La Chronique du mensonge qui traverse les siècles
Posté par francesca7 le 13 octobre 2015
Hérésie, barbarisme : ainsi peut-on qualifier la formule « tel est notre BON plaisir » prêtée aux rois de France, la seule formule qui ait jamais été employée dans les actes royaux étant en réalité « tel est notre plaisir » ; encore ces mots, traditionnellement conservés, datent-ils de temps reculés, où « plaisir » avait un sens beaucoup plus sérieux, ce plaisir étant le jugement du roi, prononcé par lui comme chef de l’État, après délibération en son conseil, et qui ne pouvait s’exprimer que muni du contre-seing d’un secrétaire d’État
En 1881, l’historien et diplomate Louis de Mas Latrie (1815-1897) se propose de remonter à la source de l’emploi de l’expression notoirement considérée comme ponctuant tous les actes royaux : tel est notre bon plaisir, phrase que l’on trouve notamment à la page 640 du tome Ier de la 3e édition de l’Art de vérifier les dates : « François Ier est l’auteur de la formule : Car tel est notre BON plaisir, qui s’emploie dans la plupart des Edits ou Lettres royaux. »
Ainsi, dans la pensée des auteurs de ce magnifique ouvrage resté un chef-d’œuvre encore inimité, la formule du Bon plaisir a sanctionné la plupart des actes royaux de l’ancienne monarchie depuis le temps du roi François Ier jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Et cette formule blessante, et justement décriée, se retrouverait non seulement au bas des simples Lettres patentes constatant des actes de la juridiction gracieuse et bienveillante, telles que les anoblissements et les concessions de titres nobiliaires, attribut exclusif et bien légitime delà souveraineté. Elle aurait été inscrite aussi au bas des actes les plus graves, les plus solennels, de l’objet le plus général et d’un intérêt public, car l’expression de Lettres Royaux désigne les Édits, les Ordonnances et les Déclarations, c’est-à-dire les Lois mêmes de l’Etat.
En lisant une pareille énonciation, sortie de la plume de savants généralement si exacts, si soigneux d’assurer sur les preuves leurs moindres assertions, comment ne pas croire et affirmer, sans autre vérification, que la plupart des Edits et des Lettres patentes rendus par le roi Louis XVI en l’an de grâce 1783 et autres années de son règne portaient en effet à la fin cette déclaration restrictive en même temps que confirmative : Car tel est notre BON plaisir.
Comment ne pas excuser de très savants auteurs et après eux la foule des écrivains et du public d’avoir répété, avec ou sans mauvaise intention, que la formule la plus chère et la plus caractéristique de l’ancienne monarchie était celle du Bon plaisir, celle qu’aimaient à employer officiellement les rois en parlant à la nation : Car tel est notre BON plaisir.
Je ne fais pas ici de l’histoire, explique de Mas Latrie ; je m’occupe d’un simple détail de Diplomatique. Mais je vérifie mes textes et je pense qu’il n’est pas nécessaire d’insister pour montrer la différence profonde qui existe dans la lettre et dans la portée de ces deux formules : Car tel est notre BON plaisir, etCar tel est notre plaisir.
Car tel est notre plaisir signifie, Car telle est notre volonté ; pas autre chose. Et c’est déjà beaucoup, et même trop, j’en conviens, que les anciens rois aient pu énoncer de semblables principes dans les Edits et dans les Ordonnances générales. Il y aurait néanmoins bien des explications à donner, précise notre diplomate. Chaque temps a son droit public et il faut placer toutes choses sous cette lumière, si on veut les juger équitablement. Mais encore une fois restons en dehors du domaine historique.
Plaisir, dans la phrase citée, a simplement le sens de volonté. Comme le mot plaire dans cette locution : Vous plaît-il de venir ici ? signifie voulez-vous venir ici ? La formule : Car tel est notre BON plaisir implique au contraire une idée choquante de caprice et de pur arbitraire. Tolérable, mais encore bien hautaine, dans les concessions émanant de la pure bonté royale, comme les anoblissements, elle serait outrageante et monstrueuse dans les actes du gouvernement général et de la politique de l’État.
Or, en revenant à renonciation de l’Art de vérifier les dates qui englobe tous ces actes dans ses expressions depuis les Édits jusqu’aux simples Lettres patentes, je dois dire, après sérieuse et ample vérification, que je la trouve absolument dénuée de fondement, pour les uns comme pour les autres, sans aucune exception, aucune. Ce point vaut, peut-être, la peine d’être rapidement constaté, affirme Louis de Mas-Latrie.
J’ai consulté, à plusieurs reprises, depuis plusieurs années, tous les recueils d’édits et d’ordonnances du règne de Louis XVI et des règnes avoisinants, poursuit notre historien. Les textes imprimés ne sont que la moindre partie de l’ensemble. J’ai interrogé à différentes époques, non pas en totalité (je n’ai pas cette prétention), mais à des dates très variées et très diverses, les innombrables séries d’édits, de déclarations, d’ordonnances et de lettres patentes manuscrites que renferment nos collections, dans les archives des grandes cours judiciaires et des anciennes administrations : le Parlement, la Chambre des Comptes, la Cour des Monnaies, la Cour des Aides, le Bureau des Finances, la Connétablie, les Eaux et Forêts, la Maison du Roi.
Nulle part, jamais, pas une seule fois dans cette recherche poursuivie depuis longtemps, je n’ai trouvé la formule : Car tel est notre BON plaisir. C’est toujours : Car tel est notre plaisir, qui est écrit partout ; quelquefois, mais très rarement : Car tel est, etc. avec une abréviation facile à remplir.
Je n’ignore pas que beaucoup de lettres patentes d’anoblissement et autres lettres patentes, des ordonnances et des édits, même, ont été imprimés par des biographes, des généalogistes et autres érudits avec la formule du Bon plaisir. Mais je récuse absolument tous ces documents sans exception. Je les tiens tous pour fautifs et erronés en ce point. Pas un de ceux que j’ai pu vérifier sur l’original n’est sorti avantageusement de l’épreuve du collationnement.
Tous ont un vice et une tache à cet endroit dans les clauses finales, et j’en ai vu qui ont été livrés à l’impression par les savants les plus autorisés et les plus scrupuleux. Soit inattention momentanée, soit empire d’une idée préconçue, ils ont écrit, eux ou leurs secrétaires, Car tel est notre BON plaisir, quand l’original porte manifestement : Car tel est notre plaisir ou, très exceptionnellement, l’abréviation : Car tel est, etc. Ce que je viens de dire de Louis XVI, je le répète des actes de Louis XV et de Louis XIV.
Richelieu a-t-il fait parler Louis XIII autrement que n’a parlé son fils, et dans le sens indiqué par l’assertion des Bénédictins ? Pas le moins du monde, et pas plus dans les grandes ordonnances que dans les patentes des concessions gracieuses. Si sa chancellerie n’emploie pas toujours la formule : Car tel est notre plaisir, la clause qui la remplace :
Car ainsi nous plaist il être fait, a la même valeur et la même signification. Sous Henri IV, Henri III, Charles IX, François II et son père Henri II, les usages de la chancellerie restent les mêmes. Un grand nombre de lettres royaux, patentes, déclarations, ordonnances, édits portent cette clause avant la date et l’annonce du sceau : Car tel est nostre plaisir, moins souvent : Car ainsi nous plaist ; jamais : Car tel est nostre BON plaisir.
Nous arrivons au règne de François Ier. En dehors des recueils imprimés, nous avons aux archives un grand nombre d’actes de toutes sortes rédigés par la chancellerie sous le règne de ce prince. Cinq registres renferment les « Ordonnances, Edits, Déclarations et Lettres patentes », enregistrés au Parlement de 1515 à 1547. Trente registres originaux de la chancellerie même, aujourd’hui au Trésor des chartes, conservent les transcriptions officielles des actes de 1522 à 1547.
On en trouve également dans les mémoriaux de la Chambre des Comptes, dans les registres des autres cours judiciaires, et dans les divers fonds précédemment indiqués, à l’exception de la Maison du Roi, dont la série des Patentes ne commence qu’au règne de Henri IV. Les recherches faites dans ces diverses collections nous amènent à un résultat analogue à celui que fournit l’examen des actes des derniers Valois et du premier règne de la maison de Bourbon. La clause : Car ainsi nous plaist reste bien plus fréquente encore sous François Ierqu’elle ne l’est sous ses successeurs. La chancellerie emploie très souvent la formule : Car tel est nostre plaisir, et jamais celle du Bon plaisir.
On a imprimé à Paris, la première année du règne de François Ier, le grant stille et prothocolle de la chancellerie de France. Les modèles donnés dans ce recueil sont naturellement sans date et sans noms. On remarque en outre que la formule de déclaration y est toujours abrégée, et toujours indiquée par ces premiers mots : Car ainsi, etc. mots qu’il faut évidemment compléter par ceux-ci, Car ainsi nous plaist, ou Car ainsi nous plaist il estre fait, ou bien encore plus explétivement, ce que l’on trouve quelquefois : Car ainsi nous plaist il et voullons estre faict, de nostre certaine science, plaine puissance, propre mouvement et auctorité royal, nonobstant, etc.
De ces dernières observations, il ne faudrait pas conclure que la formule Car tel est nostre plaisir fut inusitée à la chancellerie royale avant François Ier. Nous la retrouvons en effet dans la grande collection imprimée des Ordonnances des Rois, sous les règnes de Louis XII et de Charles VIII, alternant avec la clause : Car ainsi nous plaist il estre fait. Le roi Charles VIII, dont une ordonnance du 12 mai 1497 porte ces mots : Car tel est nostre plaisir, serait donc peut-être l’auteur de cette formule célèbre, dont je n’ai pas trouvé d’exemple avant son règne, explique de Mas Latrie.
En résumé et pour terminer, de l’ensemble de vérifications auxquelles je me suis livré et que je viens de rappeler sommairement, on peut conclure, je crois, sans hésitation, que jamais et dans aucun de ses actes la chancellerie de l’ancien régime n’a employé la formule du Bon plaisir. S’il est étonnant que les savants auteurs de l’Art de vérifier les dates aient dit le contraire, il y a quelque chose de plus surprenant encore.
En 1804, lors du rétablissement de la forme monarchique en France, quelle fut la formule de confirmation adoptée par la chancellerie impériale dans les lettres patentes ? On ne le croirait pas, si les quinze volumes de la transcription officielle des lettres patentes de 1808 à 1814, existant aux Archives nationales, et les mille expéditions qui en ont été délivrées n’étaient là pour le prouver. Ce fut la clause : Car tel est notre BON plaisir.
La Restauration n’eut garde d’abandonner la formule, sans soupçonner peut-être l’innovation, dont la chancellerie impériale elle-même n’avait pas eu davantage, croyons-nous, conscience. Mal lui en prit. Sur ce thème, on l’a criblée de lardons qui ont fini par lui faire perdre la tête. En bonne justice, il eût fallu viser plus loin et plus juste. Mais on eût blessé le héros, alors si populaire.
D’après « Bibliothèque de l’École des chartes », paru en 1881)
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