TRAVAILLER COMME UN SABOT
Posté par francesca7 le 13 juin 2015
EXPRESSION FRANCAISE
On ne travaille que depuis le début du XVIè siècle. Mais le mot existe depuis beaucoup plus longtemps. Au XIIè siècle le travail, voyez l’impertinence, c’était la « torture » – du latin tripaliium, « instrument de torture, composé de trois pieux ». De là le mot est passé à cette « machine où l’on assujettit les bœufs pour les ferres » que l’on voit, et que l’on utilise encore sous ce nom, dans les vieux villages ; Pendant tout le Moyen Age « travailler » voulait dire « tourmenter, peiner, souffrir, notamment en parlant d’une femme qui va accoucher ». Dans un lai de Marie de France, le chevalier Guigemar, blessé et terriblement amoureux, passe une très mauvaise nuit :
Li est venu novel purpens
E dit que suffir li esteut
Kar issi fait ki mes ne peut
Tute la nuit a si veillé
E suspiré e travailé
C’est ce sens original qui est demeuré quand on dit que les soucis « nous travaillent », nous tourmentent, ou bien les rhumatismes, ou même un cor au pied. Il en reste sûrement un relent, dans l’enchaînement » se travailler l’esprit » se tourmenter la matière grise, avec l’expression banale : Travailler du chapeau.
En tout cas, « travailler » c’est « ouvrer » bien péniblement, avec la sueur qui s’ensuit… « Travailler, prenant de la peine – dit La Fontaine qui savait le français – c’est le fond qui manque le moins »
Quand au sabot, il y en a un qui dort profondément. Pourquoi l’autre travaillerait-il comme un dégoûtant ?… Peut-être parce qu’une fois aux pieds les sabots s’agitent, cognent, claquent et font un pétard bien connu – du moins dans une sorte de souvenir collectif… Ce n’est guère convaincant… Il existait un verbe « saboter » qui au XVIè et au XVIIIè siècle, voulait dire « secouer, tourmenter » ; doublé en cela par « sabouler », un mot plus ou moins issu de lui : « Le brut courait que vous aviez eu deux chevaux tués entre les jambes, esté porté par terre, saboulé et pétillé aux pieds des chevaux de plusieurs escadrons » (Sully).
Il me parait plus logique de penser que l’ancien « saboter une personne, la tourmenter » (Oudin) soit venu de la toupie que l’on fouette et peut-être même par des voies un peu plus détournée s, liées à un autre genre de travail.
Travailler « à coups de trique » ? On rencontre là tout un sémantisme paillard : travailler comme un manche, c’est-à-dire comme un pénis, salement – on retombe sur « sabouler » dans le sens de coïter, dès Rabelais ; « Les laquais de cour, par les degrés entre les huis, saboulaient sa femme à plaisir » – et d’ailleurs « travailler » lui-même, dès le XVIè siècle également : « Comme le bonhomme Hauteroue disait travaillant sa première femme » (Beoralde de Verville, in Guiraud). Un « sabot » était au XIXè siècle une « fille de la dernière catégorie, mal faite, mal habillée ». Travailler comme un sabot, bien que non attesté, serait-il simplement « besogner comme un imbécile » ??…
Quoi qu’il en soit, dans ces champs tortus qui s’entremêlent, saboter en est venu à signifier « travailler mal, bâcler la besogne ». De là le sabotage, le travail volontairement manqué, puis la malveillance précise destinée à empêcher le fonctionnement d’une machine, avec le succès qu’on lui a connu pendant la dernière guerre mondiale.
Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
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