La presse et ses Libertés
Posté par francesca7 le 14 mars 2015
La presse française contemporaine est le produit d’une histoire qui débute au XVIIe siècle.
L’État, décidé à la contrôler ou soucieux d’assurer les conditions de son développement, joue un rôle majeur dans sa consolidation progressive. La loi de 1881 fonde la liberté d’une presse moderne qui, depuis plus d’un siècle, semble s’interroger, sans trouver de réponse à une question centrale : comment concilier indépendance de l’information et contraintes économiques ?
Politique, littérature et liberté
Si la naissance de la presse en France se situe au XVIIe siècle, il faut en chercher les racines deux siècles plus tôt. Le XVe siècle, en effet, voit l’apparition de deux innovations majeures : tandis que l’imprimerie permet la reproduction des nouvelles à grande échelle, la poste en favorise la plus large diffusion. Bientôt se multiplient les supports occasionnels d’information : « canards » illustrés, ancêtres des journaux à sensations, qui se repaissent de crimes odieux, d’accidents sanglants et d’histoires fabuleuses supposées vraies ; libelles et autres pamphlets qui accompagnent les crises politiques et religieuses du royaume ; feuilles « volantes » en tout genre. Aux imprimés destinés au plus grand nombre s’ajoutent les « nouvelles à la main » qui alimentent régulièrement la haute société en indiscrétions glanées dans les couloirs des puissants.
En 1631, les Nouvelles ordinaires de divers endroits, de Jean Epstein, et la Gazette, de Théophraste Renaudot, introduisent en France une forme de nouvelles imprimées et périodiques qui, depuis deux décennies déjà, connaissent un vif succès en Europe du Nord, et singulièrement en Allemagne. Bénéficiant d’un privilège royal de vente et de distribution, forte d’un millier d’abonnés, la Gazette, qui a absorbé son concurrent, sert de relais à la propagande monarchique. Le monopole de l’hebdomadaire de Renaudot sur les informations politiques est cependant entamé, dès l’origine, par les gazettes étrangères qui pénètrent sur le territoire français sans obstacles grâce à la poste royale. La pratique du privilège est, un siècle plus tard, également étendue aux annonces, avecles Affiches de Paris (1745).
Privés d’actualité politique par le privilège de la Gazette, les imprimeurs rivaux consacrent l’avènement des journaux qui, tels le Journal des savants (1665) ou le Mercure galant (1672), développent le commentaire scientifique et littéraire. Ces liens entre presse et littérature, première grande caractéristique française, sont définitivement établis à l’époque des Lumières. Les Encyclopédistes, de même que leurs adversaires, se regroupent autour de revues qui animent leur polémique. Au Nouvelliste du Parnasse de l’abbé Guyot-Desfontaines (fort véhément à l’égard de Voltaire), ou à l’Année littéraire de Fréron, répond avec pugnacité le Mercure galant, transformé enMercure de France, qui, sous la conduite de Marmontel, accueille d’Alembert, Condorcet, La Harpe ou Voltaire.
Grâce à la poste, qui réduit et uniformise les tarifs, la presse pénètre rapidement la province dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La baisse des prix d’expédition assure à la première le monopole de distribution des journaux, et permet à la seconde d’offrir des abonnements à des coûts plus attractifs. En 1777 apparaît le premier quotidien français, le Journal de Paris, fondé trois quarts de siècle après le Times de Londres ! Les monopoles résistent mal au temps et à la pression de libraires qui, comme Panckoucke, lancent des organes de presse où l’on évoque tout autant l’actualité politique que les nouvelles littéraires. Le rythme de création des « feuilles » s’intensifie (plus d’une centaine de journaux voient le jour dans les années 1780) ; les pratiques de lecture collective favorisent la diffusion de l’information imprimée et, à la fin de l’Ancien Régime, le mot même de « journal » acquiert son sens moderne.
La Révolution donne à la presse française son autre trait majeur : en instaurant la liberté d’expression, elle suscite le jaillissement des feuilles politiques. 158 journaux se créent au cours de la seule année 1789, et 1 400 titres nouveaux jusqu’à la fin du siècle. La demande est telle qu’une même feuille peut connaître trois éditions quotidiennes (matin, soir, et départements). Les tirages atteignent parfois 10 000 exemplaires et, dès 1791, la poste diffuse chaque jour plus de 100 000 journaux, auxquels s’ajoutent les numéros vendus par les colporteurs.
Les parlementaires influents utilisent la presse comme une arme de propagande : Mirabeau (le Courrier de Provence), Brissot (le Patriote français), Marat (l’Ami du peuple), Hébert (le Père Duchesne), Desmoulins (les Révolutions de France et de Brabant), etc. Jusqu’en 1792, ils jouissent d’une liberté presque illimitée. Mais, une fois la République fondée, la lutte des factions se traduit par des persécutions contre les journalistes, qui souvent paient de leur vie un engagement sans réserve.
Jusqu’aux débuts de la IIIe République, le destin des journaux est commandé par l’évolution heurtée de la liberté de la presse, que le pouvoir cherche périodiquement à museler. Dès 1800, Bonaparte supprime cinquante feuilles parisiennes pour n’en autoriser que treize, dont le Moniteur, devenu journal officiel. Frappées du droit de timbre, alourdies par une taxe postale en augmentation, étroitement surveillées par la censure, elles disparaissent les unes après les autres. En 1811, on n’en compte plus que quatre. En revanche, l’Empereur épargne la presse de province, qui assure la diffusion, auprès de la population, des décisions de l’État.
Avec la Restauration, la presse d’information bénéficie d’un certain répit. Les journaux, dont le lectorat n’excède guère la couche des notables, renaissent : c’est le cas du Conservateur de Chateaubriand ou de la Minerve française de Benjamin Constant. La politique libérale se révèle cependant de courte durée : une ordonnance de 1820 rétablit la censure. Dix ans plus tard, en prétendant établir une législation particulièrement répressive contre la presse, Charles X provoque une réplique des journalistes groupés autour de Thiers et du National, prélude à une révolution qui aboutit à la chute des Bourbons. Quant à Louis-Philippe, il finit par renouer avec l’attitude de ses prédécesseurs. Cinq ans après avoir proclamé, par la Charte de 1830, la fin de la censure, il tente de se débarrasser des feuilles de l’opposition légitimiste ou républicaine en aggravant les délits de presse, en favorisant la suspension des journaux par les tribunaux et en alourdissant le cautionnement.
Exception faite de la brève IIe République qui rétablit la liberté (au printemps 1848, plus de 170 feuilles se créent à Paris), la politique répressive se poursuit jusqu’à la fin du Second Empire. Si Napoléon III tolère certains organes légitimistes (la Gazette de France), orléanistes (le Journal des débats), libéraux et républicains modérés (le Siècle, la Presse), il n’adoucit le sévère régime de la presse qu’en 1868. Il supprime alors l’autorisation préalable et l’avertissement (qui pouvait entraîner l’interdiction du journal), mais maintient le cautionnement, le droit de timbre, et conserve aux tribunaux correctionnels le pouvoir de statuer sur les délits.
Industrialisation de la presse et avènement d’une culture de masse
Malgré tout, par la richesse de ses innovations, la période prépare la révolution de la presse qui marque la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Trois domaines connaissent une sensible transformation. D’abord, celui de la fabrication du journal : la mécanisation, de plus en plus sophistiquée, favorise l’accroissement des tirages, la chute des coûts de revient, l’augmentation de la pagination. En 1867, le Petit Journal adopte la rotative Marinoni, qui peut imprimer jusqu’à 10 000 pages à l’heure. La pâte à bois remplace le papier chiffon. La lithographie, qui a permis l’introduction de l’illustration dans les journaux des années 1830, laisse bientôt la place à d’autres procédés (zincogravure, similigravure, héliogravure). En revanche, devant la résistance des ouvriers du Livre, la linotype ne s’impose guère avant 1905.
Ensuite, l’information se rationalise. L’agence Havas, créée en 1835, profite des progrès du réseau télégraphique pour s’imposer comme la source essentielle des nouvelles. À la veille de la Grande Guerre, une quarantaine de quotidiens bénéficient des services de la puissante agence de presse.
Enfin, le siècle innove en matière de modes de vente et de diffusion. En 1836, Girardin, avec la Presse, et Dutacq, avec le Siècle, inventent la presse à bon marché. Le principe en est simple : diminuer le prix de l’abonnement par l’augmentation du tirage et le recours aux annonceurs (publicité). Girardin parvient ainsi à réduire de moitié le tarif de ses abonnements. En innovant dans le contenu (roman-feuilleton), la presse à bon marché conquiert de nouveaux publics. À partir de 1856, les feuilles non politiques peuvent être transportées par des messageries privées aux tarifs attractifs. C’est ce qui permet au Petit Journal, lancé en 1863 par Millaud, de connaître son essor. Grâce au chemin de fer, il se répand sur tout le territoire. Prototype du « journal à un sou », le Petit Journal, qui mise d’emblée sur un public populaire friand de faits divers (comme l’affaire Troppmann, en 1869) et de romans-feuilletons, use des méthodes nouvelles de la publicité, tire bientôt à des centaines de milliers d’exemplaires et bouleverse l’histoire de la presse mondiale.
La dernière impulsion à l’avènement de la presse moderne est fournie par la République. Non seulement la loi du 29 juillet 1881 met en place un régime de liberté mais, en supprimant toutes les entraves financières qui pesaient jusqu’alors sur les journaux, elle ouvre totalement le marché de l’information. Grâce à l’abolition du timbre, la vente au numéro se généralise promptement : le Petit Journal est le premier à en bénéficier. La presse peut désormais répondre à la demande croissante, conséquence de l’alphabétisation des Français. Les tirages des quotidiens parisiens ne cessent d’augmenter : 200 000 exemplaires en 1863 ; 1 million en 1870 ; 2 millions en 1880 ; 5,5 millions en 1910. Entre-temps, le nombre de titres a quintuplé (de seize à quatre-vingts). Ces mutations profitent surtout à la grande presse d’information populaire, qui, avec ses éditions quotidiennes ou ses suppléments hebdomadaires illustrés, finit par supplanter les feuilles d’opinion. Les quatre « majors », le Petit Journal, le Petit Parisien (1876),le Matin (1883), le Journal (1892), contrôlent 40 % du marché des quotidiens en 1914. À lui seul, le Petit Parisien diffuse, à la même date, 1,5 million d’exemplaires chaque jour. Les publications de province (la Petite Gironde, le Progrès de Lyon, la Dépêche de Toulouse, etc.) profitent, à leur tour, de l’envolée. De 1880 à 1914, leur tirage total passe de 700 000 à 4 millions d’exemplaires.
Le contenu même de l’information se modifie en profondeur : les genres traditionnels (chronique, critique) cèdent le pas aux grand et petit reportages. Des feuilles spécialisées apparaissent, qui visent des publics particuliers, comme les femmes (le Petit Écho de la mode), les enfants (le Journal de la jeunesse, la Semaine de Suzette) ou les amateurs de sport (le Vélo, l’Auto). La photographie conquiert les magazines en images (l’Illustration, en 1890) avant la grande presse ; elle donne même naissance à un quotidien qui l’utilise comme argument de vente (Excelsior, 1910). Le Rire et l’Assiette au beurre renouvellent le genre caricatural.
Portée par la vague des changements économiques et sociaux du XIXe siècle, la presse est sortie de l’âge de l’artisanat pour entrer dans l’ère de l’industrie. Les grands journaux sont devenus de vastes entreprises qui exigent de puissants capitaux, aiguisent l’appétit des milieux d’affaires, attirent les annonceurs. Dès 1881, le Petit Journal s’est constitué en société anonyme au capital de 25 millions de francs. Le Matin, dirigé par un entrepreneur en travaux publics, Bunau-Varilla (lui-même associé à un banquier et courtier d’assurances, Poidatz), emploie 900 personnes en 1914. La concentration qui s’est engagée dès les années 1880 touche jusqu’à la distribution. À la veille de la guerre, la maison Hachette, après avoir acheté une à une les messageries concurrentes, a établi un quasi-monopole sur la diffusion de l’information.
La dérive capitalistique de la presse inquiète d’autant plus les journalistes - désormais relégués au rang de simples employés - que les scandales politico-financiers révèlent une corruption organisée. Une série de rapports publiés entre 1889 et 1892 montre que la presse a reçu près de 60 % des 22 millions affectés à sa publicité par la Société du canal de Panamá. Du Temps au Gaulois, duFigaro au Radical, la liste est longue des titres compromis dans le trafic. Dès 1896, de semblables procédés se développent pour les emprunts étrangers (russes, notamment) ; mais le scandale n’éclatera qu’après guerre, en 1923. À ces sommes s’ajoutent celles des fonds secrets gouvernementaux dont bénéficient des feuilles comme l’Ordre, l’Écho de Paris ou l’Opinion.
Sources encyclopédiques
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