QU’EST-CE QUE PEIGNER LA GIRAFE
Posté par francesca7 le 25 décembre 2014
La girafe est un des animaux exotiques de première grandeur, si j’ose dire, qui est demeuré le plus longtemps mystérieux, voire carrément fabuleux pour les Français. A la fin du XVIIè siècle Furetière n’hésite pas écrire : « Girafe : animal farouche dont plusieurs auteurs font mention mais que personne n’a vu…. Mais la plupart des curieux croient que c’est un animal chimérique ».
On imagine donc l’enthousiasme des foules lorsque la première girafe, en chair, et en os et en cou, pose pour la première fois le pied sur notre sol au XIVè siècle. Elle débarque à Marseille le 26 octobre 1826. Envoyée en présent à Charles C par le pacha d’Egypte, Mohamed Ali. Hébergée tout l’hiver à la préfecture de Marseille, elle fut conduite à Paris à pied, en cortège, dès le printemps suivant, et pendant les quarante jours du voyage, la foule s’amassa sur le parcours dans une préfiguration de ce qui serait plus tard le public du Tour de France. La plupart des auberges où la caravane avait fait halte prirent l‘Enseigne A la girafe.
Elle atteignit Paris en triomphe le 30 Juin 1827 et quelque jours plus tard fut présentée au roi en grand pompe avant de rejoindre ses appartements au Jardin des Plantes. « La France entière – écrit le Dr P.Thévenard – s’éprend alors littéralement de la girafe ; on accourut de tous les points du pays pour la voir ; au Pont d’Austerlitz, dont la traversée était encore payante à l’époque, les recette du péage s’enflent démesurément… Bientôt, d’ailleurs, la girafe ne se contente plus d’attirer à ses pieds les foules admiratives ; elle pénètre en effigie au foyer des citoyens français, et s’y mêle intimement à leur existence quotidienne l’on fond des plaques de cheminées à son image ; l’on tapisse les appartements de papiers peints dont elle constitue l’élément décoratif essentiel, inlassablement répété ; à ceux qui le préfèrent on propose pour suspendre au mur un tableau en perles aux tons chatoyants ; enfin, les céramistes n’entendant pas demeurer en reste, les services de table font fureur, tandis qu’il n’est pas de coiffeur à la mode qui ne possède son plat à barbe « à la girafe ».
« On rime sur elle, on la chante, elle inspire un vaudeville, et on lui adresse une invocation en chœurs et couplets, que soutient une musique originale ».
Il faut dire aussi qu’à la veille de la révolution de juillet 1830, les commentaires n’étaient pas tous délirants : « Rien n’est changé en France, il n’y a qu’une bête de plus » ironisaient d’aucuns ; La vedette donna également naissance à des comparaisons et à des quolibets que Littré donne comme « populaires » : « Femme grand et qui a un très long cou. Il dansait avec une grande girafe » De cette époque date sans aucun doute l’expression incongrue « peigner la girafe », qui n’a pas tout de suite voulu dire comme aujourd’hui » ne rien faire », mis d’abord plus logiquement « perdre son temps à ne vaine et fastidieuse besogne ».
Je rappellerai pour terminer que la girafe mourut à Paris en janvier 1845, un peu oubliée. Elle fut néanmoins empaillée avec soin et conservée au Muséum, avant d’être transférée en 1931 au Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle où elle trône toujours, superbe, sur le palier de l’escalier principal, faute d’avoir pu entrer dans aucune des salles.
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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