le printemps est l’époque où le chasseur de plantes a le plus à faire. Le Parisien adore les fleurs ; privé de cette joie pendant tout l’hiver, il en réclame dès que les frimas sont passés et que se font sentir les premières effluves, – oh combien troublantes ! – du renouveau de la nature. Ces fleurs, il ne faut guère les demander aux jardins dont la floraison n’arrive que tardivement, et sans nos camelots il risquerait fort de voir ses vases de fleurs vides.

Dès février quelques-uns se rendent à Trianon ou dans les bois avoisinants, pour récolter le gracieux perce-neige qui a d’autant plus de valeur qu’il est plus rare ; sa corolle blanche est du plus charmant effet et n’a que l’inconvénient de se faner assez vite.

Le perce-neige n’est qu’un maigre lever de rideau auquel d’ailleurs ne prennent part qu’un très petit nombre de comparses. Le premier plat de résistance apparaît en mars avec le narcisse jaune que l’on va récolter dans les forêts de Sénart et de Bondy, où il pullule sur d’énormes étendues de terrain. Rien n’est moins gracieux que cette fleur, « mastoc » en diable, dépourvue de légèreté et d’élégance. En plein été, on n’en voudrait pas pour rien ; mais au printemps, on l’accepte avec reconnaissance tant on a été sevré de fleurs pendant la mauvaise saison.

Les camelots le savent bien et en font une ample moisson ; je dois cependant avouer à leur courte honte qu’ils en font des bouquets ignobles, les fleurs collées les unes contre les autres. – telle des sardines dans une boîte, – avec, au milieu et autour, les feuilles mêmes des narcisses qui ressemblent tout à fait à celles, archi-prosaïques, des poireaux. Un bel après-midi de dimanche est, cependant, pour eux un véritable coup de fortune, car ils, vendent sur place les bouquets aux nuées de cyclistes qui reviennent de Fontainebleau par la grand’route. Certains en achètent quatre bonquets, pour placer un au milieu du guidon, deux aux poignées, et, – les farceurs, – un à la selle.

A quatre ou cinq sous le bouquet, vous voyez que cela chiffre vite. Et puis, le soir, on se hâte de faire une nouvelle récolte pour vendre le lendemain dans Paris. Mais sitôt la floraison, d’ailleurs très courte, des narcisses achevée, la forêt de Sénart ne donne pour ainsi dire plus rien. Les chasseurs de plantes transportent leurs pénates dans les bois de Meudon ou de Chaville qui, pour quelques, semaines, vont devenir une mine… de bronze. C’est d’abord l’anémone sylvie, qui est bien l’une des plus aimables fleurs que je connaisse. Est-ce parce que je l’associe dans mon esprit à l’arrivée du printemps, aux bonnes promenades que l’on fait à cette époque dans les bois ; est-ce parce qu’elle me rappelle quelque souvenir agréable ? Je ne sais ; mais ce qui est bien sûr, c’est que nombre de Parisiens partagent mon goût, car au printemps, les bois de Meudon sont envahis par une nuée d’amateurs d’anémones.

images (10)La vente de cette fleur dans Paris même ne va pas toujours très bien, car elle se fane presque aussitôt cueillie et le bouquet prend alors l’aspect d’une botte de foin. Ceux qui savent combien vite elle « revient » dans l’eau l’achètent pour en garnir leur home. Les trois feuilles vertes qui se trouvent sous leurs fleurs se marient agréablement avec le blanc délicat des corolles et en font de charmants bouquets restant frais pendant plus d’une semaine, surtout lorsqu’on a récolté des boutons de cette « Reine des bois ».

Hélas, la floraison de la douce sylvie ne dure guère et ce serait pour les chasseurs de plantes l’abomination de la désolation si elle n’était suivie de très près par la jacinthe des bois encore plus abondante qu’elle dans les bois de Meudon. Ses tiges un peu penchées, couvertes de fleurs violettes, ne sont pas sans charme, bien que n’atteignant pas la maîtrise des jacinthes cultivées, d’autant qu’il leur manque l’odeur qui fait la grande qualité de ces dernières. Quelques personnes seulement… en se suggestionnant à outrance arrivent à lui trouver un léger parfum, mais si faible, si menu.

Mais les amateurs de parfums ne tardent pas à prendre une revanche éclatante avec le muguet qui apparaît vers la fin avril. Encore plus que pour les espèces précédentes il faut, pour savoir où le cueillir, être ferré sur la répartition géographique des plantes, dans les environs de Paris. On peut parcourir d’énormes espaces dans les bois sans en rencontrer un seul pied ; puis, tout d’un coup, on tombe sur une tache où ils abondent d’une manière invraisemblable. Chaque chasseur connaît ainsi quelque « bon coin » et se garde le plus possible de le faire connaître.

C’est que la lutte pour le muguet est aussi âpre que la lutte pour la pièce de cent sous. Le camelot sait bien qu’il a l’écoulement sûr et rapide de sa marchandise ; il en est si certain qu’il cueille même le muguet à l’état de bouton, alors qu’il est pour ainsi dire informe et n’a guère d’odeur. Mais on a l’espoir qu’il fleurira dans l’eau, ce qui arrive en effet souvent, mais pas toujours. Quand il est bien épanoui, le muguet est une des plus admirables fleurs que nous donnent les bois et même les jardins, et à l’élégance de la fleur, à la délicatesse de l’inflorescence, elle joint un délicieux parfum, d’une finesse exquise, d’une persistance rare. Sa récolte est si rémunératrice qu’elle provoque l’apparition, au voisinage des gares et des stations, de bateaux de chasseurs de plantes accidentels, que les « professionnels » regardent d’un mauvais oeil. Et cependant, cette récolte est fort pénible : regardez la minceur d’une hampe de muguet, et supputez la quantité de brins qu’il faut pour faire le moindre bouquet de deux sous !

Les plantes dont avons parlé dans la première partie sont celles qui, au printemps et en été, donnent lieu à un « gros » commerce. A côté d’elles viennent s’en placer d’autres, d’importance moindre, de vente plus aléatoire et que le chasseur rencontre souvent accidentellement dans ses pérégrinations.

Parmi elles il faut citer la primevère officinale et la primevère élevée, vendues toutes deux sous le nom de coucou, et dont les fleurs sont d’autant plus goûtées qu’elles viennent au printemps et que l’on vend fort bon marché ; la pervenche, que certains camelots vont chercher jusqu’aux environs de Dourdan, soit à cinquante kilomètres de Paris ; les violettes, auxquelles malheureusement celles du Midi font un tort considérable, bien que ne les égalant pas, – loin de là – au point de vue du parfum ; les renoncules ou boutons d’or, qui « vont » toute l’année et se vendent facilement à cause de leur longue durée ; le caltha des marais, grandes fleurs jaunes dorées, d’un effet admirable, qui ne pousse qu’aux bords des rivières et que l’on récolte assez abondamment sur les rives de l’Yvette, à Chevreuse notamment ; l’ail des bois qui fait de jolis bouquets blancs, mais qu’il faut bien se garder de sentir ; les genêts, couverts de fleurs jaunes, abondants partout ; l’aubépine, que l’on verrait certainement plus souvent dans les rues de Paris si ses aiguillons n’en rendaient le transport un peu pénible ; les marguerites, bleuets, coquelicots, qui foisonnent dans les champs de blé ou d’avoine, mais pour la récolte desquels le chasseur risque le fâcheux procès-verbal ; les roseaux et les massettes, curieuses plantes communes dans certains étangs ; enfin les bruyères, qui terminent la série au mois d’août et de septembre et que l’on va « chasser » dans le bois de Meudon et la forêt de Fontainebleau, où le stock est inépuisable.

Toutes ces plantes se rapportent coupées pour en faire des bouquets. Quelques camelots s’adonnent aux végétaux enracinés et destinés par suite à être « empotés ». Parmi eux il faut surtout noter les pâquerettes, d’une robustesse remarquable, et qui n’ont pas leurs pareilles pour orner la fenêtre de Jenny l’ouvrière ; diverses fougères, notamment des polypodes, qui « reprennent » très difficilement ; quelques carex ; du lierre, et quelques autres de moindre importance.

D’autres s’adonnent à la récolte des plantes médicinales et doivent, par suite, avoir quelque notions de botanique. Je ne serais pas étonné si certains d’entre eux étaient d’anciens potards ayant trop fait la fête ou des droguistes dont les affaires sont dans le marasme. Près des Halles, rue de la Poterie, se tient sur le trottoir, le mercredi et le samedi, un petit marché d’herbes médicinales où viennent se fournir les herboristes et certains pharmaciens. Les vendeurs se divisent en deux groupes : les cultivateurs qui viennent y vendre la mélisse, la menthe, l’armoise, l’absinthe, la lavande, qu’ils ont fait pousser eux-mêmes, et les camelots qui débottent les plantes cueillies dans les bois.

Celles-ci varient naturellement avec les saisons ; parmi les plus connues, citons la feuille de ronce, si employée dans les maux de gorge ; les feuilles de noyer, « chipées » de-ci de-là ; le chiendent, bien négligé aujourd’hui ; la douce-amère, la petite centaurée, lesfleurs de sureau, le laurier blanc, le coquelicot, la violette, le bouillon blanc ; en un mot toute la série des « simples », dont l’usage, malheureusement pour la corporation qui fait l’objet de cet article, diminue sans cesse.

L’automne et l’hiver n’arrêtent pas les pérégrinations et le commerce des chasseurs de plantes. Au contraire, il leur faut encore plus travailler, non pour récolter des fleurs, – il n’y en a plus – mais des fruits et des plantes vertes que, dans la semaine, ils livrent à leurs clients habituels, et que, le dimanche, ils vont vendre, au marché aux oiseaux. C’est qu’en effet cette flore automnale est très goûtée des diverses catégorie de volatiles. A côté de l’éternel mouron, ils vendent aussi du seneçon, des baies d’épine-vinette, du plantain, des baies de sureau ou de vigne vierge, des graines de chardon ; en somme, tous les fruits sauvages au péricarpe succulent et les graines agréables à grignoter. Tout cela, en raison de la rareté, se vend fort cher ; mais que ne feraient pas les vieilles filles sentimentales pour leurs chers petits musiciens ?

A l’automne, on récolte aussi diverses plantes décoratives, pour leur feuillage ou leurs fruits. Les plus connues sont les houx, aux feuilles luisantes, épineuses, aux fruits rouges, et le gui, la plante de la Noël, le mitstletoé des Anglais, à l’allure un peu mystique. La récolte du gui est des plus pénibles, car il faut aller cueillir cette plante parasite sur les pommiers et les téléchargement (5)peupliers et souvent scier les branches pour s’en emparer. Les camelots rapportent les touffes attachées aux deux extrémités d’une longue gaule qu’ils tiennent sur leur épaule souvent meurtrie.

Ne croyez pas que j’aie terminé la liste des catégories de chasseurs de plantes. Il y en beaucoup d’autres ; mais il serait fastidieux d’y insister. Laissez-moi cependant vous présenter : celui qui récolte les pieds de pissenlits sauvages que certains gourmets adorent en salade ; celui qui cueille les feuilles de plantain et d’érable pour garnir les compotiers de fruits ; cet autre dont la spécialité est de chercher les branches bizarres pour en faire des corbeilles originales ; celui-ci qui s’adonne à la récolte des frêles graminées, Airas, Brizes, Stipes, Bromes, etc., pour en faire des bouquets perpétuels ; celui-là qui travaille – qui l’eût dit ? – pour les passementiers en récoltant des fruits d’aulnes, des glands, etc. dont on fait des garnitures après les avoir dorés ou plutôt bronzés artificiellement ; enfin, ce dernier qui récolte les « coeurs » des coquelicots, bleuets et marguerites, – les trois couleurs du drapeau national – pour les faire entrer dans la confection des fleurs dites artificielles.

Publié dans FLORE FRANCAISE, Paris | Pas de Commentaire »

Jardin des Plantes : lieu de tout temps à la mode

Posté par francesca7 le 12 septembre 2014

(D’après « Promenades dans Paris », paru en 1906)

 

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C’est à un émouvant voyage au coeur du Jardin des Plantes, ouvert au public en 1634, que le peintre, illustrateur et écrivain Georges Cain, conservateur du musée Carnavalet pendant quelque vingt ans, nous convie en 1906, évoquant quelques souvenirs de son enfance qui s’y rattachent etretraçant l’histoire de ce lieu unique niché au sein de la capitale

Le meilleur de la vie est peut-être fait de souvenirs, écrit en 1906 Georges Cain, fils du sculpteur animalier Auguste Cain : aussi ne saurais-je franchir sans être délicieusement impressionné les grilles du vieux Jardin des Plantes où, tout enfant, un livre à images sous le bras, j’accompagnais mon père qui, comme Delacroix, comme Barye, comme mon grand-père P.-J. Mène, comme Gérôme, comme Frémiet, comme Rosa Bonheur, y installa si souvent sa petite selle à modeler à quelques centimètres des tigres et des lions qu’il copiait.

Nous y arrivions de bon matin, vers huit heures, avant l’invasion des visiteurs ; le gardien, qui s’appelait Bocquet, un grand diable, maigre, avec des yeux de flamme, caressait ses fauves, les interpellait, leur jetait de menus morceaux de viande pour leur faire donner le mouvement voulu, et ’mon père, familier par habitude avec ces belles bêtes, aux yeux parfois si doux et si profonds, leur tapotait la tête qu’elles venaient, câlines, frotter contre les barreaux.

L’odeur alcaline était violente, la chaleur lourde ; on entendait le sifflement des mangoustes et des fouines installées dans les rotondes de sortie ; parfois un rugissement de colère faisait trembler les vitres. Qu’elles étaient amusantes ces heures de travail devant les cages des fauves, dans l’arrière-couloir de la ménagerie, tout près d’une petite cour où hurlaient des chiens à l’attache !

Souvent aussi c’était dans le jardin même, sur l’herbe, devant les cerfs, les biches, les échassiers ou les vautours que ces grands travailleurs dressaient leurs petits ateliers portatifs, leurs chevalets et leurs sellettes, ou parfois à la ménagerie des reptiles, un antique bâtiment croulant de vétusté. Les crocodiles y reposaient, enserrés dans des caisses étroites comme en des cercueils ; on y voyait encore des pythons, des aspics de Cléopâtre, de hideuses araignées velues, des salamandres, des caméléons, et une couverture de laine avalée puis… rendue à peu près intacte par un serpent boa ; le directeur nous donnait des lézards verts et d’inoffensifs orvets qui causaient de folles terreurs en passant leurs fines têtes hors des poches de nos tuniques de collégiens ! Et ces courses échevelées autour du labyrinthe et du cèdre que M. de Jussieu — assure une légende dont il serait criminel de douter — rapporta « du Liban dans son chapeau », en 1735… Que c’est loin tout cela, et que de jeunes souvenirs évoque ce vieux Jardin des Plantes !

461008AnimalartistsattheJardindesPlantesAu milieu des transformations qui chaque jour modifient Paris, c’est un des rares coins qui aient heureusement gardé leur caractère ancien et charmeur ; M. de Buffon pourrait encore s’y croire chez lui ; il retrouverait même sa table de travail, reléguée dans un vague cabinet d’étude, non loin d’un groupe de marbre merveilleux, Chèvre et Enfants, dont la place devrait être au musée du Louvre et non dans un corridor. Peu de planches, d’ailleurs, seraient « à moderniser » dans le bel ouvrage que publia Curmer en 1842 : les « Huttes aux chèvres d’Abyssinie », les « Cabanes des hérons », la « Ménagerie des féroces », sont telles que les dessinaient alors Daubigny et Ch. Jacque.

Le public ne semble pas modifié : ce sont les mêmes badauds de Paris qui, penchés sur les mêmes fosses aux ours, continuent à engager l’éternel « Martin » à refaire l’ascension de l’arbre ébranché qui se dresse au milieu de la fosse. Les fleurs d’eau s’épanouissent dans les mêmes serres étouffantes et basses, près des orchidées aux formes étranges, et c’est dans le vieil amphithéâtre où professèrent tant d’illustres savants que Mme Madeleine Lemaire — qui parle des roses, des pavots et des pensées aussi merveilleusement qu’elle sait les faire revivre sur ses toiles — initie un auditoire attentif et charmé à la divine beauté des fleurs.

Dans les volumes de Curmer, de beaux messieurs vêtus comme Musset échangent avec de jolies dames drapées dans des « schalls Ternaux » de cérémonieux saluts devant « l’Entrée des grandes serres » : le décor est intact, les enfants jouent aux mêmes places, et sur les mêmes chaises de bois les mêmes grisettes, avec des costumes presque identiques, lisent les mêmes romans-feuilletons. En 1842, c’étaient les Mystères de Paris, d’Eugène Sue ; en 1906, c’est la Môme aux beaux yeux, de Pierre Decourcelle.

De tout temps, ce superbe jardin fut à la mode : Fondé en 1633 par Louis XIII sur un terrain abandonné qui servait de voirie, et dirigé par Gui de la Brosse, le Jardin des Plantes médicinales — ce fut son premier nom — eut des commencements difficiles ; mais Fagon, Tournefort, Vaillant, puis Antoine et Bernard de Jussieu, et enfin Buffon — qui mourut au Jardin des Plantes, dans le bâtiment faisant face à la rue Geoffroy-Saint-Hilaire —, coordonnent, augmentent et embellissent le « Jardin du Roi ».

Arrive la Révolution : la Nation met la main sur le « Muséum d’histoire naturelle » auquel on adjoint une ménagerie constituée avec les débris des collections royales installées par Louis XIV au bord du Grand Canal, à Versailles. Bernardin de Saint-Pierre plaida en 1792 la cause des pauvres animaux qui mouraient de faim. « Les tuerons-nous, s’était-il écrié, pour exposer leurs squelettes ? Ce serait leur faire injure ! » et le 4 septembre 1793 la collection augmente subitement ; Geoffroy Saint-Hilaire, travaillant dans son cabinet, apprend que deux ours blancs, une panthère, deux mandrilles, un chat-tigre et quelques aigles sont en bas, à sa porte, réclamant l’hospitalité.

Ces animaux, en effet, se trouvaient en état de vagabondage : à la suite d’une ordonnance de police, trois ménageries foraines avaient été saisies et expédiées au Muséum sous la conduite de leurs propriétaires indemnisés. Geoffroy Saint-Hilaire fait remiser les cages sous ses fenêtres, nourrit de ses deniers les malheureuses bêtes affamées et élève les saltimbanques à la dignité de gardiens !

Napoléon adresse à la Ménagerie les éléphants du stathouder de Hollande et les ours de Berne. Chaque année apporte sa contribution d’animaux rares et de minéraux précieux. Le Jardin des Plantes est fêté, agrandi, embelli. Le 9 juillet 1827, la girafe est présentée au Roi, et c’est un événement parisien : tout est à la girafe, on a des peignes, des broches, des manches et des ombrelles « à la girafe », son nom sert d’enseigne à un magasin de modes du passage du Saumon ; on chante même une complainte qui commence par ce vers, si j’ose dire : « C’est de l’acacia qu’elle aime à se nourrir », et se termine ainsi :

Enfin dans tout Paris on aime sa présence
Et son séjour promet la paix et l’abondance.

Sur tous les points du monde, d’intrépides et modestes savants français s’expatrient pour enrichir le Jardin des Plantes ; Duvaucel, Chapelier, Jacquemont, combien d’autres encore, sont morts sous les flèches des sauvages, les morsures dès serpents, les coups de soleil de l’Inde ou les fièvres des tropiques pour doter leur pays de bêtes inconnues, de plantes mystérieuses, de papillons féeriques, d’oiseaux rares, de brins d’herbes manquant à des herbiers. Un peu de leur âme héroïque, simple et charmante, flotte sur ce beau jardin dont quelqu’un disait : « C’est un paradis terrestre un peu vieilli : fleurs, bêtes et gens ; il y a même le serpent, et l’on y cueille des pommes inoffensives ».

Taine écrivait en 1849 à Paradol : « J’étais hier au Jardin des Plantes ; je regardais dans un endroit isolé un monticule couvert d’herbes des champs, vertes, jeunes, non cultivées, fleuries ; le soleil brillait au travers et je voyais cette vie intérieure qui circule dans ces minces tissus et dresse les tiges drues et fortes ; le vent soufflait et agitait toute cette moisson de brins serrés d’une transparence et d’une beauté merveilleuses… et j’ai senti mon cœur battre !… »

L’étroitesse des rues de Paris jusqu’au XIXe siècle, la difficulté des voyages, le peu d’élévation des maisons empêchaient les vues d’ensemble, les longues perspectives ; or le Jardin des Plantes possédait un labyrinthe, aussi ce labyrinthe, surmonté d’un belvédère, était-il, dès le XVIIIe siècle, assiégé, les jours de fête : les Parisiens découvraient Paris ! on se signalait Vincennes avec son donjon et ses tours carrées, le Père-Lachaise, les coteaux de Meudon, les ondulations de la Seine, les lointains bleus de Gentilly…

Le labyrinthe existe encore et le spectacle n’a pas varié : la foule échange à la même place les mêmes exclamations qu’aux siècles derniers !… Un public bon enfant, confondu dans le plus amusant pêle-mêle, continue à s’esclaffer aux gambades des singes, aux plongeons des otaries, aux bâillements énormes de l’hippopotame ; l’éléphant persiste à engloutir des kilos de petits pains et le chameau promène ses yeux doux et bridés sur un petit monde admiratif et joyeux ! Devant les sinistres cages, trop sombres, trop étroites, indignes de Paris, où sont prisonniers les grands félins, c’est une stupeur ; et d’odieux imbéciles agacent d’un grotesque parapluie l’animal captif qui se meurt d’étisie derrière des grilles noires.

images (8)Au muséum d’anthropologie, la foule défile, intimidée, parlant plus bas, devant ces successions de squelettes, ces ostéologies bizarres et compliquées, et ce troupeau d’ignorants nous rappelle une stupéfiante réponse faite il y a vingt ans au peintre Vibert par un vieux modèle :

— Venez travailler demain dimanche, père Sauvage, j’aurai besoin de vous pour achever mon tableau.

— Impossible, monsieur Vibert, demain je vais avec les enfants voir mon grand-père.

— Votre grand-père ? Quel âge avez-vous donc ?

— Soixante-dix-sept ans.

— Et vous avez encore votre grand-père ?

— Mais oui… au Jardin des Plantes… Il est squelette… pas loin de l’assassin de Kléber… Sauvage le Marin… Alors tous les mois je vais le voir avec mes petits-fils. Oh ! les gardiens nous connaissent, ils nous disent : « Vous venez pour le grand-père ; il est toujours-là, dans la pièce à côté ! »

De grands et vastes bâtiments contiennent d’admirables collections, présentées avec un ordre merveilleux par le savant directeur M. E. Périer, des évocations d’un autre âge, des mammouths, des bolides… Mais les amoureux du Passé regretteront toujours les adorables petites pièces Louis XV aux plafonds tapissés de crocodiles empaillés, de poissons volants, d’espadons, où se classaient les anciennes collections du « Jardin du Roi ».

Quelle intimité discrète et charmeuse ! Quel cadre idéal que ces fines boiseries grises si délicatement ouvragées ; on y admirait les plus beaux lépidoptères de tous les pays, depuis les fulgurants papillons aux éclats métalliques des Grandes Indes et des Amériques jusqu’aux phalènes de Fontainebleau qui ressemblent à des feuilles mortes jaunies et desséchées ; on y rencontrait le « grand sphynx à tête de mort » comme le minuscule papillon bleu de nos prairies de France ! Le temps avait comme poudré et légèrement terni l’éclat merveilleux de leurs colorations premières, et cela valait mieux ainsi : trop éclatants, ils auraient détonné dans ce milieu un peu vieillot, et c’était un charme de plus que d’admirer ces joyaux de l’air si légèrement recouverts d’un rien de la poussière du Passé !…

Mais le soir tombe : les rires d’enfants et les chants d’oiseaux s’éteignent ; on perçoit au loin le rugissement plaintif d’un grand félin prisonnier, une tourterelle sauvage regagne hâtivement son nid enfoui dans les branches d’un marronnier rose ; l’air est comme embaumé ; toutes les fleurs de tous les arbres exhalent vers les premières étoiles leurs derniers souffles parfumés, et la nuit bleue descend sur le Jardin qui s’endort…

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L’ordre dans les rues de paris

Posté par francesca7 le 11 août 2014

 

Article paru dans le Figaro du 7 décembre 1912.

images (4)Paris devient impraticable. On met plus de temps en 1912 pour aller en taxi de la place de la Concorde à la gare du Nord que de Saint-Germain à la rue Royale, du moins à certaines heures de la journée.

Il y a des quartiers où, quotidiennement, les voitures sont immobilisées plus d’un quart d’heure durant; l’engorgement est à l’état chronique dans certaines rues commerçantes, où la circulation se trouve à la merci du bon vouloir et du bon esprit de MM. les conducteurs, et rien n’y avance si l’un d’eux n’est pas pressé; dans les grandes artères, où les mouvements sont réglés par mesure de police, les arrêts sont moins prolongés, mais si multipliés, qu’un trajet de mille mètres, qui demanderait cinq minutes à la vitesse urbaine, prend une demi-heure. Déconcertant paradoxe: le développement des transports rapides tend à l’immobilité.

Aux plus mauvais jours de l’inondation de 1910, les Parisiens connurent l’angoisse de se trouver emprisonnés ainsi dans certaines rues du centre, pendant des heures qui leur parurent des siècles; on y était en carafe, des carafes que l’eau menaçait de remplir. C’était un phénomène accidentel et momentané devant lequel il n’y avait qu’à se résigner. En 1912, l’embouteillage est le régime courant. Ne fera-t-on rien pour en sortir?

La crise de la circulation des grandes villes est la rançon de leur prospérité, comme la mévente est celle de l’abondance des récoltes; mais il faut mettre ordre à l’une et à l’autre, sous peine de voir champs et cités ensevelis sous l’excès de leurs richesses.

La stase de nos voies publiques tient à l’exécution précipitée, sinon incohérente, d’un programme de travaux tardivement conçu: n’ayant rien fait en temps utile, on veut tout faire à la fois, et c’est ainsi qu’on inflige simultanément à notre pauvre capitale, percée jusques au fond du cœur et secouée de frissons jusqu’alors inconnus, les opérations enchevêtrées de la construction du métro, et de l’électrification du tramway, dans le moment même où celui-ci devrait céder la place à l’autobus, cependant qu’avec furie accourent de toutes parts les taxis multicolores. Invention merveilleuse, à laquelle deux fées ont présidé; la bonne promit la vitesse et la mauvaise imposa le barrage.

Mais voici, la mugissante invasion du gros camionnage, aux chariots plus terribles que ceux d’Attila, et la horde des voitures de livraison, flanquée de son essaim volant des triporteurs et des cyclistes. Oh! les voitures de livraison des grands magasins! Heureux celui qui ne les a rencontrées qu’en marche, et qui n’a pas connu les affres du blocus dans leurs rades de chargement! Il est un quartier de Paris dont l’accès est à de certains moments aussi redoutable que celui de la péninsule balkanique: c’est dans les après-midi où les deux grandes puissances que l’implacable fatalité pousse l’une contre l’autre, entrechoquent les armées de leur innombrable clientèle.

Quelle conférence européenne viendra stabiliser leurs territoires et délimiter leurs frontières, assurer, dans un intérêt purement économique, la liberté des communications depuis la rue du Havre et la rue Lafayette, par l’établissement d’une grande voie internationalisée, et constituer, entre ces deux États, une Albanie bien parisienne, sous l’autorité d’un prince magnanime et pacifique? Quel congrès de travaux publics fera draguer un chenal au milieu de la rue de la Paix? Mais quel Hercule viendra donner un coup d’épaule au préfet de la Seine, pour en finir avec ses douze douzaines de travaux, et au préfet de police pour terrasser l’hydre de la Maraude, devant laquelle tout tremble dans nos contrées?

En attendant la réalisation de ce programme, il importe de recourir à des mesures d’urgence. Pour ce qui est des charrois et des transports commerciaux, Paris en sera de plus en plus encombré jusqu’au moment où les progrès de l’aérostation permettront le fonctionnement régulier du camionnage aérien, à moins d’évacuer par le sous-sol cette circulation de service; ce serait la solution rêvée si les égouts, le Métro et les canalisations diverses pouvaient laisser place à ce réseau de petite vitesse qu’il ne serait pas facile d’installer dans le troisième dessous.

Quant aux travaux de voirie, ils ne nous stupéfient pas moins par leur lenteur que par leur multiplicité. Il y a partout des chantiers; il n’y a nulle part des ouvriers, j’entends en nombre voulu et en pleine activité, donnant l’impression du travail intensif, du coup de collier qui est de règle dans l’industrie privée pour les commandes urgentes. Or, il n’est pas exagéré de dire que, pour les grands travaux de Paris, l’urgence est de tous les instants. Est-il rien de plus pressant que de libérer nos grandes voies des causes d’obstruction qui, en ralentissant le trafic, amoindrissent leur rendement? Les rues de Paris étant des instruments de production dont le débit est incalculable, tout amoindrissement de leur activité cause un dommage plus ou moins important, non seulement à ces rues et aux quartiers qu’elles traversent, mais à la cité elle-même et par contre-coup au pays. Sans parler du discrédit que l’inhabitabilité qui en résulte cause à la capitale, jusqu’ici considérée comme la plus agréable du monde.

Les travaux publics dans les voies parisiennes de grande communication doivent être l’objet de toute l’activité ouvrière et mécanique qu’il soit possible de concentrer sur un espace déterminé; l’œuvre doit s’y poursuivre opiniâtrement et sans relâche, jour et nuit, sous le soleil et sous l’acétylène, et sans interruption aux heures des repas, grâce à des relais d’équipes, dont les salaires et les hautes payes nocturnes seraient largement récupérés par le manque à perdre du commerce parisien, dont la célérité est une condition de succès indispensable.

Ce n’est pas tout de rendre nos rues matériellement praticables, en faisant disparaître les éléments fixes de l’obstruction; il n’importe pas moins d’y activer le débit de la masse fluente. Le trafic s’y congestionne, tantôt par l’absence de toute discipline, tantôt, au contraire, par un excès de régulation, ces deux causes aboutissant au même effet, la stagnation, ici spontanée, et là imposée. Trop de barrages dans certaines régions, trop peu d’interventions dans d’autres, et nulle part l’application rigoureuse des règles élémentaires de la police des véhicules: obligation de tenir la droite et interdiction de s’arrêter au milieu de la chaussée, pour charger le client, ou de ralentir pour le quémander, ce qui constitue la maraude, si préjudiciable à la régularité du mouvement général. M. Lépine, notre préfet de police si justement aimé de tous, serait le premier à le dire: «Nos rues ne se sentent pas gouvernées».

Ce qu’il faut aussi empêcher, sous les sanctions les plus sévères, c’est le stationnement en double file, quand il n’y a pas nécessité absolue; du moins qu’on resserre les lignes pour ne pas laisser interrompre le courant d’une rue par le sans-gêne d’un cocher maladroit ou malintentionné; et, à cet égard, le mieux serait d’en venir à la méthode anglaise, qui ne tolère pas l’immobilisation des véhicules sur les voies exposées à l’encombrement; cabs et voitures de maîtres sont tenus en réserve, à quelque distance, en des emplacements déterminés d’où le client les fait venir pour les prendre ou pour les reprendre, sur un appel de sifflet. Ce serait le complément indispensable du système Eno, qui a du bon, mais qui laisse subsister un grave inconvénient, celui de permettre aux voitures, et dans certains cas les y contraindre, de tourner court au milieu d’une chaussée où d’autres passent en vitesse. Que ne leur impose-t-on la règle absolue de doubler les refuges les plus proches, aux abords desquels il aurait lieu de ralentir?

Quelques-uns de ces refuges sont disposés en porte-à-faux, de la façon la plus déconcertante et comme en vue d’ajouter à tant de causes naturelles d’accidents une difficulté artificielle et surnuméraire. Il y en a notamment, au coin du boulevard Haussmann et de la rue de Monceau, tout un jeu qui semble conçu dans le dessein de mettre à l’épreuve la virtuosité des chauffeurs, auxquels il faut de bien subtils virages pour s’en tirer sans renverser une quille ou bien leur auto. L’ingénieur auquel on le doit eût fait fortune dans l’industrie du billard hollandais.

À ce propos, ne pourrait-on pas abréger les évolutions giratoires qui nous sont imposées dans certains carrefours, où un agent, aussi impérieux avec son bâton blanc que feu Monsieur Loyal avec sa chambrière, nous fait faire le cirque jusqu’à ce que le public applaudisse? Vous me direz que c’est conforme aux lois de la gravitation et qu’il y a des étoiles qui tournent ainsi sans murmurer, dans leur orbite, depuis l’origine des choses. Les Parisiens sont moins patients, n’ayant pas l’éternité à leur disposition.

téléchargement (1)Leur temps a beaucoup de prix, et c’est grand dommage de le gaspiller. Quelle que puisse être la modicité de l’évaluation moyenne qu’en ferait un économiste, il établirait aisément comme quoi le total d’une si prodigieuse quantité de quarts d’heure perdus quotidiennement représente une somme supérieure, oh! combien! à la dépense que nécessiteraient l’accélération des travaux municipaux et l’accroissement des effectifs de la police des voitures dans les proportions voulues pour assurer le respect des règles élémentaires de la circulation urbaine.

Le premier soin d’un gouvernement digne de ce nom est de promettre aux populations l’ordre dans la rue; cela veut dire qu’il prétend les garantir contre l’inconvénient d’une révolution. Or, je vous le demande, qu’est-ce que l’embarras de quelques jours d’émeutes, auxquels on n’est guère exposé que tous les vingt ans, auprès du trouble général occasionné par le ralentissement des transactions d’une grande cité industrieuse? Supputez le dommage qui en résulte inévitablement, et convenez que le devoir le plus élémentaire de l’État, en fait d’ordre dans la rue, c’est d’y assurer la liberté des communications.

 

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Première doctoresse française en 1875

Posté par francesca7 le 25 juin 2014

Madeleine Brès : fille de charron 

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Il fut un temps où la doctoresse était considérée comme un être d’exception, presque une anomalie, et si les Facultés de médecine américaines et anglaises avaient bien ouvert leurs portes aux femmes, en France on se montrait hésitant. C’est grâce à sa persévérante ténacité que Madame Madeleine Brès parvint la première à vaincre les résistances officielles et à faire reconnaître pour la gent féminine le droit d’aborder les études médicales et de conquérir le diplôme de docteur, au même titre que ses confrères masculins.

Ce n’est pas, à vrai dire, sans difficultés, que Madeleine Brès, née en 1842 à Bouillargues (Gard) et qui aimait à s’intituler la Doyenne des Femmes-Médecins de France, réalisa en 1875 le rêve que toute sa vie elle caressa ; car, dès son enfance, elle sentit se réveiller sa vocation, ainsi qu’elle s’en ouvre en termes d’un charme exquis lors d’un entretien transcrit dans La Chronique médicale en 1895 :

« J’avais à peine huit ans quand mon père, qui était charron de son état – il n’y a pas de sot métier – me conduisit chez les sœurs, où il exécutait des travaux. Ma curiosité naturelle, mon esprit d’observation, devrais-je plutôt dire, qui se manifestait dès cette époque, me portant à examiner tout ce qui se faisait autour de moi, je considérais avec attention les religieuses confectionnant les tisanes et préparant les potions.

Il me vint à mon tour l’idée de les imiter, et voici ce que dans ma naïveté d’enfant j’imaginai : je me mis à disposer des chaises, en cercle – ces chaises, dans mon idée, figuraient des malades. Alors je les interpellai, conversant avec elles, m’inquiétant de leur santé, comme si j’avais affaire à des êtres animés. Poussant la comparaison jusqu’au bout, j’allai même jusqu’à verser sur chacune d’elles une mixture que je préparai, retenez bien la recette, avec des pelures d’oranges et de la réglisse noire ! Pour tout dire, j’avais un tel goût pour tout ce qui touchait à la médecine qu’un ami de ma famille, le Dr Pleindoux, me voyant si zélée, si secourable, me disait souvent : « Quelle infirmière tu ferais, mon enfant ! » et il ajoutait plus tard : « Quel dommage que tu ne puisses pas te faire médecin ! »

Au fait, me disais-je, pourquoi ne deviendrais-je pas médecin ? C’est l’idée qui, depuis longtemps, me hantait, et qui prit à la fin consistance. J’avais été mariée à 15 ans et un mois. J’étais devenue mère de famille ; peu après, j’étais frappée par des revers de fortune inattendus. Le malheur fortifia ma volonté. J’avais 21 ans quand j’allai pour la première fois solliciter une audience du professeur Wurtz, à l’époque doyen de la Faculté. Alors s’engagea ce colloque :

– Voulez-vous, Madame, faire vos études médicales ? Mais avez-vous vos grades universitaires, vos baccalauréats ?
– Qu’à cela ne tienne… Je les aurai.

Mais une hésitation me vient : si, une fois mes diplômes acquis, je n’allais pas être autorisée à suivre les cours de la Faculté de médecine ? Pour plus de sûreté, j’adresse une pétition au ministère de l’Instruction publique, M. Victor Duruy. M. Duruy, ne voulant pas prendre seul la responsabilité de la mesure, en référa au Conseil des ministres.

Un heureux hasard voulut que l’Impératrice présidât ce jour-là le Conseil. La souveraine enleva le vote en faveur de l’innovation : « J’espère, dit-elle à ce propos, que ces jeunes femmes trouveront des imitatrices, maintenant que la voie est ouverte. » J’employai quatre années à acquérir les connaissances littéraires et scientifiques nécessaires pour l’obtention de mes deux baccalauréats, puis je commençai ma médecine.

Ce ne fut que douze ans plus tard que je fus reçue docteur, le 3 juin 1875, avec une thèse portant pour titre : Mamelle et allaitement. Vous pourrez être surpris qu’un aussi long temps se soit écoulé entre ma première inscription et la soutenance de ma thèse ; c’est que de graves événements s’étaient passés dans l’intervalle. En 1870 la guerre, et quelques mois après la Commune, avaient éclaté, et j’avais dû de ce fait interrompre mes études.

Au moment de la guerre, mon mari faisait partie de la garde nationale. Bien que mère de trois enfants je demandai à être attachée à un service hospitalier. Sur la proposition de Broca, je fus nommée peu après interne provisoire à l’hôpital de la Pitié. Il faut vous dire qu’à ce moment-là tous les hôpitaux étaient désorganisés. La plupart des internes avaient obtenu de faire du service dans les ambulances, où ils rencontraient des cas plus intéressants, et où ils étaient beaucoup mieux payés que dans les hôpitaux, auxquels ils ne cessaient pas, d’ailleurs, d’être officiellement attachés. Je devais donc faire les pansements de mes camarades, et même signer pour eux les jours qu’ils ne venaient pas, c’est-à-dire presque tous les jours.

C’est pendant que j’étais à la Pitié – où je suis restée du mois de septembre 1870 au mois de juillet 1871 – qu’il m’arriva une mésaventure, qui aurait pu devenir tragique. Dans l’espace de trois jours les mitrailleuses firent pleuvoir sur l’hôpital 57 obus. Un des premiers projectiles tomba dans mon propre lit, au moment où je venais de le quitter, et c’est, je dois le dire, à une circonstance toute fortuite que je dois de n’avoir pas été tuée ou grièvement blessée. J’avais dans l’une de mes salles une vieille femme que l’on conservait par charité, et qui était atteinte de bronchite chronique.

On avait l’habitude de lui donner une potion diacodée pour lui calmer sa toux. Inquiète de savoir si elle avait reçu son médicament habituel, je m’étais levée, en deux temps, car je couchais sur mon lit toute habillée ; j’allai à la pharmacie pour m’informer. Pendant ma courte absence l’obus éclatait. J’en ai donné les éclats à ma fille qui les conserve précieusement.

Vous vous demandez sans doute sur quel pied je vivais avec les étudiants et avec mes chefs de service ? Je dois dire de suite que je n’ai jamais eu à me plaindre de personne. Les chefs de service m’ont donné les certificats les plus flatteurs. Ainsi Broca rendait hommage à mon « exactitude » et « à ma tenue irréprochable ». Les professeurs Gavarret, Sappey, Paul Lorain, Wurtz, se plaisaient à reconnaître que « Madame Brès, par sa tenue parfaite – ce sont les termes mêmes du certificat – a justifié l’ouverture de nos cours aux élèves du sexe féminin et obtenu le respect de tous les étudiants avec lesquels elle s’est trouvée forcément en rapport ».

220px-Thèse_de_Madeleine_Brès_par_Jean_BéraudLe respect, c’est en effet bien le mot, et un respect de bon aloi. Et, à ce propos, je ne vous citerai qu’un trait, un fragment de conversation pris sur le vif : « Figurez-vous, mon cher X… » disait un jour, en commençant son récit, un étudiant de mon service ; mais il ne confondait aussitôt excuses : « Oh ! mille pardons, Madame, j’oubliais ». Vous voyez la note : on vivait sur un pied de bonne et franche camaraderie, voilà tout.

Je ne saurais dire si c’est à cela que je dois d’avoir poursuivi ma carrière médicale, ou si ce n’était pas plutôt chez moi le résultat de la force de volonté unie à la vocation. Toujours est-il que j’avais l’ambition de conquérir tous mes grades, l’internat compris. Dans ce but j’adressai une demande à l’Assistance publique pour être admise au concours de l’externat d’abord, puis de l’internat. Le directeur de l’administration m’opposa une fin de non-recevoir, mais des plus courtoises : « S’il ne s’était agi que de vous personnellement, m’écrivait-il, je crois pouvoir dire que l’autorisation demandée eût été probablement accordée. Mais le Conseil a compris qu’il ne pouvait ainsi restreindre la question et l’examinant en thèse générale dans son application et ses conséquences d’avenir, le Conseil a eu le regret de ne pouvoir autoriser l’innovation que votre admission aurait consacrée. »

Depuis, on s’est montré plus libéral et nous avons eu des femmes externes en médecine et même des femmes internes ; tant il est vrai que les bonnes idées font toujours leur chemin. Est-ce à dire que les femmes doivent faire de la clientèle sans sélection et traiter toutes sortes de maladies ? Je persiste à croire, pour mon compte, qu’elles doivent s’en tenir à la spécialité des femmes et des enfants. Personnellement, je n’ai jamais donné de consultation à un homme. Je me suis tout entière consacrée à la médecine d’enfants.

J’aurais pu, étant donné mes études supérieurs, faire de la chimie, car j’ai travaillé trois ans dans le laboratoire de Wurtz, et quatre ans dans celui de Frémy. Mais j’ai préféré vulgariser l’hygiène ; cela s’accommodait mieux avec mes goûts. J’ai été, en 1891, envoyée en mission en Suisse pour étudier l’organisation et le fonctionnement des crèches et autres établissements destinés aux enfants du premier âge. Actuellement je suis chargée de faire des cours d’hygiène, suivis de leçons de choses, dans chacune des mairies de Paris. La première j’ai établi les variations de la composition du lait, et le problème de l’alimentation des enfants est une de mes préoccupations.

Si je mets du cœur à ma besogne cela tient, croyez-le bien, à ce que, tout en devenant médecin, je suis restée femme ou plutôt mère de famille. J’estime, en effet, que la femme, quelque situation qu’elle occupe, ne doit jamais perdre les attributs de son sexe, conclut Madeleine Brès.

Elle dirigea un journal de médecine ayant pour titre : l’Hygiène de la Femme et de l’Enfant, et fonda aux Batignolles, grâce au généreux concours de quelques femmes reconnaissantes, une crèche dans laquelle les enfants étaient reçus gratuitement et où, une fois par semaine, les jeunes mères pouvaient écouter des leçons de choses, faites au berceau même de l’enfant, par la fondatrice. Elle mourut en 1921.

(D’après « La Chronique médicale » n° du 1er avril 1895
et « Figures contemporaines » (Volume 1) paru en 1894)

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A l’Académie française : des révélations

Posté par francesca7 le 2 avril 2014

 

Le Point.fr - 

Dans une enquête riche en révélations, Daniel Garcia lève le voile sur les moeurs de l’Académie, mais surtout sur son exceptionnel patrimoine. Entretien.

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L’Académie française est une drôle de dame. Daniel Garcia a décidé d’y aller voir de plus près. Au bout du compte, le journaliste livre une enquête riche en révélations sur cette institution vieille de plusieurs siècles. De l’élection de François Weyergans au rang d’immortel aux secrets du marché de l’occasion de l’habit vert en passant par le rôle joué par les académiciens lors du mariage pour tous, les anecdotes ne manquent pas. Certaines tendent à faire sourire, d’autres sont révélatrices de coutumes peu orthodoxes. 

Dans un chapitre intitulé « Le Monopoly du Quai Conti », Daniel Garcia lève le voile sur l’immense richesse de l’Institut de France, la maison mère de l’Académie française et de ses soeurs. La Coupole est riche, très riche. Sa fortune est estimée à un milliard d’euros. Et ce, rien que pour les liquidités, s’il vous plaît. À quoi il convient d’ajouter plusieurs dizaines de propriétés : le château de Chantilly, son jardin et son musée, la maison Claude Monet à Giverny, la bibliothèque Mazarine, l’abbaye royale de Chaalis, des châteaux un peu partout en France (et en Europe), des centaines d’hectares ou encore des immeubles dans les plus chics arrondissements parisiens…

Le plus piquant n’est pas là. Daniel Garcia s’est intéressé à des dossiers inconnus ou presque du grand public. S’y croisent : Nicolas Sarkozy, Liliane Bettencourt et sa fille, Éric Woerth. L’auteur s’étonne aussi de la bienveillance suspecte de la Cour des comptes quant à la mauvaise gestion des finances de la Coupole. Le portrait le plus acerbe est consacré à Gabriel de Breuil, le chancelier de l’Institut de France. Moqué pour son extrême arrogance, pointé du doigt pour ses pratiques peu scrupuleuses, l’homme n’en ressort pas indemne. 

Le Point.fr : Depuis la sortie de votre livre choc à la mi-février, l’Institut de France a-t-il déposé plainte ? 

 

Daniel Garcia : La veille de la parution, l’Institut annonçait qu’il portait plainte pour diffamation. Près de deux mois plus tard, mon éditeur n’a toujours pas reçu d’assignation. Cela ne m’étonne guère. Trois académiciens m’avaient prévenu qu’il ne se passerait rien. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. En revanche, mon éditeur a reçu plusieurs lettres, qui m’étaient destinées, d’employés de l’Institut disant leur souffrance ou leur colère de devoir travailler aux ordres du chancelier Broglie. 

Justement, à plusieurs reprises, vous sous-entendez que Gabriel de Broglie, le chancelier de l’Institut, donnerait dans l’abus de bien social et les détournements de fonds. Pouvez-vous être plus précis ?

Dans le cas, par exemple, de la vente de l’immeuble de l’avenue Gabriel, où Broglie est intervenu, je crois qu’en me lisant attentivement, on comprend de quoi il retourne. Ces 3,3 millions d’euros en liquidités, sortis des comptes de l’Institut à l’occasion de cette transaction, devraient en interpeller plus d’un. 

Comment Gabriel de Broglie peut-il agir avec autant d’impunité ? 

Gabriel de Broglie s’imagine vivre sous l’Ancien Régime. Il doit penser que tout lui est dû. Les anecdotes, innombrables, sur son arrogance, sont édifiantes. Et la façon dont il a délibérément cherché à cacher la pollution qui entachait la parcelle où sera construit l’auditorium André et Liliane Bettencourt, dont je parle maintes fois dans mon livre, prouve qu’il est aussi d’un cynisme absolu. 

A-t-il réagi à votre livre ? 

Oui ! En annonçant au « conseil d’administration » de l’Institut qu’il était candidat à sa réélection ! Il a argué auprès de ce docte aréopage, uniquement composé d’habits verts, que mon livre ayant bafoué son honneur, seule sa réélection pourrait le laver de cette infamie. C’est consternant. Mais il fait miroiter à ses futurs électeurs qu’il se débarrassera de Leticia Petrie, la directrice des services administratifs, qu’il avait pourtant lui-même recrutée, mais qui est unanimement contestée. Bref, il a trouvé un fusible commode. 

Le chancelier fait-il régner la terreur sous la Coupole ?

Disons qu’il profite de la lâcheté de nombreux académiciens. Quand il poursuit, par exemple, tel employé modèle de sa vindicte, sans raison apparente, plusieurs académiciens assurent la personne en question de leur soutien…, mais aucun ne fait rien, concrètement, pour le soutenir. 

Vous faites état des rapports successifs de la Cour des comptes qui, depuis trente ans, critiquent la gestion de l’Institut sans vraiment taper du poing sur la table. La Rue Cambon chercherait-elle à ménager le Quai Conti ? Y aurait-il, derrière cette indulgence, une volonté politique ?

Une volonté délibérée, non. Mais les académies ont su tisser d’habiles liens avec les réseaux de pouvoir. Songez qu’elles abritent plusieurs anciens ministres, un ancien président de la République (Valéry Giscard d’Estaing), un ancien gouverneur de la Banque de France, plusieurs Conseillers d’État, etc. Pierre Joxe, ancien premier président de la Cour des comptes, rêvait de l’habit vert – il hérita finalement du Conseil constitutionnel. François Mitterrand n’aurait pas dédaigné s’asseoir sous la Coupole… Le chancelier actuel sait habilement se servir de ces réseaux d’influence. 

Croyez-vous que le prochain rapport de la Cour des comptes puisse changer la donne ? 

J’ai bien peur que non. Je connais trois personnes, au moins, qui, apprenant qu’un nouvel audit de l’Institut était lancé à l’automne dernier, se sont manifestées spontanément auprès de la Rue Cambon, pour expliquer qu’elles souhaitaient partager certaines informations sur la gestion de l’Institut. Ces trois personnes ne se sont pas concertées entre elles. Peut-être en existe-t-il d’ailleurs davantage. Mais je ne connais que ces trois-là, qui ont, disons, une certaine « surface sociale » et même, pour deux d’entre elles, « pignon sur rue ». Or, à l’heure où je vous parle, aucune des trois n’a été contactée par les magistrats chargés de l’audit de l’Institut. Je vous laisse imaginer leur déception…

La fièvre verte existe-t-elle encore ?

Tout en restant un fantasme pour beaucoup d’écrivains, l’Académie française, ne manque pas de candidats, mais elle est moins attractive qu’au XIXe siècle. Elle n’attire plus les grands auteurs. Le Clézio, Modiano, Sollers ont tous refusé de porter l’habit vert. Heureusement, l’Académie française ne se cantonne pas aux écrivains : elle s’est ouverte aux médecins, aux avocats… 

 ©  Éditions du Moment

À quoi devrait ressembler l’Académie du XXIe siècle ?

L’Académie voulue par Richelieu n’était pas une affaire d’argent. Avec le temps, c’est devenu une affaire de gros sous. Soit. Mais qu’au moins, en ce domaine, elle s’ouvre à la transparence.

 

Coupoles et dépendances, Enquête sur l’Académie française, par Daniel Garcia, éditions du Moment, 292 p., 19,95 euros. 

 

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Cafetier au CAFES DE PARIS

Posté par francesca7 le 5 mars 2014

 

Café Procope (Le) à Paris, accueillant
les grandes figures des arts et lettres

(D’après « Histoire anecdotique des cafés et cabarets de Paris », paru en 1862)

 
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L’établissement des cafés de Paris ne date que de la moitié du XVIIe siècle, et c’est en 1686 que le Sicilien Procope, après avoir travaillé pour un cafetier du nom de Pascal, rachète un établissement rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, qu’il ouvre trois ans plus tard et qui devient l’un des cafés littéraires les plus en vogue, où se rendent Rousseau, Voltaire, Saint-Foix ou encore Crébillon

En 1669, Louis XIV régnant, un ambassadeur de la Sublime Porte, Soliman-Aga, introduisit dans cette ville l’usage du café, dont il était fait depuis longtemps une si grande consommation en Orient, et un Arménien, Pascal, en tint bientôt débit dans une boutique de la foire Saint-Germain.

Mais le café menaçait de passer, comme toutes choses à la mode, et de donner ainsi raison à la moitié de la prédiction de madame de Sévigné, lorsqu’un Sicilien, qui portait le même nom que le secrétaire de Bélisaire, Procope, imagina de recommencer la tentative de Pascal, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, où venaient de déménager le théâtre de la Comédie-Française —, d’où par la suite, rue de l’Ancienne-Comédie.

Cafetier au CAFES DE PARIS dans ARTISANAT FRANCAIS 240px-Cafe_Procope_barLe café ouvert par Procope en face du théâtre, au n°13 de la rue, n’avait pas tardé à être fréquenté par la meilleure compagnie et par la plus illustre — des gardes du roi et des philosophes, des gentilshommes et des académiciens. Les écrivains, c’étaient Voltaire, Destouches, Piron, J.B. Rousseau, Danchet, Ducastre d’Auvigny, Richer, Tronchin, Guyot de Merville, Lachaussée, Facarony, Fontenelle, Crébillon, Saint-Foix, Diderot, Lemierre, De Belloy, Chauveau, Voisenon, etc.

Etait-ce à cause du délicieux poison noir que venaient là ces gens de lettres ou de génie ? Oui, quant aux uns ; non, quant aux autres. La Comédie-Française était en face, et il était naturel que ceux qui vivaient d’elle ou qui la faisaient vivre demeurassent le plus longtemps possible dans son voisinage, et passassent leurs journées au café Procope, foyer de nouvelles et de cancans de toutes sortes — même après le départ de la Comédie pour l’autre rive de la Seine.

P.L. Buirette de Belloy, membre de l’Académie française, avait fait jouer par messieurs les comédiens français trois ou quatre tragédies, une Gabrielle de Vergy, un Titus, une Zelmire, un Siège de Calais ; Lemierre, autant de tragédies, un Artaxerce, une Hypermnestre, unBarnevelt, un Idoménée ; Prosper Jolyot de Crébillon, père, autant de tragédies, un Catilina, un Idoménée, un Xercès, une Electre ; Bernard Le Bouvier de Fontenelle, autant de tragédies, un Bellérophon, un Brutus, un Énée ; Rousseau, autant de tragédies, un Jason, uneMarianne ; Alexis Piron, autant de tragédies, un Fernand Cortez, un Gustave Wasa, unCalisthène ; Poullain de Saint-Foix, quelques comédies, la ColonieDeucalion et Pirrhale Financierles Veuves turques ; Denis Diderot, deux drames, le Fils naturel et le Père de famille ; Chauveau, une comédie en cinq actes et en vers, l’Homme de cour.

Au café Procope venaient aussi des fermiers généraux amants des Muses et des comédiennes, par exemple Mgr J.J. Leriche de la Popelinière, qui, à ses heures de loisir, subsevivae horae, daignait écrire tout comme un autre, et nous en a laissé, comme preuve, une Daïra, tirée à un très petit nombre d’exemplaires, et des Dialogues dans le goût du Portier des Chartreux, tirés à un seul exemplaire.

Les gardes du roi se mêlaient, au café Procope, aux « gardes d’Apollon », en petite quantité, mais ils s’y mêlaient. Il y a, à ce propos, une anecdote qu’on a beaucoup racontée, et qui mérite de l’être encore.

Un jour Saint-Foix entre chez Coltelli dans de mauvaises dispositions ; il avait sans doute été sifflé la veille. Derrière lui entre un garde du roi qui demande une tasse de café au lait et un petit pain, pour « dîner ». « Alors, murmure Saint-Foix, une tasse de café au lait et un petit pain, cela fait un fichu dîner ! »

D’abord le garde du roi n’entend pas, ou ne veut pas l’entendre. Saint-Foix, ainsi que cela arrive aux gens qui sont distraits et qui s’ennuient, répète sa phrase plusieurs fois, et chaque fois plus haut. Le garde du roi se fâche et le regarde avec une sorte de colère, comme pour l’inviter à se taire.

« Vous ne m’empêcherez pas, répondit Saint-Foix, de trouver qu’une tasse de café au lait avec un petit pain ne fasse un fichu dîner !… Oui, répéta-t-il avec plus de chaleur encore, une tasse de café au lait avec un petit pain fait un fichu dîner !… » Le garde du roi, justement impatienté, se lève alors et fait à Saint-Foix un signe sur lequel il n’y avait pas à se méprendre. En ce temps-là ce n’était pas comme aujourd’hui, chacun portait une épée au côté et la peau répondait de l’intempérance de la langue.

Le garde du roi et Saint-Foix sortent donc du café Procope et s’en vont à quelques pas de là, dans le jeu de paume, qui est devenu le passage du Commerce. Saint-Foix est blessé au bras ; son adversaire s’approche courtoisement de lui ; il lui répète, avec cette obstination qu’on a quelquefois, on ne sait pourquoi : « Oui, monsieur, je soutiens qu’une tasse de café au lait

Le garde du roi va se fâcher de nouveau. On s’attroupe autour des deux adversaires qui veulent remettre l’épée à la main ; et alors surviennent deux gardes des maréchaux de France qui s’attachent à chacun des combattants et les conduisent devant le duc de Noailles, doyen des maréchaux de France. Il faut s’expliquer. Le garde du roi dit que Saint-Foix l’a insulté à plusieurs reprises, même après le premier coup d’épée. Saint-Foix s’écrie brusquement :

« Monseigneur, je n’ai point prétendu insulter M.&nsbp;le garde du roi, je le tiens pour un galant homme et un brave militaire ; mais votre grandeur ne m’empêchera pas de dire qu’une tasse de café au lait avec un petit pain ne soit un fichu dîner !… »

Le duc de Noailles rit, tout le monde rit, Louis XV rit, et l’affaire en resta là, heureusement. Saint-Foix avait raison pourtant : c’est un maigre dîner qu’une tasse de café au lait avec un petit pain, un triste dîner, car beaucoup de gens de lettres aujourd’hui, beaucoup de savants même, de ceux qui viennent au café Procope, ne peuvent s’en payer un plus confortable et plus réconfortant.

File:Cafe Procope plaque.jpgLe café Procope fut un peu dédaigné par les lettres, car les lettres émigrèrent vers les hauteurs de Montmartre. Il demeura cependant parmi les habitués fidèles de cet établissement historique des noms qui, pour n’avoir pas le retentissement de ceux des habitués du café des Variétés ou de la Brasserie des Martyrs, n’en appartiennent pas moins à d’estimables personnes, comme : le savant Desprez, qui, le soit, y faisait de la copie savante ; Coquille, un rédacteur de feu l’Univers, journaliste qui écrivait beaucoup et qui parlait peu ; le commandant Couturier de Vienne, fort joueur d’échecs ; Bernard, la bête noire de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, n savant professeur qui consacra quarante années de sa laborieuse carrière à un traité organique de la latinité ; Renard, libraire, féroce joueur de dominos, dont on cite une partie qui dura deux ans avec Dantzell, graveur de la Monnaie.

Citons encore Montferrand, un avocat ; Catelan, un professeur ; Galtier, Castelnau, Adam et Blatin, médecins ; puis un administrateur du bureau de bienfaisance, un greffier de justice de paix, quelques libraires, quelques rentiers, etc. N’oublions pas l’homme au thé, un respectable et mystérieux gentleman qui, chaque soir, à minuit sonnant, avalait méthodiquement plusieurs tasses de thé Souchon et de thé Hyswen mêlés, préparées par lui.

 

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Histoires d’amour d’Anouk Aimée

Posté par francesca7 le 1 mars 2014

 

 

290px-Anouk_Aimée_CannesAnouk Aimée (pseudonyme de Françoise Judith Sorya Dreyfus) est une actrice française née le 27 avril 1932, à Paris.

 

Depuis « Lola » de Demy et « Un homme et une femme » de Lelouch, Anouk Aimée est une actrice culte. Ell Elle s’est mariée trois fois : avec Nico Papatakis, avec Pierre Barouh, puis avec Albert Finney ; elle a vécu avec Élie Chouraqui. Elle a eu une fille Manuella avec Nico et elle a une petite fille Galaad Milinaire. Dans les années 1950, elle fréquente Jean Genet, Jean Cocteau,Raymond Queneau. e sera en janvier la partenaire de Depardieu au théâtre. Rencontre.

La vie cinématographique d’Anouk Aimée est une histoire de famille. Pour le côté français, il y a Claude Lelouch et Jacques Demy, à qui elle sera fidèle. Les réalisateurs l’ont fait tourner plusieurs fois. « Le metteur en scène peut tout, dit Anouk. C’est de lui dont dépend le résultat final. Tant que la caméra sera gentille avec moi, je serai présente devant elle. » Le souffle poétique et créatif de Truffaut, Kubrick ou Visconti lui manque : « Il y a des metteurs en scène de talent. Les films moyens sont bons, même meilleurs qu’avant, mais il n’y a plus de très grands films. » 

La vie privée d’Anouk Aimée est aussi liée au cinéma. Nico Papatakis, Pierre Barouh, Albert Finney et Élie Chouraqui. Deux livres récemment publiés évoquent son histoire d’amour avec Maurice Ronet durant l’année 1958. Elle fut l’une des femmes qui comptèrent le plus pour lui. S’étonnant que l’on évoque cette histoire, elle se tait, semble hésiter, puis confie dans un murmure : « C’était un personnage extraordinaire, d’une vraie poésie, fou, très beau, très doué, hypersensible. Il a beaucoup compté pour moi. Je l’ai croisé dans un restaurant quelque temps avant sa disparition. J’ai vu la mort et je n’ai pas voulu qu’il lise dans mes yeux ce que je voyais. » Une ultime confidence, le souvenir d’un amour à plus de cinquante ans de distance. En cet après-midi ensoleillé de décembre, à quelques jours d’une première, Anouk Aimée est occupée. Elle prendra pourtant le temps de rêver, d’observer comme le faisait Fellini : « Jouer la comédie, vous savez, c’est d’abord et avant tout regarder les autres vivre. »

 Ses premiers mots sont des excuses répétées en boucle : « Excusez-moi, excusez-moi ! Je déteste être en retard. Je ne suis pas le genre d’actrice qui aime se faire attendre. » Un retard de quelques minutes seulement, mais cela contrarie Anouk Aimée, qui vient de Montmartre, sa campagne. Elle est descendue en ville, car, dans quelques jours, elle jouera au théâtre Antoine Love Letters avec Gérard Depardieu (*) : « On se connaît depuis longtemps, mais nous n’avions jamais travaillé ensemble. Je l’admire, il a une telle présence. » L’année dernière, à la même période, lorsque la cabale fusait contre ce nouveau résident belge, elle avait décroché son téléphone : « Pour lui dire que je l’embrassais, c’est tout. » 

Il est son sixième partenaire dans cette pièce américaine de Albert Ramsdell Gurney, une comédie romantique qu’elle est la seule à avoir jouée en France. « Avant Gérard, il y a eu Bruno Cremer, Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber et Alain Delon. » Anouk Aimée est plus une habituée des plateaux de cinéma que des scènes de théâtre, mais elle tient à cette pièce-là : « Le producteur, Lars Schmidt, le mari d’Ingrid Bergman, m’avait vue à mes débuts dans Sud de Julien Green, c’est lui qui m’a convaincue de revenir sur scène. Pour aller au théâtre tous les soirs, il faut vraiment que j’aime le rôle. »

 voir la vidéo de l’interview : http://www.wat.tv/video/anouk-aimee-gerard-depardieu-6l0jv_2i6xp_.html

Tout commence avec « une rencontre dans la rue »

Anouk Aimée s’étonne d’avoir eu tant de chance dans ce métier : « J’ai débuté à 14 ans après une rencontre dans la rue. Je ne souhaitais pas faire de cinéma, je voulais être danseuse. » Elle gardera le prénom que portait le personnage de ce premier rôle. Jacques Prévert lui trouvera son nom, « Aimée », lors du tournage deLa fleur de l’âge de Marcel Carné : « Ce film n’existe plus, il n’a jamais pu être terminé et a été perdu. » C’est un film inaugural pour l’actrice qui pourrait se vanter d’avoir tourné ensuite avec les plus grands réalisateurs. Elle ne le fait pas et en revient toujours à la chance. 

C’est avec amour qu’elle se souvient du Fellini de La Dolce Vita et de Huit et demi. Le réalisateur italien dit à son propos qu’ »elle a la même sensualité intrigante que celle de Greta Garbo, Marlene Dietrich et Joan Crawford. » Persuadée que ces actrices ne disent plus grand-chose à la génération actuelle, Anouk Aimée regrette qu’on oublie si vite. Elle n’a pas la mémoire courte et cite les acteurs qu’elle admire, de Mae West à Groucho Marx, qui était à sa table lors de son triomphe aux Oscars avec Un homme et une femme.

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Expression : Paris vaut bien une messe

Posté par francesca7 le 25 février 2014

 
citation apocryphe, attribuée à
Henri IV lors de son abjuration

(D’après « Erreurs et mensonges historiques » (Tome 2) 2e éd., paru en 1879)

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Edouard Fournier, l’auteur de recherches ingénieuses, savantes et souvent heureuses sur les mots prétendus historiques, rapportant le célèbre « Paris vaut bien une messe » dont la popularité est si grande et si déplorable, écrit dans son Esprit dans l’Histoire, recherches et curiosités sur les mots historiques : « C’est à mon sens un mot très imprudent. Si Henri IV en eut la pensée, lorsqu’il prit la résolution d’abjurer, pour en finir avec les difficultés qui lui barraient le libre chemin du trône et l’entrée dans sa bonne ville, il fut certes trop adroit pour le dire. »

Ce mot, qui est un vrai propos de corps de garde, n’a pu être tenu par Henri IV ; pour le démontrer sans ré-plique, il suffit de prouver que ce prince s’est sincèrement converti. Comme toute erreur a sa source quelque part et comme aussi tout mensonge a une sorte de raison d’être, il faut d’abord, en peu de mots, rechercher la source de cette erreur et la raison de ce mensonge, et il ne nous sera pas difficile de les trouver dans les divers aspects sous lesquels, jusqu’à ce jour, on avait envisagé Henri IV.

Comme l’a fort judicieusement constaté Berger de Xivrey : « Au XVIIIe siècle, on s’occupa surtout du prince galant et spirituel… Les premières années de notre siècle admirèrent avant tout dans Henri IV la bonté du cœur » (Recueil des Lettres missives de Henry IV, publié dans la Collection de documents inédits sur l’histoire de France). Il était réservé à notre temps de chercher et de retrouver dans le premier des Bourbons l’homme tout entier, le grand homme, c’est-à-dire, l’homme dont la franchise ne s’est jamais démentie un seul instant. C’est sous cet aspect qu’au XVIIe siècle, l’évêque Hardouin de Péréfixe (Histoire du roi Henri le Grand), précepteur de Louis XIV, s’était attaché à représenter — l’histoire à la main — la noble figure du prince le plus justement populaire.

 

 « Cependant, oserons-nous le dire, peu de règnes sont moins connus, et cette longue popularité semble plutôt une idée confuse de ce que ce prince a dû être qu’une notion exacte de ce qu’il a été. Le mouvement des circonstances et l’inclination particulière des esprits ont mis successivement en relief certains côtés de son caractère ; peut-être ne les a-t-on jamais tous indiqués ni tous embrassés dans leur ensemble. La bonhomie du roi Henri a nui à sa grandeur. La légende a amoindri l’histoire. Elle a retiré au génie du souverain ce qu’elle prêtait au charme de l’homme, et en le faisant aimer, elle l’a fait moins admirer. Exagération bientôt suivie de retours contraires !…

« Le premier historien de Henri IV, c’a été jusqu’ici Henri IV lui-même, dit Mercier de Lacombe, dans une remarquable étude sur ce prince intitulée La politique de Henri IV (parue dans le Correspondant de 1857) ; — le mot est aussi vrai que spirituel. Il est quelquefois dangereux pour les grands hommes de se montrer à découvert. Leur âme n’égale pas toujours leur génie. La mémoire de Henri IV n’a point eu à redouter ce péril… La publication des Lettres de ce prince confiée par M. Villemain aux soins éclairés de M. Berger de Xivrey, a plus fait pour Henri IV que les plus ardents panégyriques. »

C’est à ce recueil que nous allons demander le récit plein d’intérêt de la conversion de Henri IV, des causes qui la déterminèrent. Les Lettres de ce prince confirment l’authenticité des récits de Palma Cayet, d’Hardouin de Péréfixe et de de Bury (Histoire de la vie de Henri IV, roi de France et de Navarre), que nous reproduirons en tout ce qui concerne l’histoire de la conversion du premier des Bourbons.

L’homme ne s’étant jamais démenti dans Henri IV, il n’est pas sans intérêt et surtout sans utilité de rechercher quels liens retinrent si longtemps ce prince dans le sein du protestantisme. Né d’un père et d’une mère catholiques, Henri entra, dès sa naissance, dans l’Église catholique par le baptême qu’il reçut des mains du cardinal d’Armagnac, évêque de Rodez et vice-légat d’Avignon. Ses deux parrains (Henri II, roi de France, et Henri d’Albret, roi de Navarre, son grand-père) ainsi que sa marraine (Madame Claude de France) étaient catholiques. Nous insistons sur ces particularités, parce que le souvenir de son baptême catholique influa toujours sur Henri IV et ne fut pas un des moindres motifs qui déterminèrent sa conversion.

Né en 1553, ce prince perdit son père en 1562. Ce ne fut qu’à son retour de la cour de France en Béarn que Jeanne d’Albret, sa mère, « embrassa ouvertement le calvinisme ; mais elle laissa son fils auprès du roi (Charles IX), sous la conduite d’un sage précepteur, nommé la Gaucherie, lequel tâcha de lui donner quelque teinture des Lettres, non par les règles de Grammaire, mais par les discours et les entretiens. Pour cet effet il lui apprit par cœur plusieurs belles sentences, comme celle-ci : Ou vaincre avec justice, ou mourir avec gloire ; et cette autre : Les princes sur leur peuple ont autorité grande, / Mais, Dieu plus fortement dessus les rois commande. »

Le jeune prince n’avait que treize ans lorsque la Gaucherie mourut (1566) ; sa mère le fit revenir en Béarn et elle lui donna pour précepteur « Florent Chrétien,… tout à fait huguenot, et qui selon les ordres de cette reine, éleva le prince dans cette fausse doctrine », écrit Hardouin de Péréfixe. A l’âge de seize ans, il fut mis à la tête du parti protestant et apprit l’art de la guerre sous la conduite de Coligny. La sagesse de Henri lui acquit l’estime et la confiance de Charles IX et d’Henri III ; mais, trop de périls l’environnant à la cour de France, il s’enfuit, rentra dans le parrti huguenot, le seul parti qu’il pût avoir ; et quittant l’Église catholique, professa de nouveau sa première religion. Il est à croire, dit Péréfixe, qu’il le fit parce qu’il était persuadé qu’elle était la meilleure ; ainsi sa faute serait en quelque façon digne d excuse, et l’on ne pourrait lui reprocher que de n’avoir pas eu les véritables lumières. »

téléchargement (5)Il n’était pas aveuglément fanatique, car en 1577, les députés des États de Blois l’engagèrent à rentrer dans la religion catholique, il répondit à l’archevêque de Vienne qui portait la parole, « qu’il n’était point opiniâtre sur l’article de la religion ; qu’il avait toujours cru que celle qui lui avait été annoncée dès son enfance était la meilleure ; que la voie la plus sûre pour lui persuader le contraire n’était pas la guerre dont on le menaçait et qui achèverait la désolation du royaume », rapporte de Bury.

Quelques années après, lorsque Henri III envoya le duc d’Epernon à ce prince, pour l’assurer de son amitié et de ses bonnes intentions, l’inviter à venir à la cour et lui persuader que l’unique moyen de faire avorter les desseins de la Ligue était de changer de religion, Henri de Navarre lui répondit « qu’il conserverait inviolablement toute sa vie l’attachement et la reconnaissance dont il était pénétré pour Sa Majesté ; (…) qu’à l’égard de la religion, il n’était point opiniâtre sur cet article ; que lorsqu’on l’aurait convaincu qu’il était dans l’erreur, il ne balancerait pas à changer, n’ayant rien de plus à cœur que de contribuer de tout son pouvoir à la tranquillité de l’État. » Dès cette époque, et comme sous l’empire d’un pressentiment prophétique, le pape Sixte-Quint, si bon connaisseur en fait d’hommes, disait : « La tête de ce prince est faite exprès pour la couronne de France. »

Cependant, Henri III est frappé par le poignard de Jacques Clément ; le roi de Navarre accourt recueillir son dernier soupir et témoigne la plus grande douleur à la vue d’un si horrible attentat. « Il faudrait, dit de Bury, un peintre bien habile pour nous représenter d’un coup d’œil, dans un tableau, la scène qui se passait dans la chambre de Henri III. On verrait le roi de Navarre pénétré de la plus grande affliction, à genoux près du lit du roi, tenant entre ses mains celle de ce prince, qu’il arrosait de ses larmes, sans pouvoir proférer une seule parole ; Henri III, moribond, lui montrant d’un côté le corps de Notre-Seigneur entre les mains du ministre de l’Église, et de l’autre la couronne de France, pour faire connaître à Henri qu’elle serait toujours vacillante sur sa tête, s’il ne la faisait soutenir par la religion catholique, à laquelle il l’exhortait de se soumettre. On verrait les seigneurs catholiques, dans une contenance respectueuse, approuver par leurs gestes les discours du roi. »

Le 2 août 1589, vers quatre heures du matin, le roi de Navarre, âgé de trente-cinq ans, devint roi de France, par la mort de Henri III. Le même jour, il adressait aux principales villes du royaume une circulaire, où nous lisons ces lignes dignes de remarque : « Il a plu à Dieu nous appeler (…) à la succession de cette couronne, ayant bien délibéré aussi de donner tout le meilleur ordre que faire se pourra, avec le bon conseil et avis des princes et autres principaux seigneurs, à ce qui sera du bien et conservation de l’Etat, sans y rien innover au fait de la religion catholique, apostolique et romaine, mais la conserver de notre pouvoir, comme nous en ferons plus particulière et expresse déclaration » (Lettres missives de Henri IV).

A la suite d’une assemblée, la noblesse de France fit promesse à Henri de le reconnaître pour roi, à ces conditions : « 1° Pourvu qu’il se fît instruire dans six mois ; car, on présupposait que l’instruction causerait nécessairement la conversion. 2° Qu’il ne permît aucun exercice que de la religion catholique. 3° Qu’il ne donnât ni charge, ni emploi aux huguenots. 4° Qu’il permît à l’assemblée de députer vers le pape, pour lui faire entendre et agréer les causes qui obligeaient la noblesse de demeurer au service d’un prince séparé de l’Église romaine

« (…) Le roi leur accorda facilement tous les points qu’ils demandaient, hormis le second. Au lieu duquel il s’engagea de rétablir l’exercice de la religion catholique, par toutes ses terres, et d’y remettre les ecclésiastiques dans la possession de leurs biens. Il fit dresser une déclaration de cela, et après que les seigneurs et gentilshommes de marque l’eurent signée, il l’envoya à cette partie du Parlement, qui était séante à Tours, pour la vérifier », nous apprend Péréfixe.

Henri IV aurait peut-être dès lors change de religion, pour donner aux seigneurs catholiques la satisfaction qu’ils demandaient : il était assez éclairé pour connaître celle qui était la véritable ; mais, la politique l’obligeait d’avoir de la condescendance pour les huguenots. Leur parti était trop considérable, pour qu’on ne le ménageât pas. D’ailleurs, dès lors, —comme par le passé, — il parlait toujours avec respect du pape et des prêtres, rapporte de Bury. Plus nous avançons et plus nous recueillons des preuves de la foi et de la piété de ce grand cœur, si plein de noblesse et de franchise.

Sur le champ de bataille d’Ivry (14 mars 1590), au moment d’engager le combat, « il leva les yeux au ciel, et joignant les mains, appela Dieu à témoin de son intention, et invoqua son assistance, — le priant de vouloir réduire les rebelles à reconnaître celui que l’ordre de la succession leur avait donné pour légitime souverain. Mais, Seigneur (disait-il), s’il t’a plu en disposer autrement, ou que tu voies que je dusse être du nombre de ces rois que tu donnes en ta colère, ôte moi la vie avec la couronne ; agrée que je sois aujourd’hui la victime de tes saintes volontés ; fais que ma mort délivre la France des calamités de la guerre, et que mon sang soit le dernier qui soit répandu en cette querelle », nous révèle Péréfixe.

On sait quelle fut l’issue de cette glorieuse journée. Vainqueur de ses ennemis, Henri IV rapporta tout l’honneur de l’avantage à Dieu seul. « Il a plu à Dieu — écrivait-il le soir même de la bataille d’Ivry — de m’accorder ce que j’avais le plus désiré : d’avoir moyen de donner une bataille à mes ennemis ; ayant ferme confiance que, en étant là, il me ferait la grâce d’en obtenir la victoire, comme il est advenu cejourd’hui… La bataille s’est donnée, en laquelle Dieu a voulu faire connaître que sa protection est toujours du côté de la raison. C’est un œuvre miraculeux de Dieu, qui m’a premièrement voulu donner cette résolution de les attaquer, et puis la grâce de le pouvoir si heureusement accomplir. Aussi à lui seul en est la gloire, et de ce qu’il en peut, par sa permission, appartenir aux hommes, elle est due aux princes, officiers de la Couronne, seigneurs et capitaines (…) Je vous prie surtout d’en faire rendre grâce à Dieu, lequel je prie vous tenir en sa sainte garde. » Le même jour, il écrivait au duc de Longueville : « Nous avons à louer Dieu : il nous a donné une belle victoire… Dieu a déterminé selon son équité (…) Je puis dire que j’ai été très bien servi, mais surtout évidemment assisté de Dieu, qui a montré à mes ennemis qu’il lui est égal de vaincre en petit ou grand nombre. »

A un vaillant capitaine, il dit : « Monsieur de La Noue, Dieu nous a bénis… Dieu a montré qu’il aimait mieux le droit que la force (…) Que nous puissions cueillir les fruits de la guerre que le bon Dieu nous a faits. » Le 18 mars, il écrit au maire et aux jurats de Bordeaux : « Nous avons voulu vous faire part de cette nouvelle, pour vous exhorter premièrement en rendre grâces à Dieu, à qui seul en est la gloire, ayant par plusieurs effets particuliers et admirables témoigné en cette occasion qu’il est toujours protecteur des bonnes causes et ennemi des mauvaises, et avec les actions de grâces y joindre vos dévotes prières, à ce qu’il lui plaise continuer sa bénédiction sur notre labeur jusqu’à la perfection de notre dessein, qui n’est que la paix et union universelle de tous nos sujets et la tranquillité en tout ce royaume. »

La clémence et la générosité d’Henri IV furent égales à sa bravoure, « et la manière dont il usa de la victoire fut une preuve certaine qu’il la tenait de sa conduite plutôt que de la fortune », rapporte Péréfixe. Des bataillons suisses avaient combattu contre lui dans les rangs de ses ennemis ; non seulement il leur pardonna, mais encore il les fit reconduire dans leur pays, adressant aux cantons de bonnes paroles qui les touchèrent profondément et dont ils se montrèrent toujours reconnaissants. Il tint la même conduite généreuse à l’égard des Français, ses adversaires, qu’il venait de vaincre. « Il n’eut rien plus à cœur que de faire connaître à ses sujets qu’il désirait épargner leur sang, et qu’ils avaient affaire à un roi clément et miséricordieux, non pas à un cruel et impitoyable ennemi. Il fit crier dans la déroute : Sauvez les Français… Il prit à merci tous ceux qui demandaient quartier, et en arracha tant qu’il put des mains des soldats, acharnés à la tuerie ».

Et combien religieuse fut la conduite d’Henri IV, lorsqu’en 1589, étant entré dans Paris, il empêcha le pillage et la profanation des églises ; c’était le jour de la Toussaint : grâce à l’ordre parfait que le roi sut faire régner, les offices eurent lieu au milieu du plus grand calme, et les catholiques de son armée y assistèrent pieusement avec les Parisiens. Malheureusement Henri IV fut obligé de s’éloigner, et ce ne fut que l’année suivante qu’il put revenir sous les murs de la capitale. En peu de temps, Paris fut réduit aux horreurs de la famine ; « le cœur du roi fut tellement serré de douleur (à cette nouvelle), que les larmes lui en vinrent aux yeux, et s’étant un peu détourné pour cacher cette émotion, il jeta un grand soupir avec ces paroles : O Seigneur t tu sais qui en est la cause ; mais, donne-moi le moyen de sauver ceux que la malice de mes ennemis s’opiniâtre si fort à faire périr.

« En vain les plus durs de son conseil, et spécialement les huguenots, dit Péréfixe, lui représentèrent que ces rebelles ne méritaient point de grâce ; il se résolut d’ouvrir le passage aux innocents. Je ne m’étonne pas (dit-il), si les chefs de la Ligue et si les Espagnols ont si peu de compassion de ces pauvres gens-là, ils n’en sont que les tyrans ; mais, pour moi qui suis leur père et leur roi, je ne puis pas entendre le récit de ces calamités sans en être touché jusqu’au fond de l’âme et sans désirer ardemment d’y apporter remède. Je ne puis pas empêcher que ceux que la fureur de la Ligue possède ne périssent avec elle ; mais, quant à ceux qui implorent ma clémence, que peuvent-ils mais du crime des autres ? Je leur veux tendre les bras. »

Ce jour-là même, plus de quatre mille malheureux sortirent de Paris, et dans le transport de leur reconnaissance, ils criaient : « Vive le roi ! » A l’exemple de Henri IV, ses officiers et ses soldats firent passer des vivres aux Parisiens et sauvèrent la vie à une foule de pauvres familles. La conduite du roi fut empreinte d’un caractère tout particulier de respect à l’égard des prêtres catholiques.

Le moment approchait où les bonnes dispositions de Henri IV et sa piété allaient le préparer à écouter la voix de l’Église catholique. Les huguenots, effrayés de la perspective de cette conversion qui ruinait leurs projets ambitieux, sollicitèrent Elisabeth et les princes protestants d’Allemagne « de lui envoyer de grandes forces », par le moyen desquelles ils croyaient le faire venir à bout de la Ligue, « après quoi il n’aurait plus besoin de se convertir, et a que cependant ils le tiendraient toujours obsédés a par ces troupes étrangères. En effet, Elisabeth, qui avait une extrême ardeur pour la religion protestante, s’intéressa fort dans la cause de ce roi, l’assista toujours généreusement, et sollicita avec chaleur les princes d’Allemagne d’y concourir avec elle. Au même temps (1591), les huguenots pressaient à toute force qu’on leur donnât un édit pour l’exercice libre de leur religion. Ils le poursuivirent si fortement, qu’il fallut le leur accorder, et on l’envoya au parlement séant à Tours ; mais, on ne put jamais obtenir qu’il le vérifiât qu’avec ces mots : « par provision seulement ; se montrant aussi ennemi de cette fausse religion, qu’il l’était des factions de la Ligue. »

téléchargement (6)Sur ces entrefaites mourut Sixte-Quint, dont Henri IV appréciait le caractère et dont il avait reçu plus d’une invitation paternelle de se convertir. Enfin, en 1593, le roi consentit à se faire instruire « par des moyens qui ne fissent point de tort à sa dignité et à sa conscience », et il permit aux catholiques de son parti de faire savoir au pape (Grégoire XIV) quelles étaient ses dispositions. « Il ne faut pas douter — dit de Bury, — que ce prince, après ce qui s’était passé depuis la mort de Henri III, et la promesse qu’il avait faite aux seigneurs catholiques de son parti de se faire instruire, n’eût fait les plus sérieuses réflexions sur ce qui concernait sa conscience ; il était trop instruit pour n’avoir pas reconnu la différence qu’il y avait entre les deux religions.

« La religion catholique était si ancienne et si authentiquement établie par une suite de miracles incontestables et par une tradition non interrompue depuis tant de siècles… qu’il n’était pas possible à un cœur droit, qui cherche la vérité, de ne la pas préférer à une religion toute nouvelle dont les auteurs n’avaient donné aucune preuve de leur mission, et étaient connus pour n’avoir agi que par des mouvements purement humains et intéressés, et dans le dessein d’anéantir la hiérarchie ecclésiastique. Henri avait été témoin de tout le sang que le protestantisme avait fait répandre dans le royaume et des désordres qu’il y avait causés.

« La politique, dont Dieu permet quelquefois que les hommes se servent pour accomplir les desseins qu’il a sur eux, empochait Henri de se livrer à ce qu’il entrevoyait lui être plus utile. Elle lui avait servi pour retenir les Huguenots dans son parti et lui aider, par leur secours, à venir à bout de ses ennemis : elle lui faisait appréhender que s’il quittait cette religion, ils ne l’abandonnassent et ne l’empêchassent de terminer une guerre longue et cruelle, qui réduisait à la dernière misère des peuples qu’il chérissait et qu’il voulait rendre heureux. Enfin, la providence, secondant la bonté de son cœur et la droiture de ses sentiments, lui inspira le désir de rentrer dans la religion catholique, en lui faisant connaître tous les avantages que ses sujets en retireraient et la gloire qu’il acquerrait lui-même.

« Il prit donc la ferme résolution de quitter la religion protestante ; et pour cet effet, il écrivit à plusieurs archevêques, évêques et doctes personnages du royaume des lettres de cachet, pour les prier de se rendre auprès de lui, le 15 juillet, désirant d’être instruit par eux dans la religion catholique, apostolique et romaine, à quoi il promettait qu’ils le trouveraient tout disposé, ne cherchant que la voie la plus sûre pour faire son salut », écrit de Bury. C’est alors qu’eut lieu au village de Suresnes, près de Paris, une fameuse Conférence au sujet de l’instruction et de la conversion du roi, entre l’archevêque de Bourges, MM. de Chavigny, de Rambouillet, de Schomberg, de Bellièvre, de Pontcarré, de Thou, Revol et de Vic, pour Henri IV ; et d’autre part l’archevêque de Lyon, l’évêque d’Avranches, l’abbé de Saint-Vincent, MM. de Villars, Averson, Jeanin, de Pontarlier, de Montigny, du Pradel, Le Maistre, Bernard, Dulaurens et de Villeroi, de la part des États.

Parcourons la correspondance de Henri IV, à cette époque, pour y trouver l’expression franche et sincère de ses sentiments religieux. Le 8 mai 1593, il écrivait au duc de Nivernais, pair de France : « Lesdits députés de part et d’autre promettent beaucoup de fruit de ladite conférence, ce que je désire plus que chose du monde, pour le repos général de mon royaume : à quoi je tiendrai la main et apporterai de ma part tout ce que je pourrai pour le repos de mon royaume et le contentement de tous mes sujets catholiques. »

Et deux jours après, il dit au prince de Conti, que les partisans de l’Espagne essaient de paralyser, de toutes les manières possibles, l’heureux effet de la nouvelle de son retour à la foi catholique, qu’ils prétendent n’être qu’une feinte et une tactique toute politique de sa part pour se maintenir sur le trône de France. « Je vous prie de vous trouver (le 10 juillet prochain), pour mettre la main à un si bon œuvre, si profitable, avec l’aide de Dieu, qui en fera, s’il lui plaît, sortir le fruit conforme au désir des gens de bien. »

Henri IV s’ouvre entièrement et sans réserve à l’évêque de Chartres (le 18 mai) : « Le regret que je porte des misères où ce royaume est constitué par quelques-uns qui, sous le faux prétexte de la religion, duquel ils se couvrent, ont enveloppé et traînent lié avec eux en cette guerre le peuple ignorant leurs mauvaises intentions, et le désir que j’ai de reconnaître envers mes bons sujets catholiques la fidélité et affection qu’ils ont témoignées, et continuent chaque jour, à mon service, par tous les moyens qui peuvent dépendre de moi, m’ont fait résoudre, pour ne leur laisser aucun scrupule, s’il est possible, à cause de la diversion de ma religion, en l’obéissance qu’ils me rendent, de recevoir au plus tôt instruction sur les différends dont procède le schisme qui est en l’Eglise, comme j’ai toujours fait connaître et déclaré que je ne la refuserai ; et n’eusse tant tardé d’y vaquer, sans les empêchements notoires qui m’y ont été continuellement donnés. Et bien que l’état présent des affaires m’en pourrait encore juste ment dispenser, je n’ai toutefois voulu différer davantage d’y entendre, ayant à cette fin avisé d’appeler un nombre de prélats et docteurs catholiques, par les bons enseignements desquels je puisse, avec le repos et satisfaction de ma conscience, être éclairci des difficultés qui nous tiennent séparés en l’exercice de la religion. »

« Et d’autant que je désire que ce soient personnes qui, avec la doctrine, soient accompagnées de piété et prudhommie, a n’ayant principalement autre zèle que l’honneur de Dieu, comme de ma part j’y apporterai toute sincérité, et qu’entre les prélats et personnes ecclésiastiques de mon royaume, a vous êtes l’un desquels j’ai cette bonne opinion ; à cette cause, je vous prie de vous rendre près de moi en cette ville (de Mantes), le 15e jour de juillet, où je mande aussi à quelques autres de votre profession se trouver en même temps, pour tous ensemble tendre à l’effet les efforts de votre devoir et vocation ; vous assurant que vous me trouverez disposé et docile à tout ce que doit un roi très-chrétien, qui n’a rien plus vivement gravé dans le cœur que le zèle du service de Dieu et le maintien de sa vraie église. »

Et dans une lettre circulaire, qui fut très répandue, Henri IV répétant les mêmes protestations de sa sincérité, ajoute : « Nous sommes très disposé à recevoir et suivre ce que par bons enseignements l’on nous fera connaître appartenir à la vraie piété et religion. » La franchise du roi le porta à avertir ses coreligionnaires de l’ouverture de la conférence de Suresnes, et tout en leur faisant pressentir l’issue probable de cette conférence, il les assura de son affection et de sa bienveillance, comme par le passé (lettre du 25 mai). Le 30 mai, écrivant au grand-duc de Toscane, le roi de France lui montre son désir de plus en plus ardent de rentrer dans le sein du catholicisme, n’imputant son retard à le faire qu’à la difficulté des temps et à la mauvaise volonté de certains chefs de la Ligue :

« Quoique les mêmes empêchements qui continuent toujours la part de mes ennemis, avec la même animosité et rigueur qu’ils ont accoutumé, me pourraient encore justement excuser de cette action, si j’avais intention de la tirer en longueur, ou frustrer mes dits bons sujets de leur désir et attente, ainsi que mes ennemis en veulent faire valoir l’opinion, à la justification de leurs faux prétextes, toutefois, je me suis résolu de surmonter les susdites incommodités pour accélérer le contentement des uns, faire voir à découvert les mauvaises intentions des autres (…) ; et à cet effet j’ai convoqué auprès de moi, au 20e de juillet prochain, plusieurs prélats et docteurs catholiques, pour mon instruction et me résoudre avec eux des points qui nous ont jusques ici tenus séparés les uns des autres, en la foi et créance de la religion, espérant que Dieu assistera de sa grâce par son Saint-Esprit, cette mienne résolution selon le saint zèle que j’y apporte, qui ne tend qu’à embrasser et suivre la vraie voie de mon salut. »

L’opposition systématique de certains chefs de la Ligue continuait toujours à l’endroit de Henri IV ; ils n’épargnaient rien pour semer dans l’esprit du peuple le doute et la défiance au sujet des intentions du roi, — comme le prouve une longue lettre d’Henri IV au marquis de Pisany. On y voit la prudence, la sagesse, la franchise et surtout la patience inaltérable de ce prince en face des odieuses menées de ses ennemis et de ceux de la France. Il avait été à même d’apprécier la conduite pleine de tact de René Benoît, curé de Saint-Eustache, un des hommes les plus savants de cette époque ; il l’appela à Mantes près de lui, pour être un des docteurs qu’il chargeait du soin de l’instruire dans la vraie foi :

« Dès l’heure que j’ai eu la volonté de penser à ma conversion, j’ai jeté l’œil sur vous pour être l’un de ceux desquels j’aurai l’assistance fort agréable à cette occasion. La réputation de votre doctrine, laquelle est suivie d’une vie non moins louable, me fait espérer de recevoir beaucoup de service et de contentement de vous, si j’en suis assisté. Ce qui est cause que je vous fais ce mot pour vous faire connaître combien je l’aurai agréable ; même que vous prépariez, à cet effet, quelques-uns de votre collège, que vous connaîtrez avoir la crainte de Dieu et être accompagnés d’esprit doux, et aimant le bien et repos de mes sujets… » En attendant, « que j’aie part en vos prières. »

Dans les premiers jours de juillet de la même année, le roi exprimait à l’archevêque de Bourges son vif désir de rentrer dans le sein de l’Église catholique, en dépit de la difficulté des temps et des complots de ses ennemis : mon intention serait plutôt de devancer la conférence que de la reculer, tant j’en désire les effets, espérant bien que ceux qui publient que ce que je propose faire est à fard et à feintise auront toute occasion de s’en dédire, et les effets contraires à leurs opinions se reconnaîtront si près d’eux que, s’ils n’en veulent être les témoins, ils en pourront au moins avoir souvent de bien certaines nouvelles (…) J’espère que Dieu me fera la grâce d’y porter l’esprit vide de toute autre passion que ce qui est de sa gloire, de mon salut et du bien de cet État. »

Le 12 juillet, Henri IV écrivit au consistoire de Nîmes, à propos des complots formés contre la France par les protestants, qui prenaient prétexte de la prochaine abjuration du roi, pour troubler le pays. Malgré ce nouvel embarras, le 16 juillet il mandait M. de Rambouillet : « Vous savez que le 20e de ce mois approche, qui est le jour auquel j’ai assigné la convocation que je fais faire à Saint-Denis pour y recevoir l’instruction à laquelle je me suis disposé dès mon avènement à cette couronne. Et, comme aussitôt après, je délibère de m’y faire sacrer et couronner, suivant les anciennes coutumes observées par les rois mes prédécesseurs, et qu’en une si célèbre solennité que sera celle-là, il faut que les choses se fassent avec les mêmes cérémonies qui, de tout temps, ont été gardées en pareil cas, etc. »

Ici, laissons parler un témoin oculaire, un contemporain non suspect, l’ex-ministre protestant Palma Gayet, qui assista aux conférences que nécessita l’instruction du roi. « Dieu depuis longtemps avait touché le roi sur la réalité au sacrement de l’Eucharistie, et qui, toutefois, était encore en doute sur trois points, savoir ; de l’invocation des saints, de la confession auriculaire et de l’autorité du pape. » A l’ouverture de la conférence, le roi disait à M. d’Ossat : « Vous savez la déclaration que j’ai faite, à mon avènement à la couronne, de me laisser instruire en la religion catholique et romaine. Vous savez aussi l’intention pour laquelle j’ai permis que les princes et seigneurs catholiques aient envoyé des ambassadeurs et des agents vers le pape, pour aviser au moyen de mon instruction et de ma conversion. »

Puis, apprenant à M. d’Ossat son intention de se faire instruire en la foi catholique, il ajouta : « J’espère que Dieu nous regardera de son œil de miséricorde, et donnera à mon peuple le fruit de la paix tant désirée. Je sais que les rois qui ont plus de pitié de leurs peuples s’approchent aussi plus près de Dieu, qui fera réussir mon dessein à sa gloire… Nul ne peut douter que quand même je me fusse déclaré catholique dès mon avènement à cette couronne, que, pour cela, mon peuple n’eût pas eu la paix ; ceux de la religion les huguenots) eussent pu désirer un protecteur particulier, et il y eût eu du danger de ce côté, vu ce qui s’en est passé autrefois, etc. » Ces paroles charmèrent M. d’Ossat, et lui firent concevoir l’espérance bien fondée de la prochaine conversion de Henri IV.

« Avant que de dire ce qui se passa en cette conférence, dit Palma Cayet, comme j’ai dit ci-dessus, que, dès longtemps, le roi croyait la réalité au sacrement de l’Eucharistie, je rapporterai ici quelques particularités qui se sont passées sur ce qu’il a été quelquefois repris de se convertir. Environ l’an 1584, (…) on conseilla audit sieur roi de Navarre de chercher les moyens de se réconcilier avec le Saint-Siège. Le sieur de Ségur, un des principaux conseillers, en communiqua même avec quelques ministres qu’il jugeait être traitables, pour aviser aux moyens de se réunir à l’Église catholique romaine, ce que l’on désirait faire doucement et sans en faire grand bruit. Sa Majesté s’y trouva tellement portée, qu’en un discours particulier il dit à un des ministres de sa maison : Je ne vois ni ordre ni dévotion en cette religion (la protestante) ; elle ne gît qu’en un prêche qui n’est autre chose qu’une langue qui parle bien français ; bref, j’ai ce scrupule qu’il faut croire que véritablement le corps de Notre-Seigneur est au sacrement, autrement tout ce qu’on fait en la religion n’est qu’une cérémonie. »

« Or, du depuis, les remuements de la Ligue commencèrent. Ledit sieur de Ségur (…) manda à Sa Majesté qu’il n’était pas temps de parler de conversion, et, quoiqu’il le lui eût conseillé, qu’il ne fallait pas qu’il le fît encore, parce qu’étant prince souverain dans ses pays, il ne devait ployer sous la volonté de ses ennemis ; mais, devait s’évertuer de maintenir sa liberté et défendre sa religion, jusques à tant que, par bonne instruction paisiblement et volontairement, il fût satisfait de tous doutes. A cet avis se conforma celui de tout son conseil. On ne trouva que trop de raisons d’État pour le lui persuader ; toutefois, on a tenu que, sans l’avis d’un opinant en son conseil, celte conversion se fût poursuivie et qu’il fût venu, dès ce temps-là trouver le roi…. » Les autres sont de contraire opinion, et disent que les princes de la Ligue n’eussent pas laissé de prendre les armes, et qu’ils « n’en voulaient pas tant à la religion qu’à la couronne. »

« Depuis que ce prince eut été contraint de prendre les armes, il ne laissa toutefois, au plus fort même de ses affaires, de conférer particulièrement avec ceux qu’il jugeait doctes des points principaux de sa religion, et se rendit tellement capable de soutenir des points débattus par les ministres, selon leur façon de faire, que plusieurs fois il en a étonné des plus entendus d’entre eux. On dira que c’était pour le respect de Sa Majesté ; mais, je dirai que c’est de la seule vivacité de son esprit et l’exact jugement qu’il fait de toutes choses, en quoi il ne reçoit aucune comparaison avec prince ou philosophe qui ait jamais été ; (…) si bien qu’il connaît les affections à la mine et les pensées au parler.

« II continua toujours celte forme d’instruction ; même, étant venu à la couronne de France, il m’envoya (à moi qui écris) mandement par bouche et lettres, (…) à ce que j’eusse à lui en dire mon avis sommairement ; ce que je fis en trois grandes feuilles de papier, lesquelles le sieur Hesperien, ministre, lui porta et se les fit lire durant qu’il assiégeait la ville de Vendôme. Depuis, Sa Majesté a toujours continué cette recherche d’instruction par écrits et en devis (conversations) particuliers avec gens doctes, jusques à ce temps ici qu’il donna sa parole au sieur d’Ossat d’embrasser tout à fait la religion catholique, et, pour quelques difficultés qu’il avait encore, de s’en faire résoudre par les prélats. »

Maintenant, continuons ce récit par la bouche de Péréfixe, qui était bien instruit :

téléchargement (7)« Le roi vint à Saint-Denys, où se rendirent plusieurs prélats et docteurs, par le soin desquels il s’était fait instruire. Un historien rapporte que le roi faisant faire devant lui une conférence entre les docteurs de l’une et de l’autre Église, et voyant qu’un ministre tombait d’accord qu’on se pouvait sauver dans la religion des catholiques, Sa Majesté prit la parole, et dit à ce ministre : Quoi ! tombez-vous d’accord qu’on puisse se sauver dans la religion de ces messieurs-là ? » Le ministre répondant qu’il n’en doutait pas, pourvu qu’on y vécût bien, le roi repartit très judicieusement : La prudence veut donc que je sois de leur religion, et non pas de la vôtre, parce qu’étant de la leur, je me sauve selon eux et selon vous, et étant de la vôtre, je me sauve bien selon vous, mais non pas selon eux. Or, la prudence veut que je suive le plus assuré.

« Ainsi, après de longues instructions, dans lesquelles il voulut amplement être éclairci de tous ses doutes, il abjura son erreur, fit profession de la foi catholique et reçut l’absolution dans l’église abbatiale de Saint-Denis, au mois de juillet (1593), par le ministère de Renaud de Beaune, archevêque de Bourges. Dès le jour même on vit toute la campagne, depuis Paris jusqu’à Pontoise, éclairée de feux de joie ; et grand nombre de Parisiens qui, étant accourus à Saint-Denis pour voir cette cérémonie, remportèrent à Paris une entière satisfaction et remplirent toute la ville d’estime et d’affection pour le roi ; tellement qu’on ne l’y appela plus le Béarnais, comme auparavant, mais absolument le roi. »

Le 25 juillet, Henri IV envoya, par toute la France, la lettre circulaire suivante sur son abjuration : « Suivant la promesse que nous fîmes à notre avènement à cette couronne par la mort du feu roi (,..) dernier décédé, (…) et la convocation par nous faite des prélats et docteurs de notre royaume, pour entendre à notre instruction, par nous tant désirée et tant de fois interrompue par les artifices de nos ennemis, enfin nous avons, Dieu merci, conféré, avec lesdits prélats et docteurs, assemblés (…) pour cet effet, des points sur lesquels nous désirions être éclairci ; et après la grâce qu’il a plu à Dieu nous faire par l’inspiration de son Saint-Esprit, que nous avons recherchée par tous nos vœux et de tout notre cœur pour noire salut, et satisfait par les preuves qu’iceux prélats et docteurs nous ont rendues par écrits des apôtres, des saints pères et docteurs reçus en l’Église, reconnaissant l’Église catholique, apostolique et romaine être la vraie Église de Dieu, pleine de vérité, et laquelle ne peut errer, nous l’avons embrassée et sommes résolus d’y vivre et mourir.

« Et pour donner commencement à cette bonne œuvre, et faire connaître que nos intentions n’ont eu jamais d’autre but que d’être instruits sans aucune opiniâtreté, et d’être éclaircis de la vérité et de la vraie religion pour la suivre, nous avons cejourd’hui ouï la messe, et joint et uni nos prières avec ladite Église (…) résolus d’y continuer le reste des jours qu’il plaira à Dieu nous donner en ce monde ; dont, nous vous avons bien voulu avertir, pour vous réjouir d’une si agréable nouvelle, et confondre par nos actions les bruits que nos dits ennemis ont fait courir jusqu’à cette heure, que la promesse que nous en avons ci-devant faite était seulement pour abuser nos bons sujets et les entretenir d’une vaine espérance, sans aucune volonté de la mettre à exécution : de quoi nous désirons qu’il soit rendu grâces à Dieu, par processions et prières publiques, afin qu’il plaise à sa divine bonté nous confirmer et maintenir le reste de nos jours en une si bonne et si sainte résolution. »

Le même jour, Henri IV apprit la nouvelle de son abjuration à ses anciens coreligionnaires, en ces termes pleins d’une franche dignité : « Je fais présentement une dépêche générale pour vous donner à tous avis de la résolution que j’ai faite de faire dorénavant profession de la religion catholique, apostolique et romaine… Ce que j’en ai fait n’ayant été qu’à fort bonne intention, et principalement pour la seule assurance que j’ai d’y pouvoir faire mon salut, et pour n’être en ce point différent des rois mes prédécesseurs, qui ont heureusement et pacifiquement régné sur leurs sujets, espérant que Dieu me fera la même grâce, et que par moyen seraient ôtés non seulement les prétextes, mais aussi les causes des divisions et révoltes qui minent aujourd’hui cet État ; étant pour cela mon intention qu’il ne soit fait aucune force ni violence aux consciences de mes sujets, (…) et qu’ainsi qu’il a plu à Dieu m’ordonner roi de tous mes sujets, que je les aimerai et aurai tous en égale considération. »

Une autre circulaire du roi — conçue en des termes vraiment paternels — contenait pour les villes de la Ligue un oubli complet des injures passées et une promesse entière de bonne affection pour l’avenir : « Nous savons assez par expérience combien peut en âmes consciencieuses le désir de conserver la religion et la crainte de la perdre. C’est pourquoi nous excusons la difficulté et refus que plusieurs de nos sujets ont fait jusques ici de nous reconnaître, pour la différence de la religion que nous tenions lors, avec la leur, et pour l’occasion qu’ils avaient de redouter que nous n’y voulussions apporter quelque changement (…) Notre domination légitime leur sera aussi douce et profitable que l’état où ils sont à présent réduits leur est ruineux et insupportable. »

Voici enfin quelques fragments des lettres qu’Henri IV écrivait alors au pape, pour lui apprendre son abjuration et l’assurer de la sincérité de son dévouement :

« Très-Saint-Père,

« Ayant, par l’inspiration qu’il a plu à Dieu me donner, reconnu que l’Église catholique, apostolique et romaine est la vraie Église pleine de vérité et où gît le salut des hommes, conforté encore en cette foi et créance par l’éclaircissement que m’ont donné les prélats et docteurs en la sainte faculté de théologie (que j’ai à cette fin assemblés), des points qui m’en ont tenu séparé par le passé, je me suis résolu de m’unir à cette sainte Église, très résolu d’y vivre ou mourir, avec l’aide de Celui qui m’a fait la grâce de m’y appeler, (…) et de rendre l’obéissance et respect dus à Votre Sainteté et au Saint-Siège ; (…) et m’assurant, Très-Saint-Père, que Votre Sainteté ressentira la joie de cette sainte action, (…) j’ai bien voulu (…) lui donner par ce peu de lignes de ma main ce premier témoignage de ma dévotion filiale envers Elle, la suppliant très affectueusement de l’avoir agréable et recevoir d’aussi bonne part comme elle procède d’un cœur très sincère et plein d’affection, de pouvoir par mes actions mériter sa sainte bénédiction…

« Votre bon et dévot fils, Henry »

Et cet autre extrait : « Je supplie Votre Sainteté , autant affectueusement qu’il m’est possible, de prendre entière confiance et assurance de la foi que d’Ossat lui donnera de ma part de l’honneur que je lui veux rendre, croyant, s’il lui plaît, que si je n’avais intention de mériter les bonnes grâces et faveurs de Votre Sainteté, pour être utile à la religion et à la chrétienté, (…) je ne m’engagerais à Votre Sainteté, ni en la recherche de sa bienveillance, si librement et rondement que je fais. Mes ennemis me peuvent bien passer en artifice et dissimulation, mais non en franchise et candeur. »

Pour rejoindre le FORUM de discussion : http://devantsoi.forumgratuit.org/

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LES MOYENS D’ASCENSION de la TOUR EFFEL AU 19ème siècle

Posté par francesca7 le 16 février 2014

(D’après Guide officiel de la Tour Eiffel, paru en 1893)

 

LES MOYENS D'ASCENSION de la TOUR EFFEL AU 19ème siècle dans Paris 220px-Tour_Eiffel_1905_championnat_de_l%27escalierLes Escaliers : 
On a les ascenseurs et les escaliers pour monter au premier et au deuxième étage, et un ascenseur seulement pour monter du deuxième étage au sommet.

Voulez-vous connaître d’abord le nombre total des marches à monter de la base au sommet de la Tour ? Il y en a 1.710 !

Dans les piles Est et Ouest sont disposés des escaliers à solides marches en chêne et larges de 4 mètre. Il y a 347 marches pour arriver au premier étage. On monte alternativement par ceux des piles Ouest et Est. Ces escaliers sont très doux, coupés par de nom-breux paliers. L’ascension n’y est nullement fatigante. 2.000 personnes peuvent prendre cette voie par heure, sans qu’il y ait encombrement.

Entre le premier et le deuxième étage, les quatre escaliers sont affectés au public, deux pour la montée, deux pour la descente. Ce sont ceux des piliers Ouest et Est. Ces escaliers sont héliçoidaux, de 0m,60 de largeur. Ici encore 2.000 personnes peuvent monter et descendre par heure.

Du deuxième étage au sommet, il y a bien encore un escalier héliçoidal tournant autour de l’axe même de la Tour ; mais c’est un escalier de service, qui n’est pas mis à la disposition du public.

Les Ascenseurs : 
La construction et le fonctionnement d’ascenseurs dans la Tour Eiffel constituent une opération délicate à cause de son inclinaison, qui varie de la base au 2e étage de 54° à 80°, et de la difficulté d’obtenir, à partir du deuxième étage, une ascension verticale de 161m,20.

Ces obstacles ont été heureusement aplanis, grâce à l’intelligent concours des principaux constructeurs. Ils offrent tous la plus parfaite sécurité aux visiteurs et étonneront les ascensionnistes par la hardiesse de leur construction.
Il y a, de la base au sommet, trois sortes d’ascenseurs.

Du sol au premier étage, quatre ascenseurs : deux de montée et descente, système Roux, Combaluzier et deux du système Otis. Le système Roux, Combaluzier et Lepape se compose du système ordinaire à pression hydraulique, le piston rigide remplacé, toutefois (pour obvier à l’inclinaison), par un piston articulé joint aux deux extrémités, et formant une espèce de chaîne sans fin fort ingénieuse. Les cabines de ce système ont 5 mètres de hauteur et peuvent contenir 100 personnes qu’elles élèvent en une minute au premier étage de la Tour.

Le système Otis, qui fonctionne dans les deux piles de service du premier étage, et qui fonctionne seul en suite pour franchir les 54 mètres du second étage, a obtenu de très grands succès aux Etats-Unis. Il se compose d’un piston à tige, se mouvant dans un cylindre de fonte placé aux pieds de la Tour, et actionné par l’eau des réservoirs du second étage.

Les cabines Otis ne tiennent que 60 personnes, mais leur vitesse ascensionnelle étant double de celle des autres systèmes, le rendement par heure est le même.
Les quatre ascenseurs de la première course sont, suivant les nécessités, au service du public à partir de dix heures du matin jusqu’à dix heures du soir.

M. Édoux, l’ingénieur parisien bien connu par l’établissement des ascenseurs du palais du Trocadéro, a été chargé de l’ascenseur du dernier tronçon, du deuxième étage au sommet. Le système de M. Édoux, si justement admiré en 1878, ne pouvait s’appliquer à la tour, puisque l’on imposait la condition de ne faire descendre au-dessous du second étage aucun des organes hydrauliques ou mécaniques destinés a la manœuvre de l’appareil.

M. Édoux a vaincu cette difficulté d’une façon ingénieuse. Il a divisé en deux parties la distance énorme de 161m,20 à franchir en obtenant le contrepoids nécessaire des ascenseurs par deux cabines, s’élevant, l’une de 116 mètres à 196m,60, l’autre redescendant du sommet à la hauteur du plancher intermédiaire de descente et de montée de l’ascenseur du second au troisième étage de la Tour Eiffel. Un réservoir, placé à 276 mètres de hauteur, assure le fonctionnement des pistons hydrauliques qui actionnent la cabine supérieure.

220px-Tour_Eiffel_Ascenseur_Roux,_Combaluzier_et_Lepape

Les cabines, fort élégantes, pourvues de sièges articulés et de banquettes, ont 14 mètres carrés ; elles peuvent contenir 65 personnes environ et élever 750 personnes à l’heure.

Nous avons dit que le plancher intermédiaire était le point de rencontre des deux cabines. Lorsque la cabine supérieure monte, la cabine à course inférieure (qui lui sert de contrepoids) descend tout naturellement. Il s’ensuit que, pour parcourir le trajet de 161m,20, il y a une station au plancher intermédiaire, comme dans un chemin de fer. Chaque cabine parcourant la moitié de la course, il y a échange de voyageurs sur le plancher intermédiaire sans le moindre encombrement, les « montants » passant par une autre porte que les « descendants ».

Il faut 1 minute 1/2 pour arriver au plancher intermédiaire, 1 minute pour l’échange des voyageurs d’une cabine à l’autre et 1 minute 1/2 pour la course supérieure. Total : 4 miaules, du second à la plate-forme supérieure. Un réservoir de 20.000 litres d’eau est placé au sommet de la Tour pour le service de l’ascenseur Edoux.

Enfin, un frein de sûreté (dispositif Blackmann) permet de répondre absolument de tout accident et d’affirmer que, mémo dans le cas de rupture d’un organe important de l’ascenseur, les visiteurs portés par la cabine n’auraient à redouter aucune chute. La durée de l’ascension totale, du pied au sommet, au moyen des ascenseurs, est de 7 minutes. On peut élever, par heure, 2.350 personnes au premier et au deuxième étage, et 750 au sommet. Par les escaliers et les ascenseurs réunis, on peut dire que chaque heure, 5.000 personnes peuvent visiter la Tour Eiffel.

En résumé, la question si complexe, si ardue, remplie de périls et d’incertitudes, des ascenseurs de la Tour Eiffel a été résolue à la grande gloire de l’industrie nationale. Ils offrent la plus parfaite sécurité aux visiteurs, et leur usage rapid

e, précis et mathématique jusqu’à ces grandes hauteurs, n’est pas l’une des moindres curiosités ni l’un des moindres agréments pour les visiteurs de la Tour de 300 mètres.

Le séjour dans la Tour est facultatif. Il est difficile d’imaginer le nombre de personnes que peut contenir la Tour, lorsqu’elle a son maximum de visiteurs. Les restaurants, la brasserie, la salle d’exposition au premier étage, soit pour les quatre 1.600 et 1.000 environ peuvent se mouvoir sur chacune des quatre galeries extérieures 4.000. Entre les restaurants, il y a des galeries et des terrasses intérieures pouvant contenir ensemble 400. Total pour le premier étage 6.000. On peut tenir 1.500 au second étage et 500 au sommet, ensemble 2.000.

Les personnes en voie d’ascension, plus les gens de service 2.000. Et vous aurez, lorsque la Tour sera saturée de visiteurs, un total d’environ 10.000. Dix mille personnes dans cette résille en fer ; quelle cage à mouches ! Quel bourdonnement ! quelle vie. Une ville dans un tube. Le mouvement perpétuel.

Les Tickets : 
On peut monter au premier étage par escalier ou par ascenseur, à son gré, puisque le prix de l’ascension est le 

même pour les deux modes.

Le tarif des visites à la Tour Eiffel est ainsi fixé : on monte pour 1 franc à la première plate-forme, pour 2 francs à la seconde, pour 4 francs à la troisième, pendant la semaine. Les prix sont de 50 centimes à la première plate-forme, 1 franc à la seconde, 2 francs à la troisième, le dimanche, soit 4 francs en semaine et 2 francs le dimanche, pour l’ascension complète.

Les trajets parcourus par le public sont, comme on sait, de 60, 415 et 276 mètres. L’administration peut ouvrir 40 guichets, suivant les nécessités : 8 au rez-de-chaussée, 1 à la première plate-forme et 1 à la deuxième pour la vente des tickets. On délivre des tickets bleus pour la première plate-forme, blancs pour la seconde et rouges pour le sommet.

La personne à destination de la première plate-forme remet son ticket bleu à l’arrivée. N’en ayant plus, elle ne peut monter plus haut que si elle achète un second ticket – le blanc – qui sert entre la première et la seconde plate-forme. Enfin, pour monter au sommet, il faut acheter un ticket rouge.

Et les piétons ? Ceux que les ascenseurs impressionnent, ou qui veulent se livrer à un exercice apéritif avant de dîner ou de déjeuner au premier étage, ont à leur disposition deux escaliers confortables pour le service de la première plate-forme : celui de la pile Ouest pour monter et celui de la pile Est pour descendre (alternativement).

Que l’on monte à pied ou en ascenseur, c’est le même prix et les tickets sont pareils. Si bien que les tickets une fois pris pour le premier ou le second, on peut faire le trajet d’une façon ou de l’autre. Vous voilà renseignés sur la Tour Eiffel, sur les moyens d’ascension, sur les prix des voyages. Il s’agit maintenant de se mettre en route.

L’ascension : Les Ascensions : 
La Tour est ouverte dès 10 heures du matin depuis le premier dimanche du printemps jusqu’à 10 heures du soir pendant la saison d’été, du 15 mai au 15 septembre. Avant et après ces époques, la Tour est fermée à la nuit. Un tableau placé à chaque pilier indique journellement aux visiteurs les ascenseurs qui fonctionnent pour les 1er et 2e étages, ainsi que l’escalier en service pour la montée au 1er étage.

La Tour est livrée au public à partir de 10 heures du matin. Dès ce moment, les ascenseurs qui conduisent an premier étage sont à sa disposition.

Il y a devant la face intérieure de chaque pile un élégant chalet où l’on délivre et où l’on contrôle les tickets. On prend, à volonté, son ticket pour l’étage auquel on désire se rendre.

Les jours où il y a foule, on ne peut pas prendre, en bas, les tickets pour le troisième étage ; parce que les moyens de locomotion, qui sont de 2.000 par heure jusqu’au second étage, ne sont plus que de 750 par heure entre le second et le troisième étage. Si les 2.000 personnes montées au second avaient un droit constaté par un ticket du troisième, pris au bas, et l’ascenseur ne pouvant en élever que 750 (par heure) du second au sommet, il en résulterait des discussions et des encombrements.

 dans ParisOn y a obvié en obligeant ces jours-là l’ascensionniste à reprendre un nouveau billet au second étage, s’il veut monter plus haut. Cela permet d’arrêter la délivrance des tickets aussitôt que la capacité de l’ascenseur Edoux est atteinte. On évite ainsi tout embarras.

Que vous décrire, que vous pourriez observer ou suivre dans un trajet qui ne dure pas une minute ? Si vous êtes du côté voulu pour voir le Champ de Mars, vous apercevez, en prenant place, les jardins, les fontaines, les statues, les palais et les dômes des Beaux-Arts et des Arts libéraux et le Palais des Machines. En somme, un grand et magnifique tableau taillé en pièces par les treillis et les entretoises.

Mais voici l’ascenseur en route, doucement d’abord, et le tableau semble s’abaisser. Vous avez à peine éprouvé cette sensation, que les treillis se resserrent et obstruent la vue. La forêt de fer s’épaissit : on ne voit plus rien du tout. On est arrivé. Un peu moins d’une minute pour atteindre le premier étage. Ce n’est pas la peine de s’en passer.

Si vous n’avez qu’un billet bleu de premier étage, il faut en prendre un autre, un billet blanc pour monter au second. Au second, ainsi qu’il vient d’être dit, on peut prendre un billet nouveau (rouge) pour monter au troisième.

 

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Les Pigeons voyageurs : messagers durant les guerres

Posté par francesca7 le 1 février 2014

 
 
250px-Bundesarchiv_Bild_183-R01996,_Brieftaube_mit_FotokameraLors du siège de Paris en 1870-1871, les ballons ont permis à la capitale d’envoyer des messages en province, aux amis du dehors ; mais pour que le système de la poste aérienne fût complet, il fallait que le chemin du retour fût assuré comme celui de l’aller. C’est le bon office qu’ont rendu les pigeons voyageurs.

L’usage des pigeons messagers se perd dans la nuit des temps. Sans parler de l’arche de Noé et de la colombe au rameau béni, nous rappellerons l’histoire de la première croisade, pendant laquelle le sultan de Damas envoya aux assiégés de la ville de Tyr un pigeon annonçant à ceux-ci qu’une armée allait arriver à leur secours. Ce pigeon tomba entre les mains des croisés, qui enlevèrent le message léger attaché à la patte de l’oiseau, et le remplacèrent par un billet où ils faisaient dire au sultan de Damas que, vaincu et terrassé, il lui était impossible de venir délivrer la ville assiégée.

Cette fraude a été imitée par les Prussiens avec les pigeons du ballon leDaguerre, fait prisonnier pendant le siège de Paris. Mais les soldats de Bismarck ne furent pas aussi habiles que les croisés, qui avaient su imiter l’écriture et le style des Sarrasins. Les pigeons du Daguerre apportèrent à Paris une lettre écrite en un français ridicule ; cette épître avait, en outre, le malheur d’être signée du nom d’un personnage politique qui était à Paris auprès du gouvernement de la défense nationale. En 1849, les Vénitiens assiégés se servirent avec succès des pigeons pour donner de leurs nouvelles en Italie ; plus anciennement, en 1574, les messagers ailés avaient été utilement employés par les habitants de la ville de Leyde, investis par l’armée espagnole ; mais jamais, dans aucun temps, ils ne jouèrent un rôle aussi considérable que pendant le siège de Paris.

Plusieurs personnes revendiquent aujourd’hui le mérite d’avoir créé à Paris le service des oiseaux messagers ; nous croyons pouvoir affirmer en toute certitude que l’honneur des résultats acquis revient à M. Rampont, directeur général des postes, et aux membres de la Société colombophile l’Espérance, notamment MM. van Roosebeke et Cassiers, qui sont partis de Paris en ballon avec leurs oiseaux.

Toutefois nous devons reconnaître dans l’intérêt de la vérité que, trois semaines avant l’investissement, M. Ségalas avait songé aux pigeons voyageurs, et qu’il avait même installé soixante de ses élèves dans la tour de l’administration des télégraphes. Mais ce sont principalement les pigeons de la Société l’Espérance, dont l’existence à Paris était bien obscure et bien ignorée, qui ont fonctionné pendant la guerre.

La façon d’organiser le service était très simple : les ballons emportaient de Paris les pigeons voyageurs, que l’on remettait, à Tours, à la direction des postes et des télégraphes. Là, les hommes spéciaux, MM. van Roosebeke, Cassiers, se chargeaient de lancer les pigeons à Orléans, à Blois, le plus près possible de Paris. Ils attachaient préalablement une dépêche à une des plumes de la queue de l’oiseau voyageur.

Il y avait déjà fort longtemps, avant le siège de Paris, que des sociétés belges s’étaient préoccupées de l’élevage des pigeons voyageurs, et avant l’apparition du télégraphe électrique, plus d’un spéculateur de Paris a profité des renseignements que lui donnaient les colombes en lui apportant avec une rapidité étonnante le cours de la Bourse de Bruxelles. On ne se doutait pas alors du rôle que l’Histoire réservait à ce service de la poste généralement peu connu.

Tous les pigeons ne sont pas doués au même degré de cette faculté de revenir à leur colombier. Le pigeon voyageur est une espèce spéciale. Certains pigeons voyageurs, nés dans un colombier et emportés au loin, y sont revenus d’un seul trait, sans éducation préalable. Mais ce fait est très rare et même contesté. On dresse généralement les pigeons et on les habitue peu à peu à des voyages de plus en plus importants. On les élève dans un colombier semblable à celui que représentent nos gravures, et on leur laisse leur liberté ; ils voltigent autour du colombier, et s’éloignent parfois à une distance assez considérable de leur asile ; il est probable que dans ces promenades de chaque jour, ils apprennent à connaître les environs ; leur vue très perçante leur permet de retrouver certains points de repère qui les orientent et les mettent dans la bonne voie pour le retour.

Quand des pigeons ont ainsi vécu pendant quelque temps dans ces conditions, on les emporte dans des cages d’osier, à une dizaine de lieues de leur colombier, et on les lâche. La plupart rentrent au logis dans un espace de temps assez court. Quelques jours après, on les transporte à vingt lieues de leur colombier, puis à trente ou quarante lieues, et ainsi de suite, en augmentant les distances. On arrive ainsi à pouvoir lâcher à Bordeaux des pigeons voyageurs élevés à Paris ou à Bruxelles.

La vitesse du vol des pigeons voyageurs est très variable ; par un temps calme, ils font généralement douze ou quinze lieues à l’heure. Cette vitesse augmente ou diminue suivant qu’ils volent avec le vent, ou qu’ils sont obligés de remonter des courants aériens. Un fait très remarquable est l’influence de la direction du vent sur le retour des pigeons. Ceux-ci s’égarent presque toujours quand règnent les vents d’est. Les vents du sud et du sud-ouest sont au contraire très favorables au vol de ces messagers. Quand le temps est brumeux, quand il gèle et surtout quand la terre est couverte de neige, les pigeons voyageurs perdent leurs facultés ; on comprend combien l’hiver si rigoureux de 1870-1871 a nui à la poste aérienne.

 Trois cent soixante-cinq pigeons ont été emportés de Paris en ballon, et lancés sur Paris. Il n’en est rentré que cinquante-sept, savoir : quatre en septembre, dix-huit en octobre, dix-sept en novembre, douze en décembre, trois en janvier, trois en février. Quelques-uns d’entre eux se sont égarés pendant très longtemps ; c’est ainsi que, le 6 février 1871, on reçut à Paris un pigeon qui avait été lancé le 18 novembre 1870. Il rapporta la dépêche n° 26, tandis que celui de la veille avait apporté la dépêche n° 51. Le 28 décembre, on reçut un pigeon qui avait perdu sa dépêche et trois plumes de sa queue. Il avait été sans doute atteint par une balle prussienne. Ce fait semble prouver que plusieurs de nos messagers du siège ont été tués par l’ennemi.

Les Parisiens n’oublieront jamais la joie que leur causait la vue d’un pigeon s’arrêtant sur les toits. Quel bonheur ineffable ! disait-on, voilà des nouvelles de province. Et les commentaires marchaient leur train. Nous devons toutefois faire observer à ce sujet que les pigeons voyageurs rentrent généralement tout droit au colombier, sans s’arrêter. Il est à supposer que, pendant le siège, les pigeons du jardin des Tuileries ont obtenu souvent un succès peu mérité.

Pigeons voyageurs.jpgIl existe à Paris, dans certains quartiers, notamment du côté des Halles, du Temple, des colombiers perchés sur les toits de vieilles maisons. Avant la guerre, nul ne soupçonnait l’existence de ces petits établissements privés, qui ont contribué à assurer les communications de Paris avec la province. Nos gravures représentent le colombier de M. van Roosebeke, un des membres les plus actifs et les plus intelligents de la Société colombophile l’Espérance. On a pu tirer un parti vraiment merveilleux des pigeons voyageurs, en employant la photographie microscopique, pour faire tenir une innombrable quantité de dépêches sur une légère pellicule de collodion. Il serait utile d’encourager l’élevage de pigeons, et d’étudier un art peu connu qui a prouvé son importance par les services qu’il a rendus pendant la guerre. On parlait autrefois de construire aux pigeons du siège une volière d’honneur, mais nous paraissons avoir déjà oublié nos promesses.

« Comme les cigognes des villes du Nord, a dit avec raison M. de Saint-Victor, comme les pigeons de Venise, ils méritent de devenir, eux aussi, des oiseaux sacrés. Paris devrait recueillir les couvées de leur colombier, les abriter, les nourrir sous les toits de l’un de ses temples. Leur race serait la tradition poétique de ce grand siège, unique dans l’Histoire. »

Publié dans AUX SIECLES DERNIERS, FAUNE FRANCAISE, Paris | Pas de Commentaire »

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