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L’HABIT NE FAIT PAS TOUJOURS LE MOINE

Posté par francesca7 le 2 février 2015

 

 

imagesSi les artistes et les littérateurs avaient le pouvoir de faire la mode, il est très probable que ceux de la Renaissance auraient ressuscité le costume antique, et qu’on eût vu les gens aller par les rues, habillés comme les personnages héroïques qui décorent toutes les productions du règne de François Ier, monuments, meubles, vaisselle. Mais le goût en matière d’habits opère ses évolutions en dehors de l’école, et son indépendance défie les doctrines régnantes au point de se soustraire à celles dont l’empire est le plus irrésistible.

Autre part est la loi d’après laquelle il se gouverne. On l’accuse de suivre sottement la fantaisie d’un petit nombre d’hommes désœuvrés et frivoles ; en y regardant de plus près, on s’apercevrait que c’est l’industrie sans cesse en travail qui le pousse, qui lui impose ses continuels changements. Ceux qui passent pour les rois de la mode n’en sont que les propagateurs ; ils ont au-dessus d’eux le fabricant appliqué à mettre en circulation des produits nouveaux, l’ouvrier industrieux qui sait changer le jeu de son métier, de ses ciseaux, de son aiguille.

Au commencement du seizième siècle, la fabrication des draps, jusque-là si active, se mit à baisser tout d’un coup pour faire place à celle de lainages sans souplesse, comme la serge et l’étamine. Cette révolution fit que nobles et riches n’admirent plus dans leur toilette que le velours et les draps de soie ; et l’on conviendra que de pareilles étoffes se prêtaient moins aux chutes naturelles qu’aux façons ajustées et tourmentées. D’autre part, l’idée de crever les habits pour faire parade du linge de corps s’était développée, depuis Charles VIII, en raison des progrès accomplis par le travail de la toile, de telle sorte qu’on en était venu à ouvrir toutes les pièces du costume, depuis les pieds jusqu’aux épaules. Or eût-il été possible de faire comprendre l’avantage de la simplicité grecque ou romaine à tant d’industriels que cette mode occupait ?

Quant au costume féminin, la recherche des plis factices l’éloigna encore davantage des traditions antérieures. C’est alors que, pour favoriser l’effet de l’étoffe, on imagina de déformer le corps en le tenant emprisonné dans des appareils qui eussent passé auparavant pour des instruments de supplice. Sous les noms de basquine et de vertugale, le corset et les fausses tournures commencèrent leur interminable règne. Une fois le goût porté aux tailles fines, adieu tout espoir de retour au péplum et à la chlamyde.

Voilà comment il est arrivé que les coupes antiques, dont le Moyen Age, dans ses plus grands écarts, avait toujours conservé quelque chose, disparurent pour toujours à la Renaissance ; et comment le costume moderne, si dénué de la grâce antique, date son avènement de l’époque même où tant d’artistes éminents ranimèrent par leurs chefs-d’œuvre le sentiment du beau. François Rabelais, auteur si minutieux lorsqu’il décrit, nous a laissé une très longue énumération des pièces qui composaient avant 1530 le costume des deux sexes. Il suffit de rajeunir un peu le style de ce passage pour avoir un des chapitres les plus instructifs de l’histoire des modes.

Il écrit en effet que les dames (en galant homme, il donne le pas aux dames) portaient chausses (bas) d’écarlate ou de migraine (vermeil), chausses qui montaient au-dessus du genou juste de la hauteur de trois doigts, et la lisière était de quelque belle broderie ou découpure. Les jarretières étaient de la couleur de leurs bracelets, et serraient le genou par-dessus et par-dessous. Les souliers, escarpins et pantoufles, de velours cramoisi, rouge ou violet, étaient déchiquetés à barbe d’écrevisse.

Par-dessus la chemise, ajoute-t-il, elles vêtaient la belle vasquine, de quelque beau camelot de soie ; sur la vasquine vêtaient la vertugale de taffetas blanc, rouge, tanné (saumon), gris, etc. Au-dessus, la cotte de taffetas d’argent, faite à broderies de fin or entortillé à l’aiguille ; ou bien, selon que bon leur semblait et conformément à la disposition de l’air, de satin, damas, velours orangé, tanné vert, cendré, bleu, jaune clair, rouge cramoisi, blanc ; de drap d’or, de toile d’argent, de cannetille, de broderie, selon les fêtes. Les robes, selon la saison, de toile d’or à frisure d’argent, de satin rouge couvert de cannetille d’or, de taffetas blanc, bleu, noir, tanné ; de serge de soie, camelot de soie, velours, drap d’argent, toile d’argent, or tiré, velours ou satin pourfilé d’or en diverses portraitures.

Puis Rabelais nous révèle qu’en été, quelquefois, au lieu de robes, elles portaient belles marlottes des étoffes mentionnées précédemment, ou des bernes à la mauresque, de velours violet à frisure d’or sur cannetille d’argent, ou à filet d’or garni aux rencontres de petites perles indiennes. Et toujours le beau panache, selon les couleurs des manchons, bien garni de papillettes d’or. En hiver, robes de taffetas de couleur comme dessus, fourrées de loup cervier, genette noire, martre de Calabre, zibeline, et autres fourrures précieuses.

On apprend enfin que les patenôtres, anneaux, jazerans, carcans, étaient de fines pierreries, escarboucles, rubis balais, diamants, saphirs, émeraudes, turquoises, grenats, agates, bérils, perles et unions d’excellence. L’accoutrement de la tête était selon le temps : en hiver, à la mode française ; au printemps, à l’espagnole ; en été, à la turque ; excepté les fêtes et dimanches, où elles portaient accoutrement français, parce qu’il est plus honorable et sent mieux sa pudicité matronale.

Avant d’aller plus loin, il est bon de préciser par quelques explications la forme des principaux objets que nomme notre vieil auteur. Les chaussures dont il entend parler, souliers, escarpins ou pantoufles, étaient très épatées du bout, très découvertes et crevées, ce qui constituait la déchiqueture. L’imitation des barbes d’écrevisse était produite par une engrêlure sur le bord des crevés. La vasquine ou basquine était un corset en forme d’entonnoir, muni de pans ou basques tombant sur les hanches. Il était rembourré et monté sur une armature en fils de laiton, avec un busc de baleine sur le devant. On le serrait à la taille au point de mettre la chair à vif ; ce qui est exprimé en termes très peu attiques dans un méchant poème du temps, intitulé le Blason des basquines et vertugalles.

La vertugalle faisait par en bas le même office que la basquine par en haut, mais en sens contraire, car elle était destinée à donner à la jupe le maintien d’un entonnoir renversé. Elle consistait en un tour de corps muni d’appendices qui descendaient sur les côtés comme les paniers de l’ancien régime, sauf qu’ils ne bombaient pas. A cause de la figure que prenait la cotte ou robe de dessous posée sur cet appareil, on l’appelait godet, parce que godet, dans l’ancienne langue, exprimait un vase de la forme de nos verres à vin de Champagne.

La robe de dessus, appelée proprement robe, était taillée en carré et assez décolletée sur la poitrine. Elle couvrait tout le corsage et s’ouvrait en pointe à la taille comme une redingote. C’est seulement par cette ouverture que la cotte était apparente. Les manches de la robe n’allaient que jusqu’à la saignée, où elles formaient un large retroussis et tombaient sons le coude en manière de sacs. Par-dessous ces manches, le bras était couvert d’abord de la chemise, qui finissait au poignet par des manchettes, et ensuite de manchons ou manches postiches en plusieurs brassards qui se nouaient les uns aux autres par des rubans. Ce que nous appelons brassard était bracelet du temps de Rabelais ; c’est pourquoi sa description nous montre les jarretières appareillées de couleur avec les bracelets.

images (1)La marlotte était un pardessus plus léger que la robe, à peu près de la forme des caracos que l’on porta quelques siècles plus tard, mais plus ample de basques et garni de tuyaux par-derrière. La berne était une marlotte sans manches, portée de Maroc en Espagne et d’Espagne en France. Les cottes portées sous la marlotte et sous la berne étaient pourvues d’un corsage, ce qui les faisait appeler des corsets ; car ce n’est qu’au dix-septième siècle que ce mot de corset a voulu dire la même chose que basquine. Au contraire, les cottes portées sous la robe consistaient en une simple jupe. Les manchons, dans ce cas, s’attachaient, non pas à la robe de dessous, mais aux épaulettes de la basquine.

Par « le beau panache » dont il est parlé immédiatement après les marlottes et les bernes, il faut entendre, non pas un ajustement de tête, mais un bouquet de plumes d’autruche qui servait d’éventail en été et d’écran en hiver. C’était encore un objet d’importation étrangère, emprunté aux dames italiennes. Le panache s’appelait aussi contenance, dénomination qu’il partageait avec divers petits objets comme pelotes, flacons à parfums, clefs, qui étaient suspendus à la ceinture, et qu’on prenait à la main pour se donner une contenance.

La reine Éléonore, seconde femme de François Ier, mit à la mode, en fait de contenance, le miroir, auquel on n’avait pas songé jusque-là. Il se peut que le portrait que nous donnons de cette princesse la représente avec cet objet favori, qu’une erreur de l’artiste employé par Montfaucon aura transformé en une pierre à facettes. Les patenôtres étaient les chaînes ou chapelets d’où pendaient les contenances, au contraire des jazerans qui étaient les chaînes de cou. Les carcans d’alors seraient aujourd’hui des colliers.

Nos deux figures de femmes font saisir mieux que toute description la différence qu’il y avait entre la coiffure française et la coiffure italienne ou à la turque. La reine Claude est coiffée à la française, avec templettes et chaperon, suivant la mode du temps de Louis XII, tandis que la reine Éléonore porte le bonnet italien dépourvu de toute espèce de garniture, si ce n’est qu’une passe d’orfèvrerie l’assujettissait sur la tête. Quant à la coiffure espagnole, elle consistait en une toque posée sur des cheveux en bandeaux.

Reprenons maintenant le texte de Rabelais, pour qu’il nous apprenne la composition du costume masculin : les hommes étaient habillés à leur mode : chausses, pour les bas, d’étamet ou de serge drapée, en écarlate, migraine blanc ou noir ; pour les hauts, de velours des mêmes couleurs, ou bien près approchant ; brodées et déchiquetées selon leur invention ; le pourpoint de drap d’or, d’argent, de velours, satin, damas, taffetas des mêmes couleurs, déchiqueté, brodé et accoustré à l’avenant ; les aiguillettes de soie des mêmes couleurs, avec les fers d’or bien émaillés.

Puis l’auteur mentionne les saies et chamarres de drap d’or, drap d’argent, velours pourfilé à plaisir ; les robes autant précieuses comme celles des dames ; les ceintures de soie, des couleurs du pourpoint ; et chacun la belle épée au côté, la poignée dorée, le fourreau de velours de la couleur des chausses, le bout d’or et d’orfèvrerie ; le poignard de même ; le bonnet de velours noir, garni de force bagues et boutons d’or ; la plume blanche, mignonnement partagée de paillettes d’or, au bout desquelles pendaient en papillettes beaux rubis, émeraudes, etc.

La première chose qui apparaît, c’est que l’on commença sous François Ier à se servir du mot bas pour désigner la partie des chausses qui couvrait la jambe. Les étoffes indiquées pour faire les bas font voir qu’il n’était pas encore question de bas de mailles. L’étamet, la serge drapée, étaient des laines croisées analogues à nos mérinos, et par conséquent la confection des bas appartenait encore aux tailleurs.

Les hauts de chausses, que l’on ne tarda pas à appeler simplement des chausses, admettaient vingt sortes de façon : les unes bouffantes, les autres collantes, celles-ci longues, celles-là courtes, toutes déchiquetées, tailladées, balafrées avec des flocards ou bouffants de toile fine d’abord, plus tard de satin, qui passaient à travers les ouvertures. Des noms bizarres dont il serait difficile aujourd’hui de préciser le sens, s’appliquaient aux diverses variétés de chausses : chausses à la martingale, à la bigote, à la bougrine, à la garguesque, à la gigote, à la marinière, à la suisse, à queue de merluche, etc., etc.

Le pourpoint, après lequel les aiguillettes tenaient les chausses attachées, continua d’être ce qu’il avait été du temps de Louis XII, un gilet agrafé par-derrière ou sur le côté. A l’encolure se montraient un ou deux doigts d’une chemise froncée, qu’on voyait reparaître sur la poitrine à travers les crevés et balafres du corsage.

Un portrait de François Ier, au Musée du Louvre, le représente avec un pourpoint fait de cannetille tressée en filet ; dernier perfectionnement où dut s’arrêter la mode des habits percés à jour.

Les saies et chamarres étaient le vêtement par excellence, l’équivalent du frac moderne. La saie consistait en une tunique ouverte en pointe jusqu’à la ceinture, avec une jupe à tuyaux. La chamarre était une veste longue, très ample et sans ceinture, formée de bandes de soie réunies par du galon. C’est d’elle que dérive l’ancien habit galonné des valets de grande maison. Après 1530 commença la mode des casaques, qui étaient de la forme des chamarres, mais se ceignaient à la taille et étaient coupées en plein velours. Aux saies, chamarres et casaques s’attachaient par des aiguillettes de larges mancherons découpés et crevés comme les autres pièces du costume. La robe, plus longue que la casaque, descendant jusqu’au jarret et non ceinte, était l’habit d’hiver. On la garnissait ordinairement de fourrure.

C’est du règne de François Ier que date l’introduction des armes dans la toilette. Rabelais s’en est moqué dans un autre endroit, en mettant au flanc de son pacifique Gargantua une belle flamberge de bois doré avec un poignard de cuir bouilli. Selon lui, les Français tenaient cette mode des « Indalgos bourrachous », nom sous lequel il désigne ces aventuriers espagnols, vantards, querelleurs et ivrognes, dont les guerres du seizième siècle avaient inondé le continent.

Le bonnet dont parle notre auteur était la toque. Il est singulier qu’il ne fasse pas entrer dans sa description le chapeau, coiffure aussi fréquemment portée que la toque, à en juger par les monuments. Le Titien a peint François Ier avec un chapeau.

images (2)Ces chapeaux-là différaient de ceux du règne précédent en ce qu’ils avaient les bords rabattus. Jusqu’en 1521, bonnet et chapeau se posèrent sur une chevelure longue par-derrière et taillée sur le front, selon la vieille mode du quinzième siècle. Un accident arrivé au roi mit les cheveux ras en faveur. Dans une partie de jeu, et d’un jeu très sot à coup sûr, un de ses gentilshommes, l’ayant atteint d’un tison allumé, pour panser la plaie il fallut lui raser la tête. Par respect pour leur maître, les courtisans se firent tondre comme lui, et tout le monde ne tarda pas d’en faire autant.

Des auteurs mal informés prétendent que la barbe fut reprise en même temps que l’on quittait les grands cheveux. C’est une erreur qui ne peut tenir contre le témoignage de quantité de portraits où l’on voit la barbe et les cheveux portés simultanément ; tous ceux de la jeunesse de François Ier sont dans ce cas. Nos lecteurs en ont un exemple par la figure équestre que nous leur donnons d’après le bas-relief du Camp du Drap d’or, exécuté dans la cour de l’hôtel du Bourgtheroulde, à Rouen. Or le congrès connu sous le nom de Camp du Drap d’or eut lieu, comme on sait, en 1520, c’est-à-dire un an avant l’époque où l’on dit que François Ier reçut cette blessure qui l’obligea au sacrifice de ses cheveux.

 

(D’après un article paru en 1852)

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Le secret de naissance du Lilas blanc

Posté par francesca7 le 2 février 2015

 

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On assure que le hasard seul a présidé à sa naissance, vers 1850. A cette époque, au lieu dit Vaugirard, couvert alors de jardins et de marais, vivait un brave horticulteur peu instruit, mais observateur perspicace. Modifiant un massif de lilas, il abandonna dans leur motte de terre quelques pieds arrachés…

Comme le froid menaçait et que le temps lui manquait pour replanter ses arbustes, il les transporta, pour les mettre à l’abri, dans une sorte de souterrain, autrefois entrée d’une des carrières qui abondaient sous cette partie du sol parisien. Les lilas y avaient été complètement oubliés quand, aux premiers jours du printemps, pénétrant par hasard dans l’ancienne carrière, il aperçut ses arbustes couverts de ravissantes inflorescences blanches au lieu des thyrses d’une coloration intense qu’ils avaient donné jusqu’alors.

 Ce spectacle plongea notre jardinier dans une profonde méditation d’où sortit le projet de réaliser industriellement ce que le hasard lui avait révélé. De là à l’exécution il n’y eut qu’un pas. L’hiver suivant, le souterrain, bien clos, bien disposé, fut rempli d’arbustes qui donnèrent au cœur de l’hiver des rameaux fleuris dont l’intelligent jardinier tira un prix énorme. Une telle aubaine ne manqua point d’éveiller l’attention des voisins, qui eurent bientôt surpris le secret du procédé. En peu de temps, toutes les anciennes carrières de la région devinrent des fabriques de lilas blanc. Voilà pourquoi, durant de longues années, cette culture fut centralisée à Vaugirard.

Mais Paris étouffait dans sa ceinture trop étroite ; il lui fallait de l’espace. Les constructions envahirent la zone suburbaine ; les terrains de Vaugirard furent des premiers absorbés, les carrières se vidèrent ; la gracieuse industrie dut émigrer et chercher ailleurs des installations favorables. En se déplaçant, les « forceurs » de lilas appelèrent la science à leur aide, la science qui avait péremptoirement démontré les effets de l’absence ou de l’abondance de la lumière sur la végétation.

Ce fut à ce moment que se créèrent les établissements qui s’adonnaient en 1900 à la production industrielle du lilas blanc. Quand nous disons lilas blanc, c’est une façon de parler ; il conviendrait mieux de dire lilas non coloré, car – cela surprendrait plus d’un lecteur – le lilas le plus blanc, celui dont les inflorescences sont les plus délicates, est obtenu par le traitement des variétés précisément les plus vigoureuses et les plus riches en couleur. Ce sont les lilas dits « de Marly » et « de Charles X », dont nous admirons en pleine terre les éclatantes grappes, qui fournissent les éléments de cette gracieuse industrie.

                                                                                                                                                                                          

(D’après « Les industries bizarres » paru en 1900)

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