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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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Marcel Pistre… ou le miroir liquide du temps

Posté par francesca7 le 3 avril 2016

 

 

« Ce qui me paraît atroce dans la vie, c’est la fuite du temps. Mes tentatives n’ont d’autre raison que de fixer un instant, de le tenir à ma disposition et, ainsi, de pouvoir le revivre comme on le fait lorsque, voulant retrouver un climat particulier, on remet sur l’électrophone un disque de Mozart, de Fauré de Prokofiev.

C’est la seule manière d’arrêter le mouvement stupide de l’horloge et du calendrier…
La peinture est un talisman; peindre, c’est conjurer les maléfices du temps. Cela m’amène à donner à mes formes, ce quelque chose suggérant l’idée d’un déploiement léger s’ordonnant dans un univers sans rupture où les déchirements eux-mêmes seraient doux. Je pense parfois à des frissonnements à d’ailes, à des rivages…
Mais ce ne sont là que des sensations de surface l’essentiel reste, je crois, indéfinissable, et mon aventure picturale demeure une expérience mystico-profane personnelle, au sens le plus humble du terme. »

Marcel Pistre. 

Pistre

Passage

« L’un des mots du vocabulaire de la peinture qui me définit le mieux est celui de « passage » et dans mes « chutes » non moins que dans mes réalisations antérieures qui souvent ont eu des localisations trop indiquées, soit par des lignes soit par des contours très nets, très précis.

Et c’est peut-être dans le parti-pris le plus absolu des passages que se trouve ma meilleure voie. Aucune clarté, aucun foncé (alors que l’extrême clarté de la figure centrale ou principale et l’extrême foncé de l’opposition la plus forte sont une règle impérative) ne sont localisés; ils sont préparés, annoncés de loin et se manifestent par degrés insensibles jusqu’à atteindre leur intensité la plus grande ».

pistre

Marcel Pistre.
Carnets, 3 juillet 1979.

Approcher la peinture de Pistre, du moins celles de ses dernières années la mieux connue aussi grâce à la Galerie Protée et à une exposition de 1979 au Centre culturel de l’Aérospatiale (qui ne put aller à son terme par le doux effacement du peintre parti rejoindre ses déploiements légers), approcher donc ces miroirs liquides du temps passe par les paroles préalables du peintre citées en exergue. 

Effectivement ce qui capture à jamais le regard dans « les frôlements d’ailes » que sont ses tableaux, c’est la certitude de pouvoir y lire tous les mouvements des nuages, tous les glissements de l’eau, tous les miroirs du temps. 

La peinture de Pistre est mouvements de nuages, ailes de papillons étranges. Posé en son centre un étrange noyau vous regarde et de là irradie des volutes de souvenirs de l’au-delà. Comme un avant-goût du retour flotte dans l’univers flou de Marcel Pistre un parfum d’éternité. Un profond silence est palpable aussi.

On pose le regard presque à mi-voix sur ses tableaux. Un étrange nouvel ordonnancement du monde s’est opéré pendant notre absence. Et devant nous des marées inconnues viennent à nous presque immobiles. Le maître mot de Pistre, passage, définit bien cet autre côté du miroir que sont ses oeuvres. On est passé de l’autre côté, les terres inconnues se lèvent vu de l’ailleurs. 

La présence obsédante d’un certain bleu, d’une histoire de bleu, nous entraîne par delà les nuages. La peinture de Pistre est bien un passage, une sorte d’initiation à l’invisible. Si on prête les sens, un infini chuchotement sourd de ses toiles, musique des sphères ou silence habité des puits, on ne sait. Une magie est à l’oeuvre, un doigt sur les lèvres pour ne pas se trahir. Tout glisse lentement dans l’univers de Pistre, tout est flou, l’illusoire n’a plus ici sa place. Un rêve où se déplient les draps fins de l’inconscient. 

Regarder une toile de Marcel Pistre veut dire accepter de se laisser submerger par l’impalpable. Se laisser aller à la dérive des atmosphères, à la migration des fées. Tout insensiblement se met en place pour le basculement vers les vapeurs du temps. 

Du centre vers les bords se produit une dissipation de gouttes fondamentales de couleurs et de fantômes. Une alchimie du chuchotement s’opère dans ses toiles. Un mystère est à l’oeuvre. Il semblerait que l’on ne doive voir ses toiles qu’à la dérobée pour ne pas faire fuir l’éphémère figé qui les habite.  

La fuite du temps nous contemple et nous trouble. Mais ce temps en allée a laissé ses traces d’ailes sur les tableaux de Pistre. Ce qui nous dérange alors doit être cette étrange mise en miroir de notre propre finitude. Les tableaux du doux et discret Marcel Pistre ne montrent pas la violence de la mort en marche, non. Seulement la fuite, l’échappée lente et inéluctable du temps profond. Les toiles de Pistre ne se regardent pas elles se soupçonnent, ne se laissent entrevoir que par un autre regard à hauteur de ciel. 

Des feuillets de matière dérivent atteint par la fonte des bleus du monde. Les tableaux de Pistre veillent alors sur notre éparpillement aux étendues du silence. Dans cet univers vaporeux nos regards remontent aux surfaces, un sourire serein et apaisé nous fait signe. 

Se confronter à une toile de Marcel Pistre est comme être dans l’antichambre des passages. Là le ciel ne brûle pas, il apaise. Tout glisse entre les doigts, le sablier n’a plus cours. Tout est fluide, achevé dans le bel inachevé des formes qui flottent comme feuilles éparses. Le lumineux promène sa douce lanterne. La transparence se fait châle de l’inexprimable.
« Le doux déploiement » dont parle le peintre nous fait l’amitié discrète de l’indéfinissable. 

Cette peinture est échouée sur les hauts-fonds de l’âme.

 Source : http://www.espritsnomades.com

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