SAUTER DU COQ A L’ANE, d’où ça vient
Posté par francesca7 le 2 janvier 2015
Francion dit qu’un jeune Ecossais qui voulait être son soupirant : « Il n’entendoit pas encore bien le français aussi ne faisois je pas son langage corrompu : de manière que nostre entretien fut un coq à l’asne perpétuel » (Sorel).
L’origine de cette locution pose un autre de ces problèmes de parenté quasiment insolubles. « Coq à l’asne – dit Furetière – est un propos rompu, dont la suite n’a aucun rapport au commencement ; comme si quelqu’un, au lieu de suivre un discours qu’il aurait commencé de son coq parloit soudain de son asne, dont il n’étoit point question. Ménage dit que Marot a été le parrain de cette façon de parler, et qu’il fit une épître qu’il nomma du coq à l’asne en suite de laquelle plusieurs Poètes ont fait des Satires qu’ils ont intitulées de ce nom, où ils disoient plusieurs véritez qui n’avoient ni ordre ni suite ».
Or, Ménage se trompait, car si Marot a bien instauré le coq à l’âne comme genre littéraire, créant ainsi une mode qui eut un vif succès au XVIè siècle, il n’a pas inventé l’expression. On disait déjà au XVè « sauter du coq à l’asne » qui paraît être la forme la plus ancienne de l’expression.
Cela dit on n’avne guère ; pourquoi un coq et pourquoi un âne ? Il y a peut-être une allusion à une histoire ou à une réalité oubliées… Faut-il penser par exemple à des pratiques obscures de ce qui était au Moyen Age la Fête des fous, pendant laquelle l’âne, symbole d’ignorance et de perversion, était tout à coup mis en vedette avec des honneurs parodiques qui allient jusqu’à le placer momentanément dans le chœur de l’église ? Alors que le coq était le symbole de Jésus-Christ, de la lumière et de la résurrection ?… Cela ne conduit à aucune conclusion possible.
J’ai longtemps caressé une hypothèse qui pour n’être pas plus fondée qu’une autre me paraît du domaine du possible, et que je livre ici à titre d’élucubration personnelle parce qu’elle me fait plaisir. L’ane est aussi, jusqu’à la fin du XIII è siècle au moins, el mot propre désignant la cane, femelle du canard. Le mot survit dans le « bédane », ce burin de forme évasée, en réalité « bec d’ane » : bec de cane. Le terme s’est peu à peu confondu avec « asne », le baudet, à mesure que le « s » de celui-ci n’était plus prononcé. Dans le Jeu de Robin et Marion, vers 1285, il s’installe un quiproquo volontaire lorsqu’un chasseur cherchant une ane (cane), Marion fait mine de comprendre âne :
Li chevaliers
Si m’aît Dieu, bele au cors gent,
Cen’est pas ce que je demant.
Mais veïs tu par ci devant,
Vers ceste riviere, nule ane ?
Marion
C’est ne beste qui recane ?
J’an vis hier trois sur ce chemin
Tous chargés aler au moulin.
Est-ce ce que vous demandez ?
L’origine de l’expression pourrait-elle se situer de façon plus « logique » du côté de ce volatile ?… Il s’agirait alors du rapport incongru d’un coq à une cause. Si l’on considère que le sens premier du verbe « saillir », sauter, du latin salire, est « couvrir une femelle » – sens qu’il a conservé jusqu’à nos jours – on peut se demander s’il n’y aurait pas là une clef possible. Il arrive en effet, dans n’importe quelle basse-cour ordinaire, qu’un coq à l’esprit mal tourné offre soudain ses assiduités, à une femelle parente, telle une dinde ou une cane alanguie par le mal d’amour. Cette saute d’humeur passagère, et que la morale des oiseaux réprouve probablement, est toujours amusante à observer. Le coq, juché sur la femelle, ne sait plus comment s’y prendre et repart souvent sans arriver à ses fins. On peut penser qu’une « saillie du coq en l’ane » ait constitué cette incongruité divertissant au départ, et soit devenue pour nos lointains aïeux le symbole du manque de cohérence et de suite dans les idées !…
Mis à part le manque d’attestation sérieuse, je reconnais que cette interprétation présente quelques difficultés face à la forme verbale « sallir » du coq en l’ane. En outre les Anglais disent de leur coté a cock and bull story (histoire de coq et de taureau »). C’est donc moi, sans doute, qui ai l’esprit mal tourné.
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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