LA SEDUCTION DES TROUBADOURS
Posté par francesca7 le 22 janvier 2016
L’amour courtois se démarque d’emblée par le fait que la poésie y tient une place fondamentale. L’amant est poète et une équivalence émerge entre le fait d’aimer et celui de chanter. Dans le Midi de la France, les amants-poètes sont les troubadours et dans le Nord, ce sont les trouvères ; le troubadour Bernard de Ventadour écrit : « Ce n’est pas merveille si je chante mieux que tout autre chanteur ; c’est que, plus que tous les autres, je me soumets à Amour et lui obéis : coeur et corps, savoir et sens, pouvoir et force, je lui ai tout donné. ».
La fin’amor reproduit le schéma féodal à l’exception que la femme est suzeraine à la place de l’homme : elle est la domna. Ainsi des senhals, masculinisations élogieuses de la dame, fleurissent et se répandent : « mi dons » est l’un des senhals les plus employés. La fin’amor permet également d’introduire une nouvelle valeur parmi la noblesse, une valeur de pureté, qui donne aux hommes un autre loisir que les activités guerrières ; cependant, dans le Nord, l’amour courtois prend des allures chevaleresques et la soumission à la femme est plus démonstrative, ancrée dans un code, que réelle. Cependant cet art de l’amour n’est pas réservé à l’aristocratie puisque toutes les couches sociales s’emploient à le pratiquer : le premier troubadour fut le duc Guillaume IX de Poitiers, mais le célèbre Bernard de Ventadour était d’extraction modeste – sa mère était servante. Et partout les hommes se font adorateurs de la femme parfaite. Ils luttent contre les losengiers, ces hommes jaloux et médisants, pour gagner et garder les faveurs de la domna. Ils confient leurs sentiments dans les cansos, les chansons qu’ils composent. Une forme poétique féconde.
L’amour courtois ou fin’amor (d’après l’occitan) est la façon réglementée de tenter de séduire une femme de qualité sans l’offenser et en récitant des poésies, dont on retrouve des traces dans les lettres du Moyen Âge, notamment la lyrique courtoise.
L’expression « amour courtois » a été forgée en 1883 par Gaston Paris, historien de la poésie médiévale. L’expression médiévale occitane est celle de fin’amor. Elle désigne de façon générale l’attitude à tenir en présence d’une femme de la bonne société, l’amour courtois étant ni plus ni moins qu’une relation vassalique entre homme et femme.
La tradition de l’amour courtois a été florissante dans l’Europe médiévale, notamment en Occitanie et dans le Nord de la France à partir du XIIe siècle grâce à l’influence de protectrices comme Aliénor d’Aquitaine et Marie de France, la comtesse de Champagne et mécène de Chrétien de Troyes (cf. Lancelot ou le Chevalier de la charrette).
Comme ces vers de Thibaut de Champagne :
« Dame par grâce ! je vous demande une chose,
dites-moi le vrai et que Dieu vous bénisse !
Quand vous mourrez, et moi aussi (moi le premier,
car après vous je ne pourrais plus vivre),
que deviendra l’Amour, cet ébahi ? [...]
- Par Dieu ! Thibaut, à ma connaissance,
aucune mort ne fera périr l’Amour. »
Le mot « troubadour » vient du verbe trobar (prononcer « trouba ») : trouver. Il est donc littéralement celui qui trouve. Il existe trois types d’écriture chez les troubadours : le trobar lèu (vite), style simple qui se comprend aisément ; le trobar clus (hermétique), texte plus fermé qui joue sur l’ambiguïté ; et le trobar ric (riche), dérivé du précédent, sa beauté réside dans la difficulté vaincue. Je ne sais si la comparaison est justifiée mais cette dernière définition m’a toujours directement évoqué la poésie symboliste et particulièrement Mallarmé. Il y a également plusieurs types de chansons : la canso est la plus courante avec une forme fixe de six couplets presque toujours consacrée à l’amour et qui représente plus de la moitié de la production, la serena s’attache au chevalier amoureux (une sérénade donc), le planh est le chant de deuil, l’aube parle des amants devant se séparer à l’aube, les siventès sont politiques, la ballade est une chanson sur laquelle danser, la pastourelle vante l’amour d’une bergère, la tenso est créée à plusieurs et parle généralement d’amour et les chansons de croisades racontent les aventures des croisés.
L’amour courtois puise peut-être ses origines au Levant et dans la littérature arabo-andalouse, notamment chez le poète arabe du IXe siècle Ibn Dawoud, qualifié de « Boileau des arabes » et considéré comme le « théoricien de l’amour courtois » ou chez Ibn Hazm. En effet, un des précurseurs de l’amour courtois des troubadours est Guillaume IX d’Aquitaine, duc d’Aquitaine (1071-1127) et grand-père d’Aliénor d’Aquitaine. Son activité poétique naquit après la croisade qu’il mena en Orient et son séjour à Antioche (1101-1102). Il est le premier troubadour et le premier poète à écrire en langue d’oc la poésie lyrique inspirée aussi des poètes arabo-andalous. Henri-Irénée Marrou (Les troubadours, Paris, Seuil, 1971) s’est cependant opposé à cette thèse, autant qu’à celle de l’origine cathare d’ailleurs. L’influence de la prosodie sacrée de l’Église semble en effet attestée par la métrique. Mais, de façon plus générale, la recherche des origines, pour utile qu’elle soit, risque de faire perdre de vue l’originalité du phénomène qui émerge alors.
Il existe différentes écoles quant à l’interprétation de l’amour courtois. Il désigne l’amour profond et véritable que l’on retrouve entre un prétendant et sa dame. Au Moyen Âge, on lui attribuait certaines particularités courantes : l’homme doit être au service de sa dame, à l’affût de ses désirs et lui rester inébranlable de fidélité. C’est un amour hors mariage, prude sinon chaste et totalement désintéressé, mais non platonique et ancré dans les sens et le corps autant que l’esprit et l’âme. L’amoureux, dévoué à sa Dame était, normalement, d’un rang social inférieur, il était un noble de première génération en passe de conquérir ses titres de chevalerie.
Le sentiment de l’amant est censé s’amplifier, son désir grandir et rester pourtant en partie inassouvi. Il s’adresse souvent à une femme inaccessible, lointaine ou d’un niveau social différent de celui du chevalier. Elle peut feindre l’indifférence. On nommait ce tourment, à la fois plaisant et douloureux joï (à ne pas confondre avec « joie »).
Ce nouveau concept devint souvent en opposition avec la loyauté envers le suzerain et difficilement conciliable avec la courtoisie au sens de galanterie, et même avec la vaillance que le chevalier devait continuer à entretenir. Apparemment, la vision de l’amour courtois s’imposa progressivement dans les cœurs et permit de laisser une place à l’amour dans la vie quotidienne. L’amour courtois prime en effet sur le mariage : une femme mariée peut ainsi laisser parler son cœur si elle est courtisée selon les règles précises de l’amour courtois.
Cette codification du jeu amoureux est étroitement lié à la codification de la chevalerie. Au XIIe siècle, l’idéal chevaleresque est perçu par les contemporains comme déclinant. La période précédente est idéalisée, comme ses héros qui sont transformés pour incarner des modèles de chevalerie. Un grand nombre de romans liés à la légende arthurienne sont écrits à cette période dans cette optique, et incarne alors un fantasme de chevalerie et d’amour courtois tels que l’imaginent les auteurs du XIIe siècle. Parallèlement, de grands ordres de chevalerie sont créés, et codifient les attitudes de ses membres, « pour faire revivre l’idéal chevaleresque de l’ancien temps ».
L’assag, mot occitan désigne un rite attribué à l’amour courtois, qui était une épreuve qui consistait à s’assurer de l’amour réel de l’amant.
Pour Georges Duby, il ne faut cependant pas voir dans l’amour courtois une promotion de la femme : c’est un jeu masculin, éducatif, où les jeunes hommes, pas encore mariés (les jovenes, les jeunes, comme Henri le Jeune, pas encore établis), maîtrisent leurs pulsions et leurs sentiments, comme ils apprennent à maîtriser leur corps dans un tournoi (ce qui n’exclut pas qu’ils laissent libre cours à leur libido avec des femmes de rang inférieur). De plus, la femme est une proie ; celle qui est la cible de l’amour courtois des jeunes est souvent l’épouse du suzerain, qui la donne en enjeu. Les jeunes cherchent à séduire la dame pour mieux plaire à leur seigneur, mais aussi pour mieux se différencier du peuple vulgaire, et des bourgeois, qui peuvent les concurrencer financièrement, mais pas culturellement.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.