Manifestation la plus représentative du système social médiéval fondé sur la féodalité, le château est, à la fois, la résidence d’un membre de l’aristocratie et de sa famille, le centre d’exploitation d’un domaine foncier, le lieu d’exercice d’un pouvoir de commandement.
Du premier Moyen Âge jusqu’à la Renaissance, il revêt l’aspect d’un édifice fortifié, dont le rôle politique et militaire s’applique au contrôle des frontières et des voies de communication, à la surveillance et à la protection des populations. Certains sont le centre d’un essor administratif, la « châtellenie » ou le « mandement », à l’intérieur duquel s’exerce un pouvoir de contrôle économique, judiciaire et militaire : le ban. Cependant, la plupart des châteaux sont de simples demeures faiblement fortifiées, les « maisons fortes ». Toutes catégories confondues, cet ensemble présente encore un maillage remarquable : en effet, subsistent, en France, les vestiges de près de trente mille sites fortifiés médiévaux.
Les fortifications les plus anciennes sont assez proches, morphologiquement, des oppidums protohistoriques : les forteresses mérovingiennes et carolingiennes se présentent, le plus souvent, sous la forme de vastes enceintes. Destinées à servir de refuges à une population rurale dispersée, elles sont implantées à l’écart des agglomérations, sur des reliefs naturels escarpés - bords de falaises, éperons barrés, plateaux isolés - dont elles exploitent au mieux les avantages topographiques. Par ailleurs, certaines résidences impériales ou comtales traduisent, à travers une architecture palatiale, l’héritage de l’Antiquité romaine : il s’agit de vastes bâtiments dont l’élément majeur est une salle, l’aula, et qui constituent le lieu d’exercice du pouvoir public. La fin du Xe siècle et le début du XIevoient se multiplier les constructions de châteaux « privés », qui sont implantés sur des domaines ou dans des fiefs d’aristocrates ayant résidé jusqu’alors dans l’entourage des détenteurs de la puissance publique - comtes ou évêques. Ce phénomène prend une ampleur considérable, à tel point qu’il sera qualifié de « révolution castrale ».
La forme la plus fréquente que revêt le château à cette époque est la motte : un tertre artificiel de terre protégé par un fossé et, souvent aussi, par un rempart de terre. Un terre-plein - ou « basse cour » -, peu ou pas surélevé, ordinairement ovale, protégé à son tour par un fossé, lui est associé. Avant le XIIe siècle, les châteaux installés sur ces terrassements sont, dans la plupart des cas, en bois, qu’il s’agisse de la tour - réduit défensif et résidence seigneuriale - édifiée sur le tertre ou des bâtiments annexes disposés dans la basse cour. La motte castrale constitue le prototype du château médiéval, qui, à partir du XIIe siècle, est généralement bâti en pierre. L’élément principal en est le donjon, dont la forme diffère selon les régions. Dans la France du Nord et de l’Ouest, les donjons barlongs s’inspirent de la configuration de l’aula, dans des formes beaucoup plus massives (Langeais, Loches), tandis qu’ailleurs la tour carrée se substitue au château de bois (Albon). LeXIIIe siècle apporte de nouvelles mutations, qui prennent naissance principalement dans le domaine royal, sous l’influence de Philippe Auguste. Au chapitre des innovations : d’une part, la tour cylindrique remplace peu à peu la forme quadrangulaire (Château-Gaillard, Fréteval, Châteaudun), en passant parfois par des étapes intermédiaires de plan polylobé (Houdan, Étampes) ; d’autre part, l’ensemble castral s’organise selon un plan régulier (Dourdan). Dans ce cas, le donjon conserve une place éminente, qu’il soit situé en position de barrage, c’est-à-dire du côté le plus exposé de la forteresse (Coucy), ou qu’il fasse office d’ultime refuge (par exemple, au Louvre).
À la fin du Moyen Âge, le château fort adopte des formes complexes, avec la modernisation et la multiplication des structures défensives (qui doivent s’adapter à la diffusion de l’arme à feu) aussi bien que des parties résidentielles, qui s’organisent autour de plusieurs cours (Najac). L’architecture des maisons fortes est beaucoup plus variée ; les innovations techniques concernent dans une moindre mesure ces châteaux plus modestes, dont l’aspect est davantage tributaire du rang - et des moyens - de leur propriétaire. Il s’agit, le plus souvent, de logis pourvus d’éléments de défense et, à la fin de la période, nombre de ces établissements seigneuriaux sont encore construits en bois, parfois sur une plate-forme artificielle entourée de fossés.
Le château fort médiéval prend appui, presque systématiquement, sur une topographie favorable pour asseoir sa défense - éminence naturelle ou barrière d’un cours d’eau -, que des travaux de terrassement complètent et renforcent : reliefs redécoupés et accentués, creusement de fossés, surélévations artificielles. Le donjon, ou tour maîtresse, concentre les éléments défensifs : l’épaisseur de ses murs (jusqu’à plus de 4 mètres à la base), la rareté de ses ouvertures (rez-de-chaussée aveugle, étroites fentes de tir), la protection de l’accès (porte au premier étage), des aménagements sommitaux (crénelages et mâchicoulis), le consacrent comme le pivot d’une défense renforcée par la possibilité de l’isoler du reste du château. La défense passive est assurée par la diversification des barrages : flanquements de courtines, chemise de protection de la base du donjon, redoublement des enceintes, chicanes. La défense active s’appuie principalement sur les superstructures de bois (hourds), qui permettent, depuis les créneaux et les différentes ouvertures de visée, une riposte efficace. L’accès au château bénéficie d’une protection particulièrement soignée, avec des systèmes de fermeture complexes associant herse et pont-levis, et accompagnés, à l’extérieur, de défenses avancées : bretèches, fossés et barbacanes, complétés, à l’intérieur, par un assommoir ménagé dans la voûte du couloir d’accès, ou une souricière.
La vue de châteaux aujourd’hui dégarnis de mobilier donne à penser qu’il ne s’agit plus que de coquilles de pierre. Or nombre de ces édifices n’étaient guère plus meublés aux temps mêmes de leur occupation. En effet, les seigneurs possèdent souvent plus d’un château, et se rendent de l’un à l’autre suivant la saison ou leurs obligations. Entre deux déplacements, à l’exception des châlits de bois, la demeure se vide de son mobilier comme de ses habitants. Le mode de vie itinérant de l’aristocratie impose l’usage d’un mobilier aisément transportable, ou pliant : les tables sont alors de simples plateaux de bois disposés sur des tréteaux, que l’on installe au moment des repas - d’où l’expression « mettre la table ». Les tabourets pliants, les coffres, servant à la fois de bagages et de rangements domestiques, sont emportés lors de chaque changement de résidence. L’armoire massive n’existe pas, et les dressoirs ne datent que de la fin du Moyen Âge. Avant la diffusion tardive du verre à vitre, on obture simplement les fenêtres avec du papier huilé, à l’arrivée du seigneur et de sa famille, on pourvoit à la hâte les salles de nattes de paille tressée, tandis que tapis, tentures, tapisseries et coussins voyagent de résidence en résidence. Ce mode de vie nomade n’empêche en rien le déploiement d’un grand luxe dans la décoration du château et dans l’aménagement des chambres. Outre les fresques et les peintures des poutres et des plafonds, les textiles, de couleurs vives, peints ou armoriés, et les carrelages somptueux, à motifs héraldiques, courtois ou animaliers, contribuent au confort et à la beauté des pièces. De multiples accessoires améliorent l’habitabilité : des pare-feu d’osier tressé, le luminaire, une vaisselle souvent ornée de motifs animaliers ou anthropomorphes, des verreries importées d’Italie, des céramiques de provenance parfois lointaine, islamique, voire extrême-orientale. En outre, dans les châteaux princiers, jardins, pièces d’eau, fontaines, et parfois un zoo, comme chez le roi René d’Anjou, le duc de Berry ou les rois de France, flattent le goût des puissants pour l’exotisme.
Le château n’abrite pas seulement les proches du seigneur. En l’absence de ce dernier, un concierge est parfois seul à y résider. En cas de besoin, une garnison réduite y séjourne. Lorsque le château est occupé, le nombre de serviteurs ou de commensaux croît : domestiques pour le service et le ménage, nourrices et gouvernantes pour les enfants, chapelain pour servir l’office dans la chapelle castrale et pour enseigner aux jeunes de 6 à 15 ans ; « galopins » d’écurie, fauconniers, veneurs, valets de chiens, pour s’occuper des chevaux, faucons et chiens de guerre ou de chasse ; enfin, un cuisinier et ses apprentis, les « enfants de cuisine », pour nourrir tout ce monde. S’ajoutent à la famille les serviteurs chargés des tâches administratives, scribes et officiers, et, dans les châteaux des seigneurs importants, des enfants pages. On comprend que très tôt les châteaux, de défensifs, se soient transformés en résidences d’un haut niveau de confort. Le château fort n’est donc pas seulement l’« image de pierre des guerres médiévales » (A. Chatelain), mais aussi une forteresse habitée.
Renaissance ou décadence ?
Cette évolution du château vers la demeure de plaisance est pleinement achevée à la Renaissance : les fonctions militaire et résidentielle tendent à se dissocier définitivement. Au début duXVIe siècle, le château, autrefois enfermé dans ses remparts, s’ouvre sur l’extérieur, recherche la lumière et l’ornementation : pinacles au sommet des toitures, galeries et escaliers à loggia ; des jardins recouvrent les fossés, qui sont donc aplanis. L’aspect fortifié s’atténue : on remplace les archères par de larges fenêtres à tous les niveaux, et l’échelle de bois menant à la porte fait place à un escalier monumental en pierre. De telles modifications sont dues, en grande partie, à un engouement de l’aristocratie pour l’architecture italienne ; il est suscité, dès la fin du XVe siècle, par les expéditions militaires françaises. Ainsi, le décor intérieur tout comme l’organisation spatiale des premiers châteaux italianisants, bâtis en Val de Loire, transforment profondément l’apparence de ces édifices. Toutefois, jusque dans les années 1530, ceux-ci constituent des exceptions.
En effet, le château de type médiéval ne disparaît pas pour autant et, sous l’effet des guerres de Religion, la poliorcétique se modernise même efficacement. On adopte le principe des tours d’angle à plan losangé, inspirées des bastions à l’italienne, et on élargit les fossés, qui conviennent tant à la défense qu’à la plaisance. En sous-sol sont installées des casemates de tir adaptées aux canons : la défense active, autrefois organisée du haut des tours, se déplace au ras du sol. AuXVIIe siècle encore, le château de type médiéval reste en fonction. Même si Vauban édifie de nouvelles citadelles avec bastions avancés de plan polygonal, nombre de forteresses sont simplement restaurées ou aménagées dans le respect des principes médiévaux, avec pont-levis, tours, hourds de bois et mâchicoulis. En revanche, dans les châteaux résidentiels, la noblesse de l’époque privilégie l’élégance au détriment du caractère à la fois militaire et rural des châteaux médiévaux. Ainsi, le château de Grignan, cité dès 1035, et dans lequel réside six siècles plus tard la marquise de Sévigné, est transformé en « palais d’Apollidon ». Cependant, même aménagés, les châteaux anciens ne peuvent rivaliser avec ceux édifiés après le Moyen Âge, et nombre d’entre eux disparaissent alors : déjà en ruine, ou volontairement démantelés, ils servent de carrières aux paysans ; des donjons sont transformés en tours de moulins à vent, comme en Forez ; des faïenciers installent leurs fours dans leurs bâtiments, comme à Vincennes ; enfin, les plus solides des anciennes forteresses, souvent de construction royale, qui sont les plus inconfortables aux yeux des hommes modernes, ne conservent que leur fonction de prison, à l’instar de la Bastille.
Les nouveaux châteaux, libérés de toute contrainte militaire ou topographique, se soumettent, dès lors, aux effets de mode et adoptent le style du temps : néoclassique dans les années 1750 et suivantes, avec plan carré, colonnes et frontons, puis néogothique durant la période romantique, férue d’un Moyen Âge régulièrement remis au goût du jour. Le XIXe siècle a même été qualifié de « second siècle d’or » du château et on dénombre encore, en 1888, quelque 40 000 châtelains : outre la vieille aristocratie et la noblesse d’Empire, les grands industriels et les banquiers font eux aussi rénover ou construire des châteaux, souvent de type « moyenâgeux », en témoignage de leur réussite financière. Le château n’a rien perdu de son prestige : pour Napoléon III, et dans l’intention d’en faire une « habitation fort agréable », Viollet-le-Duc reconstitue le château de Pierrefonds sur des vestiges médiévaux. Même les grands propriétaires de vignobles s’attribuent des « châteaux » - 58 sont institués en 1855 - qui donnent leur nom aux vins du Bordelais ; mais il est vrai que les créateurs de nombre de ces vignobles appartenaient à l’aristocratie.
C’est la guerre de 1914 qui met fin à la construction castrale ; au demeurant, l’évolution des tactiques militaires impose alors de nouvelles formes de défense : au château médiéval, symbole intemporel de puissance, perché sur une éminence, succède, au XXe siècle, la fortification enterrée, avec ses tranchées et ses casemates, dont les bunkers souterrains de mise à feu des missiles atomiques ont représenté jusqu’à récemment un exemple extrême.