Une cloche pour ADANO
Posté par francesca7 le 9 mai 2015
Comment la ville se procurait-elle de l’argent en 1943 ? Eh bien voici l’affaire des balles de mousseline. Un vaisseau de la liberté était arrivé au port d’Adano et avait déchargé une cargaison de matériel de guerre : machines à cintrer, traverses de ponts, tentes et munitions. Au fond de la cale, les débardeurs avaient trouvé des ballots de mousseline blanche. Le capitaine du bateau voulait qu’on les déchargeât. Le quartier-maître du port en le voulait pas, car il n’y avait ni papiers ni lettres de consignation concernant ces ballots. Comme ils portaient l’estampille du Trésor des Etats Unis c’étaient évidemment des marchandises envoyées en lend-lease et égarées. Le commandant Joppolo, sachant que les gens de la ville s’en allaient en guenilles, dit qu’il les utiliserait. Il appela au téléphone le chef des Fournitures civiles et obtint la permission de vendre cette mousseline à un prix équitable. Il en avait mis deux ballots en vente et les quatre autres en réserve. Le manque d’étoffes dans la ville était si grand que les deux ballots avaient disparu en un rien de temps.
- Voilà du bon travail Joppolo, dis Sa Seigneurie. Et puis ?
Venais ensuite la question des réfugiés. Le jour de l’invasion, il n’y avait que six ou sept mille habitants dans la fille, les autres s’étant réfugiés dan la montagne. Peu de jours après, on en comptait trente-deux mille environ. Cet afflux de population, très gênant pour Adano, s’expliquait par le fait qu’un grand nombre de ces réfugiés étaient des habitants de Vicinamare qui avaient fui leur ville lors des bombardements. A présent, la bataille se livrait au-delà de Vicinamare. Les réfugiés auraient voulu rentrer chez eux, mais il n’y avait pas de moyen de transport. Le commandant, rencontra un jour dans la rue un autocar allemand conduit par un soldat américain, avait eu l’idée de s’en servir. Renseignements pris l’autocar appartenait au génie ; L’officier en charge, consulté par téléphone, lui avait permis moyennant l’autorisation officielle du commandant de la base, de le mettre en circulation une fois par semaine. Quelques jours plus tard, l’autocar partait bondé d’Italiens ravis et exubérants. Mais ce rapatriement n’avait pas continué, parce que le colonel Sartorius, chef des Affaires civiles pour la province de Vicinamare, ayant appris cette initiative, s’en était montré très blessé.
- je me demande, dit le commandant Joppolo, si le colonel Sartorius n’est pas une véritable dope !
- Vous voulez dire qu’il prend de la drogue ? demanda lord Runcin, puisant dans sa tabatière.
- Oh non lord. Je veux simplement dire qu’il est un abruti.
- Dope c’est ça ? dit Sa Seigneurie qui inscrivit le mot dans son carnet. Très bon, et puis ?
- Eh bien, lors, les habitants d’Adano étaient si contents de l’administration américaine qu’ls avaient offert, tout à fait spontanément, d’entretenir à leurs frais le petit cimetière américain aux portes de la ville ; Ils avaient construit une barrière tout autour et l’avaient peint en blanc et Russo, le vieux tailleur de pierres, faisait les dalles. Tous les dimanches, les gens de la ville portaient des fleurs sur les tombes des soldats américains morts en prenant la ville.
- Mais dites, c’est diablement touchant, commenta Sa Seigneurie. Et puis ?
Le ravitaillement marchait bien. Un des premiers jours, le commandant avait trouvé cinq wagons de blé sur une voie de garage. Il avait fait moudre le blé et avait pu en garder un peu pour les villages voisins qui en manquaient. Il avait imposé une très lourde amende – trois mille lires – à un boulanger pour avoir fait du pain spongieux, refusé de vendre à crédit, refusé d’accepter les lires américaines et parce qu’il avait les mains sales. A partir de ce moment, le pain avait été tolérable chez tous les boulangers. Il prenait des mesures pour que les pêcheurs puissent retourner en mer. Grâce à lui, on recommençait à manger des pâtes dont on avait été privé pendant huit mois. La situation alimentaire était bonne.
- Bravo dit Lors Runcin. Chaque fois que Sa Seigneurie prenait une prise, le commandant Joppolo la regardait avec des yeux ronds et oubliait de quoi il parlait.
- Quoi d’autres ?
Mon Dieu, veiller à la propreté de la ville ressemblait pas mal au travail d’Hercule dans sa fameuse écurie. Heureusement, le commandant était au courant des questions sanitaires ; Lorsque les Américains étaient arrivés, le vieux balayeur chargé de l’entretien des rues avait juste assez de force pour balayer devant le palazzo et vider la boîte aux ordures du maire Nasta. Le commandant Joppolo avait à présent une équipe de quarante-cinq hommes, huit voitures pour le service de la voirie et un camion itialen qu’il avait fait transformer en voiture d’arrosage. On arrosait les rues tous les matins.
- De l’eau ! dit Sa Seigneurie. Mais c’est absolument efféminé.
Le commandant ne compris pas l’expression, mais il la prit pour son compliment .
[…]
D’abord, on peut se rassembler dans la rue et parler comme on veut ; Il est permis d’écouter la radio. On sait que je suis juste et qu’on peut venir me trouver à toute heure à l’hôtel de ville. Le maire Nasta avait mis son heure de bureau de midi à lune heure et il fallait lui demander un rendez-vous des semaines à l’avance. Je vous ai parlé de l’entretien des rues. Oh il ya beaucoup d’améliorations et il y en aura bien d’autres, lord, si je continue à m’en occuper.
Joppolo commençait à ennuyer légèrement sa Seigneurie qui puisait de plus en plus souvent dans sa tabatière et regardait par la fenêtre :
- Une seule chose, lord.
- Je souhaiterais que toutes les villes n’en aient pas davantage, Joppolo.
- Mon Dieu ce n’est pas d’une importance immédiate, lord, et je crains que cela ne vous paraisse un peu ridicule.
- Ma mission, dit lord Runcin, en prenant majestueusement du tabac, est de donner un sens aux choses ridicules. qu’est-ce, Joppolo ?
- La ville a besoin d’une cloque.
- Une cloche ? Mais commandant, j’ai entendu de tels carillons ce matin que je me suis cru à Noël.
- Celle-ci était du XIIIè siècle. A entendre parler des habitants, c’était ce que la ville possédait de plus beau. Mussolini à la prise…
Et le commandant raconta comment la cloche avait été mise en caisse et expédiée pour faire des canons, comment les habitants lui en avaient parlé, comment il avait fait une enquête et établi que la cloche avait été très probablement fondue, en tout cas se trouvaient en territoire occupé.
Le Colonel, en la personne de Sa Seigneurie, montra le bout de l’oreille .
- Ces gens, du lord Runcin, doivent se suffire avec les cloches qu’ils ont. Nous ne pouvons nous permettre d’être sentimentaux, vous savez Joppolo. C’est une faute d’amollir la discipline en rendant les gens trop heureux.
Pour lire l’intégralité de ce livre de John Hersey, rejoindre le site : http://bibliothequecder.unblog.fr/2015/05/08/une-cloche-pour-adano/
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