Riche, mais pas chiche : Mazarin
Posté par francesca7 le 21 juin 2015
Jules Mazarin ! Peut-être l’homme le plus riche que la France ait jamais connu et connaîtra jamais – encore que Richelieu ait, lui aussi, amassé une fortune astronomique, sans compter bien d’autres avant eux, et après…
La fortune de Mazarin équivalait, diton, à plus de la moitié du budget du pays ! Il détient les revenus de l’évêché de Metz et de vingt-neuf abbayes. Les gouvernements d’Alsace, d’Aunis, de Provence, d’Auvergne, les duchés de Rethel et de Nevers sont entre ses mains. Il est actionnaire dans de multiples compagnies de navigation. Mais, prodigue, Mazarin distribue des pensions aux artistes, fait construire le palais Mazarin, le collège des Quatre-Nations – aujourd’hui Institut de France qui abrite notamment l’Académie française. Il collectionne les tableaux, les statues. Sa bibliothèque est à l’origine de la bibliothèque Mazarine.
Le 26 octobre 1660, au Louvre, un comédien de trente-huit ans joue devant lui deux pièces de sa composition : L’Étourdi et Les Précieuses ridicules.
À la fin de la représentation, le cardinal se penche vers Colbert et lui dit : « Il faudra continuer à marquer de l’estime à Molière, l’État peut tirer parti de son génie comique… » Il avait recommandé au même Colbert, Jean-Baptiste Lully, Ménage, et de nombreux autres artistes ou écrivains. C’est lui, Mazarin, qui introduit en France l’opéra. La cour va pouvoir commencer à se donner, avec Louis XIV, de grands airs…
Jules Raymond Mazarin (Giulio Raimondo Mazzarino, Mazarino, Mazarini, ou Mazzarini, nom dont il francisa peu à peu lui-même l’écriture en Mazarin, mais dont il signe encore Mazarini, à l’italienne, à la fin de sa vie au bas du Traité des Pyrénées), né à Pescina, dans les Abruzzes (aujourd’hui en Italie), le 14 juillet 1602 et mort à Vincennes le 9 mars 1661, mieux connu sous le nom de cardinal Mazarin, fut un diplomate et homme politique, d’abord au service de la Papauté, puis des rois de France Louis XIII et Louis XIV. Il succéda à Richelieu en tant que principal ministre de 1643 à 1661.
Bien qu’elle demeure peu documentée, l’enfance de Mazarin laisse déjà deviner un garçon doué, remarqué dès son plus jeune âge pour son habileté à séduire et son aisance intellectuelle. C’est là ce qui fera tout au long de sa jeunesse la force du futur cardinal : une étonnante capacité à plaire et à savoir se rendre indispensable.
À sept ans, le petit prodige entra au Collège romain tenu par les Jésuites. Élève brillant, il eut à soutenir sa thèse de fin d’études sur la comète qui provoqua tant de polémiques en 1618 sur l’incorruptibilité des cieux et conduisit Galilée à publier le célèbreSaggiatore, L’Essayeur. Mazarin sut manifestement éviter les nombreux pièges que le sujet comportait et obtint l’approbation unanime du jury.
Mazarin grandit avec les enfants de la Famille Colonna, ce qui lui permit, sans qu’il en fît partie, de fréquenter le grand monde et ses palais. Il semble que, dès son adolescence, Giulio ait développé une passion pour le jeu et les femmes qui ne l’ont jamais quitté. Sans doute le vice du jeu lui offrit d’abord un moyen de gagner ce que l’on appellerait aujourd’hui de l’« argent de poche ». Pour « l’enlever à ses mauvaises habitudes » dans la capitale romaine, son père décida de l’envoyer à l’étranger.
Il est établi que le futur cardinal passa trois ans en Espagne (1619-1621 ?) pour accompagner Jérôme-Girolamo Colonna (créé cardinal le 30 août 1627 par Urbain VIII) et qu’il y termina ses études de droit civil et canon à l’université d’Alcalá de Henares. De cette expérience, Mazarin tira une maîtrise parfaite de l’espagnol qui devait s’avérer très utile tout au long de sa carrière. Les légendes sont nombreuses quant à la vie du jeune homme en Espagne. Une chose est certaine, il dut rentrer en Italie car son père, accusé de meurtre, avait été contraint de se tenir à l’écart de Rome pendant quelque temps. Cet épisode fit basculer Mazarin dans le monde des adultes : il était à présent tenu de soutenir sa famille. Il s’engagea alors dans des études de droit canon, qu’il termina en avril1628, renonçant à une carrière artistique pour laquelle il présentait pourtant des dispositions. Comme la plupart des jeunes Romains, il s’engagea ensuite au service du pape et devint secrétaire du nonce apostolique à Milan, voie qui lui offrait les meilleures perspectives.
Richelieu l’accueillit avec de grandes démonstrations d’affection, l’engagea par les plus belles promesses, et lui fit donner une chaîne d’or avec le portrait de Louis XIII, des bijoux et une épée d’une valeur considérable.
Au long de sa carrière de Premier Ministre, Mazarin s’enrichit. À sa mort, il dispose d’un actif d’environ trente-cinq millions de livres (dont 8,7 millions de livres en argent liquide et 4,4 millions en bijoux et objets précieux). Il s’agit de la plus grosse fortune du xviie siècle, correspondant à vingt-deux tonnes d’or et qui provient des largesses du roi, de ses nombreuses fonctions au gouvernement mais surtout des revenus et prébendes issus de 21 abbayes qu’il dirige (en premier lieu, l’abbaye Saint-Denis) et lui rapportent annuellement 572 000 livres à la fin de sa vie. Cela lui procura une grande souplesse financière, qui se révéla vite indispensable pour remplir ses objectifs politiques. Progressivement, Mazarin abandonne la gestion de sa fortune personnelle à Nicolas Fouquet et Jean-Baptiste Colbert, issu de la clientèle de Michel Le Tellier et qui venait d’épouser une Charron (cent mille livres de dot). Ils sont les véritables artisans de la démesure de sa fortune après la Fronde.
Bien que les sommes en question, en raison de la virtuosité du concerné et de ses aides (Fouquet et Colbert), dépassent de loin tout ce qui pouvait se voir à cette époque, il est nécessaire de relativiser le caractère exceptionnel de telles pratiques financières. Mazarin, aussi peu populaire chez les nobles dont il sapait l’autorité que dans le peuple dont il prolongeait les souffrances issues de la guerre, souffrit d’une large hypocrisie sur ce point. Postérieurement à la Fronde, période où il put mesurer toute la fragilité de sa position, Mazarin n’eut de cesse de consolider sa position. N’ayant aucun quartier de noblesse, son pouvoir était assujetti au bon vouloir d’une régente disposant elle-même d’un pouvoir contesté. Seule sa dignité de cardinal (d’ailleurs révocable) lui permettait de prétendre aux fonctions qu’il occupait. Sans une situation financière solide, une disgrâce aurait tôt fait de le faire descendre au bas de l’échelle sociale. Ce point explique en partie l’acharnement de Mazarin à s’enrichir de manière exponentielle.
Tourmenté par la goutte, les jambes décharnées, couvertes d’ulcères que les médecins soignent en lui appliquant des cataplasmes de fiente de cheval, Mazarin affronte la vieillesse et la maladie dans l’hôtel de Beauvais, le palais du Louvre, son hôtel particulier et enfin le château de Vincennes. La décoration des appartements prévus pour lui dans le pavillon de la Reine du château n’est pas terminée lorsqu’il y meurt le 9 mars 1661 dans un petit appartement aménagé provisoirement au rez-de-chaussée du pavillon du Roi. Diplomate madré, il laisse une Europe pacifiée après la fin de la guerre franco-espagnole et de la Première guerre du Nord ainsi qu’un royaume de France agrandi par les traités de Westphalie et des Pyrénées. Louis XIV ne protégera pas cet héritage de Mazarin, bien au contraire : soucieux d’affirmer sa grandeur par de vastes conquêtes, le roi trouvera dans les traités de paix, si difficilement obtenus par le Cardinal, les prétextes qui justifieront ses innombrables guerres.
Confronté à de nombreuses rumeurs sur l’acquisition illicite de sa fortune, Mazarin a fait venir un notaire près de son lit le 3 mars et lui a dicté un testament par lequel il reconnaissait que tous ses biens provenant de Louis XIV, il les lui restituait mais le roi, au bout de plusieurs jours de réflexion, a refusé cette donation testamentaire, ne pouvant accepter l’humiliation d’un tel cadeau de l’un de ses sujets. Mazarin a prévu ce refus et enregistré un nouveau testament le 6 mars 1661, par lequel il lègue la plus grande partie de sa fortune à sa nièce Hortense Mancini et son mari le duc de La Meilleraye, neveu de Richelieu, probablement pour rendre un dernier hommage au grand ministre qui avait été « son bienfaiteur ». En outre, Mazarin lègue au souverain des diamants (le Sancy et 18 diamants qui portent dès lors son nom, les Mazarins) et laisse des pensions à des gens de lettres, « ce qui était un excellent moyen de faire célébrer sa mémoire ».
À sa mort, Mazarin souhaite être inhumé, comme son prédécesseur le cardinal de Richelieu l’avait fait à la Sorbonne, dans la chapelle du Collège des Quatre-Nations. Sa dépouille est déposée dans un caveau provisoire de la chapelle du château de Vincennes avant d’être transportée en grande pompe, le 6 septembre 1684, dans les caveaux qui s’étendent sous la chapelle du collège dont la construction n’est pas encore finie. Le tombeau de Mazarin, destiné à trôner sous la coupole du Collège des Quatre-Nations, est sculpté par Antoine Coysevox, aidé par Étienne Le Hongre et Jean-Baptiste Tuby, et n’est achevé qu’en 1693. Dans cette chapelle-mausolée, le sarcophage de marbre noir veiné, soutenu par des consoles, est surmonté d’une statue en marbre blanc représentant le cardinal agenouillé sur un coussin, dans un geste d’offrande de sa personne (la main gauche sur le cœur, la main droite en avant). Mazarin est dans sa chape prélatice largement drapée qui recouvre le sarcophage et enveloppe à demi son chapeau cardinalice à glands tandis qu’un angelot funèbre, à califourchon sur la traîne de la grande cape, tient dressé le faisceau de licteur du blason cardinalice, qui rappelle opportunément le bilan civique de l’action du ministre. Sur les marches en marbre du socle sont assises, accoudées, trois figures féminines de bronze qui sont des allégories de Vertus (la Prudence à gauche, la Paix au centre et la Fidélité à droite).
À la Révolution française en 1793, sa tombe est profanée, les cendres du cardinal sont jetées à la voirie et son mausolée détruit comme de nombreux emblèmes de la monarchie. Alexandre Lenoir, conservateur des monuments, récupère le tombeau, le dépose dans l’ancien couvent des Petits-Augustins où il le fait reconstituer. Par la suite, il rejoint le musée du Louvre jusqu’en 1964, date à laquelle il retrouve la chapelle du Collège des Quatre Nations. Ce mausolée n’est donc plus qu’un simple cénotaphe31
Au terme de sa vie, Mazarin avait rempli les principaux objectifs politiques qu’il s’était fixés pour la France :
- Apporter une paix stable à l’Europe dont la France serait l’arbitre ;
- Mettre un terme définitif aux révoltes nobiliaires, affirmer l’autorité royale au détriment des grands du royaume ;
- Soumettre le clergé.
À ces différentes victoires, il est nécessaire d’ajouter la réussite de l’éducation du jeune Louis XIV, ce dont ce dernier, manifestement admiratif des talents du Cardinal, fut toujours reconnaissant. À la mort de Mazarin, le futur Roi Soleil trouvait entièrement dégagée la voie de l’absolutisme monarchique.
Outre l’héritage politique, le cardinal Mazarin a laissé une fortune estimée à 35 millions de livres, dont 8 millions en espèces (soit l’équivalent de l’encaisse de la banque d’Amsterdam, banque la plus importante du monde à l’époque ou l’équivalent de la moitié du budget annuel du royaume). Ayant tout perdu pendant la Fronde, il avait donc accumulé ces richesses entre 1652 et sa mort, soit en moins de dix années. Il s’était fait attribuer par la reine-régente des charges civiles et ecclésiastiques (voir la liste impressionnante p. 50-51 du La Fronde de Hubert Méthivier, PUF, 1984), avait spéculé sur les fonds d’État, joué sur la valeur des monnaies et leur retrait (ce qui causa par exemple en 1659 la révolte des « Sabotiers » de Sologne, paysans misérables soulevés contre le retrait des liards, lesquels constituaient leurs maigres réserves monétaires), s’était enrichi par l’entremise d’hommes de paille sur les fournitures aux armées… Sous l’Ancien Régime, aucun héritage n’atteignit ce niveau, les plus élevés étant ceux du cardinal de Richelieu (16 millions nets) et de Charles Gonzague (5,5 millions en 1637). Pour éviter que ne soit fait un inventaire de ses biens, et donc de ses agissements, il légua tout au roi, qui hésita trois jours avant d’accepter, puis, l’ayant fait, laissa ces biens à ses héritiers, manœuvre classique en ces temps pour éviter les recherches de justice. Sa rapacité était telle qu’il songea même, lui qui ne fut jamais ordonné prêtre, à devenir archevêque d’un des riches territoires nouvellement conquis, mais le pape s’opposa à un zèle si intéressé.
Par testament, Mazarin fit réaliser le Collège des Quatre-Nations (devenu l’Institut de France). L’acquisition, en août 1643, de la bibliothèque du chanoine Descordes constitue l’acte fondateur de celle-ci : la Bibliothèque Mazarine, issue de la bibliothèque personnelle du cardinal.
La réussite de Mazarin constitua un véritable outrage à l’ordre social de son époque. La formidable réussite d’un homme sans naissance et de condition modeste ne pouvait que s’attirer les foudres d’une noblesse censée seule avoir été dotée par Dieu des vertus et qualités propres au commandement. Le souci de Mazarin de renforcer l’autorité royale attisa le ressentiment des nobles, et celui de poursuivre une guerre mal comprise celui du peuple. Les mazarinades diffusées pendant son ministère, ainsi que la qualité littéraire de nombre d’entre elles, contribuèrent à ruiner durablement sa réputation. Ses origines étrangères ne plaidèrent pas non plus en sa faveur. Ainsi, en dépit des indéniables réussites que compta sa politique, Mazarin ne laissa pas un bon souvenir dans la mémoire du peuple français, les mémorialistes préférant mettre en avant ses pratiques financières douteuses plutôt que ses victoires politiques.
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