LA PREMIERE ALIMENTATION DES HOMMES ET DES ANIMAUX
Posté par francesca7 le 14 mai 2015
Les céréales. Ce substantif, apparu tardivement (1792), désigne les graines, réduites en farines, qui servent à la nourriture de l’homme et des animaux domestiques.
Pendant plusieurs siècles, on lui a préféré le mot de « bleds ». Tous les apports documentaires confirment, aujour-d’hui, ce que certains historiens ont appelé une « dictature ancestrale des bleds ». Un Dictionnaire portatif du cultivateur, édité à la fin du XVIIIe siècle, ne manque pas d’indiquer que, par bleds, il faut entendre « les plantes connues de tout le monde, et qui portent le grain destiné à faire le pain. Il y en a plusieurs sortes : le froment, le seigle, le bled méteil, le bled de Turquie, l’orge et l’avoine, ou mars, le bled noir, ou bled sarrasin ». Une citation éclairante à deux égards : d’abord, parce que le classement effectué par l’auteur témoigne de l’importance occupée par chacune des espèces dans la production céréalière de l’époque ; ensuite, à cause de certaines absences. Millet, sorgho et riz, du fait de leurs caractéristiques particulières, sont exclus de la fonction nourricière essentielle, « faire le pain ». En effet, le pain fabriqué à partir de diverses farines céréalières a constitué, pendant des siècles, la base de l’alimentation de la population française (pain dans la soupe ; pain accompagnant la charcuterie, le fromage, les olives et l’huile). Si, pour une large part, l’histoire des céréales dans notre pays reste à faire, les nombreux travaux accumulés, notamment par les historiens des campagnes, les agronomes, les archéologues et les préhistoriens, permettent aujourd’hui de dégager quelques lignes directrices.
Élément dominant : l’ancestrale concurrence entre le blé commun, ou froment, et le seigle, qui forment ce que l’on a pris l’habitude d’appeler, depuis le Moyen Âge, les « grands bleds », par opposition aux « petits bleds » que sont l’orge et l’avoine. « Grands » et « petits bleds » constituent, sous l’Ancien Régime, les « quatre gros fruits » de la législation décimale et du droit ecclésiastique appliqués à la fiscalité des campagnes.
Blé commun et seigle.
• Depuis des temps immémoriaux, le « bled blan », ou froment, est, de loin, la plante la plus répandue dans l’aire géographique française. Le blé commun a pris le pas sur le blé dit « amidonnier », qui avait composé la base de l’alimentation des hommes préhistoriques. Bien que fort courante, cette plante, pour connaître son plein développement, a dû trouver des sols adéquats : faute de limons, les rendements restaient dérisoires. On comprend ainsi que la zone d’extension du blé ait accompagné la transformation des espaces cultivables français, notamment lors des défrichements médiévaux, qui ont favorisé la vocation céréalière du grand Bassin parisien et des plaines du nord du pays.
Le seigle, dont l’origine remonte environ à 9500 avant J.-C., n’était, initialement, qu’une mauvaise herbe qui croissait en bordure des premiers champs céréaliers. C’est l’hybridation qui a donné naissance à une nouvelle espèce comestible, pourtant peu estimée pendant une longue période. De fait, les auteurs d’agronomie grecs considéraient cette graminée, qui fournissait « une bouillie qui puait », comme juste digne des Barbares. Quant à leurs homologues latins, ils la qualifiaient de « plante repoussante ». Avec le temps, le seigle a fini par gagner la confiance des paysans, car il présente les avantages de réclamer peu de travaux aratoires, d’être résistant aux écarts thermiques, et de se contenter de sols pauvres et peu profonds, à la différence du blé commun. Ces qualités lui ont permis de supplanter l’épeautre et, pendant un temps, l’orge. Il a fini par conquérir sa place, entre le Ve et le Xe siècle, ce dont témoigne la zone d’extension de la consommation du pain noir, plus facile à conserver que le pain de froment, mais avec les inconvénients de l’acidité et du « surissement ». C’est d’ailleurs pour effacer ce goût désagréable qu’au cours du Moyen Âge on inventa le fameux pain d’épices, composé de farine de seigle, de miel, de cannelle, de muscade et de clous de girofle. Pour l’agriculture, le seigle a eu également l’avantage de constituer un excellent fourrage, et sa longue paille, réputée, a servi pendant longtemps à couvrir les toits ou à lier les gerbes.
La fragilité du froment et la rusticité du seigle ont tout naturellement conduit les paysans à mêler les deux céréales, en les semant et cultivant ensemble, ce qui a donné naissance au méteil, dont le succès s’est prolongé dans les campagnes françaises bien au-delà de la Première Guerre mondiale.
Orge et avoine.
• L’orge, dont la domestication remonte peut-être à plus de 10 000 ans avant J.-C., a été cultivée depuis très longtemps dans tout le pourtour méditerranéen. Des chercheurs ont ainsi identifié de l’orge à deux rangs dans la grotte préhistorique du Mas-d’Azil, en Ariège. Riche de plus de vingt espèces, l’espace français a vu se développer, de manière quasi simultanée, l’orge à deux rangs, communément appelé « paumelle », et l’orge à six rangs, une espèce hivernale dont les appellations les plus courantes étaient « escourgeon », « scorion » ou « soucrion ». Ces céréales, appréciées pour leur résistance et leur adaptation assez facile aux écarts thermiques, ont surtout été l’apanage des régions productrices de bière et des pays d’élevage. Au cours des siècles, l’orge, dont les zones de culture ont connu de grandes fluctuations, n’en a pas moins été réensemencée avec régularité. Lors du grand hiver de 1709, elle sauva des milliers de personnes de la famine, les autres céréales n’ayant pas résisté aux températures exceptionnellement basses. Jusqu’au XXe siècle, son utilisation a également été importante dans la préparation de boissons douces telles que le sirop d’orgeat.
Comme le seigle, l’avoine a longtemps souffert d’une mauvaise réputation, puisque les traités d’agronomie de l’Antiquité la qualifiaient de « mauvaise herbe ». Le cœur des légionnaires romains s’était soulevé à la découverte de la grande consommation que les Germains en faisaient, sous forme de bouillies. Mais, après des débuts difficiles, cette plante finit par atteindre une extension géographique importante, directement liée à celle du seigle, et, surtout, aux zones d’élevage et d’utilisation des chevaux domestiques. Elle connaît un franc succès à partir des années 700, puis se généralise de manière quasi définitive, au cours des IXe et Xe siècles, ce qui provoque la disparition concomitante de l’épeautre. C’est d’ailleurs au cours de cette période que l’avoine contribue à modifier fortement les habitudes agricoles. Ne pouvant être semée qu’au printemps, parce qu’elle ne résiste pas aux gelées, elle rend nécessaire la pratique des semis dits « de mars ». Ceux-ci sont à l’origine de l’abandon de l’assolement biennal et de l’essor - du moins dans les grandes plaines du nord du royaume - de l’assolement triennal, qui alterne blé commun, culture de mars, dont l’avoine, et repos du sol. Cette transformation radicale n’a été possible que par l’intensification du travail du sol, réalisée au moyen de la charrue tractée par des chevaux nourris avec des picotins d’avoine. Le couple cheval/avoine a constitué un moteur, au sens premier du terme, du progrès agricole qui a favorisé la lente hausse de la productivité et des rendements ; une meilleure satisfaction des besoins alimentaires de la population française, en augmentation constante depuis la fin des calamités du XIVe siècle, a ainsi été obtenue. De plus, lors des crises frumentaires, fréquentes sous l’Ancien Régime, l’avoine a permis aux hommes, par sa consommation sous forme de bouillies additionnées de lait - les gruaux -, de passer le mauvais cap alimentaire.
Sarrasin, maïs, riz et millets.
• Le blé noir, ou sarrasin, selon l’agronome de la Renaissance Olivier de Serres, « était appelé ‘bucail’ et se distinguait par sa paille rouge, son grain noir et sa farine en dedans fort blanche ». Pendant de nombreux siècles, il a eu pour terre d’élection la Bretagne, aux sols froids.
Le maïs est introduit en Europe dès la fin duXVe siècle par les conquistadors espagnols. Il rencontre très vite un énorme succès, et atteint le royaume de France, à la fin du XVIe siècle, où il trouve, dans les provinces du Sud-Ouest, des conditions climatiques exceptionnelles, qui ne se sont pas démenties depuis. Quant au riz, il est introduit en Europe par les Arabes, notamment dans le sud de la péninsule Ibérique. Espagnols et Italiens reprennent cette culture au cours des XVeet XVIe siècles. En France, il n’apparaît que tardivement, lors des travaux d’aménagement du delta du Rhône, ce qui explique que la Camargue soit aujourd’hui la seule zone de production du pays, avec, d’ailleurs, des résultats et des rendements remarquables. Les millets - qu’il s’agisse du petit millet, qui correspond au mil africain, ou du grand millet d’Inde, qui n’est autre que du sorgho - n’ont jamais connu de développement important dans notre pays, et ils ont été presque exclusivement consacrés à la nourriture de la basse-cour.
Cet éventail des productions a conduit, au fil du temps, à distinguer les céréales d’hiver (froment, seigle, méteil, sarrasin, maïs, escourgeon, millet) - dont les ensemencements, réalisés à l’automne, passent la saison froide enfouis sous terre, pour être récoltés au début de l’été - des céréales de printemps (orge, avoine, essentiellement), avec semailles au printemps, végétation rapide, de l’ordre de trois mois, d’où le nom de « trémois », et moisson à l’automne. Cette distinction a largement commandé les conditions d’assolements, avec, dans le Midi et ses terres pauvres, une alternance blés d’hiver/jachère, tandis que, dans le Nord aux riches limons, le cycle triennal s’est imposé, avec une succession blés d’hiver/blés de printemps/jachère. Des assolements qui se sont perpétués sans grands changements jusqu’au début du XXe siècle, pour disparaître à la suite de la suppression des jachères, due à l’intensification du travail du sol (emploi des engrais chimiques) et à la mécanisation de l’outillage agricole.
Ainsi, au début du XXe siècle, 22 millions d’actifs agricoles aidés de chevaux obtenaient, en moyenne, 12 quintaux de céréales à l’hectare, alors qu’aujourd’hui moins d’un million d’agriculteurs dotés de plus d’un million et demi de tracteurs obtiennent, régulièrement, de 60 à 80 quintaux de grains à l’hectare ! On a donc assisté, après la Seconde Guerre mondiale, au passage d’une économie de subsistance à une agriculture commerciale et exportatrice, qui place la France au cinquième rang mondial pour la production céréalière.
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