Le monde des Fées, des Comtes de Bretagne
Posté par francesca7 le 26 décembre 2015
Morgane, de la lumière à l’ombre
Voilà un moment que je n’avais pas fait d’article sur la matière de Bretagne. Mais j’ai lu sur un autre blog un article consacré à Morgane, et j’ai eu envie de faire de même. Dans le blog en question, l’article était profondément tourné vers les croyances païennes de la rédactrice, et c’est pour ça que j’ai décidé de refaire des recherches. Car Morgane est un des personnages les plus mystérieux de la matière de Bretagne (à mes yeux, seule Viviane est encore plus difficile à déchiffrer) : son ascendance et sa descendance changent selon les récits et les époques, sa personnalité évolue… Seul point stable au fil des siècles : Morgane est une fille d’Avalon.
Comment est-elle passée d’une innocente sœur à la puissante magicienne œuvrant contre Arthur ?
La prêtresse d’Avalon
Car c’est bien là tout le problème avec Morgane : son rôle est un de ceux qui évoluent le plus au fil du temps et des narrateurs. Chez Geoffroy de Monmouth et son Histoire des Rois de Bretagne, elle est la sœur Anne, simplement mentionnée sans précision aucune. Dans sa Vie de Merlin, on parle d’une Morgane, prêtresse de la mystérieuse île d’Avalon, qui viendrait prendre soin d’Arthur mourant. Ce sont bien deux personnages distincts, et pourtant, dès Chrétien de Troyes, dans Yvain et le Chevalier au Lion, elles seront amalgamées pour n’être que Morgane, la demi-sœur d’Arthur, prêtresse d’Avalon. Cette prêtresse est un personnage positif, qui soigne et aide, savante et respectée. Elle aide les chevaliers en détresse, et surtout, à ce moment du cycle, elle reste encore la magicienne qui transporte Arthur mourant après sa défaite contre Mordred à Avalon, pour qu’il y soit, selon la légende, soigné avant de revenir soutenir les Bretons.
L’intrigante
Le tournant vers la magicienne sombre telle qu’on la connaît aujourd’hui va se faire lorsque le personnage se précisera, principalement dans le Lancelot-Graal, un des plus grands cycles de la matière de Bretagne. Elle y est alors demi-sœur d’Arthur par leur mère, Ygerne, puisqu’elle est la fille du duc de Gorlois, le premier mari d’Ygerne. Lorsque celle-ci sera mariée à Uther et mère d’un deuxième enfant, Arthur, Morgane sera envoyée au couvent. Suivant les versions, c’est là qu’elle découvrirait la magie, dont elle continuera l’apprentissage avec Merlin. Elle sera mariée ensuite contre son gré à Urien, roi des terres du Nord (l’Ecosse ?), qu’elle trompera sans état d’âme. On lui prête des aventures avec de nombreux chevaliers, le plus célèbre d’entre eux étant Accolon. Elle complotera régulièrement contre Arthur, sa femme Guenièvre et ses Chevaliers de la Table Ronde, en cherchant notamment à exposer l’amour adultère entre la reine et Lancelot du Lac. Certaines versions prêtent même à Morgane une relation (très) brève avec ledit Lancelot. Elle est aussi régulièrement la mère de Mordred, celui qui amènera la perte d’Arthur et dont la haine envers le roi est le résultat de l’éducation de sa mère. Morgane, selon cette version, voulait en effet dé- truire Logres, le royaume d’Arthur, de manière bien plus efficace qu’avec Accolon. Certains racontent même que Mordred n’est autre que le fils incestueux de Morgane et d’Arthur, né au cours de rituels païens.
Une magicienne puissante
Cependant, qu’elle soit bonne ou mauvaise, on constate que Morgane reste toujours liée à la magie d’Avalon. Elle est la principale opposante à Guenièvre, qui représente elle les couleurs du christianisme. C’est la présence de Morgane, plus que de Viviane, qui assure la représentation des traditions païennes bretonnes dans le mythe arthurien. Son nom, Morgane la Fée (ou Lefey, en anglais, par assimilation du nom français), lui vient de cette présence permanente de la magie autour d’elle. Femme de la mystérieuse Avalon, est-elle toujours vraiment humaine ? Sa vie sur cette île quasiment introuvable, sa puissance magique, sa capacité à ensorceler les gens, ne sont-elles pas la preuve que Morgane, plus que la demi-sœur du roi, est devenue une créature magique, au même titre que les Dames fées qui peuplent les châteaux isolés et les forêts reculées dans les récits chevaleresques de la même époque ? Dès le 18è siècle, cette ambiguïté va prendre de l’importance, jusqu’à faire de Morgane le symbole d’un certain féminisme, revendiquant de façon romantique (au sens littéraire du terme) son indépendance et sa puissance, diabolisée par les uns pour cette raison, adorée (non, le mot n’est pas trop fort) par les autres.
Morgane aujourd’hui
C’est pour cela qu’aujourd’hui, elle est souvent reprise par les mouvements néo-païens, comme inspiratrice ou comme modèle. Il est intéressant de remarquer que ce modèle n’est pas toujours sombre, et que ses adeptes ne se tournent pas forcément vers la version la plus connue de Morgane. D’autres, au contraire, tirent ce trait encore plus loin, en l’associant avec la Morrigan celtique, présente dans les panthéons irlandais et bretons, déesse de la passion (guerrière comme charnelle). Bref, à partir de cette trame littéraire que je viens de raconter, de nombreuses interprétations sont possibles.
J’aimerais juste mentionner deux de ces interprétations contemporaines : une qui respecte le mythe tardif de la fée mauvaise, et une autre qui nuance cette version.
La première est le personnage de Morgane dans la série anglaise Merlin, commencée en 2008 (c’est donc vraiment tout récent). Elle y est au début un personnage plutôt positif, quoiqu’un peu transparent, mais lorsqu’elle prendra de l’ampleur, elle ré- vèlera sa nature plutôt haineuse. Une autre série concernant le mythe arthurien sortira prochainement, s’appelant Camelot, mais j’ignore encore quel rôle aura Morgane (elle y est cependant pré- sente, jouée par la belle Eva Green). La deuxième est le roman de Marion Zimmer Bradley, les Dames du Lac. Ce récit est centré sur Morgane, et même s’il respecte tous les détails donnés dans le mythe arthurien, on peut y voir la volonté de rétablir une certaine noblesse à cette fée, en montrant qu’elle n’est pas si mauvaise, et qu’elle avait ses raisons d’agir, et que parfois, contrairement aux apparences, la situation échappait complètement à son contrôle. C’est cette version que j’aimerais retenir pour conclure cet article, car elle permet de nuancer le personnage de Morgane, sans lui retirer ses méfaits, mais en montrant aussi qu’elle a fait du bien, ce qui était son rôle, après tout, chez les premiers narrateurs.
Source : Magazine LUNE BLEUE
je viens juste de terminer la lecture des 2 tomes des dames du Lac, en effet Morgane y est avant tout une humaine avec des failles, des questionnements, des doutes..; apparemment, en tout cas dans cette version, la profonde dualité inhérente à ce personnage est due au fait que son existence coïncide avec le début du christianisme, et le fait que la foi en la Déesse était persécutée. On peut supposer que même la foi de Morgane en subissait les répercussions au niveau énergétique, n’étant plus autant soutenue par l’égrégore? c’est ainsi en tout cas que j’ai compris le roman.