Horloge florale du 18è siècle
Posté par francesca7 le 28 mai 2016
Au XVIIIe siècle le naturaliste Linné, à l’écoute d’une Nature généreuse, prend soin de l’observer et met au point l’Horloge de Flore, véritable et merveilleuse prouesse botanique, accompagnant le temps qui s’écoule et s’appuyant sur le simple fait qu’un grand nombre de plantes s’épanouissent et se ferment à des heures fixes
Delille, que l’on retrouve toujours dès que I’on s’occupe de la nature dont il fut le chantre favorisé, nous a laissé quelques vers qui ont pour objet l’horloge de Flore. L’idée principale de cette invention botanique est de réunir sur une même plate-bande des plantes dont les fleurs s’ouvrant et se fermant à des époques différentes, mais précises de la journée, indiquent chacune des heures comme le ferait un cadran.
Horloge de Flore
Voici les vers de Delille :
Je vois avec plaisir cette horloge vivante ;
Ce n’est plus ce contour où l’aiguille agissante
Chemine tristement le long d’un triste mur ;
C’est un cadran semé d’or, de pourpre et d’azur,
Où d’un air plus riant, en robe diaprée,
Les filles du printemps mesurent la durée,
Et nous marquant les jours, les heures, les instants,
Dans un cercle de fleurs ont enchaîné le temps.
Rien de plus séduisant que l’idée qui a inspiré ces vers. Quoi de plus ingénieux en effet que d’obliger le Temps à nous avertir, pour ainsi dire lui-même, de sa marche, et par les effets qu’il amène dans le règne végétal.
Ces pensées riantes et nouvelles pour Linné, puisqu’il fut le premier qui les publia, durent lui faire éprouver la satisfaction la plus douce. Ce naturaliste avait observé que, depuis le lever du soleil jusqu’à midi, chaque heure du jour pouvait être indiquée comme l’époque précise de l’épanouissement d’une fleur ; il nota la fleur, en rapprochant son nom de l’heure à laquelle sa corolle avait coutume de s’ouvrir. Il remarqua ensuite qu’à partir de midi on pouvait, sur l’occlusion des fleurs, établir des rapports tout à fait semblables et non moins justes. Il imagina alors de rassembler ces fleurs sous un même coup d’œil, et le résultat de l’expérience ayant été satisfaisant, il communiqua aux sociétés savantes cette nouvelle aménité botanique sous le nom d’horloge de Flore.
Il avait formé trois divisions : fleurs météoriques, qui s’ouvrent ou se ferment plus tôt ou plus tard, selon l’état de l’atmosphère ; tropicales, qui s’ouvrent au commencement et se ferment à la fin du jour ; équinoxiales, qui s’ouvrent et se ferment à une heure déterminée. C’est cette dernière division qui constituait spécialement l’horloge de Flore. Voici vingt-quatre fleurs s’ouvrant successivement aux différentes heures du jour et de la nuit :
Minuit. Cactus à grandes fleurs.
Une heure. Lacieron de Laponie.
Deux heures. Salsifis jaune.
Trois heures. Grande décride.
Quatre heures. Cripide des toits.
Cinq heures. Emerocalle fauve.
Six heures. Epervière frutiqueuse.
Sept heures Laitron.
Huit heures. Piloselle. Mouron rouge.
Neuf heures. Souci des champs.
Dix heures. Ficoïde napolitaine.
Onze heures. Ornithogale (Dame-d’Onze-Heures).
Midi. Ficoïde glaciale.
Une heure. Œillet prolifère.
Deux heures. Épervière.
Trois heures. Léontodons.
Quatre heures. Alysse alystoïde.
Cinq heures. Belle de nuit.
Six heures. Géranium triste.
Sept heures. Pavot à tige nue.
Huit heures. Liseron droit.
Neuf heures. Liseron linéaire.
Dix heures. Hipomée pourpre.
Onze heures. Silène fleur de nuit.
Parmi les fleurs qui s’épanouissent à heure fixe, plusieurs ne se rouvrent plus après s’être fermées, comme les Keturies ; d’autres, comme la plupart des composées, s’épanouissent de nouveau le lendemain. Un grand nombre de fleurs ne s’ouvrent que la nuit. Tel est, parmi les plus remarquables, le Cierge à grande fleur (Cactus grandiflorus), originaire de la Jamaïque et de la Vera-Cruz.
Sa fleur magnifique, large de deux centimètres, s’épanouit et répand un parfum délicieux au coucher du soleil ; mais elle ne dure que quelques heures, et avant l’aurore elle se fane et se ferme pour ne plus s’ouvrir. Ordinairement il s’en épanouit une nouvelle la nuit suivante, et cela continue de même pendant plusieurs jours. On a vu ce cierge fleurir chez un jardinier du faubourg Saint-Antoine, le 15 juillet à 7 heures du soir.
Parmi les autres plantes qui ne s’épanouissent et n’ont d’odeur que la nuit, nous mentionnerons en particulier : les Nyctantes ou Jasmin d’Arabie, diverses espèces de Cestrum, d’Onagre, de Lychnis, de Silenes, de Géraniums, de Glaïeuls. Les Belles-de-Nuit doivent leur nom à cette propriété.
Le Souci d’Afrique s’ouvre constamment à sept heures, et reste ouvert jusqu’à quatre, si le temps doit être sec : s’il ne s’ouvre point, ou s’il se ferme avant son heure, on peut être sûr qu’il pleuvra dans la journée. Le Laitron de Sibérie reste ouvert toute la nuit, s’il doit faire beau le lendemain.
Les fleurs de Nymphaea se ferment et se plongent dans l’eau au coucher du soleil ; elles en sortent et s’épanouissent de nouveau lorsque cet astre reparaît sur l’horizon. Pline avait déjà remarqué ce mouvement. « On rapporte, dit-il (Liv. XIII, c. VIII) que dans l’Euphrate la fleur du Lotus se plonge le soir dans l’eau jusqu’à minuit, et si profondément qu’on ne peut l’atteindre avec la main : passé minuit, elle remonte peu à peu, de sorte qu’au soleil levant elle sort de l’eau, s’épanouit, et s’élève considérablement au-dessus de la surface du fleuve. »
Selon plusieurs auteurs, cette observation est l’origine du culte des Égyptiens pour le Nymphaea Lotus, qu’ils avaient consacré au Soleil. On en voit fréquemment la fleur et le fruit sur les monuments égyptiens et indiens. La fleur orne la tête d’Orisis. Horus ou le Soleil, est souvent représenté assis sur la fleur du Lotus. Hancarville a historiquement prouvé qu’ils donnent par cette fleur un emblème du monde sorti des eaux.
Un grand ami de la botanique, propriétaire aux environs de Paris, voulut un jour, dans le jardin de sa maison de campagne, vérifier l’horloge du professeur d’Upsal. Voici comme il s’y prit. Il y avait dans un des coins de ce jardin un bassin desséché qu’entourait une plate-bande circulaire. Il fit établir une horloge au centre du bassin dont un cadran occupait toute la surface, puis il plaça sur la plate-bande, au point correspondant de chacune des heures du cadran, la fleur qui devait servir à l’indiquer.
Le naturaliste Linné, peint
en 1775 par Alexander Roslin
Ainsi, par exemple, de 4 à 5 heures, le tragopogon prateuse ; de 6 à 7 heures, le lactuca sativa ; de 11 heures à midi, l’ornithogalum umbellatum, et de même ensuite pour les plantes dont les fleurs devaient annoncer d’autres heures par leur occlusion ; de midi à une heure, le portulaca oleracea, etc., sans oublier le souci qui tenait une place honorable dans l’horloge linnéenne.
Après bien des peines, beaucoup de soins et de grands frais, notre connaisseur eut la satisfaction de réussir et d’offrir à ses amis une séance dont l’intérêt n’était pas moins vif que le spectacle en était amusant. Tout réussit au gré de ses souhaits et les heures furent indiquées à quelques minutes près.
On sent au reste combien une pareille horloge serait inférieure à nos pendules et au cadran solaire. Les difficultés qui peuvent s’offrir dans l’acquisition des plantes qui doivent la composer, les différents états atmosphériques qui peuvent survenir, contrarient souvent l’observateur, et celui qui ne voudrait pas d’autre mesure du temps, serait souvent exposé, comme le dit une phrase populaire, à chercher midi à quatorze heures.
Une invention analogue est le Calendrier de Flore, que l’on doit au même auteur. Linné ayant observé que les conditions de saison et de température, qui faisaient fleurir telle ou telle plante, étaient aussi ou contraires ou propices à tels ou tels travaux de la campagne, imagina de rassembler les plantes qui lui offraient cette concordance et d’établir un calendrier où il serait dit, par exemple : floraison du daphne mescreum, époque des semences, etc.
Voici comme il raisonnait : si la plante fleurit plus tôt qu’à l’ordinaire, c’est que la saison sera plus avancée qu’elle ne doit l’être à pareille époque, et les semences pourront donc sans inconvénient avoir lieu plus tôt ; si au contraire elle fleurit plus tard, il faudrait attendre pour semer ; les causes qui sont contraires à la floraison devant être également nuisibles aux semences. Ainsi , le cultivateur recevait de la nature même le conseil d’agir ou de rester en repos, et mieux averti que par les époques invariables que marque un calendrier ordinaire, il évitait les gelées et tous ces brusques changements de température qui lui enlèvent si souvent ses espérances et sa fortune.
Si l’utile venait ici se joindre à l’agréable, il faut reconnaître que ce calendrier devait exister avant le mémoire de Linné. Le cultivateur est observateur par état, et il n’est pas un paysan qui ne connaisse toutes les conditions atmosphériques beaucoup mieux qu’un physicien, et qui ne prédise d’une manière presque infaillible le temps serein ou la pluie, la grêle, le vent ou la gelée, l’expérience et l’habitude étant des guides sûrs.
Voici, toutefois, le Calendrier de Flore :
Janvier. Ellébore noire.
Février. Daphné bois gentil.
Mars. Soldanelle des Alpes.
Avril. Tulipe odorante.
Mai. Spirée filipendule.
Juin. Pavot coquelicot.
Juillet. Centaurée.
Août. Scabieuse.
Septembre. Cyclame d’Europe.
Octobre. Millepertuis de Chine.
Novembre. Xyménésie.
Décembre. Lopésie à grappes.
A l’exemple des botanistes qui ont construit une horloge de Flore, un chasseur naturaliste, s’il faut s’en rapporter au Bulletin mensuel de la Société protectrice des animaux, a dressé une horloge ornithologique, en notant les heures de réveil et de chant de certains oiseaux.
Après le rossignol, qui chante presque toute la nuit, c’est le pinson, le plus matinal des oiseaux, qui donne le premier signal aux chantres des bois. Son chant devançant l’aurore, se fait entendre d’une heure et demie à deux heures du matin. Après lui, de deux heures à deux heures et demie, la fauvette à tête noire s’éveille, et fait entendre son chant, qui rivaliserait avec celui du rossignol s’il n’était pas si court.
De deux heures et demie à trois heures, la caille, amie des débiteurs malheureux, semble par son cri : Paye tes dettes ! Paye tes dettes ! les avertir de ne pas se laisser surprendre par le lever du soleil. De trois heures à trois heures et demie, la fauvette à ventre rouge fait entendre ses trilles mélodieux. De trois heures et demie à quatre, chante le merle noir, l’oiseau moqueur de nos contrées, qui apprend si bien tous les airs, que Dureau de la Malle avait fait chanter la Marseillaise à tous les merles d’un canton, en donnant la volée à un merle à qui il l’avait serinée et qui l’apprit aux autres.
De quatre heures à quatre heures et demie, le pouliot se fait entendre. De quatre heures et demie à cinq heures, la mésange à tête noire fait grincer son chant agaçant. De cinq à cinq heures et demie, s’éveille et se met à pépier le moineau franc, ce gamin de Paris, gourmand, paresseux, tapageur ; mais hardi, spirituel et amusant dans son effronterie.
(D’après « Les végétaux curieux, ou Recueil des particularités les plus
remarquables qu’offrent les plantes, etc. » paru en 1824,
« Les merveilles de la végétation » paru en 1866
et « L’Année scientifique et industrielle » paru en 1863)
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