Conte traduit du breton par Kazh ar c’hoad
Dans l’ancien temps, il y a très, très longtemps, une dispute éclata entre la Glace et le Roitelet. Personne ne sait vraiment pourquoi !
- Je viendrai à bout de toi ! dit la Glace.
- On verra ! dit le Roitelet.
Il gela tellement cette nuit-là que les pierres se fendaient. Le lendemain, la Glace, en voyant le Roitelet bien vivant et tout joyeux :
- Où étais-tu donc cette nuit ?
- Là où étaient les femmes à faire la lessive.
- Ah ! Oui ! Bien ! Ce soir, je t’aurai !
- On verra.
Cette nuit-là, il gela tellement que l’eau gelait sur le feu. Le lendemain matin, le Roitelet se leva aussi joyeux et en bonne santé que jamais.
- Quoi ? dit la Glace, surprise, tu n’es pas mort encore ?
- Comme tu vois.
- Où étais-tu donc la nuit passée ?
- Entre la femme et le marié !
- Regardez donc où se fourre ce sale oiseau-ci ! Mais qu’importe, je viendrai à bout de toi, puisque je l’ai dit !
Cette nuit-là, il gela tellement que furent raidis la femme et le mari dans leur lit.
- Cette fois-ci, il doit en être fait de mon ami, le Roitelet, se dit la Glace en elle-même.
Mais quand elle le vit le lendemain matin aussi joyeux et vigoureux que jamais, elle fut très surprise.
- Où donc, par la foudre, étais-tu cette nuit ?
- Entre la queue de la vache et le trou de son cul !
- Bien ! Bien ! Voyez donc ! Qu’importe, cette nuit-là on verra
; fais bien attention !
- Oui, oui, joue bien !
Le Roitelet se retira dans un trou, dans le mur de la cheminée, proche du four. Et il y trouva une souris, et dispute entre eux ! Comme ils ne pouvaient s’entendre, il fut convenu qu’il y aurait un grand combat le lendemain entre tous les animaux à plumes et les animaux à poils qu’il y avait dans le pays, sur le Menez Bré (ndt : une haute colline du pays du Trégor dans le 22, un vieux site sacré où se trouve maintenant une chapelle, dédiée à St Hervé. Sous ce lieu est sensé dormir le devin Gwenc’hlan en attendant son retour).
Le jour assigné, dès le matin, aussitôt que descendent les poules des perchoirs, ils allèrent tous vers le Menez Bré ; les vaches, les boeufs, les cochons, les moutons vinrent au-dehors de leurs crèches, les chevaux, de leurs écuries, et ils prirent tous le même chemin, et personne ne put les en empêcher. Aucun oiseau ne fut aperçu dans la campagne ce jour-là, ni corbeaux, ni merles, ni moineaux, ni pies, ni pinsons, ni roitelets ; ils étaient tous allés à Menez Bré. Il y eu là un terrible combat ! Comme on n’en vit jamais. Partout, des poils, des plumes, des cris, des plaintes. Les animaux à poils étaient sur le point de vaincre, lorsqu’arriva aussi l’aigle. Alors il en fut tout autrement ! Celui-ci mettait en pièce et charcutait tous les animaux poilus, coup sur coup.
Le fils du roi était en train de regarder par une des fenêtres du château, et lorsqu’il vit cela, il descendit et avec un coup de sabre, il cassa une des ailes de l’aigle. Ce fut alors la fin du combat. Les animaux à plume avaient gagnés, et on entendit le Roitelet chanter sur l’eau de la chapelle Saint Hervé, qui est au sommet de la colline.
- Maintenant, dit l’aigle au fils du roi, il te faudra me nourrir pendant neuf mois, avec de la viande de lièvre et de la viande de perdrix.
- Je le ferai, dit le fils du roi, viens avec moi au palais.
Au bout de neuf mois, l’aigle était bien rétabli, et il dit au fils du roi :
- Viens avec moi maintenant, pour voir mon château.
- Moi, je ne demande pas mieux, dit-il, mais comment y aller ?
Toi tu voles par les airs ; et je ne pourrai jamais te suivre.
- Viens sur ma nuque.
Il alla donc sur le cou de l’aigle. L’aigle monta si haut dans le ciel, que le fils du roi en vint à avoir peur, et dit :
- Je ne désire pas aller plus loin ; descends-moi en bas !
- Non ! Non ! Tu dois aller jusque mon château ! Nous ne sommes plus loin !
Et celui-ci de continuer à voler, par-dessus les bois, les mers. Ils arrivèrent enfin :
- Bonjour ma mère, dit l’aigle.
- Comment ? tu es revenu mon fils ? Tu as été bien longtemps à faire ton tour ; j’ai eu bien du souci de voir que tu ne revenais pas.
- J’avais été bien empêché, ma pauvre mère : mais voici le fils du roi qui est venu avec moi ici.
- Le fils du roi ? Celui-ci est bien nourri, et nous ferions avec lui un bon repas !
- O ! Non, ma mère, nous ne lui ferons aucun mal ; j’ai été bien nourri pendant neuf mois dans son palais, et je l’ai invité à venir ici passer un moment dans notre château ; il faudra bien se conduire à son égard.
L’aigle avait une soeur qui était très belle… aussi belle qu’une jeune fille puisse être. Le fils du roi la regarda, et la voulut pour épouse. Mais la vieille lui répondit que celle-ci n’était pas pour son bec. Et voici qu’il ne se fatiguait pas à être chez l’aigle, trois mois, quatre, cinq, six ! Il ne parlait pas de retourner chez lui. Tant et si bien que la vieille se fatigua de lui, et lui dit qu’il fallait qu’il parte, ou il serait mangé. Un jour, l’aigle lui dit :
- Allons jouer aux boules, pour passer le temps.
- Oui donc, dit l’autre.
- Quelle sera la récompense ?
- Ta soeur si je gagne, et ma vie si je perds.
- C’est dit ; allons jouer.
Ils allèrent dans une grande allée, où étaient les boules. Hélas ! Quand le fils du roi vit ces boules-là ! Elles étaient en fer, et chacune pesait cinq cent livres ! L’aigle prit sa boule, et jouait avec elle, la jetait en l’air comme si c’eût été une pomme. Le pauvre prince ne put même pas bouger la sienne.
- Ta vie est à moi, dit l’aigle.
- Je demande ma revanche.
- Et tu l’auras ; cependant ce n’était pas dit ! Demain, nous jouerons à nouveau.
Le prince alla trouver la soeur de l’aigle en gémissant, pour lui raconter ses malheurs.
- Ce n’est pas grave, répondit-elle, tu serais prêt à m’être fidèle ?
- Oui ! Jusqu’à la mort !
- Bien ! Laisse-moi faire. J’ai ici une vessie, je la peindrai en noir et je la mettrai à côté de la boule de mon frère. Quand tu la prendras, tu n’auras qu’à dire :« Chèvre, cours à ton pays ; Tu es ici depuis sept ans, Tu n’as pas eu de bout de fer à manger !» Aussitôt, tu la verras s’élever, et elle ira en Egypte. Mais fais bien attention de prendre ta boule en premier.
Le lendemain, ils allèrent de nouveau dans l’allée de boules. Le fils du roi prit tout de suite la vessie, comme si ç’avait été une boule, et il se mit à jouer avec, à la lancer en l’air, comme une vessie qu’elle était. Et voilà très surpris l’aigle, et inquiet :
- Comment cela se fait-il ? dit-il.
L’aigle joua en premier, et jeta si fort sa boule, qu’elle fut bien un quart d’heure avant de retomber sur terre.
- Beau jeu ! dit le fils du roi ; à mon tour maintenant. Et il dit doucement :
« Chèvre, cours à ton pays ; Tu es ici depuis sept ans, Tu n’as pas eu de bout de fer à manger !» Et aussitôt, la boule s’éleva dans les airs, si haut, si haut, que l’on ne la vit plus, et on avait beau attendre, elle ne retomba pas. Elle était partie en Egypte.
- Nous avons joué chacun notre tour ! dit le fils du roi.
Et l’aigle retourna chez lui en criant, et partit conter ce qui était arrivé à sa mère, pour se plaindre ; sa boule était perdue, qui était si belle ; il ne pourrait plus jouer quand il aurait envie ; une sorcière devait être avec lui….
- Il faut le tuer, dit la vieille, pourquoi attendre plus longtemps ?
- Mais, je n’ai pas encore vaincu sur lui, ma mère, et je dois le faire. Demain, nous jouerons un autre jeu, et nous verrons comment il s’en tirera cette fois-là !
- Va me chercher de l’eau, je n’en ai plus du tout à la maison.
- Très bien ! Demain matin nous irons !
Et l’aigle dit au fils du roi :
- Demain matin, nous devrons aller chercher de l’eau pour ma mère, il n’y en a plus au château.
- Bien, comme tu veux ! Mais montre-moi avant les pots.
- Les voici.
Et l’aigle lui montra deux cuviers de cinq barriques chaque ; sur chaque paume de la main il en tenait un sans mal. Le prince alla trouver la sœur de l’aigle, très inquiet, vous pouvez croire !
- Tu me seras fidèle ? lui demanda-t-elle.
- Oui, jusqu’à la mort !
- Bien ! Demain matin, quand tu verras mon frère prendre son cuvier, dis-lui : «Ba ! Laisse ici ces cuviers, et donne-moi une pioche, une pelle et une brouette.»
«Pour faire quoi ?» répondra-t-il. «Pour quoi ? Pour ramener ici la fontaine, afin que nous ne soyons pas obligés d’y aller trop souvent, nigaud !» Quand il entendra ça, il ira chercher l’eau lui-même, car il désirera pas voir détruite la fontaine, ni ma mère non plus.
Le lendemain matin :
- Bien ! Allons chercher l’eau, dit l’aigle.
- Oui, oui, quand tu veux.
- Prend ton cuvier alors !
- Des cuviers comme ça ? A quoi ça sert des cuviers comme ça ? A perdre son temps.
- Comment veux-tu faire ?
- Donne-moi une brouette, une pioche et une pelle.
- Pour quoi faire ?
- Pour quoi faire, nigaud ? Pour ramener ici la fontaine et ne plus être obligé d’y aller trop souvent.
- Hola ! Hola ! Cette fontaine ne sera pas détruite ! Une si belle fontaine.
- Bien ! Va donc chercher l’eau toi-même si tu veux ; moi, je n’irai pas !
Et l’aigle alla chercher l’eau lui-même, avec ses deux cuviers, et très en colère.
- Comment de défaire de lui ? dit-il le soir à sa mère.
- Le mettre à la broche et le manger ! répondit la vieille.
- Non ! Non ! Demain je l’enverrai abattre des arbres avec une hache de bois, et nous verrons.
Il lui dit avant d’aller se coucher :
- Aujourd’hui, j’ai fait le travail moi-même, et demain, ce sera ton tour.
- Qu’y aura-il à faire demain ?
- Ma mère a besoin de bois pour faire du feu dans la cuisine, et tu devras aller abattre une allée de chênes qui sont là, et avant le coucher du soleil, ils devront être tous abattus.
- S’il n’y a que ça ! dit le fils du roi ; mais il était en fait très inquiet, bien qu’il ne le montrât pas.
Il alla alors trouver à nouveau la soeur de l’aigle.
-Tu me seras fidèle ? dit-elle.
- Oui ! jusqu’à la mort.
- Bien ! Quand tu seras arrivé dans le bois, avec ta hache de bois sur l’épaule – car il ne te donneras qu’une hache de bois – retire ta veste, metsla sur le tronc d’un vieux chêne que tu verras là, déterres ses racines, prends ta hache de bois et frappe sur l’arbre, et tu verras ce qui arrivera. Il alla le lendemain matin au bois, sa hache en bois sur ses épaules ; il retira sa veste, la jeta sur le tronc d’un vieux chêne, déterra ses racines ; il prit alors sa hache de bois :
- Une hache de bois, pour abattre de si grands arbres ! Mais qu’importe, je verrai.
Il frappa un coup sur le tronc de l’arbre, et aussitôt, il tomba, avec un grand bruit.
- Très bien, dit-il.

Il alla vers un autre, et pareil ! Chaque coup, il tomba un arbre, et ainsi, en peu de temps, l’allée d’arbres fut abattue. Quand vint l’aigle, pour voir, vers le coucher du soleil, il fut très surpris. Il se mit à geindre, et alla trouver sa mère :
- Hélas, chère maman, je suis vaincu ! Je ne puis plus jouer avec cet oiseau-là : un sorcier ou un magicien quelconque doit être avec lui ; voici abattu l’allée d’arbres jusqu’au dernier ; je suis très chagriné avec lui !
Pendant qu’il était ainsi à se plaindre, le fils du roi arriva :
- Je t’ai vaincu trois fois, dit-il, et ta soeur est à moi !
- Oui, hélas ! Envoie-la avec toi, et pars le plus tôt possible !
Le prince retourna au château de son père, et avec lui, la soeur de l’aigle. Mais celle-ci ne demandait pas à être mariée tout de suite, ni même aller avec lui au palais du roi ; elle dit alors qu’elle irait servir dans une maison quelconque en ville pendant deux ans, sans dire qui elle est, pour voir s’il lui restera fidèle, comme il lui avait juré par trois fois.
- Voici, dit-elle, avant de se quitter, la moitié de mon anneau et la moitié de mon mouchoir, afin que tu penses toujours à moi. »
Elle fut prise comme femme de chambre chez un riche orfèvre, et le prince retourna au palais de son père. Il oublia rapidement la soeur de l’aigle, et il vint à tomber amoureux d’une princesse qui était à la cour. Voici qu’ils furent fiancés, le jour du mariage fut décidé, et les anneaux furent donnés à faire chez l’orfèvre chez lequel travaillait la soeur de l’aigle. Et il fut invité beaucoup, beaucoup de monde aux fêtes du mariage ; l’orfèvre et sa femme furent invités aussi, et même leur femme de chambre, étant donné qu’elle était une fille avait de très bonnes façons.
Celle-ci demanda alors à son maître de lui faire un petit coq et une petite poulette d’or.
- Pour quoi faire donc ? dit sa maîtresse.
- Laissez-moi faire, ma petite maîtresse, vous verrez très bientôt pourquoi.
Et il fut fait comme elle avait demandée. Lorsque le jour du mariage fut arrivé, l’orfèvre, sa femme et leur femme de chambre allèrent au palais, et comme le prince et sa future femme étaient très contents des anneaux et des bijoux qui avaient été fait pour eux, ils en furent très bien accueillis. La soeur de l’aigle avait emmené le coq et la poulette d’or, ainsi que les moitiés de l’anneau et du mouchoir dont le prince avait les autres moitiés. A la fin du repas, elle fut à côté de la nouvelle épouse ; et elle tira alors la moitié du mouchoir de sa poche.
- Tiens ! dit la future épouse, j’en ai un pareil au vôtre !
- Montrez un peu !
- Tenez ! Oui, ils sont identiques !
Et aussitôt que les deux moitiés furent rejointes, elles se recollèrent !
- Ceux-ci ont toujours été ensemble, dit la femme de chambre.
En retirant le mouchoir de sa poche, le demi anneau tomba sur la table. La future épouse, quand elle le vit, le prit et l’approcha de l’autre moitié qui était avec elle ; et ils se recollèrent aussitôt, comme le mouchoir. Elle en fut très surprise :
- Ne vous étonnez pas, Princesse, ceux-ci ont toujours été ensemble !
Elle sortit alors de sa poche le petit coq et la petite poulette d’or, et elle les mit sur un plateau d’étain.
- Quelles belles choses ! dirent-ils tous.
Elle tira alors un petit pois d’or de sa poche et le mir sur le plat. Aussitôt, le petit coq l’attrapa et l’avala.
- Il est encore parti avec toi, dit la poulette.
- Chut ! la prochaine fois, il ira avec toi.
- Oui ! le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, quand il était en train de jouer aux boules avec l’aigle.
Le prince, quand il l’entendit, se retourna pour voir. La femme de chambre mit un deuxième pois d’or sur le plat. Le coq l’avala aussitôt :
- Il est encore parti avec toi, dit la poulette.
- Chut ! La prochaine fois, il ira avec toi.
- Oui ! le fils du roi m’a aussi dit qu’il me serait fidèle, quand il lui avait été dit par l’aigle qu’il devait aller chercher de l’eau.
Tout le monde fut très surpris, et se demandèrent les uns aux autres :
- Qu’est-ce donc que ceci ?
Le prince écoutait et était plus attentif que les autres. La femme de chambre retira un troisième pois de sa poche et le mit dans le plat, et, pour la troisième fois, le coq l’avala aussitôt.
- Il est encore parti avec toi ! dit la poulette.
- Chut ! la prochaine fois, tu l’auras.
- Oui ! le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, lorsqu’il a été envoyé par l’aigle abattre une allée de chênes, avec une hache de bois !
- Hola ! dit le fils du roi, en se levant, il en est assez !
Et de se tourner alors vers son beau-père et de dire :
- J’avais, mon beau-père, un trésor qui était tenu sous une petite clef parmi les plus belles ; je perdis ma clef et j’en fis faire une nouvelle ; peu de temps après, je trouvais mon ancienne clef ; me voici maintenant avec deux clefs, de laquelle dois-je me servir, de la neuve ou de l’ancienne ?
- Respect et honneur sont toujours dus aux anciens.
- Bien ! Mon beau-père, gardez votre fille, car j’en ai aimé une autre avant elle : elle était perdue, et je l’ai retrouvée, la voici !
Et alors ils se jetèrent dans les bras l’un l’autre, en pleurant de joie ! Ils furent fiancés et mariés, et pendant trois mois, il y eu des fêtes et des jeux, des danses et de la musique, et toujours du bruit !
Conte Breton paru au Magazine Lune Bleue 2007