LA CROIX ET LA BANNIERE
Posté par francesca7 le 20 avril 2015
EXPRESSION :
Il est bien naturel que celle qui fut si longtemps pour la quasi-totalité de la France notre mère l’Eglise ait donné à la langue commune quelques tournures de son tonneau. Moteur intellectuel et mobilisatrice de la pensée occidentale pendant tant de siècles, on est même surpris qu’elle n’en ait pas laissé au moins autant que les jeux de cartes, de quilles et de trou-madame… C’est que l’Eglise, pendant tout ce temps, parlait latin. Toutefois je n’ai retenu que les locutions qui se rattachent à l’institution ecclésiastique elle-même, classant ailleurs celles qui sont issues directement de la Bible.
La croix et la bannière : Voltaire expliquait ainsi l’origine des processions : « Les petits peuples furent très longtemps sans avoir de temples. Ils portaient leurs dieux dans leur coffres, dans des tabernacles […] C’est probablement de ces dieux portatifs que vint la coutume des processions, car il semble qu’on ne se serait pas avisé d’ôté un dieu de sa place, dans son temple, pour le promener dans la ville, et cette violence eût pu paraître un sacrilège, si l’ancien usage de porter son Dieu sur un chariot ou sur un brancard n’avait pas été dès longtemps établi ».
Il faut croire que nous avons définitivement coupé les ponts avec nos ancêtres nomades, car on ne voit plus beaucoup en France de ces longues processions de fidèles, conduites en grande pompe vers un sanctuaire de plein air, la croix en tête, par deux ou trois prêtres en habits étincelants, suivis d’enfants de chœur en tuniques, psalmodiant des cantiques sous un beau soleil de printemps. Autre époque ; les dieux sont installés.
Autrefois ce cérémonial ne s’appliquait pas uniquement aux divinités en voyage, mais aussi aux grands de ce monde, particulièrement chatouilleux sur le chapitre de l’accueil et de la conduite. Les prélats, les hauts dignitaires de l’Eglise et de l’Etat ne consentaient à se déplacer qu’à la condition d’être reçus avec la même dignité que les sacrées reliques. Il était d’usage de les accueillir aux portes des villes avec la croix, emblème spirituel, et aussi la bannière symbolisant le pouvoir temporel. « La bannière et le pavillon différent du drapeau et de l’étendard par la façon dont l’étoffe est disposée – précise Gougenheim ».
L’étoffe de la bannière est fixée par en haut de façon à tomber verticalement. Elle n’ a plus rien de militaire et est surtout un emblème religieux orné d’inscription et de figures ». Un texte du XIVè siècle fait allusion à la coutume ; « Jehan, le vigile de l’ascension notre Seigneur y portat un confanon ou bannière de l’église de Landriscourt aux processions, et croix, en la compagnie du curé et des gens d’icelle ville ».
De là l’expression qui est restée : « On dit en ce sens qu’il faut avoir la croix et la bannière, la croix et l’eau bénite, pour avoir quelqu’un ; pour dire qu’on a de la peine à en jouir » explique Furetière, sans arrière-pensée d’ailleurs ; C’est que les anciens étaient tatillons sur le protocole. « Lorsque le cardinal de Richelieu traita du mariage d’Henriette de France et de Charles 1er avec les ambassadeurs d’Angleterre, l’affaire fut sur le point d’être promue pour deux ou trois pas de plus que les ambassadeurs exigeaient auprès d’une porte, et le cardial se mit au lit pour trancher toute difficulté », raconte aussi Voltaire. Il ajoute : « A mesure que les pays sont barbares, ou que les cours sont faibles, le cérémonial est plus en vogue ». Intéressante remarque.
Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
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