Samain en Bretagne
Posté par francesca7 le 14 décembre 2014
: Le Breuriez Par Huath
En Bretagne la Toussaint marque plus la fête des morts que la fête de tous les saints. Dans la commune de Plougastel-Daoulas (Finistère), la Toussaint se confond aussi avec la «Fête des Morts» ou «Nuit des Morts». C’est le jour de l’ancienne fête irlandaise du 1er novembre – Samain –, qui marque le début et la fin de l’année. En ce jour, les Plougastels réalisent le rituel du Breuriez. Cette pratique tombée en désuétude en 1980 est réapparue récemment. Les cérémonies du Breuriez peuvent varier selon les frairies (divisions de paroisse) mais les grandes lignes restent les mêmes : on retrouve un arbre, des pommes et du pain… Le Breuriez s’articule autour de la tradition du bara an anaon («pain des trépassés») et du gwezen an anaon («arbre des trépassés»), ou gwezen ar vreuriez («arbre de la frairie»).
L’arbre des trépassés
Le «squelette» de l’arbre est une branche d’if, d’aubépine noire ou de houx, défeuillé, écorcé et dont les ramifications sont taillées en pointes. Sur chacune de ces pointes, une pomme est piquée. Notez la haute symbolique des arbres choisis et des pommes en cette période de l’année ! Quand toute la frairie est rassemblée, le meilleur enchérisseur de l’année précédente porte l’arbre et incite les personnes à enchérir sur l’arbre. Le plus gros enchérisseur offre la plus grosse pomme de l’arbre au porteur et garde l’arbre pour l’année.
Le pain des trépassés
Le meilleur enchérisseur de l’année précédente devait également se procurer les pommes et le pain et les faire
bénir par un prêtre. Après les enchères, l’assistance se recueille et prie pour les morts. Une fois ces prières terminées, chaque famille vient prendre un pain et laisse en échange un don. Il y a également des petites avalou an anaon «pommes des âmes» ou «pommes de Toussaint» qui peuvent être échangées contre un don. Après quelques discussions, chacun rentre chez soi. Le soir dans les maisons, le «pain des trépassés» est partagé avant le dîner en autant de parts qu’il y a de membres dans la famille, et l’on mange son morceau sec après avoir fait le signe de croix. Le lendemain, l’argent recueilli est apporté au prêtre de l’église paroissiale, qui annonce en chaire le dimanche suivant les sommes réunies par le Breuriez. L’argent ainsi recueilli sert à faire dire des messes pour le repos de l’âme des disparus.
Pour finir, voici un témoignage que je trouve très touchant et qui montre, je pense, l’importance du Breuriez pour les Bretons. Ce récit de Charles Le Goffic relate brièvement la cérémonie à laquelle il a assisté à la Fontaine Blanche lors de son second séjour à Plougastel en 1924. Le site de Fontaine Blanche correspond à un ancien lieu de culte païen celtique. On a retrouvé la statue d’un dieu de la fertilité au phallus dressé sous le calvaire. Cette statue se trouve désormais au musée de la fraise. Le nom du lieu-dit Feunteun Gwenn peut se traduire certes en français par fontaine blanche, mais aussi par fontaine sacrée, gwenn (provenant du gaulois vindo) voulant aussi dire sacré. Pour le moment, le petit placître¹ qui s’étend devant la chapelle n’est pas très animé. Il ne s’y voit, avec les trois vendeurs, qu’une vingtaine d’assistants disséminés dans l’ombre des talus ou sur les banquettes de la route.
— Seiz livr ha dek gvvennek ! (Sept livres et dix sous !) répète inlassablement le vendeur de l’arbre, un grand gaillard sec et tanné, qui répond au nom magnifiquement barbare de Gourloiien Cap. Mais personne ne met de surenchère. L’arbre des âmes, l’arbre sacré de la frairie, payé trente-deux francs l’an passé, va-t-il donc s’adjuger à ce prix dérisoire ? Non ! Une partie des membres de la frairie a dû s’attarder au cimetière après les offices du bourg ; voilà des groupes qui dévalent vers le calvaire et, d’un de ces groupes, soudain, une voix féminine jette avec décision :
— Eiz livr (huit livres !).
— Huit livres et dix sous, riposte de l’autre côté de la route une voix moins assurée, celle d’une jeune femme à tête hâve qui tenait jusque-là l’enchère et qui se démasque du talus où sa présence nous avait échappé.
— Neuf livres !…
La lutte est engagée et elle devient tout de suite palpitante, presque dramatique vraiment, entre ces deux rivalités féminines dressées pour la possession de l’arbre porte-bonheur. Quels secrets peuvent se tapir sous ces cornettes en bataille ? Mais visiblement la partie n’est pas égale entre les deux adversaires. A mesure que la «criée» se poursuit, la voix de la première enchérisseuse faiblit, devient plus hésitante : les ressources de la pauvre femme ne lui permettent pas sans doute de dépasser un certain chiffre.
— Vingt livres !… Trente !… Trente-cinq !… Quarante !…
Un arrêt, pendant lequel on entend un sanglot étouffé, puis le traînement d’un pas qui s’enfonce dans la nuit.
— Personne ne met plus ? demande le vendeur… Adjugé !
L’acquéreuse de l’arbre s’en empare avidement : c’est une riche «chulotte» de la frairie, m’explique mon guide, une Kerandraon du clan des Kerandraon de Kernévénen, dont la tige, à la Saint-Jean dernière, s’est fleurie d’un tardif rejeton.
— Et l’autre ? la vaincue ?
— Une femme de marin… Elle est sans nouvelle de son homme depuis six mois. Elle avait mis son dernier espoir dans l’arbre des âmes ; puisqu’il ne lui est pas resté au prix maximum qu’elle s’était fixé et qui excédait déjà ses ressources, c’est que l’homme ne reviendra pas. On ne peut s’engager avec les morts que pour le compte des vivants.
Charles Le Goffic, La Toussaint à Plougastel, journal «Le Gaulois» n°12803 du 2 novembre 1912
Notes :
1 placître : terrain vague entourant une église
Ressources : Musée de la fraise et du patrimoine de Plougastel :
Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Breuriez.
Keltia magazine n°21, nov 11 – Jan 12
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