Aux siècles des Lumières
Posté par francesca7 le 31 mars 2015
Le terme « Lumières » désigne à la fois un mouvement d’idées qui s’affirme durant le XVIIIe siècle, et le siècle marqué tout entier par son style.
Il peut s’inscrire aussi dans la dynamique de plus longue durée qui substitue à un monde social et culturel clos fondé sur la répétition, la hiérarchie et l’obéissance, une modernité ouverte au changement, à l’individualité et à l’autonomie.
Cette tendance générale entraîne une crise des valeurs traditionnelles qui prend l’aspect d’une laïcisation des opinions et des modes de vie : d’une part, on assiste à la désacralisation des principes religieux et monarchiques ; de l’autre, à une réhabilitation de l’homme et de l’existence terrestre. Culturellement, elle accélère une transition, de la croyance au savoir, de la transmission orale et du respect des permanences à l’opinion individualisée, au jugement rationnel, à la connaissance livres que et à la confiance dans le progrès. Cette tendance est sensible dans l’ensemble de l’Europe, où l’Angleterre parle d’Enlightenment, l’Allemagne d’Aufklärung, l’Espagne de Siglo de las luces, l’Italie d’Illuminismo, etc., mais elle prend une forme spécifique en France, vieux pays gallican miné par les conflits entre jésuites et jansénistes, entraîné vers l’anticléricalisme ; pays centralisé aussi, où la réforme ne passe finalement que par des bouleversements révolutionnaires.
L’image qui désigne ce mouvement d’idées dans toutes les langues européennes est celle de la raison considérée comme lumière naturelle, par opposition à la foi comme lumière surnaturelle, ou bien celle de l’entendement comme travail d’explicitation, comme dynamique d’éclaircissement. La langue française insiste sur le pluriel et la diversité des conquêtes de la raison ; les langues anglaise et allemande, sur le moteur et le mouvement de cette compréhension rationnelle. Voltaire intitule la Raison par alphabet l’une des éditions de son Dictionnaire philosophique.
Cette raison caractérise la philosophie, qui, de servante de la théologie, devient connaissance autonome du monde et des hommes. Fondée sur l’expérience et le raisonnement, la philosophie continue à désigner, au XVIIIe siècle, l’ensemble des savoirs, mais infléchi dans le sens d’une utilité pratique, d’une action concrète sur la vie des hommes. Elle peut donc se réclamer conjointement de systèmes philosophiques qui sont exclusifs l’un de l’autre du strict point de vue de l’histoire de la philosophie, mais qui se contaminent dans la réalité des textes et des mentalités. Les philosophes des Lumières sont héritiers du rationalisme de Descartes, qui proclame l’autonomie de l’individu doué de sa seule raison et de ses idées innées, et de l’empirisme de Locke, qui fait dépendre la pensée de l’information sensible et de l’expérience. Ils s’affirment par opposition à la tradition reçue sans jugement, aux préjugés acceptés sans discrimination, mais aussi à l’abstraction et aux systèmes, considérés comme pertes de la réalité. Ils se refusent à la métaphysique, incertaine et indécidable, au nom d’une saine physique, positive et tangible. « Philosophe » devient, au XVIIIe siècle synonyme de « partisan des Lumières ». Diderot nomme Pensées philosophiques sa réplique aux Pensées de Pascal, et Sedaine, le Philosophe sans le savoir sa présentation dramatique de l’homme concrètement vertueux, socialement efficace.
Débarrassé de la faute religieuse, des lisières de la tradition, l’homme peut revendiquer une liberté qui était jusqu’alors surtout métaphysique (principe religieux du choix entre bien et mal) et aristocratique (principe d’élitisme nobiliaire), et qui devient morale et politique (droit d’inventer sa vie personnelle et de donner son opinion sur la chose publique), ainsi qu’économique (droit d’entreprendre). Autant que l’idée de nature, celles de bonheur et de liberté tirent leur force d’entraînement de leur profonde ambivalence : le bonheur peut être égoïste ou altruiste, en quête de durée ou bien d’intensité, et la liberté, individuelle ou bien civique.
Les progrès de l’esprit ne se traduisent pas forcément par des progrès sociaux et moraux : un décalage dont Rousseau dénonce le risque. Les Encyclopédistes restent liés au modèle d’une action par en haut, auprès d’un prince éclairé. Leur influence passe donc par les académies provinciales, par la conquête de l’Académie française, par la pénétration de l’administration royale. Les blocages de la situation politique en France font songer d’aucuns à une action dans des capitales étrangères : Voltaire accepte l’invitation de Frédéric II à Berlin, Diderot celle de Catherine II à Saint-Pétersbourg. Leurs désillusions dans de telles expériences les conduisent à faire appel à l’opinion, à ce public des lecteurs capables de juger et de manifester leur jugement en dehors des structures de l’Ancien Régime.
Rares sont alors les philosophes qui explicitent l’idée d’un recours à la violence populaire. Les exemples de l’Antiquité, celui plus récent des révolutions anglaises, imposent pourtant un scénario de régénération violente, à mesure que la crise de l’Ancien Régime s’amplifie. De l’exécution de Calas, protestant accusé - à tort - d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme, au scandale du Collier de la reine, les affaires judiciaires mobilisent les philosophes et font débattre sur la place publique de ce qui, traditionnellement, restait du domaine des pouvoirs politique et religieux.
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