ETRE AU BOUT DU ROULEAU, d’où cela vient-il
Posté par francesca7 le 22 mai 2015
« Les Anciens donnaient à leurs livres la figure de petites colonnes ou rouleaux. Vossius dit qu’on collait plusieurs feuilles les unes au bout des autres ; quand elles étaient remplies d’un côté seulement on les roulait toutes ensemble, en commençant par la dernière, qu’on appelait umbilius et à laquelle on attachait un bâton d’ivoire, ou de buis, afin de tenir tout le rouleau en état. On collait à l’autre extrémité un morceau de parchemin pour couvrir le rouleau et pour le conserver ».
Ces rouleaux des Anciens décrits par Furetière, ont donné ces choses bizarres qui tiennent quelquefois dans les squares les statues d’écrivains célèbres…
Ils se sont conservés aussi, en descendant tout le Moyen Age, sous la forme de »feuille roulée portant un écrit » et sous le nom de role ou roole, jusqu’à la fin du XVIIIè siècle notamment pour les registres administratifs, les pièces des procès et aussi les listes de personnes. Ces roule-listes (avec lesquels on peut faire l’appel des noms à ont donné à tour de rôle ; selon l’ordre porté sur la liste ; on est payé, interrogé, etc… « à tour de rôle ».
Ils ont donné aussi les listes en double pour les vérifications, les contre-rooles, qui s’appliquaient d’abord aux listes de soldats d’une compagnie – les capitaines ayant tendance à se faire livrer la solde pour des troupiers morts depuis longtemps, ou totalement imaginaires. Ces contre-rooles ont donné les contra-rooleurs, puis les contrôleurs, car on finit toujours par mettre son nez partout…
Très tôt aussi le role a été « ce que doit réciter un acteur dans une pièce de théâtre » – sens qu’il a conservé après qu’on eut inventé les souffleurs, les trous de mémoire, etc…
Ch. Sorel, décrivant la rapacité d’un avocat, joue sur les deux sens de « rôle », expliquant que lorsque cet homme de loi avait une dépense à faire, « il songeoit auparavant combien il estoit necessaire qu’il fist de roolles, et falloit qu’il les emplist après, quand c’eust esté d’une chanson« .
Lorsque la feuille était de petite taille on l’appelait un rollet. Le mot se trouve pour la première fois dans les vers de Jean de Meung qui apparemment aimait beaucoup les olives ( (l’olivier a toujours été un arbre d’une haute charge symbolique, de paix, de pureté, de force, etc) :
Si pendant a l’olive escrites
en un rolet letres petites,
qui dient a ceus qui les lisent,
qui sonz l’olive en l’ombre gisent
« Ci queurt la fonteine de vie
par desouz l’olive feuillie
qui porte le fruit de salu »
(Roman de la Rose, 1280)
Le mot prit également par la suite le sens de « petit rôle de théâtre », avant l’invention de la « panne ».
Etre au bout du rouleau, de son rouleau, c’est donc indifféremment, comme on veut l’entendre, au bout de ses arguments ou à la fin de son rôle. En général cela revient au même ; il faut quitter la scène ou le parloir, après avoir épuisé toutes ses chances, de plaire ou de convaincre… « Voilà comme il faut dire quand on est au bout de son rollet », disait Tabarin lorsque Mondor était à bout d’arguments….
Il est possible, et même probable, que l’on ait par la suite déplacé l’image pour la reporter sur un rouleau « bobine » celui sur lequel les Parques tissent le fil de note existence, donnant ainsi au bout de rouleau le sens funeste que l’on connaît.
Un renforcement de ce sens d’épuisement, de fin de course s’est également produit à l’apparition des premiers gramophones, qui utilisaient non pas des disques, mais des rouleaux à musiques.
Pour moi, il m’est agréable de terminer ce chapitre en empruntant ces vers de Paul Scarron à la fin d’une sienne épître :
Ayez donc pour moi la bonté
D’excuser la stérilité
D’in très-mauvais faiseur d’Epictre,
Et me laissez prendre le tiltre
De votre obeïssant vallet :
Je suis au bout de mon rollet.
Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton – Je vends ce livre ici : http://bibliothequecder.unblog.fr/2014/09/11/la-puce-a-loreille-de-cl-duneton/
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