Papier d’Arménie, laissez parler la p’tite fumée
Posté par francesca7 le 27 janvier 2015
Montrouge. Par beau temps on se repère à l’odeur. Les effluves sucrés, épicés et poivrés conduisent jusqu’à une rue tranquille de Montrouge aux portes de Paris, d’où sort depuis 1885 le Papier d’Arménie.
Car cette petite feuille parfumée 100% Made in France, qui libère tout son esprit en se consumant, ne doit à l’Arménie que son nom – et un petit supplément d’âme inscrit à jamais dans un refrain écrit par Serge Gainsbourg et chanté par Régine.
La recette, tenue secrète (elle est enfermée dans un coffre-fort), évoque les longues caravanes et les grands voyageurs sur la Route de la Soie, aux confins des empires d’Europe et d’Asie, autant que les armoires de grand-mère. Un répertoire exotique et familier à la fois. C’est l’arrière-petite-fille du créateur, Mireille Schvartz, qui veille aujourd’hui au destin singulier du « petit papier ». « Le benjoin », lâche-t-elle pour qualifier la note dominante du papier d’Arménie.
Tout juste consent-elle à citer encore « la vanille », en passant devant les cuves où macère la formule magique imaginée par Henri Rivier, pharmacien voyageur, associé à l’époque à un autre curieux, Auguste Ponsot, qui l’avait entraîné à l’aventure dans les monts d’Arménie. « Ils en ont rapporté le souvenir de ces résines qui brûlaient dans les maisons arméniennes pour les désinfecter », raconte son héritière.
Les petits cahiers rouge foncé de l’arrière-grand-père gardent la mémoire des premiers essais, consignés d’une écriture serrée. Les formules raturées attestent des nombreuses corrections pour parvenir au produit rêvé. Plus tard les deux hommes vont se séparer, mais Henri Vivier va poursuivre l’aventure et trouver de nouvelles déclinaisons, Papier d’Orient, Papier Suprême et Papier Souverain. Il lança aussi des boissons aux fruits, les « Naranjina, essences et jus de fruits » avant de passer aux masques à gaz pendant la Première Guerre mondiale.
Mais seul le Papier d’Arménie a trouvé un destin à travers les siècles, toujours fabriqué selon les préceptes de son inventeur, comme au premier jour. Tout est question de temps dans la tiédeur des ateliers de Montrouge.
Le benjoin
Le benjoin, une résine tirée du Styrax et importée du Laos, macère dans l’alcool à 90°C pendant deux à trois mois. De même pour la formule exclusive composée de « vanille et autres parfums », glisse rapidement Mireille Schvartz, qui infuse simultanément dans des cuves séparées. Ensuite les deux jus sont mélangés et restent en cuve pour quelques semaines supplémentaires.
Seule concession à la modernité, les antiques cuves de cuivre ont cédé la place aux cuves d’inox. En sort un jus brun-rouge, comme caramélisé, « sauvage et fauve » aurait dit Baudelaire s’il l’avait croisé.
Les feuilles buvard sont alors mises à tremper dans la solution une douzaine d’heures au moins (d’où leur teinte), plus si nécessaire, séchées, compressées avant d’être massicotées et pliées en petits carnets de douze feuillets prédécoupés. « A chaque étape on prend le temps », note la patronne : six mois se passent au minimum avant la mise en vente. Un véritable produit de luxe.
L’unique « Arménien » de la bande rejoint l’aventure en 2006 : le parfumeur Francis Kurkdjian (né à Grasse, en bon parfumeur) se présente à l’occasion de l’Année de l’Arménie en France en 2006 et propose une édition spéciale habillée de bleu, rehaussée de myrrhe et d’encens, légèrement boisée. Le succès est immédiat. Pour le coup, « c’est lui qui garde le secret de cette formule » inscrite finalement au catalogue maison.
En 2009, Kurkdjian suggère une version du papier à « La Rose », enrichie d’huiles essentielles de roses cueillies en Iran et en Turquie. Le parfumeur va ensuite se charger de l’adaptation des bougies déclinées pour les trois familles de Papier d’Arménie : « Le benjoin était trop lourd pour la cire, il lui a fallu reconstituer le parfum de la formule », note la directrice avec une pointe d’admiration.
Quand Mireille Schvartz est arrivée en 1993 en succession de sa mère, 4e génération aux commandes, l’entreprise était en train de mourir. « On vendait 250.000 carnets par an, on en fait plus de 2 millions ». Sous sa direction, le Papier d’Arménie a reconquis les cœurs. Aujourd’hui « la plus vieille entreprise de Montrouge » (le brevet trône, encadré dans l’entrée) emploie onze personnes. Mais seules deux en connaissent la formule secrète : la patronne et son chef d’atelier.
(Source : 20 Minutes)Accédez à l’article source
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