Les oies de frère Philippe
Posté par francesca7 le 31 mai 2016
Les femmes
Tout le monde connaît le conte de La Fontaine qui a donné lieu à cette façon de parler ; mais beaucoup de personnes ignorent que la première idée appartient à saint Jean de Damas, qui vivait dans le huitième siècle.
Voici ce qu’on lit dans son histoire de Barlaam et Josaphat : « Un roi eut un fils qu’on éleva jusqu’à douze ans sans qu’il vît la lumière du jour, ni aucune autre. Les médecins avaient dit qu’il deviendrait aveugle si on ne prenait pas cette précaution. Le temps de ces ténèbres forcées étant expiré, on fit passer en revue devant les yeux du jeune prince tous les objets qu’on peut voir pour l’ordinaire, les lui montrant l’un après l’autre.
« Lorsqu’on lui fit voir des femmes, il demanda avec avidité quel nom on donnait à cela. Ce sont, lui répondit le nomenclateur, des démons qui induisent toujours à mal, et dont on ne saurait trop éviter l’approche. Malgré le nom et l’observation qu’on y joignit, lorsque le roi demanda à son fils lequel de tous les objets qu’on lui avait fait voir il aimait le mieux : Ce sont, dit le prince, ces démons qui nous induisent toujours à mal ; rien ne m’a paru si charmant. »
Un dominicain qui prêchait dans le treizième siècle, changea les démons en oies, et le fils du roi en moine. Ce sont aussi des oies et un ermite dans le conte de Boccace. Le récit de Martin Franc, poète, qui vivait sous Charles VII, est un modèle de naïveté :
Ci vous conterai d’un novice
Qui oncques vu femmes n’avoit.
Innocent étoit et sans vice,
Et rien du monde ne savoit ;
Tant que celui qui le suivoit
Lui fit accroire par les voyes,
Des belles dames qu’il voyoit,
Que c’étoient des oysons et oye.
On ne peut nature tromper ;
En après tant lui en souvint,
Qu’il ne put dîner ni souper,
Tant amoureux il en devint.
Et quand des moines plus de vingt
Demandèrent pourquoi musoit,
Il repartit, comme il convint,
Que voir les oyes lui plaisoit.
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