Les grandes transformations de Paris au XIXe siècle
Posté par francesca7 le 21 mars 2015
Dans les premières décennies du XIXe siècle, Paris n’a pas encore totalement rompu avec la structure urbaine mise en place à l’époque médiévale. En témoignent la faible superficie de la ville et la forte concentration des fonctions urbaines dans un espace restreint. Aucune spécialisation du sol n’est à l’œuvre : les quartiers centraux, proches du fleuve (quartier Saint-Honoré, quartier des Marchés, quartier des Lombards, quartiers des Arcis), rassemblent, dans un dédale de rues étroites, le bâtiment de la Banque de France, le siège social de la Caisse d’épargne, l’Hôtel des Postes, les bâtiments des Messageries installés à proximité des imprimeries et des journaux, les commerces de draps, les Halles, les bouchers qui tuent sur place les animaux, les mégissiers qui traitent les peaux… L’absence de spécialisation fonctionnelle renvoie à l’importance des relations de proximité et à la concentration des activités au centre-ville. Cette concentration, ainsi que la présence de garnis où loge une main-d’œuvre instable d’hommes de peine, de portefaix, de débardeurs, indispensables aux activités commerciales et portuaires, d’ouvriers du bâtiment qui ne peuvent guère s’éloigner de la place de Grève, leur lieu d’embauche, expliquent les très hautes densités observées dans le centre de la capitale.
Afin de pallier la saturation de l’espace urbain, la pratique de la surélévation - on élève les combles afin d’y créer de nouveaux espaces d’habitation, soit en ayant recours à des constructions en pans de bois, soit en modifiant le profil de la charpente, soit en utilisant une maçonnerie légère - et celle du « bourrage des parcelles » sont généralisées. À la profondeur des parcelles parisiennes correspond alors une hiérarchie des activités qui renvoie à l’éloignement par rapport à la rue, comme l’a montré François Loyer : « À l’alignement, les fonctions nobles du logement et du commerce ; sur cour, des logements de moindre prestige et des stocks ou des activités artisanales… Cette descente dans la hiérarchie peut aller jusqu’à l’activité maraîchère, en cœur d’îlot, lorsque les parcelles sont très profondes. »
Paris est alors une « ville malade » et sa restructuration s’impose d’urgence. Entreprise durant la première moitié du siècle, celle-ci ne prendra véritablement toute sa portée et sa signification qu’au cours du Second Empire. Non que la ville ait ignoré les transformations avant l’arrivée d’Haussmann à la préfecture de la Seine, en juin 1853 ; mais les grands travaux prennent, dès ce moment, des dimensions nouvelles : globalement, les sommes engagées par le baron pour transformer Paris sont quarante fois supérieures à celles engagées sous la monarchie de Juillet, lorsque Rambuteau était préfet de la Seine. On connaît la charge satirique - les Comptes fantastiques d’Haussmann - que Jules Ferry écrira juste avant la chute du préfet, en janvier 1870, y dénonçant les emprunts exorbitants exigés par cette politique de grands travaux.
« Paris assaini, agrandi, embelli » : la formule est inscrite sur l’arc de triomphe dressé pour l’inauguration de la rue Malesherbes par Napoléon III, en 1861. Ce slogan résume assez pertinemment les objectifs des transformations opérées sous le Second Empire. Haussmann raconte en ces termes sa première rencontre avec l’empereur, lors de son arrivée à Paris : « Il était pressé de me montrer une carte de Paris sur laquelle on voyait, tracées par lui-même, en bleu, en rouge, en jaune et en vert, suivant leur degré d’urgence, les différentes voies nouvelles qu’il se proposait de faire exécuter. » Les travaux sont effectués en trois étapes, qui correspondent à trois réseaux de circulation coordonnés. Le premier est mis en place bien avant 1858 : il réalise la « grande croisée de Paris », au niveau du Châtelet, au carrefour de l’axe est-ouest (rue Saint-Antoine et rue de Rivoli) et de l’axe nord-sud (boulevard de Sébastopol et ce qui deviendra le boulevard Saint-Michel). Le cœur de la ville, où l’entassement des habitants était maximal, est ainsi aéré ; l’Hôtel de Ville et l’île de la Cité sont dégagés. L’objectif du second réseau, financé par l’État et par la Ville, est de relier les différents quartiers de la capitale. Le troisième réseau, financé par la Ville seule, doit favoriser les échanges entre l’ancien Paris intra muros et les espaces annexés le 1er janvier 1860. Au terme des travaux, qui se poursuivent après la chute d’Haussmann, l’ensemble du réseau de circulation parisien est entièrement réaménagé. Le prolongement de la rue de Rivoli et le percement du boulevard de Strasbourg sur la rive droite, celui du boulevard Saint-Michel sur la rive gauche permettent, pour reprendre la formule du préfet de la Seine, « de satisfaire aux nécessités d’une circulation toujours plus active. » Parallèlement, la mise en place d’un réseau polyétoilé à l’est - place du Trône (aujourd’hui place de la Nation) - et à l’ouest - place de l’Étoile, (aujourd’hui place Charles-de-Gaulle) - réorganise l’ensemble du trafic et entraîne un désengorgement du centre. Les grands boulevards issus de cette réorganisation se caractérisent par leur monumentalité. Ils sont autant d’emplacements prestigieux pour les sièges sociaux des grandes sociétés et pour les grands immeubles cossus. Lors de l’inauguration du boulevard Malesherbes, qui traverse la plaine Monceau et l’ancienne Petite-Pologne, la presse saisit bien la signification sociale des transformations opérées : à la place des « vastes superficies où on ne rencontrait que des taudis de logeurs, des cahutes de chiffonniers, des chantiers de toutes espèces, des cloaques de toutes odeurs… [s'édifie] cette ville de palais que nous bâtit M. Pereire du côté de Courcelles ».
La manière dont Paris a été restructuré pendant la seconde moitié du XIXe siècle a provoqué une déconcentration de la monumentalité, qui prend toute sa signification lorsqu’on la compare aux transformations survenues au même moment à Vienne. Donald Olsen, qui a comparé les deux capitales, souligne que, si l’on avait procédé de la même façon sur les bords du Danube et sur les rives de la Seine, les Champs-Élysées auraient accueilli l’Opéra et le Louvre, la Sorbonne et la Chambre des députés, l’Hôtel de Ville et la Bourse…
Les transformations de la capitale n’ont évidemment pas été sans conséquences sur la répartition de la population. Mais l’« haussmannisation » n’a pas entraîné, comme on l’a trop souvent avancé, un départ immédiat des catégories populaires du centre ville. Jeanne Gaillard a dénoncé le schématisme d’une telle interprétation : « La population ouvrière [...] tend à rester sur place. Tout indique que, refoulée par les travaux, elle ne va pas d’une traite jusqu’aux arrondissements extérieurs ; à la place libre et aux loyers moins chers, elle continue de préférer la proximité du centre où se trouvent ses fournisseurs et ses clients. Le Parisien de cette époque est peut-être nomade, mais un nomade dont le terrain de parcours est très étroitement limité. » Les quartiers situés aux abords immédiats de l’Hôtel de Ville, où se situe la croisée de Paris, enregistrent, dès 1856, une baisse démographique, tandis que les quartiers voisins connaissent un accroissement brutal, dû principalement à une augmentation très forte de la population vivant en garnis. À la veille de l’annexion de 1860, Paris intra muros compte 1 175 000 habitants répartis sur 36 kilomètres carrés, soit une densité moyenne de 327 habitants à l’hectare ; la petite banlieue, entre le mur des Fermiers généraux et les Fortifications, s’étend sur 43 kilomètres carrés et compte 364 000 habitants, soit une densité moyenne de 84 habitants à l’hectare. Ces chiffres indiquent, sans équivoque, l’extrême concentration de la population dans le vieux centre. Maurice Garden a suivi, du Second Empire aux années 1980, l’évolution des densités dans les vingt quartiers de Paris : la répartition de la population s’inverse aux dépens des quartiers centraux et au bénéfice des quartiers périphériques. À la veille de la Première Guerre mondiale, la première ceinture autour du centre ancien est, à son tour, saturée, et l’essentiel de la croissance résulte de celle des arrondissements créés en 1860, qui rassemblent, en 1906, la moitié des habitants de la capitale.
Ces transformations se sont accompagnées de mutations dans les relations que la capitale entretient avec l’industrie. Les initiatives royales avaient permis la création de grandes manufactures, mais c’est surtout sous le Premier Empire que l’industrie a connu un véritable essor. Une enquête de la Chambre de commerce pouvait, sans risque d’être contredite, conclure à la veille de la révolution de 1848, que « Paris a depuis longtemps pris sa place au nombre des villes manufacturières de premier ordre en France. Ses produits, variés à l’infini, sont connus du monde entier… » On dénombrait alors 350 000 ouvriers, employés dans quelque 65 000 entreprises. Dès le Second Empire, le déclin des grands établissements industriels s’amorce. Haussmann n’est guère favorable à la croissance industrielle dans Paris. L’annexion de 1860 est donc, à cet égard, un moyen de contrôler et de limiter le développement industriel des arrondissements extérieurs. On assiste alors à une lente et irréversible désindustrialisation de la capitale au profit des banlieues.
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