Le porc en sacrifice
Posté par francesca7 le 12 mars 2015
Sauvage ou domestique, le porc a été la grande ressource alimentaire des régions forestières qui couvraient la majeure partie de la France avant les grands défrichements des XIe et XIIe siècles.
Durant l’Antiquité, Gaulois et Germains n’étaient cependant pas les seuls à l’apprécier : pour les gourmands de Rome, le sanglier, la vulve de truie et le foie de porc engraissé de figues étaient des objets de délices. Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, l’animal ne bénéficie plus d’un tel statut gastronomique : le porc domestique, en particulier, est devenu la viande du paysan, celle qu’il élève pour son usage. Si, pour cette raison, les archives de la boucherie en parlent peu, le porc est en revanche le seul animal dont l’« iconographie des mois » représente constamment le sacrifice, tantôt en novembre, tantôt en décembre, selon les régions.
La plus grande partie de sa chair était mise au saloir, séchée ou fumée, et fournissait l’essentiel de la viande et de la graisse que les paysans consommaient au cours de l’année : lard, jambons, viande salée, saucisses, andouilles, etc. Certaines parties de la bête étaient pourtant consommées immédiatement avec les participants au sacrifice ; et le sang servait à faire les boudins, traditionnellement offerts aux voisins - « Dans le cochon tout est bon », dit le proverbe, même le sang. La hure, le groin et les pieds en furent longtemps les morceaux les plus estimés, ceux qui apparaissaient sur les bonnes tables ; et la graisse - lard ou saindoux - était, dans tous les milieux sociaux, d’une absolue nécessité pour la cuisine des jours gras. L’idée que le porc a été la viande presque unique des paysans ne découle pas seulement de témoignages littéraires et artistiques mais de toutes sortes de documents d’archives - inventaires après décès, pensions alimentaires, etc. Elle ne saurait donc être totalement remise en question par les résultats de quelques études archéologiques récentes qui ont mis au jour, dans des sites ruraux comme dans les sites urbains, une quantité plus grande d’ossements de bœufs, et parfois de moutons.
Ce n’est pas le seul paradoxe. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, le caractère vulgaire de la viande de porc s’est accentué, la plupart des morceaux, auparavant bien cotés, disparaissant des marchés de pourvoierie, à l’exception du jambon et du lard de cuisine. Or, au même moment, le prix de la chair de porc a augmenté, jusqu’à dépasser celui du mouton et du veau. En 1793-1794, les tarifs du maximum témoignent que, dans presque tous les districts de France, cette viande paysanne est toujours la plus chère. La baisse de son prix, après la Seconde Guerre mondiale, s’est accompagnée d’une considérable baisse de qualité.
L’origine du porc domestique a fait l’objet de longs débats, tant sur le fait de savoir si l’animal était un sanglier domestiqué ou descendait d’un porc sauvage aujourd’hui disparu, que sur le fait de savoir dans quelle région de l’Eurasie s’était faite cette domestication.
Les plus anciennes traces connues de porcs domestiques se trouvent dans l’est de la Turquie et à Chypre, soit dans la région qui a vu la naissance de l’agriculture, et datent du IXe millénaire avant l’ère chrétienne.
La génétique montre une claire origine au sein de l’espèce Sus scrofa (le sanglier). Elle montre également que la domestication s’est faite en plusieurs lieux différents, au Moyen-orient et en Europe. Ainsi, les races domestiques européennes ont certaines des spécificités génétiques des sangliers européens mais pas celles des sangliers du Moyen-orient. A l’inverse, les cochons asiatiques sont plus proches des lignées de Sus scrofa asiatiques.
Interdite dans les religions juive et musulmane, la viande de porc est parmi les viandes les plus consommées au monde. Elle présente un certain nombre de dangers sanitaires (vers, toxines) si, et seulement si, elle n’est pas préparée convenablement. Presque toutes les parties du porc sont utilisables en cuisine, ce qui se traduit par le dicton populaire « Tout est bon dans le cochon », expression attribuée à Brillat-Savarin.
Les soies de porc servent à la fabrication de pinceaux et de brosses. Sa peau fournit un cuir utilisé pour la fabrication de vêtements, de doublure de chaussures et d’articles de maroquinerie variés.
La génétique montre que les porcs européens sont issus de lignages de sangliers européens. « Curieusement, l’haplotype Y a été identifié dans le cochon sauvage corse moderne, ce qui en fait le seul spécimen européen moderne à posséder un haplotype du Proche-Orient et suggère que la lignée de ce cochon descend des premiers porcs domestiques arrivé en Corse avec les premiers colons néolithiques de l’ile ». Par contre, les analyses sur des porcs fossiles européens montrent pour des périodes anciennes (-5 500 à – 3 900 ans avant notre ère) la présence de porcs portant des marqueurs moyen-orientaux sur une route de pénétration des cultures néolithiques moyen-orientales qui va du nord de la mer Noire à la France. Ces animaux sont présents au côté de souches strictement européennes, qui finiront par les supplanter au IV millénaire avant notre ère.
La facilité d’élevage et de reproduction du porc, l’abondance de sa viande vont faciliter son expansion rapide en Asie et en Europe. Mais certains peuples dont les Juifs et de nombreux peuples africains ont considéré cet animal comme impur (tabou alimentaire). Les Juifs, conformément à leurs textes religieux, ne mangeaient que des animaux ruminants aux sabots divisés, comme les bovins et les agneaux. L’animal fait l’objet du même interdit dans l’islam.
Les éleveurs ont sélectionné des races à la morphologie et au caractère leur convenant. Autrefois plus petits et rustiques et adaptés à la vaine pâture ou à la stabulation en forêt, les porcs sont devenus de plus en plus gros. Aujourd’hui, les élevages industriels utilisent des variétés de grande taille, à croissance rapide.
En raison d’une demande croissante, le « grand porc blanc » a presque complètement évincé différentes races de porc laineux au xxe siècle. Certaines races (ex : porc craonnais et porc flamand) ont plus récemment disparu (respectivement en 1958 et dans les années 1960)
L’élevage porcin se développa particulièrement en France, en Allemagne et en Angleterre au cours du xixe siècle pour ravitailler en viande et à bas prix les villes industrielles. La viande de porc, accompagnée de pommes de terre, devint la base de la nourriture populaire d’autant plus qu’elle répondait au goût des consommateurs, alors que les peuples méditerranéens étaient plutôt amateurs de viande de mouton. La viande rouge bovine, plus chère, devint un luxe inaccessible aux bourses modestes. Le plat de cochonnaille apprêté de multiples façons (pommes de terre, choux, choucroute, haricots blancs, pommes…) devint le menu le plus courant.
En 1789, la France passe d’une production de quatre millions de porcs à une production de 6,3 millions en 1880 — à comparer aux 15 millions de 2001 essentiellement fournis par les porcheries industrielles. Dans le même temps, le poids moyen des porcs augmente. Certaines régions se spécialisent dans l’engraissement (Bretagne, Savoie, etc.) alors que certains départements, appelés « naisseurs », se spécialisent dans la fourniture de porcelets destinés à l’engraissement (Puy-de-Dôme, Ain, Loire, Allier, Nièvre, Saône-et-Loire). L’ancienne race gauloise de couleur noire est peu à peu évincée par les gros cochons blancs anglais « Large White », arrivant rapidement à leur poids de vente (entre 100 et 150 kilos).
Dans le bouddhisme tibétain, le porc représente l’ignorance, avidya, responsable de toute la misère du monde.
Pour les peuples chinois et vietnamien, le porc est au contraire un symbole de prospérité et d’abondance. Le calendrier zodiacal chinois comporte une année du cochon (hài : 12e des 12 rameaux terrestres [porc]) : les natifs de ce signe sont dits patients, fondamentalement équilibrés et bien disposés envers leur prochain. Dans Le Voyage en Occident, un des compagnons du moine Xuanzang est le cochon Zhu Bajie.
Selon Pierre Magnan : « Le cochon est l’animal le plus proche de l’homme. Il le nourrit mais il lui en laisse tout le remords. On peut avoir la conscience tranquille après avoir occis un agneau ou un veau, mais jamais un cochon. Chaque soir, quand apparaît sur la soupe épaisse la couenne du lard, c’est comme si le cochon de l’année venait vous parler de sa gentillesse. »
Dans le roman « Le père de nos pères » Bernard Weber propose même le cochon comme l’un des ancêtres de l’homme.
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