Par le passé, la cosmétique a toujours fait appel à des ingrédients d’origine animale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bien sûr, le miel est cicatrisant et adoucissant, le yaourt est un excellent exfoliant, et le mucus d’escargot un hydratant hors pair. Mais leur usage dans les soins de beauté peut heurter les véganes. Pire encore, d’autres ingrédients animaux, n’ayant pas toujours une origine bien clean, se cachent sous des appellations ésotériques dans de nombreux cosmétiques.
La cosmétique ancienne : un drôle de bestiaire
L’histoire des cosmétiques ne joue pas dans le camp des véganes, car l’usage des ingrédients animaux remonte à l’Antiquité, ainsi que l’attestent des formules égyptiennes datant de plus de 3500 ans. Voici un petit inventaire des pires abominations employées « pour la beauté », dont certaines l’ont été jusqu’au XVIIIe siècle : urine, sang et foie d’animaux divers, cornes et bois pilés, limaces broyées, pigeons bouillis, lézard vert frit, fientes d’oiseaux et de chauve-souris, fiel de bœuf (bile), souris calcinées… Beurk !
Cet arsenal de sorcière a été épure au fil des siècles, mais au début du XXe, les produits animaux avaient encore le vent en poupe, notamment le blanc de baleine et l’ambre gris provenant du cachalot. Aujourd’hui, quelques décennies et scandales plus tard, la tendance semble s’être inversée à la faveur du végétal. Est-ce à dire que les ingrédients animaux ont disparu des cosmétiques ? Que nenni !
Connaissez-vous l’histoire du shampooing ? Soigner ses cheveux est un geste qui nous semble naturel, mais ce n’a pas toujours été le cas.
Le lavage des cheveux semble remonter à l’Antiquité. Toutefois, jusqu’au XXème siècle, cette hygiène a été plus ou moins négligée. Les perruques du XVIIIème siècle, notamment, cachaient des chevelures déplorables, minées par les poux et les maladies, et qu’il fallait souvent couper au plus court, faute de mieux.
De l’Antiquité au XVIIe siècle : recours aux produits naturels
Dès l’Antiquité, les Anciens ont employé pour l’hygiène des cheveux des produits absorbants tels qu’argiles et farines, des plantes contenant des saponines aux propriétés légèrement moussantes (saponaire, yucca, noix de savon…), des produits acides qui dissolvent les graisses et des produits divers aux propriétés nettoyantes (argile, savon…). Voici un petit florilège des ressources traditionnellement employées au fil des siècles :
- Egypte antique : vinaigre ou jus de citron mélangés à de l’eau.
- Afrique du Nord, Yémen : rhassoul (argile savonneuse), sidr (jujube séchée et broyée)
- Gaule : eau de chaux, sapô (ancêtre du savon), résultant du mélange de cendres de bois et de graisses animales, employé pour nettoyer et éclaircir les cheveux.
- Europe (Moyen-Age et siècles suivants) : vinaigre, savon, lotions alcoolisées, œuf, décoctions de plantes (dont la saponaire, autochtone, et le bois de panama, importé d’Amérique), poudres pour lavage à sec (argile, farines, plantes en poudre : ortie, sauge, lycopode).
- Amériques : yucca (suc des racines), bois de panama (écorce)
- Inde : noix de savon, shikakai et autres plantes ayurvédiques, farine de pois chiche
XVIII-XIXème siècles : ébauche du shampoo et maintien des traditions
Le terme « shampooing » fut introduit en Europe par les Anglais à la fin du XVIIIème. Il s’agit du principe du lavage des cheveux avec un « shampoo », c’est-à-dire un produit liquide à base de copeaux de savon fondus ou de savon noir, délayés dans des décoctions de plantes. Le terme, d’origine hindi, dérivait du nom d’une fleur parfumée, le champaca. Mais le résultat n’était pas très satisfaisant : cheveux poisseux, puis desséchés à la longue. Raison pour laquelle, jusqu’au début du XXème siècle, la plupart des intéressés continuaient à employer, pour se laver les cheveux, les traditionnels préparations au bois de panama ou à l’œuf (généralement battu avec du rhum). Par exemple, l’impératrice Sissi portait une chevelure exceptionnellement longue, dont le lavage, demandant une trentaine de jaunes d’œufs battus dans du cognac, prenait une journée entière.
XXème siècle : passage à la mousse
Le XXème siècle se caractérise par l’industrialisation du shampooing qui fait des bulles ! Mais quelques dates valent mieux qu’un long texte pour résumer la marche du progrès :
- 1927 : en Allemagne, Hans Schwarzkopf lance le premier shampooing liquide distribué principalement auprès des coiffeurs. Mais il est plus proche du shampoo du XIXème que des shampooings modernes.
- 1931 : en France, Eugène Shueller, fondateur de L’Oréal, crée le premier shampooing à base de détergeant synthétique (syndet).
- 1934 : L’Oréal commercialise à grande échelle ce fameux premier shampooing moderne de grande consommation, à savoir le berlingot DOP.
A partir de l’après-guerre, la publicité intensive ne fait qu’amplifier l’usage du shampooing moussant, qui se généralise et finit par évincer les méthodes traditionnelles. Les industriels poussent à la consommation en préconisant un usage quotidien et en proposant des formules adaptées à cet usage. Ils conseillent également 2 lavages successifs à chaque shampooing. Les cheveux étant généralement abîmés par ce programme de décapage intensif, le marché des après-shampooing « réparateurs » (généralement à base de silicones) se développe en parallèle.
Début du XXIème siècle : remise en question
Les shampooings et produits dérivés inondent les linéaires des magasins. Mais suite à certaines inquiétudes liés à la cosmétique chimique (parabens, sodium lauryl(eth)sulfate…) et à la publication du livre La vérité sur les cosmétiques de Rita Stiens, une part croissante des consommateurs recherche des soins plus naturels, moins agressifs. Les shampooings bio à base de tensioactifs végétaux doux (dérivés notamment des huiles d’olive, de coco…) ont un succès croissant, les recettes « maison » connaissent un véritable regain d’intérêt. Le rituel du shampooing quotidien est remis en cause et la blogosphère relate de nombreuses expériences de personnes disant « ne plus se laver » les cheveux, à l’image d’Antigone XXI. En fait, la plupart remplacent les shampooings moussants industriels, par les produits non moussants des anciens. Avec la mode du « no poo », la boucle est bouclée, et les cheveux redécouvrent un nouveau bien-être…
Les produits animaux qui s’affichent aujourd’hui sur nos cosmétiques
De grands classiques sont toujours présents et leur utilité est reconnue. Il s’agit des produits de la ruche, surtout cire d’abeille et miel, du lait et de ses dérivés, et plus rarement des œufs. Pour bon nombre de consommateurs vigilants, la présence de ces produits non issus d’animaux morts est acceptable, bien qu’elle soulève les mêmes problèmes éthiques que dans la filière alimentaire (sauf si les cosmétiques arborent un label spécifique : voir encadré).
Parmi ces ingrédients revendiquant leur nature animale, on en trouve de plus anecdotiques, mais souvent surprenants : perles, nacre (coquille d’huitre), caviar, soie, graisse d’autruche ou d’émeu, huile de vison ou de marmotte, bave d’escargot, extrait de sangsue, venin de serpent, colostrum (premier lait après la mise bas)… Certes, ces produits, principalement issus de l’élevage, ne menacent pas la survie d’espèces en danger (comme ce fut jadis le cas du cachalot, du chevrotin ou de la tortue marine) ; par contre leur origine animale évidente rebute de nombreux consommateurs.
Certains ingrédients animaux se cachent dans nos cosmétiques sous des appellations anonymes et semblant bien proprettes. En voici une liste aussi exhaustive que possible. Vous noterez parmi eux des substances qui sont employées « à la louche » dans les cosmétiques standards (collagène, glycérine animale). Les dénominations officielles (figurant dans la liste INCI 2006) vous aideront à les repérer sur les étiquettes.
- La glycérine : il s’agit en fait du glycérol, un constituant essentiel des graisses naturelles (animales et végétales). Elle est très employée en raison de ses propriétés hydratantes puissantes. Lorsque sa provenance n’est pas spécifiée, dans la plupart des cas il s’agit de glycérine animale, moins chère à produire que son homologue végétale. Les cosmétiques bio, en revanche, n’emploient que cette dernière. INCI :glycerin.
- Le collagène : cette protéine est extraite des carcasses d’animaux d’abattoir (porcs principalement) ou des peaux de poissons lorsqu’il s’agit de « collagène marin ». Employé comme agent filmogène (protecteur et anti-déshydratant), il en existe de nombreux substituts, dont le « collagène végétal », constitué de protéines de levures. INCI : collagen, hydrolyzed collagen, connective tissue extract, sus (skin) extract, scillii pellis extract.
- L’élastine : elle a un usage et des propriétés proches de ceux du collagène. Elle est surtout obtenue à partir des tendons du cou des bovins d’abattoir. Il existe aussi une « élastine marine » extraites de carcasses de poissons. INCI : elastin, elastinate, hydrolyzed elastin.
- Le chitosan : il s’agit d’un agent filmogène et épaississant qui provient des carapaces de crustacés destinés à l’industrie alimentaire. INCI : chitosan.
- La lanoline : ce corps gras est obtenu à partir du suint des moutons (sébum qui protège la laine). INCI : lanolin, -lanolate, lanolinamide.
- L’allantoïne : cette substance proche de l’urée est un actif hydratant et protecteur. Elle peut être d’origine animale, végétale ou synthétique, mais il semblerait qu’elle soit encore largement produite à partir de mucus de gastéropodes (bave d’escargot…). INCI : allantoin.
- Le squalane (squalène) : cet agent émollient et hydratant a largement été montré du doigt par les médias. Issu principalement du foie de requins, il contribue à la surpêche qui menace ces espèces. De plus en plus, mais sans doute pas encore assez, il est remplacé par un analogue d’origine végétale, généralement issu de l’huile d’olive. INCI : squalane, squalene, pentahydroxysqualene, squali lecur oil.
- La chondroïtine : il s’agit d’un ingrédient des soins capillaires (agent fixateur, antistatique). Elle est soit extraite de cartilages de poissons, soit d’origine synthétique. INCI : chondroitin.
- La kératine : cet agent lissant principalement employé dans les soins capillaires provient de l’hydrolyse de plumes de volailles d’élevage ou de rebuts de laine de mouton. Il existe un substitut végétal appelé phytokératine ou kératine végétale (complexe de protéines de blé). INCI : keratin, -hydrolyzed keratin.
- L’acide lactique : employé comme hydratant, exfoliant et correcteur de pH, il peut provenir de laits animaux ou être d’origine végétale ou synthétique. INCI : lactic acid.
- Les graisses de bœuf et de porc : il est souvent écrit que les graisses de bœuf (INCI adeps bovis, tallow) et de porc (INCI : adeps suillis, lard), sont employées dans les savons. En réalité, cet usage a largement disparu au profit des huiles ou beurres végétaux. Par contre, ces graisses sont très présentes dans les cosmétiques, sous forme de dérivés transformés, plus ou moins détectables. INCI : tallow, -tallowate- dirallowate, tallowamide, lard, -lardate.
- Les autres graisses animales : ces graisses là ont une image beaucoup plus luxueuse, qu’on apprécie ou pas. INCI : struthio oil (huile d’autruche), dromiceus oil (h. d’émeu), marmota oil (h. de marmotte). L’huile de tortue marine n’est heureusement plus employée grâce aux règlements sur la pèche, protégeant les espèces menacées.
- Les huiles et extraits de poisson : sources d’acides gras insaturés, ces huiles disparaissent souvent sous des appellations anonymes. On peut néanmoins en « détecter » certaines, ou leurs extraits : fish oil, fish glycerides, piscum lecur oil (foie de poissons), gadi iecur oil et morrhuate (h. de foie de morue), brevoortia oil (h. de menhaden), hoplosthetus (h. de poisson empereur), thunnus extract (extrait de thon), pisces extract, piscum (extraits de les poissons « en vrac »).
- L’encre de seiche : c’est un colorant puissant et un actif protecteur de la peau. INCI : sepia extract.
- Les extraits d’organes ou de glandes : tout est bon pour les nécrophages de la cosmétique (thymus, mamelle, cœur, rate, estomac, testicules, sérum sanguin, cordon ombilical, cerveau, foie, embryon, moelle osseuse, muscle). En réalité, ces extraits ne sont pratiquement plus employés en raison de leur mauvaise image et de contraintes techniques qui en élèvent le coût (présence d’impuretés, problèmes de sécurité microbienne). INCI : thymus extract (à ne pas confondre avec l’extrait de thym ou de serpolet, thymus vulgaris, thymus zygis ou thymus serpillum extract), mammarian hydrolysate, mammarian extract, udder extract, heart extract, spleen extract, stomach extract, testicular extract, serum exract, umbilical extract, brain extract, neural extract, liver extract, embryo extract, marrow extract, muscle extract.
- Les extraits placentaires : l’utilisation industrielle du placenta humain est interdite en France depuis 2006, mais la présence d’extraits de placenta de mammifères est autorisée. Toutefois, en pratique, ils semblent avoir été abandonnés par les fabricants. INCI : (hydrolyzed) placental proteins, enzymes, lipids.
- Le rouge carmin : ce colorant est obtenu à partir de broyats de cochenilles de l’espèce Dactylopius coccus, de petits insectes que l’on élève dans ce but sur des cactus. Le rouge carmin est très employé (y compris comme colorant alimentaire) et peut être présent dans les rouges à lèvre labellisés bio. Code (colour index) : CI 75470
- Le noir animal : provenant d’ossements animaux carbonisés, ce colorant cosmétique semble très peu usité. Code : CI 77267.
- Les parfums animaux : les extraits odorants d’origine animale (musc, civette, castoréum, ambre gris) ne sont pas interdits, contrairement aux idées reçues. Cependant, le chevrotin porte-musc fait l’objet d’une mesure de protection et la chasse au cachalot* est interdite depuis 1982. Au final, les parfums animaux sont de moins en moins employés en raison d’un coup élevé et d’une mauvaise image de marque. Ils sont principalement remplacés par des substituts de synthèse (dont l’innocuité est remise en cause) et, dans les meilleurs cas, par des extraits végétaux comme l’ambrette, le bourgeon de cassis et la sauge sclarée
Les « accusés à tord »
L’acide hyaluronique est souvent classé parmi les ingrédients d’origine animale. Il est vrai qu’il s’agit d’un constituant naturel du derme, qui a longtemps été extrait de crêtes de coqs. Heureusement, la version cosmétique est désormais produite in vitro, par fermentation bactérienne, ce qui a amélioré son rendement, sa qualité et sa sécurité d’emploi. Il ne s’agit donc plus d’un ingrédient animal, mais d’un produit issu de biotechnologie. INCI : hyaluronic acid, […]-hyaluronate.
Dans le même ordre d’idées :
• l’urée, jadis issue d’urines animales ou humaines, est désormais produite par synthèse (INCI : urea).
• la lécithine, un corps gras complexe (phospholipide) aux propriétés émulsifiantes est bien présente dans le jaune d’œuf. Toutefois, en cosmétique, on emploie de la lécithine végétale, principalement issue du soja (INCI : lecithin).
• l’acide caprylique et ses dérivés ne proviennent plus de la chèvre, mais de la noix de coco (INCI : caprylic, caprylate).
• l’huile de castor, est en fait de l’huile de graines de ricin. Tout le monde le sait, mais qui n’a pas été troublé au moins une fois ? INCI : castor oil