Paresseux, les rois fainéants
Posté par francesca7 le 5 juin 2015
On a mis sous le nez studieux de générations d’écoliers l’illustration suivante : des boeufs tirent des charrettes vaguement tapissées d’étoffes précieuses où se trouvent allongés un roi gras et barbu accompagné de sa suite.
Ce roi illustre l’image même de la fainéantise la plus obscène, la plus indigne pour qui dirige un peuple. Et voilà, précise en général la légende, qui étaient ceux qu’on appelle les rois fainéants, des rois mérovingiens médiocres et inutiles ! Faux !
Jamais les rois fainéants n’ont existé ! Poursuivant leur projet de s’installer au pouvoir, les maires du palais ont pris le soin d’éviter aux jeunes rois mérovingiens le contact avec tous ceux qui pourraient leur apprendre leur métier. Ils les ont relégué dans quelque abbaye, dans quelque monastère d’où ils ont été sortis pour maintenir une image de la royauté à laquelle tenait le peuple. Mais de pouvoir, point, puisqu’il leur était confisqué !
Ces rois étaient la plupart du temps des enfants ou des adolescents. Ils se déplaçaient de palais en palais, selon la coutume de l’époque. Et pour se déplacer, il n’y avait pas de limousine, mais des chars à boeufs.
Alors, évidemment, on a pu voir le roi, comme n’importe qui d’autre, emprunter ce moyen de locomotion. De là à le déclarer fainéant parce qu’il se fait promener en char, il y a un pas que n’hésite pas à franchir Eginhard, le biographe de Charlemagne, qui voulait ainsi valoriser son maître bienaimé, et justifier par tous les moyens le remplacement des Mérovingiens par les Carolingiens.
L’appellation de « rois fainéants » a été attribuée, après coup, aux rois francs mérovingiens, succédant, à partir de 639, à Dagobert Ier. Cette appellation a été forgée par Eginhard, biographe de Charlemagne, dans sa Vita Karoli (Vie de Charlemagne), écrite au ixe siècle. Il légitimait ainsi la prise de pouvoir carolingienne, car, dit-il, les Mérovingiens « n’avaient plus de roi que le nom ».
Cette fin de dynastie, marquée par des règnes parfois brefs de souverains souvent très jeunes, en conséquence des nombreuses querelles de succession selon certains (mais surtout à cause de la fragilité de leur vie), amena une période d’instabilité politique où le pouvoir fut usurpé par l’aristocratie, en particulier par les maires de Palais, dont notamment Charles Martel et Pépin le Bref.
Le premier roi appelé par la suite fainéant fut Thierry III (673-691), qui se laissa gouverner d’abord par Ébroïn puis par Pépin de Herstal (son père Clovis II et son frère aîné Clotaire III ont bénéficié de reines fortes et de maires du palais respectueux de l’autorité mérovingienne, et son autre frère Childéric II s’était montré particulièrement caractériel). Les suivants furent Clovis III, Childebert III, Dagobert II, Chilpéric II, Thierry IV et enfin Childéric III.
L’époque des rois fainéants s’étira donc du début du règne de Thierry III à la fin de celui de Childéric III, de 673 à 751.
Pépin le Bref fut le dernier maire du palais. Il écarta Childéric III du trône et devint roi des Francs en 751, fondant ainsi la dynastie des Carolingiens. Son fils Charles, futur Charlemagne, engagea un brillant et rapide renouveau du royaume franc, ce qui fit paraître par contraste la fin de règne des Mérovingiens comme une période trouble de l’histoire de France. Les carolingiens ont utilisé les chroniqueurs de l’époque pour leur donner une imagé négative; la nouvelle dynastie avait besoin de se montrer crédible pour conserver son pouvoir.
L’imagerie populaire, en particulier les républicains de l’époque de Jules Ferry, ont perpétué et accentué à travers l’école publique la perception négative de ces rois, se déplaçant dans de lourds chariots bâchés tirés par des bœufs, confortablement allongés sur des coussins moelleux.
On a aussi surnommé le Fainéant Louis V, le dernier des rois carolingiens en France (986-987), juste pour la durée de son règne (1 an seulement) alors qu’il se montrait plutôt offensif.
Il s’agit de rois *réduits à rien* (faits NEANT) et les caricatures de rois en litière qu’on a asséné aux petits écoliers datent de longtemps après leur disparition.
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