Sous le Dolmen
Posté par francesca7 le 20 décembre 2014
par Kamiko
voilà bien longtemps que je n’étais pas revenu en ces terres battues par les vents aux parfums d’embruns salés, hurlant parfois d’étranges messages aux oreilles de celles et ceux qui savent les entendre. Bois humides et moussus au parterre de feuilles mortes en décomposition parsèment un paysage par ailleurs plat, ou peu s’en faut, aux herbes rases et aux fleurs courbées. La première vision que j’ai de mon pays aimé, alors qu’impatiemment je m’en rapproche, est une falaise démesurée, aux rochers agrippés à l’escarpement comme des doigts désespérés, sur laquelle d’immenses vagues se jettent, aveugles au choc rude qui les éparpillent en des dizaines de gouttelettes, explosant en une gerbe de poussière d’eau blanche et odorante qui se collent à mon visage et à mes vêtements. Malgré cela chaque ressac s’acharne à s’écraser sur ces rochers, inlassablement, rongeant peu à peu la surface de la terre, grignotant imperceptiblement les pierres mouillées. Combat éternel entre ces deux éléments, dont l’arbitre imperturbable trône dans les nuages lourds et gris formant un couvercle clos à cet endroit magique. On dit qu’il pleut tout le temps par ici. C’est faux. Pas tout le temps. Mais il est vrai que le ciel de plomb y est souvent de mise.
Avec précaution, je débarque au port, laissant mes pas me guider au travers des rues étroites et encombrées du village de pêcheurs dans lequel j’ai atterri. A peine sur le quai, je suis assailli par les voix criardes des hommes et des femmes rentrant de leur virée sur l’immensité azur de l’océan ou hélant le passant afin de récolter quelques pièces en vendant, au marché, le fruit de leur pêche. C’est avec un petit sourire de tendresse que je reste un instant perdu devant ce paysage unique de bateaux colorés ondulant lentement sur les eaux, au gré des vagues douces et rondes, bercé par le cri lointain des goélands, dominé par le clocher de l’incontournable église, bâtiment bien plus haut que les autres, majestueux diront certains, où les croyants se pressent comme des coquillages sur un rocher.
Je ne suis pas de ceux-là. Du moins, pas de ceux qui croient en cet être qu’ils nomment Dieu. S’il existait un Dieu unique et miséricordieux, voilà longtemps qu’il m’aurait accordé le repos. Je crois plutôt que les anciens avaient raison. J’ai une autre croyance profondément ancrée en moi. Un credo ancestral, bien antérieur au nazaréen. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’important. Je me suis démené toutes ces années pour retrouver un souvenir, lui remettre la main dessus. Un souvenir qui m’a fait fuir d’ici, me lançant à sa poursuite un jour d’août. Cependant, aujourd’hui, je ne le cherche plus, j’ai usé toute mon énergie dans ce but chimérique et je n’en ai plus. Je viens me ressourcer. C’était il y a longtemps maintenant, je parcourais la lande encore verte et fleurie, sautillant joyeusement, chantant à voix haute pour repousser les esprits malins qui ne manquaient pas d’errer, disait-on, sur ces terres. Je revenais du marché avec, à mon côté, une bouteille d’hydromel que j’avais achetée fort cher et que j’avais entamée plus que de raison afin de fêter la nouvelle vie qui s’offrait à moi. J’étais jeune homme alors, insouciant et rêveur, souhaitant parcourir le monde, découvrir de nouvelles villes, de nouveaux peuples. Je rêvais d’aventures et de rhum, de soleil et de liberté. J’avais profité de ce jour où tout les villages alentour se réunissaient pour les marchés, pour trouver un capitaine qui fût susceptible de m’emmener loin de cette vie paysanne que je pensais miséreuse. A force de demandes et d’interrogations, un navire du Roy me prit à son bord. Il était en partance pour les Indes mystérieuses et lointaines. J’avais deux jours devant moi. Le temps de rentrer prévenir mes parents et mes frères de mon départ, de préparer quelques affaires et ce serait le grand saut !
Quelle hâte irrépressible envahissait mon coeur, quelle impatience envahissante de découvrir de nouveaux mondes ! Tant et si bien que je ne remarquais pas un petit être assis sur un rocher, perdu dans ses pensées, fumant la pipe dont il tirait de longues bouffées, recrachant une fumée opaque à la texture du brouillard. Je marchais sur lui sans le vouloir. J’en fut déséquilibré et roulais dans l’herbe, le poussant, le heurtant, l’embarquant bien malgré moi dans une acrobatie miséreuse et douloureuse. J’étais énervé d’avoir été tiré de ma rêverie et m’adressai à lui, énervé, en frottant mes vêtements maculés de terre fraîche et d’herbe grasse. Je n’avais pas si mal que ça, l’alcool aidant. – Ne peux tu pas faire attention, petit homme ? On n’a pas idée de s’asseoir en plein milieu du chemin !
Le petit être se releva à ma suite, nettoyant ses vêtements colorés et ramassant sa pipe qui s’était brisée dans la chute. Il posait alternativement son regard sur le manche et sur le foyer, maintenant séparés de cet objet qu’il devait affectionner particulièrement. J’eus le temps de le détailler à cet instant. Notamment ses frusques. Elles étaient totalement dépareillées, de couleur vives et voyantes, lui donnant un air étrange et surnaturel. Sa barbe blanche poussant comme du genêt tombait jusqu’à son ventre rebondi et ses oreilles pointues dardaient dans tous les sens semblant douées d’une vie propre. Il ramassa ensuite son chapeau haut de forme cabossé et d’un coup sec à l’intérieur, le remit d’aplomb. En tout et pour tout, il devait mesurer une soixantaine de centimètres. Mon sang se glaça dans mes veines lorsque je le reconnus, sinon lui, du moins son espèce. Je venais de renverser un représentant du petit peuple ! On parlait d’eux le dimanche à l’église comme étant les suppôts du Diable, des séides du démon. Seuls quelques originaux dont le vieux Fanch qui vivait à l’orée du bois du Nevet les craignaient. Fanch m’avait souvent parlé d’anciennes légendes concernant ces êtres dont il disait qu’il était nécessaire de les respecter, non de les fustiger et j’étais enclin à le croire lui, plutôt que d’autres grenouilles de bénitier qui les voyaient comme de vilains personnages. Cependant, je savais que je venais de m’attirer son courroux par mon imprudence, mais surtout par mes paroles désastreuses et malpolies.
- C’est ainsi que tu prends les choses, Guillaume ?
Le ton employé était froid. Sa voix ressemblait à une cascade de cailloux dévalant une pente. Il connaissait mon nom et ce n’était pas bon signe. Une odeur forte de terreau qu’il devait exhaler fut soudain perceptible, malgré mon état d’ébriété. Je tentais d’arrondir les angles, usant de mes mains ouvertes pour montrer mon embarras. – Je suis désolé, petit être ! Je n’avais pas vu qu’il s’agissait de toi. Je pensais qu’un gamin se jouait de moi. Crois moi, j’en suis navré. Prends cet hydromel pour excuse, je t’en fais cadeau.
Il réfléchissait. Le vieux Fanch m’avait dit que les êtres fées étaient facétieux. Il devait réfléchir à un mauvais coup à me faire subir. Enfin, il approcha d’une démarche gauche vers moi, dodelinant comme un animal peu sûr de lui. Je me pliai puis m’assis afin de me mettre à sa hauteur du mieux que je le pouvais. Il tendit sa main ouverte. Je m’empressais de lui donner la bouteille que je ramassais et qu’il leva sans effort. Il but une gorgée puis me rendit mon bien. – Merci de ton geste Guillaume. J’avais grand soif !
Pendant un instant je crus m’en être tiré à bon compte.
- Ne crois cependant pas t’en tirer de la sorte. Tu es inconscient et comme tous les jeunes gens de ton âge, irrespectueux et
ivrogne à tes heures ! Viens t’excuser chez moi et tu seras pardonné totalement. Devant le seuil de ma maison j’ai le pouvoir de te pardonner.
- Qu’est ce à dire ? demandai-je.
Je ne voyais pas vraiment comment trouver sa maison. – A toi de la chercher. C’est simple et voici un indice qui te guidera jusqu’à moi. Les cieux l’ouvrent et la terre l’accepte. Elle est posée comme une assiette à l’endroit le plus beau de la Terre.
- Ca ne veut rien dire ! rétorquai-je.
- Oh que si, Guillaume ! D’ici là tu auras longue vie !
Son sourire était énigmatique. Il y eut soudain une forte bourrasque, charriant de la poussière, me forçant à mettre mes bras devant mes yeux afin d’éviter d’être aveuglé. Lorsque je regardai ensuite sur le chemin, il avait disparu. Emporté par le vent ou vision ? Je ne savais pas à quoi m’en tenir. La chaleur de l’alcool aurait aussi bien pu me causer illusion ! Je restai interdit un moment, rassemblant mes esprits et mes souvenirs qui déjà, se faisaient plus diffus, puis repris mon chemin, ne pensant plus à cette aventure dans les mois qui suivirent. Je partis alors sur les mers, voguant de par le monde, découvrant des richesses qui feraient pâlir d’envie les rois, j’admirais des beautés qu’envieraient toutes les dames de la cour, explorant des contrées si étranges, que l’imagination peinerait à les concevoir, palabrant avec des hommes et des femmes si différents que ma vie d’avant parût fade et triste.
Les années passèrent, inlassablement. Mais je ne changeais pas. Pas une ride, pas une tâche qui, communément,
parsemaient la peau des mains des personnes âgées. Tant et si bien qu’un jour, accusé de sorcellerie, je fut mis aux arrêts dans la cale, attendant notre retour au pays pour, certainement, périr au bûcher. Signe de Dieu, je le crus, mais plus probablement aide des sylphes de l’air et des ondines de l’eau, une tempête providentielle me permit d’échapper à la vigilance de mes geôliers. Le naufrage du navire sur lequel je voguais me permit ensuite d’échapper à une mort certaine. Je m’accrochai à un bout de bois, résidu du mat de la goélette. La tempête semblait s’acharner à tout va, mais elle m’épargnait étrangement. Je survécus.
Je me souvins alors des paroles du petit être. Je devais trouver sa maison au plus vite !
Je parcourus à nouveau le monde, une fois rentré à bon port, cherchant dans tous les lieux connus et inconnus l’endroit le plus «beau de la terre» qui, selon les dires mêmes du lutin, me verrait trouver l’entrée de son domaine. Aux Indes paradisiaques, aux Amériques immenses, au coeur de l’Afrique étrange, dans les confins nordiques où la glace et le froid règnent sans partage et en Asie mystérieuse et envoûtante, je cherchais. Les années passèrent, par dizaines puis centaines, sans que je ne puisse trouver ce qu’en vain je convoitais. J’eus nombre de femmes, mais pas d’enfants. Je quittais à regret mes promises, au bout de quelques temps, de peur qu’elles ne découvrent mon secret et ne me dénoncent aux autorités successives dont j’ai connu les régimes. Que de peine à chaque fois, que de déchirement, que de larmes versées sur mon immortalité. Combien de fois me suis-je senti si bien en compagnie d’une dame dont la beauté divine m’aurait fait tout oublier, s’il n’y avait eu cette malédiction pesante, planant sur ma tête comme un nuage noir, annonciateur de malheur. J’ai pleuré des litres d’eau salée, brûlé plusieurs fois ma peau au four du soleil, tenté par trois fois de mettre fin à mes jours, mais rien n’y faisait. J’étais toujours là, bon pied, bon oeil.
J’appris énormément de mes errances. Je compris notamment que je n’aurais jamais dû partir de chez moi. Que le seul véritable bonheur que j’avais ressenti, c’était sur ces terres battues par les vents et inondées par les légendes. Après avoir parcouru la totalité du monde des hommes, j’avais besoin de revenir chez moi. Dans la contrée qui m’avait vu naître, quelques siècles auparavant. Les années disparurent, envolées comme des feuilles d’automne. Jusqu’à aujourd’hui.
Je quitte le village côtier et m’enfonce dans les terres. Que de changements ici ! Que de mouvement ! Des voitures circulent maintenant de partout, les routes de bitume ayant remplacé les sentiers, de grandes villes se dressant aujourd’hui là où, jadis, ne se trouvaient que quelques cabanes de planches moisies. Je passe dans des champs, fais signe aux agriculteurs, circule dans les bois serrés de mon enfance, contemple les écureuils sur les branches, avance un peu au hasard, redécouvrant la terre de mes ancêtres. Je me demande si les descendants de mes frères vivent encore de nos jours ?
Quand bien même, qu’irais-je leur dire ?
Une nuit passe, puis une autre. J’erre sans fin et sans but, m’enivrant simplement du parfum de la terre, de la couleur des cieux, de la douceur des embruns. Puis soudain, le troisième soir, alors que je m’enfonce un peu plus profond dans la lande, entre les nouvelles maisons et les anciens villages, j’aperçois un dolmen. Trois pierres grises et moussues dressées et gravées de signes inconnus, formant un triangle sur lequel repose une assiette de roche plate. Une assiette posée en plein milieu d’un champ, épargnée par la civilisation. Ce mégalithe aurait pu être là depuis la nuit des temps. Il l’était peut-être, d’ailleurs. Au dessus de lui, dans les cieux chargés, perçant les nuages, un rayon de soleil couchant, rosé et brillant vient frapper cet édifice millénaire et auguste, indiquant comme un doigt tendu, l’emplacement de ce qu’en vain, j’ai cherché de par le monde. Fumant la pipe sous le dolmen, le petit être me regardait, malicieux. Je tombai à genoux devant lui. -Tout ce temps j’ai cherché, tout ce temps j’ai erré, alors que tu étais à ma portée ?
Il rit et le son éraillé qui sort de sa petite gorge fait trembler les poils de sa barbe.
- Oui, Guillaume. Mais qu’à cela ne tienne ! Tu es ici aujourd’hui !Ta malédiction est maintenant levée. Vis ta vie comme tu le dois, respecte nous dorénavant et sois bon avec les tiens. Tu vivras une vie d’homme.
Je tombe au sol et je pleure. Tout ce que je n’avais pas encore pleuré sort finalement et maintenant de mes yeux rougis. La nuit durant je me vide de mes larmes sous le regard de la pleine lune aimante et souriante. Tous ces siècles d’errance prenaient fin. Toutes ces épreuves s’achevaient enfin. J’avais grandi, j’avais vieilli, j’avais mûri mais il me manquait toujours quelque chose. Une parcelle de mon être que je venais de retrouver, enfin. Ce n’est que le lendemain matin, aux premières lueurs de l’aube, que je reprends ma route. Le lutin a disparu. L’ai-je seulement vu ?
Je ne vais pas loin cette fois ci. Je vais m’installer ici, c’est dit. Acheter ce terrain où repose ce dolmen, afin que pour toujours, il reste protégé de la folie des hommes. Le plus beau des terrains. Le plus bel endroit au monde. Je comprends maintenant.
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