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LA PREEMINENCE DU PAIN ET SES VERTUS

Posté par francesca7 le 1 mars 2015

 

 

1024px-Výroba_chleba_(8)Comme l’ont noté de nombreux voyageurs étrangers, le pain était autrefois « la principale nourriture des Français » : « Ils l’aiment tellement, notait en 1800 l’Allemand Heinzmann, qu’aucun Français ne peut manger s’il est privé de pain. »

Cela reste vrai aujourd’hui, dans une certaine mesure ; mais les quantités de pain consommées ont considérablement diminué : en 1975, les Français n’en mangeaient plus que 182 grammes par jour, en moyenne, contre 325 en 1936, et 600 en 1880. Du XVIe au XVIIIe siècle, on mesure l’importance du pain dans l’alimentation à la gravité des crises céréalières, aux décès et aux émeutes qu’elles engendraient, et à l’extrême attention apportée par les autorités municipales et royales à l’approvisionnement en céréales, à la qualité du pain et à son prix.

Prééminence du pain.

• On explique généralement la forte consommation de pain par la pauvreté. De fait, une étude sur la Provence aux XIVe et XVe siècles confirme que, plus on était situé bas dans l’échelle sociale, plus la part du pain dans l’alimentation était importante. En chiffres absolus, cependant, nobles et prélats de cette époque, en consommaient davantage que les pauvres : chez les nobles d’Auvergne, 1 050 grammes par jour et par personne au château de Vic en 1380, et 1 090 grammes au château de Murol en 1403-1420 ; 1 170 grammes à l’évêché d’Arles, entre 1429 et 1442. Il est vrai que ces quantités comprennent non seulement le « pain de bouche » mais également le « pain de tranchoir », c’est-à-dire les tranches de gros pain sur lesquelles, faute d’assiettes plates, les convives coupaient leur viande. Or, ce pain imbibé de jus n’était pas consommé par le seigneur et ses commensaux mais donné aux chiens, ou distribué aux pauvres après le repas. Cependant, au XVIIIe siècle, longtemps après la disparition des tranchoirs, on trouve encore d’énormes rations de pain dans la consommation des élites, par exemple chez les collégiens : 721 grammes au collège de Beaumont-en-Auge, 817 grammes à Molsheim (Alsace), 1 033 grammes à Toulouse, et 1 100 grammes à Auch. Or, ces collégiens bénéficiaient aussi d’importantes rations de viande et d’autres types d’aliments. En effet, le pain n’était pas seulement un aliment populaire mais, pour toutes les classes sociales, la nourriture par excellence : la plus valorisée en même temps que la plus commune. C’est toujours du pain - et, souvent, uniquement du pain - que les artistes représentaient, au Moyen Âge, sur les tables de repas des diverses catégories sociales ; c’est de la qualité du pain qu’on parlait d’abord lorsqu’on rendait compte des nourritures étrangères vues ou goûtées au cours d’un voyage à l’étranger ; et c’est à la qualité du pain que l’on jugeait de la richesse d’une région.

LA PREEMINENCE DU PAIN ET SES VERTUS dans ARTISANAT FRANCAISNombre d’historiens et d’ethnologues ont souligné le caractère sacré du pain dans l’ancienne société chrétienne, et l’ont mis en rapport avec le sacrifice eucharistique. Outre l’hostie consacrée, on a d’ailleurs longtemps distribué du pain béni à l’église, à l’exclusion de toute autre nourriture. Le rôle particulier que le christianisme a dévolu au pain ne peut donc avoir été sans influence, y compris dans les régions les moins propices à la culture des céréales. Sans doute explique-t-il aussi qu’on ait pris pour base de l’alimentation un aliment dont la fabrication est si longue et si complexe, nécessitant de gros investissements en fours et en moulins, du moins de ce côté-ci de la Méditerranée. Il ne faudrait cependant pas surestimer cette influence, ni imaginer que l’histoire du pain a commencé avec le Christ. S’il a été mis au cœur du sacrifice non sanglant des chrétiens (alors que les peuples païens et les juifs se partageaient la viande des animaux sacrifiés), c’est que l’alimentation des sociétés civilisées de l’Antiquité était déjà fondée sur les céréales et que le pain avait déjà un rôle central, comme nourriture quotidienne sinon comme nourriture de fête.

Vertus du pain.

• Dans Agriculture et maison rustique (1572), Charles Estienne et Jean Liébault expliquent autrement cette prééminence : si « le pain tient le premier rang entre les choses qui doivent nourriture à l’homme », c’est que « le pain seul ne déplait jamais, soit en santé ou maladie ». Quand on est malade, « c’est le dernier appétit perdu, et le premier recouvré » ; en santé, c’est ce que l’on mange du début à la fin du repas ; et on le trouve « plaisant et agréable en toutes sortes de repas », ce qui n’est pas le cas des autres aliments. Plus étrange à nos yeux, Estienne et Liébault affirment que le pain « est doué de toutes les saveurs », et « contient en soi tout ce que l’on pourrait goûter de plaisant et d’agréable ès [dans les] autres viandes ». En outre, les autres nourritures, « étant soient-elles de bon goût [...], ne pourraient être d’agréable ni profitable manger à la santé, si on ne les accompagnait de pain » : en effet, « le pain par sa bonté corrige les vices des autres viandes, et aide leurs vertus ». Aussi mangeait-on autrefois, quel que soit le milieu social, du pain avec tout, y compris les fruits, ce qui est devenu rare aujourd’hui. 

Image illustrative de l'article PainMais chacun devait choisir soigneusement son pain « selon [ses] fortune, condition et naturel » : aux riches le pain blanc, petit et léger, facile à digérer, fait de farine de froment bien blutée ; aux pauvres un gros pain noir ou « bis », fait de farine plus ou moins complète, de froment ou d’autres grains. Cette opposition n’avait rien d’inévitable : en ville, chacun pouvait se procurer du pain blanc chez le boulanger, s’il en avait les moyens, tandis qu’à la campagne, les paysans confectionnaient eux-mêmes leur pain, généralement avec la farine de leurs « bleds », et personne ne leur interdisait de faire pousser du froment, ni d’en bluter la farine jusqu’à ce qu’elle fût parfaitement blanche. Pourquoi fabriquaient-ils alors presque toujours un pain noir ?

Pains de campagne.

• Le seigle était la céréale des pains d’Europe centrale et orientale, mais aussi de nombreuses régions de France. « Il ne demande si soigneuse culture, ni terroir si gras, et tant bien amendé que le froment », écrivaient Estienne et Liébault, « car il fructifie en toute terre avec telle abondance que d’un grain seul il en vient cent, tant soit-il mal labouré et fumé. Témoins en sont les Auvergnats, Limosins, Perigordiens, Foresiens, et principalement la Beausse solognaise qui est abondante en cette espèce » de céréale. Là où les paysans mangeaient du pain de froment, ce n’était pas pour autant un pain blanc. Bluter sa farine n’était, certes, pas inimaginable à la campagne, « le son un peu gras étant nécessaire aux chevaux, aux vaches laitières, aux porcs qu’on engraissait », ainsi que le remarquait Rétif de la Bretonne. Mais tous les paysans ne faisaient pas le même calcul. Peut-être parce que, selon la diététique ancienne, le pain blanc était trop léger, pas assez nourrissant pour des travailleurs de force. Selon Estienne et Liébault, « le pain qui est fait de la farine de bled froment entière, et de laquelle on n’a rien séparé par le tamis, est propre pour les laboureurs, fossoyeux, crocheteurs, et autres personnes qui sont en perpétuel travail, d’autant qu’ils ont besoin de nourriture qui ait un suc gros, épais et visqueux ; propre aussi leur est celui qui n’a pas beaucoup de levain, qui n’est pas beaucoup cuit, qui est aucunement pâteux et visqueux, qui est fait de farine de secourgeon [orge], de seigle mêlé parmi bled froment, de châtaignes, de riz, de fèves, et d’autres tels légumes grossiers ». Plus un aliment était lourd à digérer, plus on le croyait énergétique.

Quelle que fût sa couleur, le pain paysan était toujours un gros pain, que l’on consommait rassis. Pour économiser le temps et le combustible, on n’en fabriquait au mieux qu’une fois par semaine – et même deux fois par an, dans quelques vallées reculées des Alpes. Il fallait donc l’empêcher de durcir trop vite, et, pour cela, on en faisait de grosses roues, de dix ou vingt livres parfois, protégées par une solide croûte. Il durcissait cependant, et l’on en mangeait d’autant moins. D’où le principe bien ancré de morale et d’économie paysannes qu’il faut manger son pain rassis.

Pains des villes.

• En ville, on ne fabriquait son pain que dans les bonnes maisons. La plupart des citadins, depuis le XIIe siècle, achetaient le leur chez les boulangers, qui en confectionnaient pour tous les goûts et pour toutes les catégories sociales. Dans la plupart des villes, il y en avait au moins trois qualités, portant des noms divers. La qualité supérieure s’appelait « fouaces » à Amiens, « pain blanc » dans les villes du Nord, « pain de provende » à Troyes, « pain choine » - c’est-à-dire « de chanoine » – à Nantes, Poitiers, Libourne et Bordeaux, « pain mollet » à Rouen ou Mézières, « pain moflet » dans plusieurs villes du bas 220px-FD_1 dans Les spécialitésLanguedoc, etc. Jusqu’au XVIIe siècle, tous étaient ronds, des petites boules de pain blanc aux demi-sphères aplaties du gros pain. Ce n’est que plus tard que sont apparus, à Paris, des pains de fantaisie, de formes différentes. Les pains les plus blancs étaient les plus petits et les plus légers, et leur prix était d’ailleurs le même que celui des pains de qualité inférieure, toujours plus gros. Sous la surveillance attentive des autorités municipales, le poids de chacun d’eux variait en outre constamment selon le cours du froment, tandis que leur prix restait stable. Seuls quelques gros pains, vendus par des boulangers spécialisés, conservaient un poids constant, leur coût ne reflétant que les fluctuations de prix des grains les plus marquées : dans plusieurs villes de Champagne et de Bretagne, il s’agissait d’un pain de 650 grammes environ, fait par des « boulangers seigliers », à partir d’une farine de seigle bien blutée ; à Amiens, de gros pains « bis » de froment pesant quatre livres et demi, etc.

La population urbaine est devenue majoritaire en France en 1931, et aujourd’hui tous les Français, à la ville comme à la campagne, mangent du pain de boulanger. Au cours du XIXe siècle, la révolution des transports et la révolution agricole avaient déjà fait disparaître les crises céréalières cycliques. Et, prenant acte - avec retard - du déclin de son importance dans l’alimentation, c’est seulement dans les années 1970 que l’État a libéré le prix du pain.

 

Mais aujourd’hui, comment savoir si l’on mange réellement du bon pain !

SOURCES ENCYCLOPEDIQUES

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ATTENDRE LA SAINT GLINGLIN

Posté par francesca7 le 1 mars 2015

EXPRESSION : 

Tous les saints n’ont pas la même réputation, ni le même culte, Saint Glinglin est un amuseur, forgé de toutes pièces par la fantaisie de la langue. Son histoire généralement admise est la suivante : il existait un vieux mot sein qui désignait les cloches – dérivé du latin signum, signe, signal (parce que les cloches émettent un signe là – lequel a donné également le seing, signature, resté dans le blanc-seing, signature sur page blanche, et sous seing privé, signature effectuée entre soi, sans qu’un officier public soit présent.

Lorsque la dame de Yônec  (lai de Marie de France) s’en revient du château prodigieux où elle a laissé son ami mourant, les cloches (des seins) lui apprennent qu’il est mort :

N’ot pas demie liwe erré

Quand ele oi les seins suner

E de doeil el chastel mener

Por lu seignur ki se mureit (Vers 1180)

 

Lorsque, aussi le sénéchal descend au fond de la cuve tout le monde se réjouit !

 

Li clerc en ont mout Deu loé

En lor chanz et en seins soner.

 

yC’est ce sein qui constitue la racine de tocsin (toque-sein). Il est devenu « saint » pour les besoin de la cause, par un de ces jeux de mots dont les anciens se régalaient. Il n’est pas surprenant du reste qu’il se soit effacé au profit de « cloche », probablement vers la fin du XIIIè siècle, tant les « seins » et les « sains » abondaient dans l’ancienne langue. 

A côté du saint du paradis on compte le sien, coche, le seing, signature, sain, de la bonne santé, deux autres disparus : un sain qui désignait un lien, une « ceinture » le sain, graisse, qui a donné le saindoux, sans oublier le sien, mamelle, qui désigné d’abord le « giron » puis vers le XIIIè le sein de la femme que jusque-là on appelait le pis – c’est le sens propre du mot.

Le calembour était donc facile, et grande la tentation, puisque ce sien était à l’église, d’en faire un « saint », distingué par « gling-glin » qui est à la fois une onomatopée come tic tac, et le dérivé d’un verbe « glinguer », sonner.

 En somme, c’était le saint qui fait glin-glin… Or, autrefois les gens repéraient les dates, et même les saisons, no par le jour des mois du calendrier, mais la fête des saints. Du premier de l’an à l a Saint Sylvestre ils réglaient leurs travaux, leurs repos, leurs foires et marchés, le payement de leurs dettes et toutes leurs transactions, selon Saint Blaise, Saint Valentin, Saint Georges, Saint Médar pour la pluie, Saint Fiacre, la Sainte Croix, jour des grandes foires à la fin de l’été, Saint André, Sainte Luce, et j’en passe énormément. On n’aurait pas donné un rendez-vous le 24 juin, mais pour la Saint Jean.

Il était donc naturel que le saint fictif entrât dans la danse, et qu’on parle d’une date si éloignée qu’elle en devient incertaine, comme étant la « Saint Glinglin ». On pouvait toujours attendre.

Extrait de La Puce à l’Oreille de Claude Dunetton

 

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