Grotte de Napoléon près d’Ajaccio
Posté par francesca7 le 30 décembre 2014
Cette grotte tire son mérite principal des souvenirs de l’enfance de Napoléon qui y sont attachés. La tradition de ceux qui ont familièrement vécu avec ce grand homme durant son jeune âge est encore vivante à Ajaccio. Dans presque toutes les classes on trouve encore aujourd’hui des compagnons de ses jeux, et il n’en est aucun qui ne dise, avec une sorte de simplicité mêlée d’orgueil, quand on en parle : Era uno di noi ! C’était un de nous.
La maison de campagne où il fut élevé était un peu au-dessus de la ville, et la grotte est située sur la même colline et à quelque distance ; c’est là qu’il aimait souvent à se retirer, loin du bruit et de la distraction de ses compagnons. Il s’y cachait, dit-on, pour apprendre ses leçons avec plus de calme et de tranquillité ; cela peut-être, mais sans doute aussi que la nature et la position du lieu exerçaient sur son âme, qui ne se connaissait point encore, une attraction involontaire.
Pour un esprit commun tous les endroits sont bons ; il pense partout de la même façon, et les scènes qui l’environnent exercent sur lui peu d’influence. Les esprits d’un ordre supérieur ne partagent point cette sorte d’indifférence, et ils cherchent d’instinct le paysage dont l’inspiration leur convient, comme la plante cherche la lumière, l’oiseau la verdure. On pourrait dire que l’âme, lorsqu’elle commence à se développer et à grandir, se cherche elle-même un berceau qui aille à sa taille et à son habitude.
Quoi qu’il en soit de la vérité de ces réflexions que l’image de cette grotte nous remet en mémoire, jamais cachette d’enfant ne fut mieux à la mesure de celui qui l’avait choisie pour asile. Elle est formée par deux énormes blocs de granit éboulés du sommet de la montagne ; en roulant sur la pente ils sont venus choquer l’un contre l’autre en se servant mutuellement d’appui : il en résulte une espèce de voûte naturelle, à la manière d’une voûte cyclopéenne. Une extrémité est ouverte, l’autre bouchée par le talus du terrain, et dans le vide un homme se tient à l’aise.
C’est un beau spectacle que de se représenter ces rudes et pesantes masses de pierre se balançant l’une l’autre dans leur merveilleux équilibre, et suspendant leur chute pour abriter du soleil la jeune tête qui venait leur demander asile. Je n’ai jamais vu ces creux de rocher où les aiglons se tiennent en attendant que leurs ailes soient assez fortes pour s’ouvrir, mais je doute qu’il s’y trouve un caractère plus grand et plus sauvage que dans ce lieu.
La colline où se trouve la grotte est déserte et presque entièrement inculte ; elle est pleine d’aspérités et parsemée de blocs éboulés semblables à ceux-ci. Elle est tournée vers le midi, et la végétation en est presque africaine ; les plantes les plus abondantes sont des cactus à feuilles grasses et épineuses, s’élevant à huit et dix pieds de hauteur ; parmi celles-ci sont mêlés les buissons de myrtes et d’oliviers, les arbousiers avec leurs fruits rouges, et les grandes bruyères. Le silence n’est troublé que par le sifflement des merles voltigeant dans les broussailles, et par le bruit lointain de la mer roulant sur la plage.
La vue domine la ville et les vergers, et se repose sur les flots bleus du golfe ; la courbe immense de la côte est aride et sans villages, et la solitude, quand on regarde au-dessus de la ville, est aussi grande que celle du désert. En avant la pleine mer, en arrière les hautes cimes de la montagne d’Ajaccio, toute voisine des neiges éternelles du monte Rotondo. Voilà quelle est la grotte à laquelle Napoléon enfant a mis son nom, et qui , sans lui, serait encore perdue, peut-être, parmi les accidents ignorés de cette contrée rocailleuse.
(D’après un article paru en 1834)
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