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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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Pour L’attrait de la légèreté

Posté par francesca7 le 22 mars 2016

 

De Voltaire à Guitry, qu’il vente ou qu’il tonne, le Français méprise la pesanteur. Acceptable ou insoutenable désinvolture ?

La légèreté : qualité ou défaut ? Mon dictionnaire évoque une danseuse, une biche, un papillon, la flèche d’une cathédrale, le vin de Champagne… C’est donc une qualité. Ne loue-t-on pas la monte légère du cavalier, le toucher léger du pianiste, la main légère du dessinateur, la phrase légère de l’écrivain ? A-t-on jamais entendu en revanche glorifier la lourdeur d’un style ou l’épaisseur d’un esprit ? Vive la légèreté !

plumes

Hélas, quand le mot s’applique au comportement, ce n’est plus la même chanson. Le Grand Robert propose alors cette définition : « Caractère d’une personne qui manque de consistance, de profondeur dans ses jugements, de constance dans ses opinions, qui agit de manière peu réfléchie, inconsidérée ; (spécialt) caractère d’une personne qui ne prend rien au sérieux, tourne toute chose en plaisanterie. » Sont proposés comme synonymes : «désinvolture, frivolité, futilité, inconscience, insouciance, enfantillage, imprudence, inconstance, instabilité, irréflexion». A l’appui de cette peu flatteuse appréciation, quelques expressions et citations dénonçant « la légèreté proverbiale des Français ».

Voltaire enfonce le clou : « Il résulte que cette légèreté particulière aux Français a dans tous les temps produit des catastrophes bien funestes […] Des ruisseaux de sang ont coulé en France, parce que la nation est souvent peu réfléchissante et très prompte dans ses jugements. »

Bigre ! Il y a là de quoi couper toute envie de plaider en faveur de la légèreté. Par parenthèse, n’est-il pas paradoxal que Voltaire, qui est quand même un champion dans le genre, se montre aussi sévère pour ses compatriotes ? C’est la paille et la poutre. Je ne parle pas de la merveilleuse vivacité de son style, mais de certains de ses jugements pour le moins “prompts” et peu “réfléchissants”. Par exemple dans Candide, où il réduit le Canada à quelques arpents de neige que la France et l’Angleterre sont bien bêtes de se disputer. «Elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut », écrit-il. Minimiser l’action de Montcalm, n’était-ce pas faire preuve d’une coupable légèreté ?

Ambivalente comme les deux faces d’une même monnaie

Voltaire a raison sur un point : la légèreté est un trait de caractère spécifiquement français. Henri IV s’en plaignait déjà : « La légèreté des Français est grande. » Louis XIII aussi : « C’est une chose étrange que la légèreté des Français. » Ou encore Louis XVI : « Vous connaissez les Français : comme ils vont vite d’une extrémité à l’autre.»

Heureusement, cette pensée de Joubert contrebalance le manque de confiance de nos souverains dans leur bon peuple : « Les Français naissent légers, mais ils naissent modérés. Ils ont un esprit leste, agréable et peu imposant. Parmi eux, les sages même, dans leurs écrits, semblent être de jeunes hommes. »

Il s’agit à l’évidence des deux côtés de la même monnaie. Sur l’avers, la légèreté est représentée comme un défaut qui fait penser et agir étourdiment. Sur le revers, elle apparaît comme l’une des principales composantes de l’élégance.

Je prie le lecteur d’excuser le tour personnel de l’anecdote qui va suivre. Un jour, vers 12 ans, je demandai à ma mère de me raconter son souvenir le plus marquant de l’Occupation. Elle fit mine de réfléchir. Les drames n’avaient pas manqué. Mon père prisonnier de guerre… Mes oncles et tantes déportés… Mes parents obligés, après l’évasion de mon père, de se mettre au vert pour échapper à la chasse aux juifs… Enfin ma mère se prononça : « La crème. » Sa réponse étant trop elliptique pour moi, elle précisa : « À Châteauvieux [c’est le nom du hameau où mes parents s’étaient cachés], je me suis gavée de crème fraîche à en être malade. »

Je me souviens avoir été choqué par sa boutade et son clin d’œil amusé. Si elle avait pu échapper aux privations grâce aux fermiers du voisinage et se bourrer de crème pendant que les malheureux citadins étaient affamés par le rationnement, il n’y avait pas de quoi se vanter. Je suis maintenant moins prompt à la condamner. J’ai compris avec le temps que ce que je prenais pour cynisme et frivolité n’était que pudeur. Sachant qu’elle avait moins souffert que d’autres, elle ne voulait pas se poser comme victime, préférait ne pas mentionner son angoisse durant la captivité de mon père et la déportation des siens, et présentait délibérément les choses sous un jour humoristique. Pauvre mère, je ne te savais pas adepte de la litote. Je te demande pardon de t’avoir prise pour une égoïste et une écervelée, et de n’avoir pas deviné que prendre les choses à la légère était pour toi la suprême sagesse. Que tu pensais comme La Bruyère qu’il faut « rire avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri ». Combien de fois pourtant t’ai-je entendu chantonner la profession de foi de Sacha Guitry : « Amusez-vous,/ Foutez-vous d’tout,/ La vie autrement est si tri-i-ste »…

Des années plus tard, entendant une dame de ma connaissance raconter sa guerre avec des trémolos dans la voix, je ne pus m’empêcher de rire sous cape en comparant sa gravité à la futilité affectée par ma mère. Pas plus résistante que juive, cette dame avait traversé les années noires dans un palace où elle n’avait, et c’est tant mieux pour elle, jamais manqué de rien. Son plus grand acte de courage fut de lamper des grands crus au péril de sa vie. Le bruit courait en effet que la Résistance avait empoisonné les vins fins entreposés dans les caves de l’hôtel pour envoyer ad patres les officiers allemands qui s’y gobergeaient. Songeant aux risques qu’elle avait courus en y prenant malgré tout ses repas, elle pâlissait rétrospectivement. Elle en était toute frissonnante. On lui aurait proposé une médaille, elle ne l’eût pas jugée imméritée.

Dans la préface de Jacques et son maître, la pièce qu’il a tirée de Jacques le fataliste, de Diderot, Milan Kundera raconte qu’à la fin du Printemps de Prague, lorsque les tankistes soviétiques vinrent remettre la Tchécoslovaquie sur le bon chemin, la légèreté des écrivains français des Lumières, en particulier Diderot, lui apparut comme un refuge. Un recours. Le seul antidote efficace contre les soldats russes, lourdauds inébranlables, convaincus d’agir pour le bien du petit frère tchèque.

Souvenez-vous encore de cette interview de Céline, après-guerre ; on lui demande ce que sera sa dernière pensée avant le grand voyage au bout de la nuit et il répond : « Qu’ils étaient lourds… » C’est de ses frères humains qu’il parle. Mais lui, par quel miracle échappe-t-il aux lois de la pesanteur ? Parce que, sa mère ayant tenu commerce de dentelles, il est le seul homme de France à distinguer le point d’Argentan du point d’Alençon. Ce qui lui a permis d’alléger son style, alors que la plupart de ses collègues romanciers ne faisaient pas dans la dentelle.

Cette réputation de légèreté que les artistes français se sont faite au fil des siècles, est-elle légitime aujourd’hui ? Avons-nous encore le droit de revendiquer l’héritage de Couperin, Marivaux, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, Musset, Verlaine, Monet, Renoir, Fauré, Satie, Debussy, Poulenc, Jules Renard, Guitry, Cocteau et j’en passe ? À la postérité d’en décider. Pour moi, si j’en juge d’après le domaine que je connais le mieux, le théâtre, et si je compare nos productions à celles de l’étranger, il me semble qu’à la fin des fins nous sommes fidèles à nous-mêmes. Qu’on la siffle ou qu’on l’acclame, la légèreté française n’est pas qu’une idée toute faite. Personnellement, la pesanteur et la grâce demeurant antinomiques, j’y applaudis sans réserve. 

Réflexion de Jacques Nerson sur le site http://www.valeursactuelles.com/culture

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