Que se passe-t-il avec les prêtres-ouvriers
Posté par francesca7 le 14 mars 2015
Les prêtres ouvriers sont des prêtres catholiques qui partagent la vie des travailleurs afin de rechristianiser les milieux ouvriers.
Dans l’entre-deux-guerres, un débat - étayé par de nombreuses enquêtes - s’ouvre dans les milieux ecclésiastiques portant sur l’ampleur du détachement religieux des populations. Or, durant la Seconde Guerre mondiale, des prêtres sont mobilisés, et nombre d’entre eux font l’expérience de la captivité ou du service du travail obligatoire (STO). Ils exercent leur ministère en étant immergés « dans la masse » et constatent combien l’indifférence religieuse y est un sentiment répandu, malgré l’apostolat très actif mené, depuis les années 1920, par différents mouvements laïcs, telles la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou la Jeunesse agricole chrétienne (JAC). Avec le choc de la guerre, l’image d’une France terre de mission s’impose donc peu à peu. Une enquête est d’ailleurs publiée par les abbés Godin et Daniel en 1943 sous le titre la France, pays de mission ?.
Sous l’égide du cardinal Suhard, archevêque de Paris, le haut clergé crée la Mission de France (1941), puis la Mission de Paris (1943), dont l’objectif est de former des prêtres pour reconquérir les milieux déchristianisés. Persuadé que l’action ne sera efficace qu’au contact direct des travailleurs, Suhard autorise ses missionnaires à se faire embaucher dans les usines : les prêtres-ouvriers sont nés. En 1949, la mission compte 19 communautés rurales, 16 communautés urbaines et 17 prêtres-ouvriers.
Ce partage de la vie ouvrière n’est pas sans conséquence : travailleur parmi d’autres, le prêtre perd son statut ; il participe peu ou prou aux luttes syndicales ou politiques. Cet engagement temporel est critiqué par les milieux conservateurs de l’Église, et dénoncé par Pie XII qui, en 1953, ordonne de rappeler les prêtres-ouvriers. Les évêques de France tentent de concilier l’obéissance au pontife et la poursuite de la mission, en autorisant le travail des prêtres à temps partiel et en créant la Mission ouvrière (1955), chargée de coordonner et d’encadrer les actions. Mais, en 1959, le pape Jean XXIII renouvelle l’interdiction. L’issue de la crise viendra du concile Vatican II, qui permet un nouveau départ ; le nombre de prêtres ouvriers augmente alors nettement, avant que ne s’engage un nouveau mouvement à la baisse. Ils étaient environ 540 en France en 1997.
Reconnus par l’Église, les prêtres au travail agissent dans les années 2000 au sein d’organismes comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, la Mission ouvrière, l’Action catholique ou encore la Communauté Mission de France : ce sont 500 hommes au sein d’équipes à travers la France et 11 autres pays. Ils engagent leurs vies dans la rencontre d’hommes et de femmes qui ne partagent pas leur foi. Cette rencontre se vit au quotidien, dans le travail, les engagements associatifs, politiques ou familiaux. Il s’agit d’être présent et attentif à ce qui se vit et se cherche. Prêtres, diacres et baptisés vivent cet engagement en équipe, où ils partagent leurs joies et leurs difficultés, portant ensemble la mission qui leur est confiée.
Ils cherchent souvent à améliorer l’image de l’Église dans le monde du travail, en vivant avec les travailleurs, et à évangéliser en témoignant de leur vie.
Ils sont toujours prioritairement dans des métiers industriels, mais se sont également diversifiés dans les autres secteurs d’activité, d’où leur nom actuel de prêtres au travail. Le monde ouvrier ayant considérablement changé depuis les années 1940, certains prêtres au travail se mettent au service des chômeurs, des victimes de la précarité, ou encore des sans domicile fixe.
jusqu’aujourd’hui, où la plupart d’entre eux sont à la retraite, les prêtres ouvriers n’ont pas cessé de découvrir. A peine sortis de leurs couvents, des collèges où ils étaient professeurs ou des paroisses où ils étaient vicaires, ils ont aussitôt découvert la vraie vie, celle où, comme tout le monde, il faut faire la file dans les bureaux d’embauche, celle où on va sans relâche d’une usine à l’autre à la recherche d’un travail, où on lit avec empressement et une certaine anxiété les offres d’emploi dans les journaux, le matin…
La grande découverte des prêtres ouvriers ce sont les valeurs évangéliques vécues par les pauvres, les petits, et cela a provoqué chez eux une contestation radicale d’un système ecclésiastique qui avait au cours des siècles accumulé sur ces valeurs, des rites, des dogmes, des sacrements, qui finalement les trahissaient beaucoup plus qu’ils ne les traduisaient et les livraient au monde.
La grande découverte des prêtres ouvriers n’a pas transformé l’Eglise pour autant, car le nombre de prêtres s’est progressivement réduit à l’extrême en Occident, ainsi que les emplois ouvriers, d’ailleurs. Un prêtre qui voudrait vivre aujourd’hui une intégration totale à la société ne devrait-il pas devenir plutôt chômeur, demandeur d’emploi permanent ? On reproche parfois aux prêtres ouvriers qui survivent aujourd’hui d’avoir acquis une mentalité d’ancien combattant, par rapport à l’Eglise institutionnelle, mais est-ce vraiment leur faute, et n’était-ce pas pour beaucoup le dernier combat ?
Ils ne sont pourtant pas les seuls à avoir fait cette découverte. En Amérique latine principalement, du temps des dictatures militaires, les théologiens de la libération ont également compris quels étaient les engagements qui s’imposaient à ceux qui voulaient vivre l’Evangile. Jean-Paul II les a condamnés sans appel et n’a pas hésité à supprimer dans le Magnificat qu’il lui est arrivé de chanter en Colombie, les deux lignes qui les justifiaient : Il a renversé les puissants de leur trône et Il a élevé les opprimés.
Les mouvements qui ont, durant des années, mené la contestation dans l’Eglise, comme Echanges et Dialogue, qui avait recueilli les signatures de plus de mille prêtres francophones, avaient eux aussi fait cette découverte et pris des engagements dans ce sens. On a refusé de les écouter et les vocations se sont faites dès lors de plus en plus rares. Les jeunes ne sont cependant pas moins généreux. Peut-être ont-ils compris eux aussi qu’il valait mieux chercher l’Evangile là où il était ?
Le 1er mars 1954 prenait fin officiellement, à la demande de Rome, ce qu’on a appelé d’une formule diplomatique, l’« expérience des prêtres-ouvriers ». Le cinquantenaire de cette « condamnation » est passé dans un silence médiatique presque total, recouvert en partie par un autre anniversaire religieux de facture plus traditionnelle : celui de l’appel de l’abbé Pierre pendant l’hiver 1954. Il est vrai que rarement on aura observé un tel contraste entre le retentissement de cette affaire en 1953-1954 et l’oubli dans lequel elle a sombré depuis. Qui peut croire aujourd’hui qu’un esprit aussi attentif aux « signes des temps » que le dominicain Marie-Dominique Chenu a pu y voir à l’époque « l’événement religieux le plus important depuis la Révolution française » ? Si le cinquantenaire de cet événement n’a pas vraiment suscité d’écho dans l’opinion publique, il est néanmoins l’occasion de faire un bilan des connaissances, les recherches sur le sujet et l’édition de sources ayant beaucoup progressé ces dernières années.
L’historiographie des prêtres-ouvriers est marquée par l’ouvrage de référence que leur a consacré Émile Poulat en 1965 , Naissance des prêtres-ouvriers Tournai,… . Il n’a pas été remplacé et les recherches les plus récentes ont globalement confirmé ses analyses. Mais, pour l’essentiel, il s’arrêtait en 1947, avant les grandes grèves de la fin de l’année qui ont marqué un tournant dans l’histoire des prêtres-ouvriers. L’ouvrage de François Leprieur, paru en 1989 Quand Rome condamne. Dominicains… , ne concernait pas directement les prêtres-ouvriers mais la « purge » de février 1954, qui frappa une vingtaine de religieux dominicains (supérieurs provinciaux, théologiens, prêtres-ouvriers), dont certains, comme le père Chenu, étaient très liés au mouvement. Comme l’a fait remarquer Étienne Fouilloux, le livre a eu cependant pour effet de susciter une « vague d’anamnèse » parmi les acteurs et témoins de l’époque. C’est dans ce contexte que les éditions Karthala, sous l’impulsion de Nathalie Viet-Depaule et Robert Dumont, ont entrepris un gros travail de publication d’autobiographies de prêtres-ouvriers On verra notamment Jean-Marie Marzio, Marie Barreau,… . Les travaux de Pierre Bourdieu sur La Misère du monde(1993) ont inspiré à Nathalie Viet-Depaule et Charles Suaud le projet d’une « sociohistoire » des prêtres-ouvriers, à partir d’entretiens individuels, qui a finalement donné lieu en 2004 à la publication d’un livre important : Prêtres et ouvriers, une double fidélité mise à l’épreuve (1944-1969). Il faut mentionner enfin, parmi les ouvrages de référence, la publication de la thèse de Marta Margotti, soutenue à l’université de Bologne en 1996, sur la Mission de Paris Marta Margotti, Preti e operai. La Mission de Paris… , ainsi que les actes du colloque de Roubaix d’octobre 1999 sur les rapports entre chrétiens et monde ouvrier Bruno Duriez, Étienne Fouilloux, Alain-René Michel,… , qui permettent de situer l’aventure des prêtres-ouvriers dans la suite des efforts consentis par l’Église catholique depuis le dernier tiers du 19e siècle, pour jeter un pont entre ces deux mondes.
Publié dans ARTISANAT FRANCAIS, EGLISES DE FRANCE | Pas de Commentaire »