POURQUOI MENAGER LA CHEVRE ET LE CHOU
Posté par francesca7 le 25 décembre 2014
A vouloir plaire aux uns on s’attire souvent la colère des autres, et il est parfois difficile de ménager la chèvre et le chou :…. Dans cette curieuse locution il faut comprendre le verbe ménager, non pas dans le sens actuel d’épargner, mais dans celui qu’il avait autrefois de « conduire, diriger » – que l’anglais a conservé sous la forme quasi internationale de manager et management. Une « bonne ménagère » est étymologiquement celle qui dirige bien les affaires de sa maison. « Le fait d’un bon mesnager – dit La Boétie au XVIè siècle – c’est de bien gouverner sa maison. » On comprend que l’on soit passé de là au sens d’économie domestique.
C’est donc « conduire la chèvre et le chou » qu’il faut entendre à l’origine de l’expression, ces deux antagonistes ancestraux, prototypes du dévoreur et du dévoré, du faible et du fort, du couple dominant-dominé qui a toujours besoin d’un arbitre, d’un gardien, d’un législateur ; le duo a donné aussi mi-chèvre, mi-chou, moitié agressif, moitié soumis, donc incertain, hésitant à pencher vers un bord ou un autre.
En tout cas il faut être habile pour faire cohabiter ces deux ennemis, ou les emmener en voyage. Une histoire fort ancienne illustre la difficulté de leur « conduite » : c’est le fameux problème du passage d’un loup, d’une chèvre et d’un chou.
Un homme doit faire traverser une rivière à ces trois « personnages », mais le pont est tellement étroit, ou la barque si frêle, qu’il ne peut en passer qu’un seul à la fois. Bien sûr il ne saurait à aucun moment laisser ensemble sans surveillance ni le loup avec la chèvre, ni la chèvre avec le chou. Il doit donc faire appel à une astuce particulière, sujet de la devinette, et vous pouvez mettre la sagacité de vos amis à l’épreuve de ce classique qui a fait la joie de nos aïeux. Solution ; on passe d’abord la chèvre, le loup et le chou restant seuls ne se feront aucun mal. On la laisse de l’autre côté et on revient « à vide » chercher le chou. Une fois celui-ci sur l’autre rive – c’est là l’astuce – on ramène la chèvre avec soi. On la laisse seule à nouveau, pendant que l’on fait traverser le loup que l’on ré-abandonne avec le chou, mais sur l’autre bord. On a alors tout le loisir, dans un aller-retour supplémentaire, d’aller recherche la chèvre, afin que les trois protagonistes se retrouvent sans dommage sur la rive opposée, en compagnie de leur habile gardien.
Cette histoire était déjà célèbre au XIIIè siècle, où savoir « passer la chèvre et le chou » était déjà une expression figurée d’habileté dans la discussion, comme en témoigne ce passage du Guillaume de Dole en 1228 :
Si lui fait lors un parlement
De paroles où il lui ment :
Pour passer les chèvres, les choux,
Sachez que il n’estoit mie fou
Comme on voit, la locution ne date pas des dernières neiges !
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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