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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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LA MACHINE A SILHOUETTE

Posté par francesca7 le 21 avril 2016

 

 
 
Si le parrain innocent du mot Silhouette, qui désigne la simple représentation de l’ombre projetée par un objet et plus particulièrement de la figure et du corps humain, est un certain Étienne de Silhouette qui vécut au XVIIIe siècle et s’illustra en préconisant des économies drastiques pour relever les finances de l’État, le terme, devenu d’usage courant, ne fut admis par l’Académie qu’en 1835. Mais comment s’imposa ce dessin d’une teinte uniforme dont le bord ou le contours seuls se détachent du fond ?

Si le premier dessin, exécuté sur une pierre, de souvenir ou d’après nature, représentait non seulement le contour, mais aussi les points saillants d’un objet qui avaient frappé l’œil du dessinateur, la première silhouette fut quant à elle la première représentation exacte d’un objet, son auteur s’étant contenté de tracer le contour de l’ombre de cet objet se détachant sur une surface plus claire.

Voici donc la silhouette occuper une place intéressante, non seulement dans l’histoire primitive des manifestations de l’intelligence de l’homme, mais aussi dans l’histoire du portrait. Elle reproduit imparfaitement, mais fidèlement, la figure humaine, alors que l’artiste l’interprète à sa façon, avec sa conception visuelle, avec le sentiment qu’il prête à son modèle, enfin suivant les moyens dont il dispose : son talent et son procédé de reproduction.

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Cherchons l’origine de cet amusement, de cette fantaisie graphique qui, malgré l’attrait qu’elle présente, n’exige qu’un peu d’habileté. Des recherches conduisent à deux thèses diamétralement opposées. Certains écrivains qui ont étudié la question, en particulier Vivarez et Grand-Carteret, deux noms qui marquent dans l’histoire de nos collections, attribuent cette invention à Étienne de Silhouette lui-même.

Étienne de Silhouette, né à Limoges en juillet 1709, avait épousé la fille d’Astruc, médecin de Louis XV, et jouissait d’une grande fortune personnelle. Après avoir beaucoup voyagé, notamment en Angleterre où il remplit des missions diplomatiques et financières, la faveur de Mme de Pompadour le fit nommer, le 4 mars 1759, Contrôleur général des Finances, portefeuille considérable à cette époque.

Pénétré des idées nouvelles philosophiques et économiques, il débuta par un Mémoire au roi, resté célèbre, où il attaquait de front les errements financiers, en demandant la suppression des fermiers généraux et en préconisant un régime d’économies, seul capable de relever les finances de l’État. On conçoit sans peine que ses premières mesures furent favorablement accueillies dans le peuple et la bourgeoisie.

Il devint vite populaire, et une estampe de la Collection Hennin nous le montre chassant à coups de fouets les fermiers généraux et autres maltôtiers à cheval, ayant la plupart des femmes en croupe. Cette gravure a pour titre : Déroute des Fermiers Généraux et de leurs Croupiers et Croupières. Événement arrivé sous l’auspice de la Comette le 6 May 1759. Elle est accompagnée des vers suivants :

François, au premier trait du chef de la finance
Reconnois un Rosny, un Colbert, un Louvois
Deja par ses Conseils, il procure à la France
Le Moïen assuré de terrasser l’Anglois.

Achève Silhouette, achève ton Ouvrage
De Louis, le Bien aimé rends le nom glorieux ?
Enrichissant ton Roy, tu peux Ministre Sage
En le rendant Vainqueur, rendre son Peuple heureux.

Mais nous étions en pleine Guerre de Sept Ans, il fallait de l’argent, et tout ce monde de traitants qui le fournissait en pillant le Trésor, se tourna contre M. de Silhouette. La disgrâce fut rapide. Le 21 novembre de la même année, il dut résigner ses fonctions et se retira dans la seigneurie de Bry-sur-Marne qu’il venait d’acquérir. Il s’occupa d’œuvres de bienfaisance, reconstruisit le château de Bry, y mourut le 20 janvier 1767. Il fut inhumé dans le chœur de l’église.

Les auteurs précédemment cités disent que, pour occuper les loisirs de cette retraite un peu forcée, il imagina de découper avec des ciseaux, dans du papier, le profil des amis qui venaient le visiter, et d’en faire ainsi de petits portraits qui eurent une vogue considérable et provoquèrent l’engouement du public.

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Mais voici une autre opinion : dès qu’Étienne de Silhouette émit la prétention de réduire les pensions, de supprimer les privilèges, il eut contre lui tous ceux qui profitaient de ces régimes. Il fut accablé de brocards et de caricatures, sous les coups desquels il tomba. Comme il demandait aux grands potentats de faire des sacrifices, jusqu’à envoyer leur vaisselle d’argent à la Monnaie, on surnomma « Culotte à la silhouette » des culottes où le gousset n’existait plus ; et, dans des caricatures, le personnage n’était représenté que par son ombre, puisqu’on lui avait tout enlevé.

Mercier, l’auteur du célèbre Tableau de Paris paru en 1782, grand historien de nos mœurs à cette époque, fait naturellement allusion à la silhouette à propos d’un sujet qui en est fort éloigné : La Courtille. Voici ce qu’il dit :

« Tandis que Ramponneau augmentait en célébrité, celle d’un contrôleur général des finances, monté à cette place avec la plus haute réputation, tomba précipitamment. Il fit plusieurs écoles, quoique doué d’esprit et de connaissances. Dès lors, tout parut à la SILHOUETTE, et son nom ne tarda point à devenir ridicule. Les modes portèrent à dessein une empreinte de sécheresse et de mesquinerie. Les surtouts n’avaient point de plis, les culottes point de poches ; les tabatières étaient de bois brut ; les portraits furent des visages tirés de profil sur du papier noir, d’après l’ombre de la chandelle, sur une feuille de papier blanc. Ainsi se vengea la Nation. » (Tableau de Paris, édition corrigée et augmentée de 1783).

Mais cela est un peu vague, et ne résout pas le problème. Ainsi, jusqu’ici, aucune preuve, et même aucune trace ne nous reste de l’origine précise d’un petit fait qui eut une si considérable répercussion. Remarquons cependant, dans l’ouvrage Papeterie et Papetiers, de John Grand-Carteret, cet extrait de la Feuille nécessaire du 3 décembre 1759, quinze jours après la disgrâce d’Étienne de Silhouette, à propos des papiers de tenture :

« Aujourd’hui ces tapisseries sont couvertes de portraits à l’ombre. Nos dames, à l’imitation de Debutade, tracent partout les traits de leurs amis sur un papier noir qu’elles découpent ensuite, elles donnent même leurs portraits sans que cela tire à conséquence : utile invention qui multiplie partout la figure de ce qui vous intéresse et en fixe le souvenir dans une imagination trop légère ».

Qui est ce Debutade : un fabricant de papier de tentures ou un silhouettiste ? Peut-être est-ce là l’origine que nous cherchons. Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons en présence d’une invention — laissons le mot — qui se répandit comme une vraie traînée de poudre, et dont le principe a toujours été et sera longtemps employé dans les arts graphiques. Cela tient à ce que ce procédé de représenter une figure ou un objet par une masse noire se détachant en plein sur du blanc, frappe énergiquement notre sens visuel, et lui laisse une impression plus rapide et plus profonde que les dessins, où les détails plus ou moins bien rendus exigent de l’œil un travail de recherche et de compréhension.

La silhouette-portrait donna naissance aussitôt à une petite industrie qui fut, comme l’a si bien dénommée Vivarez, celle du portrait à bon marché, réalisé à l’aide d’un physionotrace, application plus artistique de la silhouette, l’art du dessinateur et du graveur venant ajouter au simple contour de la silhouette les traits de la figure et les ornements de la tête.

 

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Machine sûre et commode pour tirer des silhouettes. Gravure de Schellenberg publiée
au sein de l’Essai sur la physiognomonie destiné à faire connaître l’homme et à le faire aimer,
par Casper Johann Lavater (1781)

 

Le procédé originaire de fabrication est le même, puisqu’il s’agit d’abord de fixer sur une surface claire l’ombre portée par un objet éclairé. La gravure ci-dessus montre comment se faisaient les portraits à la silhouette. La personne est assise pour garder l’immobilité, elle est éclairée par une simple bougie et l’opérateur trace sur un écran les contours de l’ombre projetée. Mais lorsque nous regardons ces petits portraits, hauts de 3 à 4 centimètres, nous devons observer qu’ils n’étaient pas uniquement obtenus de cette façon, car l’ombre projetée est plus grande que le modèle, et c’est là où les sciences nouvelles sont intervenues.

Il fallut procéder à une seconde opération pour réduire cette image à la proportion que nous voyons. Cela est on ne peut plus facile et il n’est pas nécessaire de rechercher l’emploi d’appareils compliqués, voire même du pantographe. Il suffisait de projeter à nouveau, sur un écran, la silhouette directe, fortement éclairée, pour lui donner plus de netteté, en interposant, à une distance convenable, une lentille biconvexe. La nouvelle image obtenue sur l’écran se présentait réduite à la dimension voulue. Elle était, il est vrai, renversée ; mais c’était une difficulté insignifiante pour l’opérateur.

Certains opérateurs utilisaient la bougie et l’écran, d’autres la chambre noire, d’autres le pantographe ; mais le véritable mérite du physionotrace résidait dans le talent des peintres en miniature qui gravaient sur cuivre les silhouettes en y ajoutant les détails de la physionomie. Le physionotrace disparut naturellement dès l’apparition de la photographie sous Louis-Philippe.

(D’après « Bulletin de la Société archéologique, historique
et artistique Le Vieux Papier », paru en 1923)

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