SE METTRE SUR SON TRENTE ET UN
Posté par francesca7 le 29 mars 2015
Il est dommage que le sens premier de cette locution demeure impénétrable. On se met sur son « trente et un » quoi ?… Plusieurs interprétations ont été faites, aucune n’est vraiment convaincante. Je cite ici celle de Maurice Rat :
« Il faut voir dans la première partie : se mettre sur, l’ancienne tournure qui veut dire « mettre sur soi », autrefois se mettre sus, et dans trente et un la déformation populaire de trentain, nom d’un ancienne sorte de drap de luxe, dont la chaîne était composée de trente fois cent fils, et qui, n’étant plus compris, est devenu trente-un ou trente et un. Se mettre sur son tente et un, c’est donc littéralement « mettre sur soi son trentain », et par suite, ses plus beaux atours, ses atours des jours de fête ou de cérémonie.
L’ennui est que ce mot trentain est excessivement rare, il ne semble pas apparaître dans ce sens dans l’ancienne langue et il est surprenant qu’un terme d’usage aussi restreint ait pu donner une locution populaire, laquelle paraît d’ailleurs relativement récente…
D’autres ont avancé l’hypothèse d’un jeu de cartes où « trente et un » est un chiffre particulièrement heureux. « Aux cartes, il y a des jeux qu’on appelle la Belle, le Flux, et le Trente un, où celui qui a trente et un points en ses cartes, gagne. Il y a aussi le trente et quarante, où celui qui amène le plus près de trente, gagne. A trente un il gagne double » (Furetière). Dans ce contexte le trente et un pourrait être un coup d’éclat qui soit passé à une parure exceptionnelle… C’est l’interprétation vers laquelle penche Littré ; elle n’est guère probante.
Plus prometteuse me semblerait pour une part une autre indication de son dictionnaire, concernant le trente et un du mois avec cette citation du Journal officiel du 9 septembre 1872 : « Le vieux dicton : trente et un, jour sans pain, misère en Prusse, est encore vrai en ce qui concerne la solde de ce jour : on n’accord qu’extraordinairement aux troupes cantonnées le supplément d’entretien et le montant du versement à l’ordinaire pour le repas du midi ». Je me demande si ce « trente et un, jour sans pain » n’a pas pu donner lieu aussi, dans des circonstances que j’ignore, à des festivités de casernes, soit des revues, soit au contraire des permissions exceptionnelles ; la locution qui comporte une idée de préparatifs importants nous serait venue alors par la langue des troupiers…
On a dit aussi – on le dit encore – se mettre sur son trente-six, et comme le remarque Robert, si trente-six est antérieur à trente et un, « toutes ces hypothèses sont fausses ». Ce trente-six pourrait être à la rigueur le même que les « trente-six sortes » ou les « trente-six complications », ou bien venir de l’expression « tous les trente-six du mois », c’est à dire forcément jamais, ou si rarement ;.. « Il vient me voir tous les trente-six du mois » Se mettre sur son trente-six serait dans ce cas s’apprêter pour une occasion très exceptionnelle… C’est une supposition qui n’est pas absurde, mais pas très claire non plus.
Ce qui est certaine nt tout cas – et troublant – c’est que les Québécois, plus enracinés que nous dans la tradition langagière, disent usuellement se mettre sur son trente-six, et semblent ne connaître « trente et un » que par importation récente. Comme de surcroît, à cause de la législation britannique, ils n’ont jamais été troublés par le système métrique et comptent toujours en pieds et pouces, la locution leur paraît se rattacher naturellement à un « trente-six pouces » qui désigne précisément une étoffe de cette largeur, laquelle correspond à notre « en 90 de large ». Effectivement lorsqu’on désigne un tissu par ses dimensions c’est qu’il s’agit d’un tissu neuf, pas encore taillé. Faut-il comprendre que « se mettre sur son trente-six » c’est endosser un habit neuf, sorti tout droit des mains du tailleur ?… C’est une indication possible, mais qui ne paraît pas, elle non plus, déterminante.
Je n’en sais pas davantage, et je donne provisoirement ma langue au chat !
Extrait de : La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
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