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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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PEINE DE MORT POUR LES CHAUVE SOURIS

Posté par francesca7 le 22 février 2015

 

  
PSM_V07_D667_Long_eared_english_batDésignée dans le Bas Languedoc par le nom de rate-pennade, la chauve-souris, sur laquelle les enfants, inconscients de son singulier mode de vie, s’amusent à capturer, fait l’objet de plusieurs superstitions, dont celle de se prendre dans les cheveux sans qu’on puisse l’y déloger…

C’était un soir du mois d’août. Le soleil disparaissait à l’horizon ; la vesprée s’annonçait délicieuse. Le seul des portes et le devant des maisons s’étaient rapidement garnis de jeunes et vieilles villageoises à qui il tardait de faire la causette, et surtout de prendre le frais après ure journée dont la chaleur avait été accablante.

On s’interpellait d’un bout de la rue à l’autre. Traînant leurs chaises de paille derrière elles, telle jeune fille rejoignait un groupe voisin où devaient être son amoureux ou ses amies, tette femme allait se joindre à d’autres femmes parmi lesquelles se trouvait celle qui savait le plus de nouvelles du jour et savait le mieux les raconter.

Les enfants, dont j’étais, explique Paul Redonnel — qui nous livre ce récit se déroulant dans le Bas-Languedoc —, plus séduits par le jeu et plus désireux de courir que d’ couter, s’amusaient aux « olivettes », à « l’enfer », au « loup », passant avec une rapidité excessive d’un jeu à un autre, par quoi s’explique ce besoin ardent de vivre.

Soudain l’un de nous se mit à crier : « Une rate-pennade ! une rate-pennade ! », nom occitan francisé de la chauve-souris.

Nous nous mîmes à crier comme lui : « Une rate-pennade ! une rate-pennade ! ».

Des jeunes gens nous entendant piailler étaient vite entrés chez eux et en sortaient avec de grandes perches au haut desquelles ils avaient noué un chiffon quelconque. Postés à chaque extrémité de la rue comme s’ils échangeaient des signaux télégraphiques, ils se mirent à agiter dans le sens de la largeur, la perche perfide contre laquelle vint bientôt se heurter le pauvre animal nocturne.

Il paraît que la chauve-souris prend pour un oiseau le morceau de drap qu’on agite et qu’elle se précipite sur cette proie inespérée et meurtrière. A la vérité, maladroite dans son vol, elle vient s empêtrer dans le chiffon, dont une secousse de la perche la fait choir sur le sol. « Ça y est ! ça y est ! » crièrent tous les enfants en se précipitant sur la pauvre bête palpitante mais pour la regarder seulement, car aucun de nous n’aurait osé la saisir.

Un des jeunes gens, pour faire une farce, l’ayant prise, alla la déposer sur le cou d’une jeune fille que la peur fit s’évanouir, ce qui troubla un instant la joie de tout le monde. Heureusement, la syncope dura peu et la fin de la soirée se passa en plaisanteries de toutes sortes.

Ma grand-mère qui était une excellente conteuse et qui, malgré ses quatre-vingt huit ans sonnés, avait conservé son intelligence supérieure, sa lucidité d’esprit et un timbre de voix qui eût fait envie et bien des jeunes filles, m’avait appelé au milieu de tout ce brouhaha, poursuit notre narrateur.

On connaissait toutes les qualités de mon aïeule. En m’entendant appeler de la sorte, mes petits camarades, enfançons et enfançonnes, m’avaient suivi ; et en outre, sentant qu’elles allaient apprendre une belle histoire, des femmes et des jeunes filles avaient fait comme les enfants. En une minute, ma grand-mère fut entourée d’un cercle d’auditeurs respectueux, sympathiques et silencieux.

— Vous venez de tuer une chauve-souris, dit ma grand-mère, et vous avez, mes enfants, battu des mains quand cette pauvre bote est tombée par terre. Savez-vous que c’est une vilaine action et que vous êtes de mauvais cœurs ?

Nous ouvrions tout grands nos yeux et nous ne pouvions en croire nos oreilles.

— Comment, une rate-pennade n’était pas un animal qu’il fallait exterminer, comme la vipère, comme le serpent, comme le ver de terre ?

— Elle sort le soir, voilà son grand crime, continua mon aïeule ; or si elle sort le soir. c’est qu’elle nourrit ses petits et qu’elle ne trouve pas dans te réduit qui lui sort d’abri, une proie suffisante. On la hait parce qu’elle habite d’ordinaire les ruines. Qu’est-ce que vous voulez qu’elle vienne faire dans les maisons proprement tenues ?

Elle n’aurait pas de quoi manger, ni ses petits ! On la craint parce qu’on la croit coupable de boire le sang. Cela a peut-être lieu dans d’autres pays que le notre et où ces sortes de mammifères sont appelés des vampires : car, en notre France, les chauves-souris sont exclusivement insectivores ; elles ne mandent que des insectes dont nous sommes heureux d’être débarrassés et qui sont nuisibles aux récoltes. A ce titre, la chauve-souris a droit à notre reconnaissance : il ne faut pas lui prouver notre gratitude en la tuant.

D’ailleurs ce n’est pas le seul grief qu’on lui fasse. On l’accuse aussi de trahir. La Fontaine dont vous avez appris par cœur les fables, en a écrit une sur elle : elle y tient un rôle blâmable, malgré la comparaison que vous puissiez établir entre elle et le sage, mais ta Fontaine calomnie souvent les bêtes qu’il a entendues parler.

— Pauvre chauve-souris ! poursuivit ma grand-mère en jetant un coup d’œil sur ses auditeurs étonnés et attentifs.

— Mais, madame. fit une petite fille moins timide que ses compagnes, on m’a dit que si la rate-pennade s’accrochait à ma tête, on ne pourrait lui faire lâcher prise qu’en coupant mes cheveux.

— Il faudrait, répondit mon aïeule, que ta mère fût bien maladroite pour ne pas dégager la chauve-souris plus ennuyée que toi de sa mésaventure. Ce serait pourtant plus facile que de débrouiller un écheveau de fil.

— Alors, si cela m’arrivait ?

— Eh bien ! si cela t’arrivait, tu n’aurais pas peur ; tu ne perdrais pas ta belle chevelure et on rendrait la liberté à la chauve-souris. La tuer, comme vous avez fait ce soir, en outre d’un meurtre inutile et lâche, ajouta la conteuse en s’adressant particulièrement aux mères de famille, c’est agir contre vos intérêts ; c’est, de plus, condamner à mort d’autres chauves-souris qui attendront inutilement leur mère dont l’aile les berçait tout à l’heure.

— Que dites-vous là ! fit remarquer respectueusement une auditrice cependant que notre jeune imagination voyait toute l’horreur du meurtre commis, et assistait au désespoir des petits abandonnés, demandant plaintivement leur mère aux échos des ruines.

— Il est vrai que vous ne savez pas que la chauve-souris agit, toute proportion gardée, envers sa progéniture, comme la meilleure des mamans envers ses enfants.

Oui, mes amis, reprit mon aïeule. La chauve-souris berce ses petits. Si vous me portiez la pauvre bête que tous avez tuée, je vous montrerais de quelle façon.

— Tenez, madame, la voilà, dit l’un de nous, que l’histoire de grand-mère avait guéri de sa répulsion pour la pauvre bête, et qui la lui tendit.

Alors grand-mère nous expliqua que, de ta petite griffe située à l’extrémité de la membrane qui lui sert d’aile, la rate-pennade s’accroche à l’interstice d’une corniche ou à la fente d’une poutre ; dans l’autre membrane repliée, elle a mis ses petits, et elle se balance rythmiquement, en leur chantant dans la langue que les petits comprennent, une chanson pour les endormir.

PEINE DE MORT POUR LES CHAUVE SOURIS dans FAUNE FRANCAISE 220px-Vespertilion_bechsteinQuelquefois, elle s’élance vers un autre point, lorsqu’elle pense que la place choisie n’est pas propice, et elle reprend sa chanson et son bercement jusqu’à ce que le sommeil les ait gagnés : alors, elle les dépose tout doucement dans leur trou, et elle va chasser les insectes crépuscules dont elle se nourrit. C’est le seul instant qu’elle ait de libre, car elle ne remue point de la journée qui est pour elle la nuit.

— Nous ne tuerons plus de chauve-souris, dit un des jeunes gens qui s’étaient approchés.

— Il ne faut plus en tuer, dit ma grand-mère ; je ne vous demande pas de les aimer, si vous avez quelque répugnance pour elles ; mais respectez leur existence.

Nous les rendons coupables d’un préjugé qui nous regarde ; ne commettons plus l’infamie de les châtier d’une renommée qu’elles n’ont rien fait pour obtenir et guérissons-nous de nos superstitions, de toutes nos superstitions, conclut Paul Redonnel.

(D’après « Revue du traditionnisme français et étranger », paru en 1906)

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