Les termes pour désigner le sorcier
Posté par francesca7 le 14 décembre 2014
Le paysan russe du XIXe siècle possédait une multitude de termes pour décrire ceux et celles qui pratiquaient cette magie qui «gâte». La sorcellerie n’était pas seulement l’apanage des femmes, mais se pratiquait par les deux sexes sans distinction. Le sorcier est un koldun, cependant il est possible de rencontrer les termes de ved’miak et de vedun. Il existe, par ailleurs, des termes plus littéraires tels que volshebnik, charodei ou chernoknizhnik. En ce qui concerne la sorcière, on l’appelle souvent ved’ma ou koldun’ia et moins fréquemment charodeika, volshebnitsa ou vedun’ia. Il existe une terminologie spécifique pour ceux pratiquant l’art de la divination (vorozheia ; otgadchik, féminin : otgadchitsa) ainsi que pour les guérisseurs (znakhar’, féminin : znakharka). En dehors de ces dénominations, les paysans utilisent régulièrement l’euphémique «personne avec la connaissance» (znaiushchie liudi) pour désigner les sorciers, sorcières et tous ceux possédant tout autre pouvoir surnaturel. D’ailleurs, la «connaissance» sert de base étymologique aux mots znakhar’/znakharka et vedun/ved’ma qui dérivent des verbes znat’ et vedat’ qui signifient «connaître». Il faut noter que la ligne de démarcation entre toutes ces personnes possédant des pouvoirs surnaturels n’a jamais été vraiment claire chez les Russes, puisque par exemple le devin pouvait tout à fait vous raconter votre avenir que rechercher des objets perdus, ce que faisait aussi le sorcier. On emploie, dans le nord de la Russie, le terme d’hérétique (eretik/eretitsa) pour un sorcier qui continuerait à «gâter» la population même après sa mort. Enfin, il est possible de trouver dans les textes les plus anciens, datant de la période médiévale, le terme de volkhv. Ce terme se réfère à un prêtre-sorcier de l’époque païenne des Russes.
Le sorcier et la sorcellerie au cours de l’histoire
La sorcellerie russe prend racine dans les périodes les plus anciennes de l’histoire, bien avant la christianisation.
Il est aisé de comprendre que nous ne possédons pas de documents écrits concernant l’apparition du Phénomène. Les chroniques médiévales les plus anciennes font référence au volkhv dont nous avons déjà parlé. La recherche ayant établi un lien entre ces anciens prêtres sorciers et les sorciers d’aujourd’hui. Dans l’ancienneRussie, les gens se tournaient vers les volkhvy (pluriel de volkhv) en cas de maladies ou de calamités naturelles telles que les famines, sécheresses ou inondations, mais aussi pour connaître l’avenir. Certains chercheurs voient dans le volkhv un chaman semblable à ceux que l’on peut rencontrer chez les Finnois et les Sami. En effet, il aurait été capable de se mettre en état de transe pour employer ses pouvoirs magiques. Malheureusement, nous n’en savons guère plus, les seules sources écrites dont nous disposons les décrivant sont chrétiennes et sont accompagnées de toutes les condamnations et réprimandes d’usage. Nous savons tout de même que le volkhv joua un rôle décisif auprès des populations et que ceux-ci étaient particulièrement craints par l’église et le pouvoir. Par exemple, le XIe siècle qui fut marqué par de terribles famines, vit ces prêtres-sorciers devenir de véritables chefs d’insurrections contre le pouvoir. Ils firent assassiner des nobles et des prêtres orthodoxes qui étaient jugés comme les responsables de ces famines.
La population continua pendant longtemps à consulter le volkhv, mais celui-ci qui disposait d’une place centrale dans la société païenne se vit mettre, au fil du temps, à l’écart, avec l’enracinement du christianisme. Alors qu’il était respecté et considéré, le sorcier commença, sous l’impulsion des prêtres orthodoxes qui, au moment de la messe, les attaquaient avec une grande véhémence, à inspirer la crainte. C’est à partir de ce moment là, aux alentours du XIIe siècle, qu’on se mit à lui attribuer tous les malheurs qui frappaient la population, c’est-à-dire les mauvaises récoltes, les sécheresses, le manque de réussite, les morts infantiles… mais cela n’empêchait pas les gens de toujours le consulter. Malgré la lutte acharnée de l’église pour éradiquer toutes traces du paganisme, celle-ci ne put empêcher la population, et ce, à tous ses échelons, de continuer à croire au surnaturel, au pouvoir du volkhvy et de ses successeurs.
Les chroniques, les travaux historiques, les rapports de procédures juridiques contiennent une abondance d’informations sur la sorcellerie russe pour la période s’étalant du XVe au XIXe siècle. Ce matériel nous permet de constater que la sorcellerie a joué un rôle de grande importance à tous les niveaux de la société, que ce soit dans les milieux ruraux ou citadins, chez les paysans ou dans la noblesse, le clergé et même la maison du tsar. Toutes les strates de la société invoquaient l’aide des sorciers ou de ceux qui pratiquaient la magie, que ce soit pour guérir, retrouver des objets perdus, prédire l’avenir, empêcher les blessures et les maladies, mais aussi pour «gâter» son rival ou ennemi. En fait, il faut noter que la sorcellerie a joué un rôle majeur parmi les familles dirigeantes de Russie. Le tsar portait même un vif intérêt à ce qu’elle soit sévèrement punie. Ils avaient Extrêmement peur des sorciers, et surtout que ceux-ci leur causent du mal à eux personnellement ou à leur famille. Tous ceux qui portaient allégeance au tsar devaient faire voeu de renoncer à la magie. Les souverains russes cachaient continuellement leurs enfants du regard des étrangers, par peur qu’un d’entre eux puisse, d’un simple regard ou à l’aide d’une formule les «gâter». Au cours du XVIIe siècle, le tsar promulgua un grand nombre de lois interdisant la pratique de la sorcellerie ou ayant trait à celle-ci.
En 1653, le tsar Aleksei fit paraître un décret qui rendait obligatoire l’incinération des morts que l’on pensait avoir été sorciers, en brûlant avec eux tous les objets leur ayant appartenu comme les herbes, les potions, les charmes écrits sur des parchemins, mais aussi en mettant au bûcher tous ceux soupçonnés de sorcellerie. Moult exemples de cas de sorcellerie concernaient la famille impériale, on a pensé que la mort de la femme d’Ivan III en 1467 et d’Ivan le Terrible, Anastasia, en 1560 auraient été dues à l’action d’un sorcier. D’ailleurs, ce dernier, fou de rage, mena toute une campagne pour qu’on traque tous les sorciers du pays afin de les mener au bûcher. L’incendie de Moscou de 1547 a été attribué aussi à la sorcellerie, et pour être plus précis à la famille des opposants politiques d’Ivan le Terrible, les Glinski. Le chef de famille Iuri Glinski fut torturé et tué par la foule dans la Cathédrale de la Dormition. La famille Romanov fut exilée durant la période des Troubles (1598-1613), accusée de vouloir prendre le pouvoir en ayant recours à la sorcellerie.
En 1632, on interdit l’importation de grains de Lituanie sous prétexte que celui-ci porterait une malédiction qui pourrait contaminer toute la Russie. Nous pourrions citer encore de très nombreux exemples de sorcellerie à un haut niveau de l’état, mais il nous apparaît déjà clairement que celle-ci y a eu une place de choix. De quelle manière étaient, en fait, traités ceux accusés de sorcellerie ? Dans la région de Moscou, les personnes mpliquées dans la sorcellerie étaient emprisonnées, la torture était souvent employée pour faire avouer ses «crimes» au sorcier et après l’obtention d’une confession plus que douteuse, c’était soit la condamnation à mort par le bûcher ou soit, dans le cas où les autorités faisaient preuve de «clémence», un simple exil. Les accusations de sorcellerie étaient monnaie courante, car bien pratiques pour se débarrasser d’adversaires considérés comme gênants. Dans bien des cas, les autorités n’avaient pas toujours le temps d’intervenir, la population s’occupait elle-même de rendre justice.
En 1720, dans le sud de la région de Volynia, une femme centenaire accusée d’être la responsable des mauvaises récoltes du village fut enterrée vivante jusqu’aux épaules par les habitants, ces derniers se servant d’elle pour démarrer un feu. Il arriva une histoire fort similaire en 1738 à Podolia où un jeune noble avait parcouru des champs à la recherche de son cheval au moment où les paysans pratiquaient un rituel de protection pour obtenir une bonne récolte. Ces champs périrent quelques jours plus tard et le jeune homme fut accusé par les villageois d’être un sorcier ayant causé un fléau sur ces champs. La population le brûla donc vivant. Cependant, selon les archives judiciaires, les sorciers ne connurent pas des condamnations aussi terribles à Kiev. Les sorciers devaient juste payer une amende et promettre de ne plus reprendre leur activité. Ces punitions paraissent assez douces en comparaison avec ceux qui étaient accusés de sorcellerie dans la Pologne voisine où l’Inquisition était toute puissante et perdura jusqu’au XVIIIe siècle. À partir du XIXe siècle, les autorités ne s’intéressèrent plus du tout à la sorcellerie en Russie, ce qui laissa le champ libre aux sorciers qui devaient tout de même se méfier des représailles des paysans qui étaient prompts à les accabler de tous les malheurs qui leur arrivaient.
Description du sorcier et de la sorcière
Comment reconnaît-on un sorcier ? Le paysan russe fait la distinction entre les sorciers «naturels» ou «nés» et les sorciers qui ont pu acquérir leurs pouvoirs d’une autre manière. Il existe ainsi deux types de ved’ma (sorcière). Les naturelles étaient des êtres mythiques, possédant leurs dons dès la naissance, des dons innés, transmis de génération en génération, de femme en femme. Les autres auraient appris leur ruse en se mettant au service du Diable ou d’une ved’ma. Elles recevaient leurs pouvoirs de la ved’ma au moment où celle-ci était mourante ou suite à un long apprentissage auprès d’elle. Il est particulièrement difficile de distinguer physiquement la ved’ma d’une femme ordinaire. On dit que l’origine surnaturelle d’une ved’ma «née» pouvait être révélée par la présence d’une petite queue velue qui s’allongeait avec l’âge. Celle-ci ne vieillissait pas comme les autres personnes, elle pouvait vivre beaucoup plus longtemps et dépasser parfois les cent ans. Il existe d’autres signes qui ne trompent pas : les ved’my étaient capable de projeter deux ombres et si vous plongiez votre regard dans le leur, vous pouviez voir se refléter le monde à l’envers. Leur apparence diffère aussi selon qu’elles sont originaires du sud ou du nord de la Russie. Au sud, les sorcières étaient décrites comme jeunes et belles, séduisantes, allant pieds nus et légèrement vêtues, leur chevelure dénouée tombant sur leurs épaules. La nuit venue, grâce à une potion magique ou quelque sortilège, elles pouvaient sortir par le tuyau du poêle et monter sur des manches à balai, puis s’envoler pour se réunir entre elles sur le Mont Chauve près de Kiev. Dans le nord, les sorcières étaient laides et vieilles, bossues ou portaient d’autres difformités. Les sorcières étaient capables de changer de forme, de se transformer en animal, lièvre, chat, oiseau ou porc et pouvaient effrayer ou jouer des mauvais tours aux paysans. Il paraîtrait aussi que de nombreuses sorcières ont pu échapper au bûcher en se transformant en pie.
Le koldun (sorcier) possède des fonctions et des attributs très similaires à la ved’ma. Certains kolduny étaient d’origine surnaturelle, ils étaient le produit d’un accouplement entre une femme et un démon. Certains s’initiaient, à l’instar des ved’my, auprès d’un koldun, apprenaient la sorcellerie auprès de lui et recevaient leurs pouvoirs au moment de sa mort. Le koldun prêtait allégeance aux démons, souvent en présence d’un sorcier expérimenté, et afin de prouver sa loyauté renonçait à tous les symboles chrétiens, abjurait le Christ, reniait ses parents, le soleil, la lune et la terre. Il pouvait aussi entreprendre un voyage contre nature en s’engouffrant dans la bouche d’un animal, montrant qu’il descendait en enfer pour remonter et renaître à un nouvel état. A la fin du rituel, le koldun signait un parchemin, avec son propre sang, qui servait de pacte définitif avec les démons. Il était très difficile de discerner physiquement un koldun d’un villageois commun. Il ressemblait à n’importe quel autre homme. Il n’était presque jamais muni d’une queue, au contraire de la ved’ma. Ses yeux reflétaient le contraire de ce qu’ils voyaient. Il n’est pas rare, aussi, de croiser des descriptions nous peignant un koldun vieux, barbu, possédant une longue chevelure, doté de griffes à la place des ongles et vêtu d’une peau de mouton ou d’autres animaux. Presque toutes les sources mentionnent le fait que les sourcils des sorciers étaient très fournis et qu’ils possèdaient un regard furtif et «vorace». Il avait tendance à vivre reclus et vivait toujours comme célibataire. Les sources affirment qu’ils possèdaient toujours, même les sorciers qui étaient illettrés, beaucoup de livres chez eux et qu’ils en transportaient toujours un ou deux sur eux. On considérait les sorciers comme particulièrement résistants à la douleur, bien plus que les autres hommes, et c’est pour cette raison qu’au moment de les torturer, on leur arrachait les dents, coupait les cheveux et la barbe pour atténuer leur résistance magique et physique !
Les paysans russes pensaient que le seul véritable moyen de démasquer les sorciers et les sorcières était pendant le carême. Au moment de la procession autour de l’église, lors de la messe pascale, on donnait à chaque personne un oeuf peint. Au moment ou le prêtre entonnait «Christ est ressuscité», s’il y avait un sorcier parmi les gens et s’il portait un oeuf, alors il était poussé par une force qui l’obligeait à tourner le dos à l’autel.
Les pratiques des sorciers
Comment les sorciers opéraient-ils quand on leur avait demandé un service ? Ils s’y prenaient de différentes manières. Ils pouvaient utiliser leur regard et lancer ainsi des malédictions en fixant avec attention une personne.
Pour nuire, ils employaient très communément de nombreuses plantes, herbes et racines, ensorcelaient les objets, soufflaient au vent, répandant ainsi la mort et la maladie ou soufflaient directement dans la bouche de leur victime. Pour s’en prendre à une personne, le sorcier pouvait récupérer les empreintes laissées dans la boue, un objet dans lequel la personne avait consommé de la nourriture ou un liquide, un vêtement ou des cheveux lui appartenant. Les sorciers avaient le pouvoir de troubler les émotions humaines, ils pouvaient inciter à la haine, faire naître l’amour, instiller la peur et cela contre la volonté des individus. Certaines activités étaient réservées à la sorcière. Il s’agissait le plus souvent de nuisances faites au bétail, du vol de liquide comme le lait des vaches ou la destruction des récoltes. D’ailleurs, les nuisances faites aux vaches sont la source de nombreux récits et autres histoires. La sorcière pouvait aspirer elle-même le lait ou le faire en prenant l’apparence d’un animal. Elle avait le pouvoir de traire la vache à distance et de conserver le lait dans un récipient, chez elle. La population a pour cette raison toujours eu peur d’acheter du bétail d’une provenance inconnue, par crainte que la vache n’ait été ensorcelée et qu’elle ne puisse pas, de cette manière, produire du lait. Il est fréquent, encore aujourd’hui dans certains villages, de trouver des croix, des bouquets d’orties ou des pies mortes sur les portes des étables afin de protéger le bétail. Les sorciers, sans distinction de sexe, faisaient un important usage des charmes (zagovor). Les charmes étaient des formules qui pouvaient être écrites sur des bouts de papier, des parchemins, dans des livres ou connues par le sorcier. Cependant, être surpris en possession de charmes suffisait pour être accusé de sorcellerie, il était donc très dangereux de montrer à qui que ce soit qu’on était en possession d’un charme ou que l’on en connaissait. Les charmes servaient en fait de base dans toutes les pratiques de sorcellerie. Le sorcier utilisait le charme au moment où il ajoutait des herbes, plantes ou racines dans la nourriture de la victime ou la boisson ou quand il répandait la mixture sur le chemin ou sur les vêtements de celui-ci.
Contre les sorciers et leurs grands pouvoirs, la population n’avait finalement que peu de moyens de défense. Les paysans essayaient surtout de protéger leurs champs, c’était ce qu’il y avait de plus vital pour eux. Ils réalisaient des rituels en traçant des cercles autour des champs qui étaient censés empêcher au sorcier d’y pénétrer. On prenait de nombreuses précautions au moment du mariage. L’une des croyances les plus tenaces était que la jeune fille était particulièrement vulnérable à ce moment précis. On donnait à la jeune fille des oignons, de l’ail, de l’ambre, on faisait brûler de l’encens qui repoussait les sorcières, on cousait une croix sur la coiffe de la mariée. Il est intéressant de conclure sur la manière dont les paysans russes expliquent leur motivation pour «gâter» autrui et ainsi faire appel à un sorcier. Le paysan russe craignait plus que tout d’être gâté, d’être la victime d’un sorcier.
Le paysan avait la sensation que toute l’atmosphère qu’il pouvait respirer était saturée d’esprits invisibles, qu’ils soient bons ou mauvais, ainsi il pensait légitimement être entouré de personnes connectées avec ce monde invisible et surnaturel et qu’ils étaient responsables de ses échecs et de ses malheurs. Et quand le paysan pensait qu’il avait été «gâté», il cherchait de manière inévitable à se venger en consultant un sorcier. Le paysan était convaincu que la sorcellerie pouvait avoir une influence sur tous les aspects de sa vie. Les paysans se défendaient toujours d’avoir quémandé l’aide d’un adepte de la magie, expliquant qu’ils avaient été forcés, que cela était contre leur volonté, que c’était la faute du sorcier. Cependant, le véritable motif pour avoir recours à la magie était l’envie et la jalousie. Cela permit aux sorciers d’avoir un fond de commerce fort florissant des siècles durant. Les sorciers et sorcières étaient souvent très riches, puisque tout le village venait les consulter pour obtenir leur aide et leur offrait en retour de leur service de nombreux présents. Le métier de sorcier était fort dangereux, mais était fort bien rétribué.
Source : http://lunebleuezine.files.wordpress.
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