PORTRAIT DE JOHN HERSEY Par Daniel Bénédite
Posté par francesca7 le 9 mai 2015
A l’heure où je trace ces lignes, le soleil se couche avec une sorte de tendresse derrière l’église de Louviers. La douceur du soir enveloppe les grasses prairies de Seine normande ; Au loin, un clocher égrène l’angélus. John HERSEY, je crois, aimerait cette paix, en bon Américain qui n’affronte les orages du monde qu’avec la nostalgie de son confortable cottage, du petit bourg où il a établi sa demeure, des voisins débonnaires avec qui l’on échange les outils du jardinage et les premiers fruits du verger.
»Ce jeune homme, dit un jour quelqu’un qui l’avait rencontré, est le type d’américain que le président Lincoln devait avoir été. Il ressemble même aux portraits que j’avais vus sur les livres d’histoire. Il est grand et mince, c’est un des hommes les plus grands que j’aie jamais vus. Et il est compréhensif et sympathique. Plus tard, Joseph Kessel le décrira en ces termes : « C’était un grand garçon mince et fin, élancé à l’américaine, avec un visage très jeune, très droit, un peu timide, presque naïf. Il avait de beaux yeux bruns, chauds, mélancoliques et plein d’une compréhension, d’une compassion infinies… » Homme d’action et de conviction à la fois, par conséquent amoureux de sa patrie et plus encore fier de l’idéal démocratique qu’elle incarne et qu’elle a mission, lui semble-t-il d’apporter au reste de l’univers.
Cet Américain exemplaire, cependant a vu le jour à T’ien-tsin le 17 juin 1914, et a commencé par parler la langue des mandarins bien avant de s’exprimer en anglais ; son père, Roscoe Monroe Hersey était en effet secrétaire de l’YMCA en Chine où il s’efforçait de lutter contre les effets de la famine dans les provinces de l’Est. Le petit John vécu en Extrême Orient jusqu’à sa dixième année, non sans voir à l’âge du complexe d’Œdipe, quelque peu parcours le monde en compagnie de sa mère ; Nous avons maintenant combien sont déterminants les événements du premier âge. Est-ce trop se hasarder que de voir, dans la passion déambulatoire de Hersey, l’empreinte de ses moments privilégiés et le désir inlassable et inconscient de les réitérer ?
En 1924, la famille de John Hersey regagne les Etats-Unis. C’est pour celui-ci le temps des études sérieuses. Il les poursuit avec succès, à Hotchkiss School et à Yale dont il sort diplômé en 1935, puis à Cambridge, en Angleterre, où il demeure un an. De retour en Amérique, il devient le secrétaire de Sinclair Lewis, avant d’opter pour le journalisme, vers quoi le conduit sa vocation profonde. Il entre ainsi à Time et à Life dont il sera, durant la Seconde Guerre mondiale, le correspondant de guerre. IL est envoyé au Japon et en Chine, « couvre » les opérations du Pacifique, de Tunisie et d’Italie, puis en 1944, et 1945 séjourne en URSS.
C’est de cette activité mouvementée et périlleuse – « Le plus grand reporter de notre temps » dit de lui Joseph Kessel – qu’en John Hersey naît l’écrivain ; comme l’ont fait observer maints critiques, l’écriture romanesque, chez lui, dégage et cristallise les éléments éthiques sous-jacents à ses grands reportages ; n’est-ce pas dire, du même coup, que le regard de Hersey journaliste dépasse d’emblée l’événementiel et le pittoresque qui constituent la matière immédiate de tout reportage, que c’est pour l’homme, finalement qu’il est requis, l’homme de notre temps et les tourments qui lui viennent de sa condition ? C’est bien en tout cas, ce que comprirent les jurés du prix Pulitzer lorsqu’ils couronnèrent en 1945, Une Cloche pour Adano que l’écrivain avait rédigé en partant d’un reportage adressé à Life.
John Hersey, à ce moment avait déjà écrit deux romans, Men on Bataan (1942) et Dans la vallée (1943), récit d’une échauffourée à Guadalcanal, où il avait accompagné une attaque des « marines » : il était tombé avec eux, dans un piège tendu par les Japonais et s’était avec héroïsme, employé à secourir les blessés, ce qui lui avait valu d’être décoré. On raconte aussi qu’il avait été à deux doigts de perdre toutes les notes qu’il avait prises durant cette extraordinaire équipée. L’avion qui le ramenait avait en effet piqué du nez dans le Pacifique, mais Hersey, alors qu’il se démenait dans les flots, avait pu récupérer ses papiers qui flottaient à la crête d’une vague. Une cloque pour Adano (1943) porté successivement au théâtre et au cinéma, demeure son livre le plus connu. Mais il est l’auteur, également de trois autres romans de très haute valeur, Hiroshima, ville où il se rend en 1946 et dont le martyre nous est conté à travers le témoignage de six survivants, la Muraille (1950) où la vie intérieure du ghetto de Varsovie sous la botte nazie ainsi que son martyre sont reconstitués avec une hallucinantes vérité et la Chasse à la marmotte (1953) un libre assez différent des précédents et dont le caractère allégorique déconcerta la critique.
Mais il me semble que c’est bien dans une Cloche pour Adano que son généreux message retentit le plus haut et le plus fort, et tout d’abord parce que le livre, littérairement, est des mieux venus ; découpé, selon la technique journalistique, en brefs tableaux qui s’enchaînent avec un rythme irrésistible, il est étincelant de couleur et de vie, comme cette petite communauté italienne dont il nous dépeint les heurs, malheurs et soucis aux première heures de sa libération par les troupes américaines. Et puis, ne peut-on voir, en la personne du commandant Joppolos, court de taille et brun de poil comme ne l’est pas John Hersey (mais le contraste est délibéré, puisque c’est le propre de l’idéal américain que d’avoir fondu les origines les plus diverses), un porte-parole singulièrement émouvant de l’auteur ?
N’est-ce pas non plus un admirable symbole que cette cloche, l’âme d’Adano, qui plus profondément résonne en chacun de nous comme notre conscience d’homme semble chanter la gloire d’une civilisation- avant, peut-être d’en sonner le glas ?
Daniel Bénédite – extrait du livre UNE CLOCHE POUR ADANO
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