SANS FEU NI LIEU
Posté par francesca7 le 19 mars 2015
Avec nos numéros d’identité, nos cartes diverses qui nous relient à nos naissances, le moindre procès-verbal longuement rédigé de nos gendarmes qui exigent le nom du père et celui de la mère quand elle était jeune fille, nous ne pouvons guère oublier nos attaches. Il nous est devenu difficile d’imaginer le vagabondage intégral tel que l’ont connu ceux qui, autrefois, étaient réellement sans feu ni lieu. Le mot lieu dans cette locution porte une de ses sens anciens et étroits de « famille », « de bon lieu » boulait dire » de bonne famille ».
Quand la fille du comte d’Anjou, pauvre et errante, rencontre un hobereau charitable, celui-ci reconnaît à ses manières qu’elle est de bonne famille et même certainement de noble origine :
Ainz estes, si con je devine,
De grent lieu et de France orine
Bien le semble a voste viaire
Qui tant est douz et debonnaire,
Et vo simple contenement
Moustre certain ensaignement
Que de haut lieu estes estrecte.
Un siècle plus tard une dame des XV Joies de Mariage fait remarquer à son époux, après une réception, qu’elle n’était pas assez bien vêtue pour son rang, car dit-elle : « Dieu mercy, je suis d’auxi bon lieu comme dame, damoiselle, bourgeoise, qui y fust, je m’en rapporte a ceulx qui savent les lignées ».
Quant au « feu », il désigne évidemment le foyer, la maison, comme dans « un village de trente feux ». Etre sans feu ni lieu signifie donc sans domicile, sans parents, sans origine, sans rien. Même apatride, un hippie des temps modernes est bien plus relié à son passé que ne l’était jadis les coureurs de grands chemins. Seuls au monde, parfois enfants trouvés, certains oubliaientj usqu’au village qui les avait vus grandir. Véritables « oiseaux sur la branche » ils ne savaient d’eux-mêmes que leur nom. Et encore ; réduit à son prénom, annoncé sous toute réserve : « On m’appelle Martin… »
Ces champions de l’errance inspiraient sans doute peu confiance à leurs contemporains mieux nantis puisque le Livre des Métiers précise au XIIIè siècle : « que nul ne puisse prendre apprentis si il ne tien chef d’ostel, c’est à savoir feu et lieu ».
Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton
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