EXPRESSION ETRE A LA MERCI
Posté par francesca7 le 24 janvier 2015
Le mot « merci« , qu’il est si difficile d’inculquer aux petits enfants, a une histoire curieuse.
« Mercy – dit Furetière – se dit aussi en parlant de ce qui est abandonné au pouvoir, à la discrétion, à la vengeance d’autrui. Une ville prise d’assaut et à la mercy des soldats ».
La merci fut débord une faveur, une récompense. Cela lui vient de son origine latine : « mercedem, d’abot « salaire » puis « prix ». Celui qui vous « tient à sa merci » est donc celui qui « fixe son prix » pour votre libération. La faveur devient extrême lorsque l’individu qui vous amis son couteau sur la gorge le retire au lieu de l’enfoncer, vous laissant ainsi la vie sauve, et le soin de vous confondre en gratitude pour se clémence et sa magnanimité. C’est la grâce accordée, généralement contre une petite ristourne financière. Un combat sans merci, au contraire, est un combat à mort, où le vainqueur ira au bout de ses intentions.
Par le sien Dieu, qu’il ait merci de moi
di t La Chanson de Roland (XIè), et Grimbert le blaireau, plaidant pour son cousin Renart, s’adresse au lion en ces termes :
Ha ! gentix rois, frans debonaire,
car metez pais en cest affaires,
si aiez de Renart merci.
C’est la même requête que fait François Villon trois siècles plus tard :
N’ayez les cuers contre nous endurcis,
car, se pitié de nous povres avez
Dieu en aura plus tost de vous mercis.
Dans cette lignée préciément, la vieille expression Dieu Merci signifie « par la merci de Dieu », c’est-à-dire « par la grâce miséricordieuse de Notre Seigneur Dieu » ou quelque chose d’approchant. « Il a fait beau temps, Dieu merci », n’est pas un remerciement, mais simplement un commentaire d’inspiration pré-météorologique.
Quant au merci de politesse, il a pris racine dès le XIVè siècle dans des phrases comme : « Sire, vous me faites grant honneur, la vostre merci »… Il s’est installé sous la forme « grand merci » à partir du XVIè, époque où « grand » était encore à la fois masculin et féminin (d’où la grand-mère, la mère-grand, la grand-route, etc). La grand merci a suivi l’évolution de son adjectif grand pour devenir avant de se séparer de lui, un grand merci masculin.
En devenant la formule banale, le merci « tout court » semble d’ailleurs s’être raccourci comme à regret ; « Merci qui ?… Hein ? Merci mon chien ?… Il a l’air de traîner dans la conscience des mères comme un remords étymologique … Merci Madame ! – Voilà qui est mieux ! Merci de madame ; on retombe ainsi par-delà les siècles sur « la vostre merci », le point de départ.
Il est intéressant de noter également que le « non merci » du refus a gardé de ses origines un curieux accent de prière – Voulez-vous une raclé de coups de bâton ? – Non merci – Non merci…. Grâce ! Epargnez-moi !…
Naturellement les petits enfants ne connaissent pas toutes ces subtilités, mais je crois qu’ils sentent, par un curieux instinct linguistique de débutants, que le mot les oblige chaque fois à ravaler un millénaire d’humiliations et d’implorations piteuses … Ils savent aussi, dans leur grande faiblesse, qu’ils sont « à la merci » d’une lourde baffe maternelle s’ils n’exécutent pas bien net et bien haut leur action de grâces !
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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