AVOIR DU PAIN SUR LA PLANCHE
Posté par francesca7 le 14 juillet 2015
EXPRESSION FRANCAISE
L’expression laisse prévoir une tâche un peu longuette à laquelle il vaut mieux s’atteler tout de suite si l’on veut espérer en voir le bout. Autrefois c’était la notion d ‘abondance qui dominait, l’idée d’être « paré pour l’avenir ».
Le Père Peinard écrivait en 1897 à propos d’un révolutionnaire espagnol sur le point d’être exécuté : « A huit heures, il cassa la croûte, aussi joyeusement que s’il avait eu un demi-siècle de vie sur la planche ».
Lionel Poilâne, le célèbre boulanger parisien à qui rien de ce qui touche à la miche n’est étranger, m’a aimablement communiqué l’information suivante : « Les paysans avaient l’habitude de faire à l’avance une assez grande quantité de pain qu’ils rangeaient sur une planche fixée aux solives du plafond au moyen de montants de bois. Tant qu’ils avaient ainsi du pain cuit, ils disaient qu’ils avaient du pain sur la planche, expression qui a été prise au figuré et s’est appliquée à toute personne ayant de quoi vivre sans qu’elle ait besoin de travailler, puis par extension, à avoir du travail en réserve ».
C’est là en effet l’explication traditionnelle, et sans doute la réalité de base de l’expression.
Cependant, le passage de « provision abondantes » au travail qui attend n’est pas clair ; même avec « du pain sur la planche » les paysans avaient besoin de travailler. Il faut tenir compte du fait que l’on disait aussi, dès le XVIIIè sicèle, « manger le pain du roi », soit pour être dans l’armée, soit pour être en prison, où effectivement la boule de pain constituait la base du régime alimentaire ; Les Anglais disent encore pour être en prison : « to be a host of the Queen (être l’hôte de la reine).
G Esnault cite pour 1828 :
»planche au pain – banc des accusés », parce que le tribunal délivre des « rations de pain ». Avoir du pian sur la planche c’est donc aussi être condamné à une longue réclusion, et plus précisément sans doute à une longue peine de travaux forcés, dit « travaux publics ». C’est donc dans ce contexte que Le Père Peinard, encore, fait en 1899 une variation sur le thème ; il cite le cas de légionnaires punis, se faisant exprès condamner à mort par le conseil de guerre pour être délivrés radicalement de leurs peines, « Joubert fichait un bouton à la tête d’un gradé pour être, lui aussi, condamné à mort ; J’ai fait ce que je voulais, expliquait-il, en me fusionnant on me libérera… A quoi me servirait de vivre ?
L’espoir m’est pour toujours interdit ; j’ai 60 ans de travaux publics sur la planche, mieux vaut en finir de suite. «
Joubert fut gracié de la mort – mais non de ses soixante ans de martyre.
Il est plus « normal » en effet que la locution nous soit venue par ces intermédiaires que directement du monde des paysans-boulangers.
Un peut d’Histoire :
Lionel Poilâne : Au début des années 1930, son père, Pierre-Léon Poilâne, avait créé une boulangerie au 8 rue du Cherche-Midi à Paris, où il vendait son fameux « pain Poilâne ». Au sortir de la seconde Guerre mondiale, la mie de pain blanche était préférée car considérée comme plus « propre ». Pierre ne voulait pas céder à la mode de l’époque et décida d’utiliser de la farine issue de blé moulu par de la pierre, comme autrefois, et non par un cylindre, afin de faire un pain bien plus riche en nutriments.
Lionel est le dernier d’une fratrie de trois. Sa sœur aînée s’appelle Madeleine et son frère aîné Max.
Lionel et Max ont grandi dans la boutique rue du Cherche-Midi puis celle ouverte boulevard de Grenelle, et quittant les bancs de l’école très tôt, ont vite mis la main à la pâte (à pain). Ils ont tous les deux été formés par leur père qui les a sensibilisés au goût du vrai pain. Le Saint-Germain-des-Prés des années 1960 a fait le reste.
Lionel s’est efforcé de développer la petite entreprise familiale. Son succès et la notoriété croissante de ses pains, en particulier dans le monde anglo-saxon et en Asie, lui ont permis de constituer un solide réseau de distribution, de faire construire, dans les années 1980, une Manufacture à Bièvres, en région parisienne, et de s’implanter à Londres.
Au moment de sa disparition avec son épouse Iréna à la suite d’un accident d’hélicoptère qui s’abîme en mer près de l’île des Rimains, au large de Cancale, en Bretagne, le 31 octobre 2002, Lionel Poilâne était devenu une personnalité du Tout-Paris.
Il a été fait chevalier de l’ordre national du Mérite en 1993.
C’est sa fille aînée, Apollonia, qui a repris la direction de l’entreprise.
Extrait de : La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
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