NAVIGUER DE CONSERVE
Posté par francesca7 le 20 avril 2015
EXPRESSION MARINES :
Le monde de la marine a tendance à rester entre soi. Pour spéciale et riche que soit la langue de la navigation, elle ne semble pas avoir donné à la langue commune un très gros bouquet d’expressions. Il faut dire aussi que la majeure partie des côtes de France, à l’exception des côtes normandes et picardes, ne sont pas traditionnellement de langue française. Pendant des siècles les gens de mer ont parlé occitan, catalan, basque, breton évidemment et même flamand tout au nord de notre littoral. Ceci explique peut-être en partie cela… Un certain nombre de termes empruntés directement à l’occitan ou au néerlandais ont d’ailleurs vraisemblablement été introduits par le truchement des marchands plutôt que par les matelots eux-mêmes.
NAVIGUER EN CONSERVE : Bien sûr on peut voyager de conserve avec des amis, ou à la rigueur visiter de même un manoir hanté… Mais le mot « conserve » est tellement lié à notre époque aux boîtes de petits pois, et autres fruits et légumes, que les gens hésitent. L’image des sardines à l’huile leur reste en travers de l’élocution. On se replie donc sur l’expression moins drôlette et mieux accordée ; aller de concert quelque part.
« De concert » est plus engageant, plus ‘musical » dirais-je, avec son sous-entendu de bonne entente et de concertation – ce qui est du reste son sens véritable et ancien : « pleurer tout franchement et de concert, à la vue l’un de l’autre, sans autre embarras que l’essuyer ses larmes », disait La Bruyère.
Pourtant « aller de conserve » ensemble, a eu un sens précis dans la navigation dès le XVIè siècle, la grande époque des pirates. « Conserve, en terme de Marine – dit Furetière – se dit des vaisseaux qui vont en mer de compagnie pour se défendre, s’escorter et se secourir les uns les autres. Il est posté dix vaisseaux qui vont de conserve. On dit aussi dans le même sens. Aller de flotte, ou bailler cap à un autre vaisseau, ou à la flotte. Les navires chargés de marchandises de prix sont obligés de marcher en flotte, de faire conserve, de faire cap et de s’attendre les uns les autres ; et ne doivent point partir qu’ls ne soient du moins quatre. Ils doivent élire entre eux un vice-Amiral et faire serment de s’entre-secourir, suivant les ordonnances de la Marine ».
Il s’agit donc de l’instinct de « conservation ». Par parenthèse les « conserves »= alimentaires constituent bien le sens premier du mot ; le vieux bonhomme ménagier du XIVè siècle indique à son épouse : « Mettez les noix boulir en miel, et illec [là ] les laissiez en conserve… » S’il était plus sûr pour les bateaux marchands de faire voile ensemble, il est toujours prudent d’être » de conserve » pour traverser le Sahara, faire une escapade à skis ou explorer un gouffre. Mais il est plus normal d’aller boire de concert au café du coin.
Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.