Aux temps des Fermiers
Posté par francesca7 le 21 mars 2015
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Pour former une exploitation agricole, nombre de paysans étaient donc tenus de louer de la terre. En dehors des solutions particulières que leur donnait le droit coutumier de certaines provinces, ils pouvaient recourir à deux formules classiques : le fermage et le métayage.
Dans le cadre du fermage, le loyer était fixé une fois pour toutes à une certaine quantité de grains et de bétail ou à une certaine somme d’argent. Indépendamment des récoltes réalisées, plus ou moins belles en fonction des circonstances climatiques ou militaires, bailleurs et preneurs s’étaient entendus sur un prix pour plusieurs années. Ce prix constituait une rente foncière dont la régularité était un avantage précieux pour le propriétaire. Pour le preneur, il représentait un pari sur l’avenir : le fermier devait être assuré que, quels que soient les aléas, il disposerait d’une récolte suffisante, une fois réglé son propriétaire, pour faire vivre sa famille, pour payer les impôts, les fournisseurs et le personnel éventuel, pour retenir les semences de l’année suivante et, si possible, pour dégager un profit. Si les risques n’étaient pas très grands dans le cas de petites locations (parcelles ou marchés de terre sans bâtiments), il en allait tout autrement quand des domaines entiers étaient loués à ferme (réserves seigneuriales, domaines bourgeois). Alors, l’étendue des terres et la présence de bâtiments agricoles (siège de l’exploitation) suffisaient pour former une (grande) exploitation. Mais pour s’engager, les preneurs devaient disposer d’un train de culture et d’un cheptel en conséquence. Pour une ferme d’une trentaine d’hectares, il y fallait 2 ou 3 chevaux, 10 vaches environ, 200 moutons, une charrue, un chariot, une charrette et tout un matériel spécialisé, l’ensemble représentant un capital d’exploitation de plusieurs milliers de livres au XVIIIe siècle. Et bien des domaines comptaient 50, 60, voire plus de 100 hectares. Pour s’en charger, il fallait qu’il existât une classe d’entrepreneurs de culture, celle que l’on rencontre dès la fin du Moyen Âge dans le Nord avec les « censiers » ou dans le Bassin parisien avec les « fermiers laboureurs ».
Les baux à ferme se répandirent à partir du XIIe siècle (les premiers fermiers connus par les textes médiévaux se rencontrant en Normandie et dans le Bassin parisien). Ils correspondaient d’abord aux pays d’assolement triennal : aussi, leur durée était-elle en général de neuf ans, parfois de six ou de trois. Pendant ces neuf années, le fermier s’acquittait à l’égard de son propriétaire en deux ou trois termes annuels, fixés aux moments importants du calendrier cultural : Noël (après les semailles d’automne et les premières ventes de la récolte précédente), Pâques (après les semailles de printemps et la suite des ventes) et la Saint-Jean-Baptiste (avant les récoltes et au moment des dernières ventes). Pour les exploitations en corps de ferme qui étaient louées ainsi, seuls de riches laboureurs étaient capables de s’acquitter sans trop de retard, même en mauvaise année, car ils disposaient des réserves et du crédit nécessaires. À partir du XVIe siècle, ils se mirent à prendre aussi à ferme les dîmes, les champarts et les autres droits seigneuriaux : en conséquence, cela leur permettait de jouer sur leurs stocks pour ne vendre qu’au bon moment et au meilleur coût. Cette spéculation à la hausse conduisait les fermiers à s’abstenir de garnir les marchés en période de bas prix, ce qui multipliait les émeutes frumentaires. La Révolution et la période taxatrice de l’an II ne firent qu’apporter une sanction provisoire à ce libéralisme économique jugé excessif.
Pour autant, les propriétaires ne montraient guère de bienveillance à l’égard de leurs fermiers. D’une part, le montant de la redevance faisait en principe l’objet d’adjudications publiques au plus offrant, ce qui élevait au maximum les engagements entre fermiers concurrents. Un difficile équilibre était établi entre les exigences, contradictoires, du propriétaire et du fermier. Dans les périodes de baisse des prix agricoles, les bailleurs étaient excessivement sévères : entre 1650 et 1730, ils maintinrent trop haut leurs loyers, acculant de nombreux fermiers à la faillite dans tout le royaume. Ce naufrage des fermiers, constaté du Languedoc à la Normandie, constitue l’un des aspects de la « crise » duXVIIe siècle. D’autre part, le régime de culture et l’entretien du domaine faisaient l’objet de clauses contraignantes qui pérennisaient les traditions : interdiction de dessoler ou de dessaisonner (et de rompre l’ordre des cultures), interdiction d’échanger des parcelles ou de sous-louer (sans l’agrément du bailleur), obligation d’assurer des services de charrois qui mobilisaient les attelages plusieurs jours dans l’année, obligation de convertir sur place les pailles en fumier sans pouvoir en vendre, etc. Ces précautions, qui se précisent du XVIe auXVIIIe siècle, soulignent que pour les propriétaires il ne s’agissait pas de favoriser un quelconque progrès agricole, mais de préserver leur capital et la possibilité de changer de locataire à chaque fin de bail. Cependant, la répétition des clauses suggère aussi que, dans les faits, de nombreux fermiers prirent leurs distances avec leurs propriétaires, en particulier entre 1750 et 1789, lorsque la hausse des prix agricoles avantageait les producteurs.
Très dépendants économiquement du travail et des services de leurs voisins, les paysans ont longtemps été étroitement assujettis aux caprices du climat. De nos jours encore, une grêle qui ravage les vignes, une gelée tardive, une sécheresse prolongée, etc., provoquent de vives réactions et entraînent désormais, dans bien des cas, le déclenchement d’un plan d’urgence. En revanche, jusqu’auXIXe siècle, époque du développement des assurances agricoles, les paysans ne disposaient d’aucune protection. Et les circonstances étaient d’autant plus dramatiques que l’alimentation était à base céréalière, que chaque province vivait d’abord sur ses ressources propres (avant l’internationalisation du commerce du blé, auXIXe siècle) et que les rendements moyens restaient très faibles (autour de 9 quintaux à l’hectare en moyenne, soit dix fois moins qu’aujourd’hui). Les malheurs des paysans, touchés également par les épidémies (en particulier la peste jusqu’au milieu du XVIIe siècle) et le passage des gens de guerre (jusqu’au règne de Louis XIV), avaient pour seul effet de faire fléchir momentanément le fisc : ce qui était déjà important puisque le principal impôt direct, la taille royale, pesait d’abord sur les rustres. Parmi les exploitants, les inégalités étaient tout aussi fortes, et les intérêts, souvent concurrents. Et, en dehors des exploitants, les simples salariés agricoles et les plus humbles paysans ne demandaient qu’à survivre. Pour arbitrer ces intérêts divergents, les paysans disposaient d’une institution locale : la communauté rurale.
Le regroupement des hommes dans le cadre du village, stabilisé autour de l’an mil, déboucha au XIIIe siècle sur l’émergence d’une institution locale représentative des intérêts des manants et habitants : l’assemblée communale, qui se détacha peu à peu du cadre paroissial (premier pôle de fixation) puis du cadre seigneurial (qui avait organisé initialement la mise en valeur du sol). À partir de 1500, la communauté apparaît dans des textes législatifs ou réglementaires : ainsi, l’ordonnance du 25 janvier 1537 donna-t-elle pouvoir aux prévôts des maréchaux de convoquer les communautés « à tocsin et cri public » pour courir sus aux vagabonds et pillards. Elle comparut lors des rédactions des coutumes sous Louis XII ou François Ier par l’intermédiaire de ses procureurs. Ses attributions étaient importantes : en pays de vignoble ou de grande culture, elle élisait le garde des récoltes (le messier), donnait son avis sur l’ouverture des moissons et des vendanges. Un peu partout, elle intervenait dans les pratiques culturales (respect de l’assolement) et contrôlait les usages collectifs (glanage, chaumage, vaine pâture). Dans les pays secs, elle organisait l’irrigation, ainsi au sud du Dauphiné. Elle gérait enfin les biens communaux, dont la possession déterminait le degré de puissance des communautés rurales.
Aujourd’hui, à deux siècles de distance, les tensions qui secouent la paysannerie trahissent toujours ces inégalités. Mais, désormais, aux questions strictement économiques est venue s’ajouter une interrogation universelle : quel est le sens, en France, du travail de la terre ?
SOURCES ENCYCLOPEDIQUES
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