Le chemin de fer a transformé la FRANCE
Posté par francesca7 le 24 mai 2015
A partir des années 1830, les ingénieurs élaborent une véritable science des chemins de fer, qui est enseignée dans les grandes écoles. Elle joint une théorie de l’utilité, à fondement principalement économique, à une science des systèmes, fondée essentiellement sur la technique. S’édifiant progressivement, dans l’incertitude et en fonction de l’expérience, elle combine trois filières techniques préexistantes : celles de l’utilisation de l’énergie, des matériaux et des communications à distance. Chacune va être bouleversée par les besoins nés de son exploitation. Ainsi, la sidérurgie de l’acier se substitue à celle du fer. La locomotive à vapeur connaît une transformation radicale, qui culmine en France, à la veille de la Grande Guerre, avec la série des machines compound du type Pacific 23. Dès les années 1900, la traction électrique fait son apparition sur quelques lignes de la banlieue parisienne et sur le réseau du Midi. L’adoption de la télégraphie, au début de l’exploitation, est suivie du développement, à partir des années 1880, d’un système de signalisation électrique semi-automatique. Ainsi, les exigences de l’exploitation ferroviaire contribuent largement à faire naître les technologies de la seconde révolution industrielle.
Le système technique ferroviaire est alors complémentaire de son organisation administrative, qui se caractérise par la division des tâches, la rigidité hiérarchique et l’autoritarisme. La principale vertu de l’agent des chemins de fer est l’obéissance, cette rigueur étant justifiée par la crainte de l’accident. Car la « culture ferroviaire » met en avant la sécurité, même si les métiers du rail ont longtemps figuré parmi les plus meurtriers et les plus dangereux. Le temps de travail journalier, initialement très long, n’est réduit qu’à partir des années 1890, sous la pression de l’État. En revanche, la durée d’activité est relativement courte, et des régimes de retraite sont établis précocement. L’échelle des fonctions correspond à celle des salaires et de la considération. Une grille d’avancement régissant l’ensemble de la carrière jusqu’à l’âge de la retraite est mise en place. Le statut de 1920, qui accorde aux agents des garanties précises, ne fait que doter d’une force légale cette organisation rigide des carrières et des rémunérations. La montée en puissance des syndicats s’affirme dans les années 1900, malgré l’« échec » de la grève de 1910.
Le chemin de fer a transformé la France. La réduction des tarifs de transport de marchandises a donné une impulsion décisive à la production, tant agricole qu’industrielle. Mais, dès le Second Empire, le développement du réseau exacerbe également les concurrences interrégionale et internationale. La croissance devient de plus en plus sélective, surtout à partir des années 1880. Mais le fléchissement de l’augmentation du trafic qui survient à cette époque entraîne une redéfinition de la politique commerciale, laquelle contribue à la reprise des années 1890. En effet, une nouvelle conception du voyage se fait jour. Dans les années 1880, en rupture avec les conceptions antérieures, les compagnies engagent une véritable politique de promotion du voyage populaire. Elles réduisent massivement les tarifs, et multiplient les « trains de plaisir ». En outre, quelque peu poussées par la Compagnie des wagons-lits, fondée dans les années 1870, elles cherchent à promouvoir le voyage de luxe via l’accroissement du confort et de la vitesse. Le lancement, en 1883, du Calais-Nice-Rome express, ancêtre du mythique Train bleu de l’entre-deux-guerres, symbolise cette politique couronnée de succès. En revanche, l’essor du trafic de banlieue est plutôt subi que voulu.
L’univers ferroviaire fait alors irruption dans la création romanesque (Huysmans, les Sœurs Vatard, 1870 ; Zola, la Bête humaine, 1890) et picturale (Gustave Caillebotte, le Pont de l’Europe,1876 ; Claude Monet, la Gare Saint-Lazare, 1877). Les gares monumentales, chefs-d’œuvre de l’architecture du XIXe siècle, forment à la fois une frontière entre deux mondes, un espace clos fait de bruits, de ténèbres et de lumières, un lieu d’attente et de solitude, de départ et de séparation, d’arrivée et de rencontre. La littérature confère au voyage lui-même une signification poétique particulière et le charge d’une forte tension dramatique, présente aussi bien chez Valery Larbaud (A. O. Barnabooth,1913) que chez Guillaume Apollinaire (les Onze Mille Verges, 1907) ou Blaise Cendrars (Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913).
La création de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), au mois d’août 1937, constitue l’aboutissement d’une négociation éclair engagée dès le vote de la loi de délégation de pouvoirs donnée au gouvernement Chautemps par le Sénat. La Haute Assemblée a refusé toute « réforme de structure », et écarté ainsi le risque - très réel - d’expropriation. La nationalisation des chemins de fer peut être menée en douceur, d’autant que les compagnies ne sont pas mécontentes de se décharger des responsabilités de l’exploitation. Elles obtiennent que l’organisation nouvelle ne porte pas atteinte aux intérêts de leurs actionnaires, et sauvent les domaines privés qu’elles avaient constitués. La SNCF est une société anonyme dont l’État détient 51 % du capital, 49 % restant aux mains des anciennes compagnies. Le conseil d’administration comprend des représentants de l’État, des compagnies et du personnel, ainsi que des membres de droit. Les clauses financières sont destinées à permettre le rétablissement progressif de l’« équilibre intégral ». La création de la SNCF s’accompagne d’un programme de coordination des transports, l’ambition initiale étant de réaliser une fusion dynamique des réseaux grâce à l’unification des méthodes d’exploitation.
La Seconde Guerre mondiale est, tout autant que la Première, une guerre des chemins de fer, malgré le rôle croissant joué par les transports automobiles. Durant l’été 1939, le plan de mobilisation fonctionne correctement. Mais, en 1940, la rapidité de l’avance allemande et la supériorité de la Luftwaffe rendent les transports par voie ferrée inefficaces, et, lors de la débâcle, le désordre est indescriptible. Pendant l’Occupation, le trafic voyageurs augmente considérablement. Le réseau ferré devient, notamment dans les derniers mois du conflit, un enjeu de la lutte contre l’occupant. Ainsi, le groupe Résistance Fer se livre à des activités de renseignements et à des actions visant à entraver le trafic : en juillet 1944, on compte 253 sabotages d’installations et 301 avaries de matériel. Puis, lors de la campagne de France, les installations ferroviaires figurent parmi les principales cibles des aviations alliées. Après le débarquement, les Américains ont recours au chemin de fer beaucoup plus tôt que prévu, car leurs camions s’embourbent ou sont immobilisés par des encombrements.
Dès 1947, le trafic est rétabli sur un réseau qui a été détruit aux deux tiers, et la reconstruction permet d’accélérer le processus d’unification. Mais l’histoire du rail, comparée à celle des autres moyens de transport, devient alors celle d’une lente contraction : 29 000 kilomètres de lignes effectivement exploitées au début des années quatre-vingt-dix, contre 43 000 kilomètres en 1938 ; 27 % du transport des marchandises en 1989, contre 64 % en 1955. Face à la percée de l’automobile, la part du rail dans les transports de voyageurs chute à 10 % depuis le début des années soixante-dix. Quant aux cheminots, on n’en compte plus que 182 000 en 1994, contre 500 000 en 1938. Et face à l’automobile et à l’avion, l’image du chemin de fer s’est longtemps teintée d’archaïsme. L’ont brouillée l’accumulation des déficits, l’accroissement spectaculaire de l’endettement et la fréquence des grèves, qui traduisent la profonde inquiétude des agents, mais ont aussi fait le jeu des concurrents.
Mais la SNCF bénéficie aussi d’une autre image. Elle a connu, depuis la guerre, plusieurs mutations radicales. La loi de 1983, votée à échéance de sa concession, substitue au régime de la société anonyme celui d’un établissement public industriel et commercial, qui lui assure, en principe, une large autonomie de gestion. Ses structures administratives ont été constamment adaptées, depuis 1945, à la demande de transport. Dès les années soixante, se multiplient, à l’échelon central, les divisions fonctionnelles. En 1973 sont créées 25 « régions », qui se substituent aux anciens réseaux. Une nouvelle structure est mise en place en 1994 ; elle repose sur la distinction entre les directions techniques et fonctionnelles, les directions d’activité, les directions d’appui. Les succès technologiques de l’entreprise sont impressionnants, particulièrement dans le domaine de la traction. Les ingénieurs de la SNCF et les constructeurs qui ont travaillé pour elle ont adopté, dès le début des années cinquante, un modèle d’électrification révolutionnaire, utilisant directement le courant alternatif de 50 périodes, au lieu du courant continu de 1 500 volts, employé en 1920, ce qui a fortement réduit le coût des installations. Les ingénieurs ont développé une filière de locomotives Diesel et de locomotives à turbine à gaz qui a donné naissance aux turbotrains, dont le symbole a été le Paris-Caen. Ils ont imaginé des « trains d’affaires » rapides tels que le Mistral et le Capitole, et, dans la logique d’une culture de la « grande vitesse », nouvelle pour eux, le TGV Sud-Est, inauguré en 1981. Le réseau TGV s’est depuis étendu vers le Sud-Ouest, l’Ouest et le Nord. Aujourd’hui, les technologies mises en œuvre tendent à intégrer dans un système informatique unifié l’ensemble des composantes fonctions, y compris la traction. Aucun autre réseau de grande vitesse dans le monde ne réalise de telles performances. Le tunnel sous la Manche - percement décidé en 1984, inauguration en 1993 - a valorisé la liaison ferroviaire. Comme le note Jacques Réda, le chemin de fer devient ainsi, sous nos yeux, « une géante extension du métro ». D’autres options technologiques ont donné à la SNCF une image de modernité : adoption précoce et intégrale de l’informatique de gestion, conversion à l’automatisation, généralisation du calcul scientifique et du contrôle de sécurité, architecture nouvelle dans les gares TGV, conception du réseau RER avec la RATP. Le chemin de fer a constitué l’un des principaux vecteurs de la diffusion des technologies électroniques. Il a opéré, à partir des années soixante-dix, une profonde modification de ses politiques commerciales, comparable à celle des années 1880. La remise en cause du statut de la SNCF, amorcée en 1995, est due à un endettement insupportable. La loi de 1996 créée une séparation entre la gestion des infrastructures, confiée au Réseau ferré de France (RFF) et celle de l’exploitation du trafic que conserve la SNCF : une solution proposée dès les années 1830 par plusieurs ingénieurs des Ponts et Chaussées, et conforme à l’esprit de la loi de 1842. Ce régime permettra à l’entreprise de trouver un nouvel élan, comme le montre l’exemple des chemins de fer allemands.
e chemin de fer est parvenu à préserver une image de modernité sans effacer ce qui en a fait une source de méditation nostalgique. Après la guerre, le renouveau du thème ferroviaire dans une littérature de haute tenue est, de ce point de vue, caractéristique. Il est illustré par l’œuvre de Michel Butor, qui, dans la Modification, renoue avec une très ancienne tradition de réflexion amoureuse, portée par le rythme du train, ou, plus récemment, par celle de Jacques Réda, selon lequel « le train reste à présent ce qu’il fut d’emblée, c’est-à-dire religieux et collectif : mythologique ».
Sources Encyclopédiques
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