La pilule, des chansons et des films
Posté par francesca7 le 20 août 2015
Bien des choses ont changé dans les années 60-70. On pense évidemment au projet du chanteur Antoine dans ses Élucubrations, en 1968 : mettre la pilule en vente dans les Monoprix. La pilule contraceptive se banalise à partir de la fin des années 60, conduisant à une liberté sexuelle jamais connue encore.
La pilule a été découverte en 1956 aux États-Unis. La chanson, quant à elle, pense et souffre en ces temps où on écrit encore les textes autant que les mélodies : Brel, en 1959, interprète Ne me quitte pas, Gainsbourg, en 1963, La Javanaise, et Léo Ferré offre au public, en 1970, ce titre magnifique : Avec le temps.
Changement de cap avec les yéyés : leurs chansons musclées ou tendres exploitent davantage les rythmes – twist ou slow – empruntés aux Étasuniens que l’écriture ciselée de leurs aînés… Johnny Halliday fait un malheur avec Retiens la nuit ou Le Pénitencier, Sylvie Vartan est La plus belle pour aller danser, Françoise Hardy chante Tous les garçons et les filles de mon âge, Jacques Dutronc Et moi, et moi, et moi…, et le sautillant Claude François Belles, belles, belles.
Des films marquent cette époque : Jules et Jim de François Truffaut en 1962, La Grande Vadrouille de Gérard Oury en 1966, Ma Nuit chez Maud d’Éric Rohmer en 1969, avec Jean-Louis Trintignant, Les Choses de la vie, de Claude Sautet, en 1970, avec Michel Piccoli. La télévision, les réfrigérateurs, les congélateurs colonisent en masse les foyers modestes qui se reconnaissent dans un petit personnage sympathique et futé, né sous les plumes et pinceau de René Goscinny et Albert Uderzo en 1959 : Astérix le Gaulois.
Ainsi, qu’il s’agisse du cinéma ou de sa variante télévisée, ou encore plus généralement de leurs pendants médiatiques, la perception de l’ « actualité » est-elle devenue pour nous autres – logés à la même enseigne de la représentation factice, secondaire, arrangée, manipulée – un même produit virtuel, commercial et, in fine, politique.
Où l’on comprendra pourquoi et comment le « champ de la (pseudo) communication » est ainsi devenu l’enjeu premier de nos sociétés « modernes ». Et pourquoi et comment ledit champ est aussi devenu le principal champ de bataille où s’affrontent les agents dominants du capitalisme mondial, c’est-à-dire de l’économie financiarisée.
Non seulement cette prédominance du spectacle – je me réfère, bien sûr, à ce sujet, à la critique de la société marchande élaborée dans les années 60 par Guy Debord et les situationnistes revisitant le concept marxiste d’aliénation – porte en elle-même son expression politique, mais celle-ci, en retour, se trouve portée à la réalimenter sans cesse en la renforçant. D’ou cette même mise en abyme, cette infernale spirale dont on peine à imaginer aujourd’hui quel coup d’arrêt pourrait l’anéantir. Faut-il s’y résigner dans ce même réalisme – pessimiste, forcément – qui peut désormais faire douter de l’avenir de la planète et de l’humanité ? Car, au fond, peut-être s’agit-il de cette force de dégradation entropique revêtant le clinquant costume du Progrès ?
Il n’est que de le constater : ni l’économie mondiale dans son chaos, ni la doxa idéologique bornant tout son horizon à la sacro-sainte et suicidaire croissance, ne sont disposées à contrer cette fuite en avant désespérée.
Auquel cas, on ne saurait s’étonner de voir le cinéma sombrer dans la même tempête tout en orchestrant la super-production du naufrage annoncé. Le Titanic – avant de devenir le plus gros succès du cinéma-commerce – était un luxueux palace flottant, une sorte de Majestic cannois où une classe dominante, sur les ponts supérieurs, paradait en fracs et nœuds pap’. Le peuple du dessous – d’«en-bas » comme disait l’autre – ne voyait rien à redire à cet état de fait darwinien. Tout comme à Cannes, le bon populo des gogos, agglutiné contre des barrières d’éloignement, vient acclamer ses vedettes dont il alimente les fortunes éhontées. Une photo, un griffonnage à la va-vite, et les voilà payés d’une pauvre illusion. Celle-là même qu’ils (et nous avec !) vont chercher en échange d’un ticket de cinéma. Si tant est que nous ayons besoin d’illusion. Comme si la vie serait trop insupportable sans Elle. (Ecrit par Gérard Ponthieu )
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