A LA QUEUE LEU LEU : un motif
Posté par francesca7 le 15 décembre 2014
En Europe occidentale le loup, ancienne terreur des petits enfants, n’est plus qu’un souvenir, un vieil animal de fable ; Il continue à vivre dans le langage, mémoire mythique des nations – une faim de loup, un froid de loup. En France, il a été un réel prédateur jusqu’au milieu du XIXè siècle, mais nous nous sommes habitués à son absence. Nous sommes devenus trop nombreux sur ce soin de planète, om nous instituons nos propres prédations, pour coexister avec l’habitant des bois. « Un loup chasse l’autre ».
Le mot Leu n’est pas autre chose qu’une ancienne forme de loup. « Hareu, le leu ; le leu ; le leu ! » criaient les bergers picards. il a laissé des traces dans le nom Saint Leu, pour Saint Loup, et naturellement dan la description de gens marchant l’un derrière l’autre – « queue à queue, comme les loups quand ils s’entresuivent » ! à la queue leu leu…. Cela bien avant que les romans de Fenimore Cooper nous fassent parler de « file indienne ».
Pourtant le redoublement du mot leu n’est qu’une erreur d’écriture, déjà très ancienne. Il constitue une mauvais (ou amusante) interprétation de la vieille langue où « de » et « du » ne s’employaient pas toujours pour désigner l’appartenance : Château Gaillard veut dire « le château de Gaillard » et Choisy le Roi « Choisy du Roi ». Ainsi la queue du loup était simplement « la queue du loup » et en Picardie ; « la queue de leu », qu’on a fini par écrire « leu leu ». Du reste Rabelais cite la forme « à la queue du loup ».
Si l’expression a eu autant de vitalité c’est qu’elle servait à désigner « un jeu de petits enfants » un jeu tout bête et toujours amplement pratiqué dans les cours d’écoles maternelles, qui consiste à courir en rang d’oignons en tenant le tablier de celui qui précède… C’est le petit train !
Bien sûr ! Simplement changement de motivation. Des centaines de générations de bambins se sont divertis de la sorte, bien avant que les trains existent. Celui qui court en tête de file, avant de faire la locomotive, faisait tout bonnement le « leu » !
C’est à se demander si ce ne sont pas les trains qui ont réellement copié sur les petits enfants, et à travers eux sur les loups ?… On comprend mieux dès lors la perplexité des vaches le long des voies ferrées, et l’abîme de réflexions où les plonge la « récupération » humaine des instincts ancestraux.
Quand un loup rôdait à proximité d’un village, la nouvelle avait vitre fait le tour de ses habitants. La menace qu’il représentait pour les troupeaux, et aussi pour les enfants, bien que réelle, était aussitôt exagérée par un vent de panique dont il est difficile de cerner la part de l’imaginaire. Toujours est-il que c’était un animal rapidement identifié et qu’il était bien difficile à un brave loup de se promener incognito dans la campagne ; De là la comparaison classique ; « On dit aussi qu’un homme est connu comme le loup – dit Furetière – pour dire qu’il est extrêmement connu : et cela ne se dit que d’un homme de qui on peut se donner liberté de dire ce qu’on en pense ».
Dans nos contrées les loups avaient un pelage noirâtre, aux mieux gris foncé, alors que leurs confrères sibériens ont quelquefois le poil plus clair ; Il est possible que certains migrants, à l’occasion d’hivers particulièrement rudes, se soient avancés jusque sous nos climats, et que le passage d’un loup plus clair ait produit dans l’imagination populaire le mythe du « loup blanc », forcément le plus connu de tous, et le plus redoutable ; Car c’est bien en tant qu’animal mythique que Rutebeuf le cite déjà au XIIIè siècle :
Car ce siècle est si changé
Que un leu blanc a tous mangé
Les chevaliers loyaux et preux.
Peut être à cause d’une incompréhension dues à la forme populaire « leu », peut-être par un jeu de mots tentant, au lieu de « connu comme le loup blanc » on dit souvent dans le nord d e la France « connu comme le houblon » – variante assez naturelle chez des buveurs de bière.
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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