L’érosion du Journal le Monde
Posté par francesca7 le 25 février 2015
quotidien du soir fondé en décembre 1944.
À la Libération, le général de Gaulle, en accord avec les projets de la Résistance, juge nécessaire de renouveler en profondeur les structures de la presse française. Dans ce cadre, un grand quotidien du soir doit constituer, par son sérieux et son indépendance, tant politique que financière, un organe de référence de stature internationale. Opposé à la reparution du Temps - trop lié aux milieux industriels et financiers dans l’entre-deux-guerres, puis au régime de Vichy jusqu’à son sabordage en novembre 1942 -, le général de Gaulle assigne cette mission à un nouveau titre : telle est l’origine du Monde, dont le premier numéro paraît le 18 (daté du 19) décembre 1944. Choisi pour diriger le journal, Hubert Beuve-Méry, démissionnaire du Temps au lendemain des accords de Munich (1938), imprime vite sa marque au quotidien de la rue des Italiens, qui manifeste de plus en plus sa liberté vis-à-vis du pouvoir en place. Signés « Sirius », ses éditoriaux défendent le lien entre la morale et la politique, et prennent volontiers l’opinion à contre-courant. Par ses prises de position, Beuve-Méry s’attire l’inimitié de ses concurrents, mais aussi de ses deux principaux associés, René Courtin et Christian Alfred Funck-Brentano, qui quittent le journal en 1949.
Entreprise de presse originale, le Monde ouvre son capital à ses rédacteurs, qui se constituent en société anonyme en 1951 (en 1985, les lecteurs entreront à leur tour dans le capital du journal). Dès le début des années 1960, le Monde devient une véritable institution dont les ventes ne cessent de progresser, pour atteindre 800 000 exemplaires au mois de mai 1968. Favorable à un règlement rapide de la question algérienne, le journal soutient le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, avant de s’opposer à celui-ci dès le référendum d’octobre 1962 portant sur l’élection du président de la République au suffrage universel. L’évolution du journal vers la gauche est confirmée par l’accession de Jacques Fauvet à sa tête (il en est directeur de 1969 à 1982) : lors des scrutins présidentiels de 1965, 1974 et 1981, le Monde se prononce ainsi en faveur de François Mitterrand. Mais, pendant les deux septennats de ce dernier (1981-1995), le quotidien préserve son indépendance et joue un rôle important dans la révélation des « affaires » qui entourent le pouvoir socialiste.
En matière de politique étrangère, le Monde reste fidèle à ses orientations premières : il salue l’effondrement du système soviétique au tournant des années 1980-1990, et milite en faveur de la construction européenne (il se prononce ainsi nettement en faveur du « oui » lors du référendum de Maastricht). Après avoir connu de sérieuses difficultés financières et une érosion de son lectorat, le Monde voit sa situation se redresser à partir de 1994, date de l’arrivée de Jean-Marie Colombani à la direction du journal. Depuis 2003, le Monde fait partie d’un groupe de presse comprenant les publications de la vie catholique (Télérama, La Vie…) et les journaux du Midi (dont le Midi Libre). Mais secoué par de violentes polémiques survenues en 2003, concernant notamment la ligne éditoriale du journal et par la crise générale de la presse écrite, le Monde connaît une érosion de ses ventes.
En 2003, une série d’ouvrages et de travaux ont critiqué la neutralité du journal. Dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, le sociologue de l’école bourdieusienne Patrick Champagne analysait l’évolution du quotidien et l’influence de Jean-Marie Colombani dans l’article « Le médiateur entre deux mondes ».
Ces critiques devinrent accusations dans l’essai La Face cachée du « Monde », où Pierre Péan et Philippe Cohen affirment, entre autres choses, que l’équipe dirigeante, constituée alors de Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc, avait pris le parti de s’orienter vers une logique de rentabilité et de vente faisant fi, selon eux, des règles déontologiques. Le non-respect de la raison d’État fut également au cœur de la critique de La Face cachée du « Monde ». Enfin, les critiques pointaient également du doigt certains parti-pris éditoriaux.
Daniel Schneidermann, à l’époque employé du Monde, chroniqueur au supplément radio-TV du quotidien et lui-même animateur d’une émission de télévision sur France 5, a critiqué dans son ouvrage Le Cauchemar médiatique la réaction de la direction du quotidien, en estimant que celui-ci ne répondait pas aux arguments du livre La Face cachée du « Monde ». Les dirigeants du Monde l’ont licencié en octobre 2003 pour « cause réelle et sérieuse » : selon eux, un passage du livre de Daniel Schneidermann était « attentatoire à l’entreprise pour laquelle il travaille ». Le journaliste a poursuivi le quotidien aux prud’hommes de Paris, qui lui ont donné gain de cause en mai 2005. Le jugement a été confirmé en appel en mars 2007.
Alain Rollat, journaliste au Monde de 1977 à 2001, s’est livré, quant à lui, à une sévère auto-critique des errements survenus dans la gestion de l’entreprise sous la direction de Jean-Marie Colombani, principal responsable, à ses yeux, de l’emprise croissante des « puissances d’argent » sur le « quotidien de référence ». La publication de son témoignage a été délibérément occultée par ses anciens compagnons.
La thèse de Pierre Péan et Philippe Cohen se fondait essentiellement sur le fait que la ligne éditoriale originelle avait été altérée afin de répondre aux objectifs de pouvoir des rédacteurs et d’un petit groupe affilié, avec des collusions dans des cercles économiques. Pierre Péan et Philippe Cohen reprochaient par exemple le salaire mensuel du directeur de la rédaction du Monde (26 000 euros par mois) en dépit d’une perte estimée à 25 millions d’euros pour l’exercice 2003 au niveau du groupe (périmètre de CA de 460 M d’€, année d’acquisition du groupe La Vie catholique par Le Monde). Les avocats du Monde et ceux de Péan-Cohen ont préféré éviter le procès et ont accepté la médiation de Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation.
Le Monde ne communique pas son chiffre d’affaires mais la Société des lecteurs du Monde, cotée sur le marché libre d’Euronext Paris, annonçait un chiffre d’affaires de 462 millions d’euros en 2002. En 2007, il est de 628,65 millions d’euros. Le Monde a accusé en 2006 une perte nette de 14,3 millions d’euros, à comparer avec une perte nette de 27,9 millions d’euros en 2005 et de 54,2 millions en 2004. En juin 2010, le journal recherche 10 millions d’euros pour éviter la cessation de paiement en juillet et ses dettes s’élèvent à 94 millions d’euros.
Comme la plupart des titres de presse français, le journal Le Monde touche des subventions de l’État. Ainsi, il a perçu 2,95 millions d’euros d’aide du fonds d’aide à la modernisation de la presse de 2003 à 2010. En 2010, il est le second quotidien français qui reçoit le plus de subventions de l’État avec 17 millions d’euros d’aides directes. En 2011 et 2012, il est le premier avec 16,9 et 18,6 millions d’euros
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